Étude approfondie et immersion dans un récit extraordinaire : VORONEZH, RENCONTRE DU 3e TYPE ou INTOX ?"
Objet d'étude : vidéo présentée dans cette page : VORONEZH, RENCONTRE DU 3e TYPE ou INTOX ?
Analyse mobilisant le protocole MOE dans un cadre pédagogique de recherche appliquée
Avertissement
Le document que vous vous apprêtez à lire n’est pas une enquête sur un phénomène, mais une enquête sur les pratiques d’enquête elles-mêmes. Mon objectif, en le rédigeant, n’est pas de déterminer la nature ontologique d'un événement, mais de comprendre comment la réalité de cet événement est socialement et pratiquement construite, maintenue et contestée. Il s’agit donc d’une analyse de second ordre, une démarche qui prend pour objet non pas le monde, mais la manière dont nous produisons des comptes rendus intelligibles du monde, surtout lorsque celui-ci devient inintelligible.
Cette posture, issue de la praxéologie du Module Opérationnel Ethnométhodologique (MOE), m'oblige à une forme de rigueur particulière : je dois suspendre tout jugement sur la véracité des faits pour me concentrer exclusivement sur les méthodes pratiques que les acteurs – y compris moi-même en tant qu'analyste – déploient pour donner du sens à l'anomalie. Ce texte doit donc être lu comme un journal de bord méthodologique, une mise en abyme où j'applique un protocole d'analyse à un cas tout en analysant ma propre application de ce protocole.
Le lecteur ne trouvera donc ici aucune conclusion sur le cas lui-même. Il y trouvera, je l'espère, la démonstration qu'il est possible de produire une connaissance rigoureuse non pas sur l'inconnu, mais sur la manière dont nous gérons notre relation à l'inconnu.
Introduction
Ce qui me fascine dans le phénomène OVNI, et ce qui motive ce journal de recherche, ce n'est pas tant la question de l'existence extraterrestre, mais bien celle, plus profonde, des formes d'intelligibilité que nous projetons sur l'inconnu . Chaque "cas" est un miroir, une scène de théâtre où une société met en scène ses peurs, ses espoirs, ses cadres de pensée et, surtout, leurs limites. En 1989, à Voronej, une ville de province soviétique en pleine transition politique et idéologique, un événement largement relayé fait état d'un atterrissage d'engin non identifié et d'une interaction directe avec des enfants . Face à un tel récit, l'analyste se trouve à la croisée des chemins. La tentation est grande de tomber dans le piège binaire : croire ou ne pas croire ? Démystifier ou valider ?
C'est précisément pour échapper à cette impasse que j'ai décidé de faire de ce cas, à la fois spectaculaire, documenté et controversé, le terrain d'analyse idéal pour éprouver la puissance heuristique d'un protocole d'analyse transdisciplinaire et incarné : le Protocole МОЕ . Mon travail, ici, ne vise donc pas à trancher la question de la réalité matérielle du phénomène rapporté . Une telle ambition serait, de mon point de vue, non seulement vaine mais aussi méthodologiquement naïve. Je propose plutôt une lecture critique à la première personne, un parcours à travers les strates de sens qui composent cette affaire. Mon but est de reconstituer les dynamiques discursives, les logiques médiatiques, les régimes de croyance et les accomplissements de preuve qui ont été activés pour donner forme à cet événement .
Cette lecture, je l'ancre délibérément dans la tradition ethnométhodologique, car elle m'oblige à interroger les formes de rationalité qui organisent ce que l'on appelle un "cas OVNI". Je ne le considère pas comme un événement isolé, mais comme une construction sociale, cognitive et symbolique . Mon hypothèse de travail, celle qui guide chacune des étapes de ce journal, est la suivante : un phénomène extraordinaire, lorsqu'il entre dans l'espace public, active des cadres d'interprétation hétérogènes et souvent contradictoires . Je ne vois pas la pluralité des récits, la diversité des "experts" convoqués, l'ambiguïté des "preuves" ou la fragilité du contexte socio-politique comme des obstacles à la vérité . Au contraire, je les traite comme des indices précieux, des données fondamentales qui me montrent que la réalité d'un événement ne se donne jamais immédiatement – elle se construit, se négocie, et parfois se disloque .
C'est dans cette optique que le Protocole MOE devient mon principal allié. Il m'offre un cadre d'analyse qui me permet de dépasser les dichotomies traditionnelles (vrai/faux, rationnel/irrationnel, science/croyance) . C'est un module opérationnel, un compagnon de pensée, fondé sur la reconnaissance des rationalités locales, sur la circulation des représentations entre disciplines, et sur la mise en dialogue des savoirs dits "durs" et "mous" dans un cadre transdisciplinaire que j'assume pleinement . Ce qui suit est donc le récit d'une enquête, non pas exclusivement sur le cas Voronej, mais également sur ce qui m'a permis de faire cette analyse, la fascinante machinerie de la construction du réel.
I. Cadre méthodologique : le Protocole MOE
Avant de plonger dans l'analyse de la vidéo sur Voronej, il me semble essentiel de prendre un moment pour déplier la carte avec laquelle je navigue. Le Protocole MOE (Module Opérationnel Ethnométhodologique) n'est pas pour moi un simple ensemble de règles à appliquer froidement ; comme je l'ai mentionné, il est le produit d'une sédimentation épistémologique qui articule plusieurs traditions de pensée en une grammaire de lecture située . Au fil du temps, j'ai appris à l'utiliser non pas comme une checklist, mais comme une boussole. Son objectif premier, et celui que je poursuis dans ce journal, est d'offrir un cadre opératoire me permettant d'analyser des récits complexes, ambigus, voire inclassables, sans les réduire à une seule épistémè disciplinaire . Je le conçois comme un outil transdisciplinaire, fondamentalement réflexif, qui m'oblige en permanence à questionner ma propre posture, et qui me rend sensible aux dynamiques sociales, narratives et symboliques en jeu dans la production d'un phénomène dit 'extraordinaire' .
A. Fondements disciplinaires du MOE
Ma pratique d'analyste s'ancre dans la convergence de quatre traditions de pensée majeures. Je ne les vois pas comme des théories distinctes, mais comme quatre lentilles complémentaires que je peux superposer pour obtenir une vision en relief de mon objet d'étude .
La biologie de l'autonomie (Maturana & Varela) : C'est le fondement le plus abstrait, mais aussi le plus essentiel. Pour moi, ce principe signifie que je dois aborder tout acteur (un témoin, une institution, un enquêteur) et même tout récit comme un système vivant. La notion d'autopoïèse, cette capacité qu'a un système à se maintenir lui-même en renouvelant continuellement ses composants, est une métaphore extraordinairement puissante . Quand j'analyse un cas, je ne vois pas un simple "ensemble de faits", mais une structure narrative auto-entretenue, qui produit en permanence ses propres éléments de validation à travers les interactions entre les acteurs, les "preuves" qu'ils mobilisent et le contexte dans lequel ils évoluent . Cela m'oblige à poser la question : "Comment ce récit vit-il ? Comment se défend-il contre les informations qui menacent sa cohérence ?".
La cognition incarnée et enactionnelle (Varela, Thompson & Rosch) : Ce principe est mon garde-fou contre l'illusion de l'objectivité. Il me rappelle que toute connaissance est située, enracinée dans un corps et un environnement . Concrètement, cela signifie que lorsque j'analyse un témoignage, je ne peux pas l'isoler de celui qui parle. Plus important encore, cela m'oblige à m'intégrer moi-même à l'objet d'étude. Mon analyse n'est pas un regard neutre sur le cas Voronej ; le sens que je produis émerge dans l'action interprétative elle-même . Ce journal est la trace de cette cognition incarnée, un acte de mise en sens qui est lui-même situé et corporel.
La dynamique interactionnelle (École de Palo Alto) : C'est ma boîte à outils pour décrypter les relations. Ce courant m'a appris à voir les échanges, non pas comme des transferts d'information, mais comme des boucles de rétroaction qui co-construisent une réalité . Quand j'analyse la diffusion de l'affaire de Voronej, de la dépêche de TASS aux reportages occidentaux, je ne vois pas un simple "transfert d'informations objectives". Je vois une co-construction relationnelle d'un phénomène signifiant, où chaque acteur réagit aux actions des autres, créant un "jeu" complexe de définitions et de redéfinitions de la situation .
L'ethnométhodologie (Harold Garfinkel, Robert Jaulin, Yves Lecerf) : C'est le cœur de ma pratique, ma méthodologie du concret. Cette discipline me donne les moyens de restituer les rationalités locales en reconstituant la logique propre des situations vécues . Mon analyse ne portera donc jamais sur la véracité du phénomène de Voronej. Elle portera sur les modes de fabrication du réel dans ce contexte social précis . Ma question n'est pas "Les enfants ont-ils dit la vérité ?", mais "Comment ont-ils accompli la tâche de produire un témoignage crédible ?". Ma question n'est pas "L'agence TASS a-t-elle menti ?", mais "Comment a-t-elle accompli l'acte sans précédent de diffuser un tel récit ?". C'est cette focalisation sur le "comment" pratique qui définit mon éthique d'analyste.
B. Une axiologie transdisciplinaire
Ma démarche repose sur une posture axiologique, un système de valeurs méthodologiques que je dois rendre explicite. Je me fonde sur la pluralité des régimes de vérité . Pour moi, il est stérile d'opposer la science à la croyance. Je considère que chaque communauté produit une forme légitime de lecture du monde, dès lors qu'elle est située, argumentée et reconnue dans son propre horizon culturel .
C'est cette posture qui m'autorise, et même m'oblige, à faire dialoguer :
Les sciences dures, à travers les protocoles de preuve qu'elles tentent de mobiliser (analyse des "roches", mesures géomagnétiques).
Les sciences humaines, à travers les cadres d'interprétation sociologiques ou psychologiques que je déploie.
Les savoirs profanes, comme les témoignages d'enfants ou les mythes locaux, en les analysant non pour leur vérité factuelle, mais pour leur fonction narrative et identitaire.
C'est pourquoi, dans mon analyse du cas Voronej, je m'efforcerai d'embrasser simultanément les données matérielles (aussi fragiles soient-elles), les structures de récit (la dépêche de TASS, les témoignages) et les effets de contexte (la fin de l'URSS), sans les hiérarchiser a priori . Tout est une donnée.
C. Finalité du protocole : une lecture méta-contextuelle
En fin de compte, je conçois le Protocole MOE comme un instrument pour une lecture méta-contextuelle . Mon but n'est pas d'atteindre une conclusion définitive qui viendrait clore le sens de l'affaire Voronej . Mon but est de cartographier les zones d'ambiguïté, de pointer les nœuds de tension entre les différentes rationalités, et de rendre visibles les formes alternatives de logique que cet événement a activées .
Loin de moi l'idée de rejeter l'invraisemblable. Mon travail consiste à comprendre ce que l'émergence d'un récit aussi invraisemblable que celui de Voronej nous apprend sur notre rapport collectif au réel, à la vérité et à la mémoire . C'est en cela que ce journal est, je l'espère, plus qu'une simple analyse de cas : c'est une exploration des fondations de notre propre intelligibilité.
II. Étude du cas Voronej (1989)
Maintenant que j'ai posé le cadre intellectuel et éthique qui guide ma démarche, je peux commencer à l'appliquer à mon objet d'étude : la vidéo et le corpus documentaire traitant de l'incident de Voronej. Mon but, ici, n'est pas de me lancer dans une contre-enquête factuelle. Il est d'entamer une sorte de "fouille archéologique" des récits, de mettre au jour les différentes strates de sens qui se sont accumulées pour former ce que l'on appelle aujourd'hui le "cas Voronej". Je dois procéder avec méthode, en commençant par le contexte, car, comme le postule l'ethnométhodologie, aucune action, aucun récit n'est intelligible en dehors de la situation qui lui donne naissance.
A. Contexte géopolitique et médiatique
Je dois d'abord me replonger dans l'atmosphère de l'époque. Le 27 septembre 1989, dans la ville de Voronej, en Union soviétique, un événement étrange attire l'attention : plusieurs enfants rapportent avoir observé une sphère lumineuse rouge, suivie de l'apparition de figures humanoïdes géantes accompagnées d'un robot . Mon premier réflexe d'analyste MOE n'est pas de questionner le contenu du récit, mais de noter sa date et son lieu. Voronej, 1989. C'est le point d'ancrage fondamental.
La nouvelle est relayée le 9 octobre par l'agence de presse officielle TASS, ce qui lui confère une visibilité mondiale immédiate . C'est ici que l'analyse commence véritablement. Pour un analyste conventionnel, la dépêche de TASS est une "source" dont il faut évaluer la fiabilité. Pour moi, appliquant le MOE, la dépêche n'est pas une source sur l'événement, elle est l'événement fondateur. Loin d'être anecdotique, ce traitement médiatique institutionnel dans un pays encore marqué par le monopole de l'État sur l'information lui donne un poids extraordinaire . Il accomplit un acte performatif : il transforme une rumeur locale en affaire internationale. Il introduit un décalage, une tension cognitive insoutenable pour la rationalité occidentale : le contenu est invraisemblable, mais le canal est, par définition, crédible .
Je dois donc analyser le contexte plus large. L'URSS de 1989 est en pleine mutation. La perestroika et la glasnost ont ouvert un espace discursif nouveau, une brèche dans le mur de la certitude idéologique . Pour moi, cela signifie que la société soviétique vivait un choc de sens collectif, une période de liminalité où les anciens repères s'effondrent et où de nouvelles formes de croyances, de récits et de représentations peuvent émerger pour combler le vide . Mon hypothèse de travail, d'un point de vue systémique, est que le cas de Voronej s'inscrit non pas comme une anomalie, mais comme un symptôme parfaitement logique de cette effervescence de discours, entre désir d'ouverture, perte de repères collectifs et émergence d'un imaginaire recomposé . C'est ce terrain d'ambiguïté informationnelle qui a rendu le récit de Voronej non seulement possible, mais presque nécessaire.
B. Dispositifs de récit et figures narratives
Je me penche maintenant sur la structure du récit lui-même. L'agence TASS, en diffusant le témoignage des enfants et en mentionnant des observations concordantes, ne se contente pas de "rapporter" des faits ; elle introduit un récit déjà structuré autour d'un événement extraordinaire . La description est d'une puissance visuelle remarquable : une sphère lumineuse, des humanoïdes à trois yeux, un robot métallique . Je reconnais immédiatement la mobilisation d'un imaginaire collectif. Ce type de récit active dans la mémoire une imagerie proche de la science-fiction et des archétypes culturels de la rencontre du troisième type . Mon travail n'est pas de dire "c'est donc faux", mais de constater que le récit est immédiatement intelligible parce qu'il parle un langage symbolique déjà connu.
Or, le fait que ce récit soit soutenu par une source officielle comme TASS crée un effet de brouillage délibéré entre les régimes de vérité : fiction, croyance et information se superposent et deviennent indiscernables . C'est une situation paradoxale, au sens de l'école de Palo Alto, qui paralyse les facultés de jugement conventionnelles.
Le recours à la parole enfantine comme vecteur principal du récit est un autre point crucial de mon analyse . Je dois l'aborder avec le principe de symétrie cognitive. Le rôle de l'enfant est double, et stratégiquement ambigu. D'un côté, sa parole est socialement construite comme introduisant une forme de spontanéité et d'innocence ("un enfant ne ment pas") . De l'autre, elle déplace la question de la preuve vers celle de la réception émotionnelle : on est sommé de "croire" les enfants, et douter d'eux devient moralement répréhensible . Le récit devient ainsi une interface entre l'événement et ses multiples traductions sociales . Il n'est plus un simple rapport de faits, mais une mise en forme narrative qui s'appuie autant sur l'image mentale que sur le discours rapporté . C'est précisément ici que ma posture MOE est la plus pertinente : elle me permet d'analyser ces strates discursives comme autant de filtres interprétatifs qui sont activement mobilisés par les acteurs eux-mêmes pour rendre leur version du monde crédible et robuste .
C. Empreintes, perturbations, objets : les formes de preuves convoquées
J'en arrive maintenant à la matérialité de l'affaire. Trois types de "preuves" sont avancées dans le cas de Voronej : des empreintes géométriques sur le sol, une perturbation géomagnétique détectée à proximité, et des roches présentées comme atypiques . Pour la rationalité positiviste, c'est le cœur du dossier. Pour moi, c'est le lieu d'un accomplissement social particulièrement intéressant.
Ces éléments sont mobilisés pour donner une matérialité à l'événement, pour l'ancrer dans le monde physique. Cependant, je constate que leur statut épistémologique reste profondément flou : aucun protocole de collecte rigoureux n'est documenté, aucune institution scientifique indépendante ne les a authentifiés, et les données disponibles demeurent fragmentaires .
Dans mon analyse MOE, je ne dois pas commettre l'erreur de les invalider en bloc au prétexte de leur fragilité scientifique. Je dois, au contraire, les replacer dans leur contexte d'énonciation . Je dois comprendre leur fonction. Leur force n'est pas tant dans leur valeur scientifique objective que dans leur usage narratif et symbolique . Elles fonctionnent comme des artefacts cognitifs : elles soutiennent le récit en matérialisant l'événement, même lorsque leur validité empirique est plus que discutable . Ce mécanisme est typique des rationalités locales : il rend possible une forme de vérité opératoire sans passer par les critères de validation d'une rationalité universelle . Pour la communauté locale et pour une partie de la communauté ufologique, ces "preuves" ont fait le travail : elles ont rendu l'histoire tangible.
D. Réception, échos et amplification
La dernière étape de mon analyse porte sur la circulation du récit. Les ufologues occidentaux, comme Budd Hopkins et Jacques Vallée, s'emparent rapidement de l'affaire . Je dois analyser cette réception non comme une simple "diffusion", mais comme une traduction. L'Occident, friand de récits étranges en provenance d'un bloc soviétique qui s'ouvre à peine, y voit la preuve que des manifestations inexpliquées échappent à la censure et émergent dans le chaos post-totalitaire . Le cas est immédiatement intégré à une grille de lecture occidentale préexistante.
En URSS, le récit connaît une viralité surprenante. Des témoignages similaires émergent dans d'autres villes, parfois spontanément, parfois en clair écho médiatique . Cette contagion narrative est un phénomène fascinant pour mon analyse. D'un point de vue systémique, elle signale moins la diffusion d'un fait brut que la propagation d'un nouveau mode d'expression du doute, de l'inconnu et du besoin de reformulation symbolique dans une société en pleine crise identitaire . Le récit de Voronej n'est plus alors un simple témoignage ; il devient un mème, un virus culturel qui offre un langage pour dire l'incertitude d'une époque.
III. Comparaison des systèmes d’analyse des phénomènes OVNI
Pour bien saisir la spécificité et la portée de ma démarche, il me semble indispensable de la situer dans le paysage des méthodologies qui ont tenté, avant elle, de mettre de l'ordre dans le chaos des phénomènes OVNI. Mon protocole ne naît pas de rien ; il est le fruit d'une longue réflexion sur les accomplissements et, surtout, sur les limites des cadres d'analyse qui m'ont précédé.
A. Genèse historique des modèles d'analyse
L'histoire de l'ufologie est aussi l'histoire de la quête d'un langage et d'une méthode. Les outils d'analyse se sont construits au fil du XXe siècle, en parallèle de l'évolution des récits, de l'essor de la technologie, et des contextes sociopolitiques . Dans cette cartographie, deux figures majeures dominent et représentent deux manières radicalement différentes de penser le problème : Josef Allen Hynek et Jacques Vallée . Pour moi, ils ne sont pas des opposants, mais les représentants de deux postures complémentaires dont le MOE tente de réaliser la synthèse.
Hynek, en tant que conseiller scientifique pour l'armée américaine, était confronté à un problème d'ingénieur : trier, classer, rationaliser un flux de données brutes. Sa grille, célèbre pour ses "Rencontres Rapprochées", est le produit d'une optique naturaliste . Elle est descriptive, structurée, et vise la lisibilité scientifique . Son but est de créer une taxonomie stable qui permettrait, à terme, de faire de l'ufologie une science "normale", au sens de Kuhn. Je reconnais la nécessité absolue de cette démarche de clarification, mais j'en perçois aussi la limite fondamentale : en se concentrant sur les "faits" observables (proximité, traces), elle tend à évacuer la subjectivité du témoin et la complexité du contexte social, les traitant comme du "bruit" à éliminer plutôt que comme des données à analyser.
À l'inverse, Vallée a opéré un déplacement crucial. En introduisant une lecture plus symbolique, il s'est intéressé aux dimensions psychoculturelles, mythologiques et anthropologiques du phénomène . Pour lui, l'OVNI n'est pas un simple objet, mais un "thermostat spirituel", un phénomène qui interagit avec la conscience humaine et dont il faut chercher le sens dans les structures profondes de l'imaginaire collectif. Son approche est immensément riche, mais elle présente le risque, si elle n'est pas maniée avec une rigueur extrême, de dissoudre l'analyse dans l'interprétation pure.
C'est précisément à l'interface de ces deux logiques que j'ai positionné le Protocole MOE. Mon but n'est pas d'opposer le tangible à l'invisible, le fait à l'interprétation. Il est de comprendre les cadres cognitifs et sociaux qui rendent pensable un événement aussi dissonant que celui de Voronej, en analysant à la fois sa matérialité (les "preuves") et sa signification (les "récits") comme des accomplissements pratiques .
B. Les trois grilles comparées
Pour rendre cette distinction plus concrète, je trouve utile de comparer la manière dont ces trois approches traiteraient les différentes facettes du cas de Voronej. Le tableau de la version originale de ce document est un bon point de départ, mais je souhaite ici le transformer en une discussion narrative plus approfondie.
Sur la proximité du phénomène :
Hynek classerait sans hésiter l'événement comme une "Rencontre du 3e type" (RR3), en raison de l'observation rapportée d'entités humanoïdes. Son analyse s'arrêterait là : la classification est une fin en soi, une manière de ranger le cas dans une boîte taxonomique.
Vallée verrait une "interaction multidimensionnelle". Il chercherait des parallèles dans le folklore russe, analyserait la symbolique des "géants à trois yeux" et du "robot", et questionnerait la fonction de l'événement dans le contexte de la chute du communisme.
Mon Protocole MOE analyse la situation comme un "événement situé dans une dynamique relationnelle locale". Je ne me demande pas ce que signifie l'apparition, mais comment les enfants, les journalistes de TASS et les scientifiques locaux ont accompli le récit d'une RR3. L'objet n'est pas la rencontre, mais la construction sociale du récit de la rencontre.
Sur le statut de la preuve :
Hynek se concentrerait sur l'observation sensorielle et instrumentale. Il chercherait à valider les empreintes au sol et les mesures de radioactivité, en les traitant comme les seules données "dures" potentiellement valides. L'absence de protocoles rigoureux le mènerait probablement à classer le cas comme "prometteur mais non concluant".
Vallée chercherait la "résonance avec les récits mythiques". Les "preuves" physiques seraient moins importantes que la manière dont le récit de Voronej s'inscrit dans une tradition de récits de contacts avec des "autres mondes". La preuve réside dans la structure, pas dans l'objet.
Ma posture MOE m'oblige à analyser la "fonction narrative et l'usage symbolique de l'indice". Les empreintes et les "roches étranges" ne sont pour moi ni des preuves à valider, ni des symboles à interpréter, mais des artefacts mobilisés par les acteurs pour accomplir la crédibilité de leur récit. J'étudie comment une trace au sol est transformée en "preuve" dans le jeu de langage de la communauté locale.
Sur la finalité de l'analyse et la posture de l'analyste :
Hynek vise la validation par un protocole empirique. Sa posture est extérieure, objectivante.
Vallée cherche l'ouverture à des logiques culturelles ou non humaines. Sa posture est interprétative, transpersonnelle.
Ma finalité, avec le MOE, est la cartographie des rationalités en conflit. Ma posture doit donc être impliquée, réflexive et située. Je sais que mon analyse est une intervention qui modifie l'objet, et je dois en rendre compte.
Sur l'échelle d'analyse :
Hynek traite le cas comme un événement isolé à comparer à d'autres points de données.
Vallée le place dans un réseau de significations transhistorique et transculturel.
Mon approche MOE l'insère dans un contexte socio-cognitif élargi, en analysant l'événement comme le produit émergent des interactions entre les acteurs, les médias et la situation géopolitique de la Glasnost.
Cette comparaison me conforte dans l'idée que le MOE ne rejette pas les approches précédentes. Il les englobe et les resitue. Il reconnaît la nécessité de la rigueur descriptive de Hynek et la richesse interprétative de Vallée, mais il les soumet toutes deux à une question plus fondamentale, celle de l'ethnométhodologie : Comment les acteurs (y compris les analystes comme Hynek et Vallée) font-ils, pratiquement, pour construire le monde qu'ils décrivent ?
Les trois modèles comparés ici permettent d’observer comment les faits rapportés à Voronej seraient classifiés, interprétés ou reformulés à partir de leur propre logique interne.
IV. Discussion critique et réflexive
Arrivé à ce point de mon journal, je dois marquer une pause et engager une réflexion sur le travail que je suis en train d'accomplir. Analyser un cas comme celui de Voronej n'est pas une tâche neutre. Cela m'oblige à une vigilance constante envers mes propres processus de pensée et à une clarification de la posture intellectuelle que je défends. Cette section est donc une mise en abyme : une discussion sur la discussion, une réflexion sur la réflexivité.
A. Interpréter un phénomène inclassable
Le cas Voronej, je le constate à chaque étape de mon analyse, présente un paradoxe analytique fondamental : tout en échappant aux critères empiriques de la vérification scientifique classique, il active une constellation de signes, de récits et de dispositifs qui le rendent persuasif, structuré et socialement opératoire . C'est un phénomène qui n'impose pas sa vérité par l'évidence, mais par la richesse des cadres dans lesquels il peut s'insérer . Si je devais l'aborder avec une posture positiviste, je serais contraint de le rejeter comme un ensemble de données inexploitables. Une analyse qui ne tiendrait compte que de la véracité matérielle manquerait totalement sa complexité phénoménologique et sa puissance en tant qu'artefact social .
C'est précisément pour habiter cet entre-deux que j'ai recours au Protocole MOE . Il m'offre une discipline pour ne céder ni à la tentation de « croire », ni à celle, tout aussi confortable, de « discréditer » . Mon travail consiste à explorer les modalités par lesquelles le phénomène devient pensable, partageable et interprétable . Je dois donc le traiter comme une interface cognitive : un lieu où se rencontrent et interagissent des dispositifs langagiers (le lexique de la science-fiction), des constructions symboliques (l'archétype de la rencontre), et une dynamique collective de traduction de l'incompréhensible . Mon analyse n'est donc pas une quête de vérité, mais une topographie des processus de mise en sens.
B. Résonances avec d'autres cas emblématiques
Pour affûter ma compréhension, je trouve utile de mettre le récit de Voronej en résonance avec d'autres cas emblématiques de la phénoménologie OVNI . Cette comparaison ne vise pas à trouver des "patterns" dans le phénomène lui-même, mais à identifier des invariants dans les méthodes de construction des récits.
Ainsi, le cas de Roswell (1947) , comme Voronej, repose sur un récit construit autour d'un effondrement du discours officiel initial, suivi d'un emballement médiatique et d'une reconstruction narrative sur le long terme. Dans les deux cas, l'événement originel est presque inaccessible ; ce que j'analyse, ce sont les strates de récits qui l'ont recouvert. À l'inverse, dans le cas français de Trans-en-Provence (1981), étudié par le GEPAN, l'accent est mis sur la matérialité des traces et sur le protocole d'analyse scientifique . Voronej semble se situer à mi-chemin : il invoque des preuves matérielles, mais celles-ci n'ont de force que par leur articulation avec un récit puissant et des témoins jugés "innocents".
Ces comparaisons me confirment que la force du phénomène OVNI réside moins dans la répétition d'un scénario unique que dans la structure symbolique qu'il déploie à chaque occurrence . Tous ces cas m'obligent à opérer un décentrement épistémologique . La question pour moi n'est plus simplement d'accumuler des 'preuves', mais d'interroger les cadres qui rendent possibles ces preuves . Pourquoi un témoin est-il cru dans un contexte donné, et décrédibilisé dans un autre ? Quel rôle jouent les institutions, les médias, les traditions culturelles ? Le Protocole MOE est l'outil qui me permet de tenir cette question ouverte, de la travailler, sans chercher à la clore par une réduction dogmatique, qu'elle soit scientiste ou crédule .
C. Une posture réflexive pour les sciences sociales
Finalement, cette enquête sur Voronej me renvoie à ma propre discipline. L'analyse des phénomènes non conventionnels, à mon sens, oblige les sciences sociales à repenser leurs propres outils et leurs propres limites . Le refus a priori de l'extraordinaire, souvent présenté comme un gage de scientificité, peut devenir un biais épistémologique majeur : celui qui consiste à ne pas voir que les récits marginaux, les "folies collectives", révèlent en creux la structure invisible des rationalités dominantes .
C'est là que je puise dans la force de l'ethnométhodologie. Elle ne se contente pas de décrire les pratiques ordinaires ; elle révèle l'ordre tacite qui les rend intelligibles . En analysant comment des enfants soviétiques et l'agence TASS ont réussi à construire un récit "extraordinaire" qui a fait le tour du monde, j'apprends quelque chose de fondamental sur les mécanismes de la crédibilité, de la preuve et de la narration dans notre monde "ordinaire".
Adopter la posture MOE, c'est donc, pour moi, entrer dans une éthique de la description fine, située et impliquée . Ce n'est pas suspendre mon jugement au nom d'un relativisme facile, mais activer une vigilance méthodologique constante qui me permet de naviguer dans l'ambiguïté sans m'y perdre, et sans la réduire . C'est cela que permet une méta-analyse comme celle que je propose ici : non pas résoudre une énigme, mais produire une cartographie rigoureuse des tensions entre croyance, savoir, pouvoir et récit .
V. Conclusion
Au terme de ce parcours analytique, je constate que le cas de Voronej, loin de se réduire à une simple anecdote paranormale, nous confronte à une exigence analytique essentielle : celle de penser la complexité de récits qui défient les catégories établies, qui résistent à l'objectivation scientifique stricte, et qui pourtant s'enracinent profondément dans une réalité sociale, cognitive et symbolique. Mon ambition, en appliquant le Protocole MOE, n'a jamais été de "résoudre" cette énigme, mais de démontrer qu'il est possible de la "travailler" rigoureusement, sans la trahir par une simplification excessive.
L'approche que j'ai proposée ici, incarnée dans ma démarche, a démontré, je l'espère, que de tels phénomènes ne peuvent être compris qu'en croisant les regards, en assumant une posture située, et en tenant ensemble les registres du visible, du dicible et du pensable. À travers une lecture stratifiée du récit, une contextualisation sociohistorique précise, une mise en relation avec d'autres cas limites, et une comparaison critique des grilles d'interprétation, mon travail a visé à restaurer la complexité de l'objet. J'ai sciemment refusé de répondre à la question de l'existence. Pour moi, le phénomène OVNI n'est pas une question d'existence, mais une énigme épistémique qui révèle les tensions internes de nos propres systèmes de croyance, de preuve et de rationalité.
Toutefois, que l'on ne s'y trompe pas : cette posture ne consiste pas à évacuer a priori la recherche d'une preuve objectivable et stable. Au contraire, elle la réinscrit dans un questionnement permanent sur le fondement de nos connaissances. La quête de vérité n'est pas abandonnée ; elle est refondée. Lorsque le statut de la preuve devient évident, lorsque sa construction résiste à la critique et emporte l'adhésion, le mystère s'effondre et l'ordre revient. Ce retour à l'intelligibilité est le fruit d'une négociation permanente entre les rationalités locales, un processus laborieux par lequel nous pouvons questionner la réalité pour reconstituer, ensemble, cette preuve stable.
L'enquête de Voronej peut probablement se clore sur une autre forme d'évidence, un faisceau d'indices convergents : l'absence d'une certitude absolue, non pas sur la matérialité de l'événement, mais sur son corrélat social. Ce qui est devenu certain, c'est la manière dont un collectif a pu se laisser entraîner dans le flot des incertitudes et des rumeurs, et comment il a travaillé, avec les outils à sa disposition, pour tenter de donner un sens à l'incompréhensible.
C'est ainsi que le véritable travail peut commencer : lorsque l'on a tout tenté pour objectiver le phénomène, et qu'il ne reste rien d'autre à faire que de se mettre soi-même en question. Reste-t-il encore un moyen de savoir ? Peut-être. Mais il faut d'abord reconnaître que l'incertitude persistante qui entoure ces cas provient aussi d'une forme de renonciation : la nôtre. Renonciation à affronter la complexité, renonciation à questionner nos propres cadres de pensée, renonciation à voir que la quête de vérité est un méandre, une longue marche. Un travail qui se fait dans la durée, la répétition, la vérification de ses propres capacités, et surtout, l'humilité. L'enquête sur Voronej se clôt donc ici, non par une réponse, mais par l'affirmation d'une méthode et l'ouverture d'un nouveau champ de questions, en reconnaissant que chaque "fait" est d'abord une conquête fragile sur le chaos de nos perceptions.
VI. Le Protocole MOE comme outil prospectif de méta-analyse
En arrivant au terme de cette analyse sur Voronej, je réalise que le protocole que j'ai appliqué n'est pas un simple outil de lecture critique. Le Protocole MOE, en tant que posture d'analyse transdisciplinaire, ouvre un champ de prospective anthropologique particulièrement fécond . Je ne le vois plus seulement comme une méthode pour analyser des cas passés, mais comme un instrument pour penser le futur de notre relation à la connaissance elle-même.
Sa véritable force, je le comprends maintenant, réside dans sa capacité à intégrer des disciplines aussi diverses que la biologie de l'autonomie, les sciences cognitives, l'analyse systémique ou l'ethnométhodologie . Cette intégration n'est pas un simple collage académique ; elle me rend capable de produire une lecture dynamique de phénomènes liminaux, controversés ou inclassables . Là où d'autres méthodes s'arrêtent, face à une contradiction ou à un manque de "preuves", le MOE me donne les moyens de continuer le travail, en déplaçant mon regard de l'objet vers les processus de construction de l'objet.
Plus fondamentalement, je suis convaincu que ce protocole permet de créer un espace de dialogue viable entre les rationalités scientifiques dures et les savoirs narratifs ou profanes . Il ne s'agit pas de tout mettre sur le même plan, mais de reconnaître que le rapport d'un ingénieur et le témoignage d'un enfant sont deux "accomplissements" qui, bien que de nature différente, sont tous deux des tentatives rigoureuses (dans leur propre logique) de donner un sens au monde. Le MOE me fournit la grammaire pour les faire dialoguer sans les hiérarchiser a priori.
Je crois que cette compétence est tout sauf anecdotique. À l'heure où nos sociétés se confrontent à des défis épistémiques majeurs – l'émergence d'intelligences artificielles génératives, les crises du réel alimentées par la désinformation, les mutations symboliques profondes – cette capacité à penser l'incommensurable devient un atout critique . Le MOE, en m'entraînant à déconstruire la fabrique de la réalité sur un cas "extraordinaire" comme Voronej, m'a outillé pour analyser avec la même rigueur la construction de n'importe quel récit complexe, qu'il soit scientifique, politique ou médiatique. C'est en cela qu'il est un outil prospectif : il prépare l'analyste aux défis de demain.
VII. Mentions éthiques et pédagogiques
J'ai rédigé ce rapport dans un cadre pédagogique . Il est donc essentiel de clarifier sa nature et sa portée. Ce document ne prétend pas à une vérité définitive sur les événements de Voronej, mais propose un modèle d'analyse rigoureux, réflexif et pluraliste, conforme aux exigences des recherches exploratoires sur des objets sensibles ou marginaux . Toutefois, je dois préciser que ce texte n'est que la partie visible et synthétique d'un parcours intellectuel bien plus vaste et sinueux.
Mon point de départ fut l'analyse d'une simple vidéo. De cette analyse initiale, une série d'interrogations a émergé, m'entraînant dans une exploration de différentes données et corpus, y compris de nombreuses sources ouvertes, que j'ai ensuite dû intégrer dans des phases successives de méta-analyse. Ce parcours labyrinthique vers une compréhension approfondie de la fabrique du cas Voronej n'est pas détaillé ici ; ce serait l'objet d'un travail bien plus conséquent. Je n'en donne donc qu'un aperçu, en proposant au lecteur intéressé par la généalogie de cette méthode une série d'articles qui, eux, retracent en détail cette démarche :
De l'analyse de contenu à la praxéologie : une première approche MOE du cas Voronej.
La Dépêche TASS comme événement fondateur : une analyse systémique de la contagion narrative.
Cartographier les rationalités : une méta-analyse des discours scientifiques, médiatiques et profanes sur l'incident de Voronej en 1989.
L'Analyste dans le labyrinthe : réflexions sur la subjectivité et la réflexivité dans une enquête de second ordre.
Je tiens à réaffirmer qu'aucune affiliation institutionnelle n'est ici engagée, et aucune forme de conflit d'intérêt n'est à déclarer . L'ensemble du travail que je présente ici vise à offrir une ressource pour l'enseignement supérieur, notamment dans les champs de la sociologie, de l'anthropologie, des sciences de l'information, de l'histoire des idées ou des études critiques . Ma vocation, à travers ce journal, est de susciter la discussion, l'analyse critique, et de former à la lecture transversale de phénomènes pluriels . C'est en ce sens que le protocole MOE, par sa structure transdisciplinaire, se révèle un cadre particulièrement propice à ces objectifs pédagogiques , car il oblige en permanence à une réflexivité que je crois être au cœur de toute démarche intellectuelle honnête.
VIII. Lexique thématique des concepts mobilisés
Le lexique qui suit n'est pas un simple dictionnaire. Conformément à la démarche ethnométhodologique qui guide l'intégralité de ce rapport, il doit être lu comme un accomplissement pratique : une tentative de ma part de contrôler l'inévitable indexicality de mes propres termes. Chaque concept que je mobilise n'a pas de signification absolue ; son sens se construit et se précise dans l'usage que j'en fais au fil de mon analyse du cas Voronej. Cette section vise donc à expliciter le cadre interprétatif et le contexte dans lequel j'emploie chaque outil conceptuel. En posant les bases de ma propre rationalité locale d'analyste, je cherche à rendre ma démarche aussi transparente que possible, non pas pour prétendre à une objectivité impossible, mais pour permettre au lecteur de suivre et de critiquer le cheminement de ma pensée.
A. Concepts fondamentaux du Protocole MOE
Protocole MOE (Module Opérationnel Ethnométhodologique) : C'est la boussole de ce journal de recherche. Je ne le conçois pas comme une grille rigide, mais comme un dispositif analytique transdisciplinaire qui me permet de naviguer dans la complexité de Voronej. Concrètement, il m'oblige à croiser en permanence les regards : celui de la biologie sur les systèmes vivants, celui de la cognition sur l'expérience, celui de la systémique sur les interactions, et celui de l'ethnométhodologie sur les pratiques concrètes . Dans le cas de Voronej, le protocole m'a obligé à ne pas chercher si les "roches étranges" étaient authentiques, mais à analyser comment elles ont été mobilisées comme "preuve" par les acteurs locaux.
Ethnométhodologie : C'est le cœur de ma pratique. Je ne l'utilise pas comme une théorie générale, mais comme une méthode pour analyser le "comment" concret des situations . Pour Voronej, cela signifie que je ne me demande pas si les enfants ont vu un OVNI, mais comment ils ont accompli la tâche de produire un témoignage crédible face aux adultes.
Praxéologie : J'utilise ce terme pour désigner l'étude non pas des théories, mais de l'action pratique et de sa logique immanente. Le MOE est une praxéologie car il se concentre sur ce que les acteurs font (raconter, enquêter, classer, prouver) et non seulement sur ce qu'ils disent ou pensent. L'analyse de la dépêche de TASS n'est donc pas une critique de texte, mais une analyse de la praxéologie journalistique et politique en temps de Glasnost.
Rationalité locale : C'est un de mes outils les plus importants pour éviter de porter des jugements de valeur. J'appelle "rationalité locale" la forme d'intelligibilité propre à un groupe dans un contexte donné . La rationalité des journalistes de TASS en 1989 n'est pas celle des ufologues occidentaux. Mon travail n'est pas de dire laquelle est "meilleure", mais de décrire la logique interne de chacune pour comprendre comment elles ont interagi dans l'affaire Voronej.
Posture située : Je dois constamment me rappeler que mon analyse est située. Je suis un observateur du XXIe siècle, avec mon propre bagage culturel. Reconnaître cette position n'est pas une faiblesse, mais une condition de la rigueur . Cela m'oblige à une réflexivité constante sur la manière dont ma propre familiarité avec la science-fiction pourrait influencer ma lecture des témoignages des enfants de Voronej.
Lecture méta-contextuelle : C'est la finalité de ma démarche. Je ne cherche pas la vérité dans le cas Voronej, mais la vérité des conditions de production du cas Voronej. Mon analyse est méta-contextuelle car elle vise à cartographier les cadres sociaux, les conflits d'interprétation et les jeux de pouvoir qui ont rendu ce récit possible .
B. Concepts de la dynamique sociale et médiatique
Accomplissement (Accomplishment) : C'est le terme que j'utilise, dans la lignée de l'ethnométhodologie, pour décrire les actions des acteurs. La dépêche de TASS n'est pas une "publication", c'est l'accomplissement de la tâche de rendre une rumeur crédible. Le témoignage d'un enfant n'est pas un "rapport", c'est l'accomplissement de la tâche d'être un "bon témoin".
Co-construction du sens : C'est un principe fondamental de mon analyse. La signification de l'événement de Voronej n'a pas été "découverte" ; elle a été produite dans l'interaction entre les enfants, leurs parents, les journalistes de TASS, les scientifiques locaux et les ufologues occidentaux. Chaque acteur a participé à la co-construction du "cas" .
Imaginaire collectif : C'est l'ensemble des représentations partagées qui structurent les perceptions à Voronej. Je l'analyse comme une grammaire symbolique qui a permis aux témoins et aux médias de lire un événement ambigu à travers des récits familiers (la science-fiction, les contes) pour lui donner un sens . L'humanoïde à "trois yeux" de Voronej n'émerge pas de rien ; il est intelligible parce qu'il puise dans un imaginaire collectif déjà peuplé d'extraterrestres.
Méta-récit : C'est le récit de second ordre que je construis dans ma conclusion. Il ne raconte pas l'histoire de Voronej, mais l'histoire de la manière dont l'histoire de Voronej a été racontée. C'est un récit sur les récits.
Mythologie moderne : J'utilise ce terme pour décrire le système narratif qui reprend les fonctions structurantes des mythes traditionnels (donner du sens, expliquer l'origine, marquer la frontière entre les mondes) mais à travers des figures issues de la modernité . L'atterrissage de Voronej, avec ses extraterrestres et son robot, est un exemple parfait de mythologie moderne.
Rumeur socialement située : Je définis ainsi une forme de récit qui n'est pas encore stabilisée, ancrée dans un contexte spécifique, et qui fonctionne à la fois comme un mécanisme de production de sens et comme un vecteur d'adaptation collective face à l'incertitude . Avant la dépêche de TASS, l'histoire de Voronej était une rumeur socialement située au sein de la communauté locale.
C. Concepts de la cognition et de l'expérience
Cognition incarnée (Embodied Cognition) : J'emprunte ce concept à Varela, Thompson et Rosch pour me rappeler que la perception des témoins de Voronej n'est pas un simple enregistrement visuel. Leur cognition est enracinée dans leur corps (des enfants), dans leurs émotions (peur, excitation) et dans leur environnement (un parc en URSS) . Je ne peux pas analyser leur récit en l'extrayant de cette réalité incarnée.
Rupture autopoïétique : J'utilise ce concept de Maturana et Varela pour décrire ce qui arrive à un système cognitif (un témoin, une institution) lorsqu'il est confronté à une information qu'il ne peut absolument pas intégrer sans menacer sa propre cohérence. L'observation de Voronej, pour les témoins, n'est pas une simple "observation" ; c'est une rupture de leur monde vécu qui les force à un travail de réparation narrative.
Choc de sens : C'est le terme que j'utilise pour décrire l'expérience phénoménologique de la rupture autopoïétique. C'est le moment d'effondrement ou de suspension du cadre interprétatif habituel d'un individu ou d'un collectif, qui nécessite une reformulation du réel pour en restaurer l'intelligibilité . L'ensemble de la société soviétique en 1989 vivait un choc de sens politique, ce qui a rendu le terrain fertile pour un choc de sens d'une autre nature.
D. Concepts de l'analyse et de la preuve
Dispositif de croyance : C'est l'ensemble des conditions narratives, sociales et affectives qui permettent à un énoncé extraordinaire de devenir une croyance socialement légitime . Dans le cas Voronej, le dispositif de croyance a été l'articulation entre la parole "innocente" des enfants et la parole "officielle" de l'agence TASS.
Grille de Hynek / Modèle de Jacques Vallée : Je les traite non pas comme des outils d'analyse que j'utiliserais, mais comme des cadres interprétatifs historiques. Je les analyse pour comprendre comment d'autres avant moi ont tenté de "mettre en ordre" ce genre de phénomènes, et pour situer ma propre démarche par contraste .
Rencontre du 3e type : J'utilise ce terme de Hynek non pas comme une catégorie objective, mais comme une ressource culturelle mobilisée par les acteurs pour donner un nom et une structure à une expérience autrement inclassable .
Vérité opérationnelle : Dans mon analyse, ce concept décrit une vérité qui fonctionne dans le contexte de Voronej, indépendamment de sa vérification empirique, parce qu'elle organise les comportements et les discours. L'existence des "empreintes" est devenue une vérité opérationnelle pour la communauté locale, car elle a permis de stabiliser le récit .
IX. Bibliographie
Note d'intention
La liste de références qui suit n'est pas un monument de certitudes, mais plutôt la cartographie de mon propre parcours d'apprenant. Chaque ouvrage représente une étape, un moment où la pratique de l'analyse sur un cas aussi déroutant que Voronej m'a forcé à me replonger dans les fondamentaux pour y chercher non pas des réponses, mais de meilleures questions. Je conçois cette bibliographie comme un atelier : les livres sont les outils, et l'analyse de l'anomalie est l'établi sur lequel je ne cesse de les tester, de les confronter, de les réajuster. Ce qui suit est donc moins une déclaration d'expertise qu'une invitation à partager les lectures qui continuent de nourrir ma propre mise à l'épreuve.
I. Ethnométhodologie et sociologie de la connaissance
AMIEL, Pierre. (2010). Ethnométhodologie appliquée : éléments de sociologie praxéologique. HAL Open Science.
Note : Ce texte a été pour moi un véritable pont. Il m'a aidé à traduire les intuitions parfois abstraites de l'ethnométhodologie en une pratique concrète de l'enquête. C'est en le lisant que j'ai compris comment on pouvait rigoureusement analyser les actions des acteurs de Voronej comme des accomplissements sociologiques observables, sans les juger.
GARFINKEL, Harold. (1967). Studies in Ethnomethodology. Prentice-Hall. (Trad. fr. Recherches en ethnométhodologie. PUF, 2007).
Note : Revenir à Garfinkel est toujours une expérience de décentrement. Cet ouvrage m'a appris à constamment me méfier de mes propres catégories d'analyste pour me forcer à regarder ce que les gens font réellement. Face à Voronej, il m'a obligé à cesser de me demander "Est-ce vrai ?" pour me concentrer sur la question, bien plus difficile, de savoir "Comment ont-ils rendu cela vrai pour eux-mêmes ?".
HERITAGE, John. (1984). Garfinkel and Ethnomethodology. Polity Press.
Note : La pensée de Garfinkel est un défi. J'ai souvent besoin de la clarté de Heritage pour m'assurer que je ne trahis pas les concepts. C'est un compagnon de route qui me permet de vérifier que mes outils, comme l'accountability, restent bien affûtés et pertinents pour l'analyse pratique.
LATOUR, Bruno & WOOLGAR, Steve. (1988). La Vie de laboratoire : La Production des faits scientifiques. La Découverte. (Éd. originale 1979).
Note : Ce livre m'a donné une permission essentielle : celle d'appliquer le même regard humble et curieux aux "faits" scientifiques et aux "faits" anormaux. Il me rappelle que toute vérité est le résultat d'un travail, d'une "inscription", et que mon rôle est d'analyser ce processus sans préjuger de son résultat.
SCHUTZ, Alfred. (1987). Le Chercheur et le quotidien. Méridiens Klincksieck.
Note : C'est avec Schutz que je peux tenter de me rapprocher de l'expérience vécue des témoins. Son concept de "monde de la vie" (Lebenswelt) est l'outil qui me permet d'essayer de comprendre la profondeur de la rupture que peut représenter une anomalie dans le tissu des évidences quotidiennes.
II. Biologie de la cognition, énaction et phénoménologie
MATURANA, Humberto R., & VARELA, Francisco J. (1980). Autopoiesis and Cognition: The Realization of the Living.
Note : Ce livre est d'une exigence redoutable, mais il m'est indispensable. Le concept d'auto-poïèse me force à voir un témoin ou un récit non comme un objet passif, mais comme un système actif, luttant pour maintenir sa propre cohérence. C'est un rappel constant à la complexité du vivant.
VARELA, Francisco J., THOMPSON, Evan, & ROSCH, Eleanor. (1991). The Embodied Mind: Cognitive Science and Human Experience.
Note : C'est la référence qui m'interdit l'analyse "hors-sol". La théorie de l'énaction me rappelle que l'expérience des témoins de Voronej était incarnée, située, émotionnelle. C'est un défi constant à ma propre pratique : comment analyser un récit sans le déconnecter du corps et du monde qui l'ont produit ?
HUSSERL, Edmund. (1950). Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures.
Note : Justifier l'usage du terme "noétique" me semble une exigence de rigueur. Ce retour à Husserl est une manière pour moi de m'assurer que, lorsque j'essaie de parler de l'"acte de penser", je le fais en m'appuyant sur une tradition philosophique solide, même si je ne prétends pas en maîtriser toutes les subtilités.
III. Systémique, cybernétique et école de Palo Alto
BATESON, Gregory. (1977 & 1980). Vers une écologie de l'esprit, Tomes 1 & 2.
Note : Lire Bateson est un exercice d'ouverture. Il m'apprend à chercher les "patterns qui connectent". Face au chaos apparent de Voronej, son approche m'aide à discerner des logiques relationnelles et des paradoxes qui seraient autrement invisibles.
VON FOERSTER, Heinz. (2003). Understanding Understanding: Essays on Cybernetics and Cognition.
Note : C'est von Foerster qui pose l'exigence éthique la plus difficile pour un analyste : celle de la réflexivité. La cybernétique de second ordre est un miroir qui me force à reconnaître que mon analyse de Voronej est aussi une histoire sur moi-même et sur ma tentative de mettre de l'ordre dans le monde.
WATZLAWICK, Paul, BEAVIN, Janet Helmick, & JACKSON, Don D. (1972). Une logique de la communication.
Note : Cet ouvrage est une véritable grammaire des interactions. Je m'y replonge sans cesse pour trouver les outils qui me permettent de décrypter la dynamique entre TASS et les médias occidentaux, non comme une simple diffusion, mais comme un "jeu" complexe où se négocie la réalité.
WATZLAWICK, Paul, WEAKLAND, John H., & FISCH, Richard. (1975). Changements : Paradoxes et psychothérapie.
Note : La notion de "solution tentée" est un outil critique puissant. Elle m'aide à analyser avec plus de recul comment les tentatives mêmes de "résoudre" le mystère de Voronej sont souvent ce qui a entretenu l'énigme et polarisé le débat.
WINKIN, Yves (dir.). (1981). La Nouvelle Communication.
Note : Cette anthologie est précieuse pour ne pas m'enfermer dans une seule chapelle. Elle me permet de mettre en perspective l'école de Palo Alto et de l'enrichir, ce qui est essentiel pour une approche qui se veut ouverte.
IV. Épistémologie de la complexité et transdisciplinarité
KUHN, Thomas S. (1983). La Structure des révolutions scientifiques.
Note : Kuhn me fournit le vocabulaire pour penser ma propre démarche. Ses concepts de "paradigme" et d'"anomalie" m'aident à comprendre que Voronej n'est pas un simple "cas", mais une anomalie qui met en crise les cadres de pensée existants et qui justifie l'humble tentative d'en proposer un nouveau.
LECERF, Yves. (1994). La science comme réseau : projet de manifeste pour une union rationaliste localiste.
Note : Cette référence, citée dans mon document de base, est une confirmation de l'importance de se concentrer sur les "rationalités locales". C'est un rappel constant que la rigueur ne consiste pas à imposer une vérité unique, mais à comprendre la cohérence de chaque système de pensée.
NICOLESCU, Basarab. (1996). La Transdisciplinarité, manifeste.
Note : Je dialogue avec Nicolescu plus que je ne l'applique. Son manifeste m'a ouvert à l'idée de transdisciplinarité, mais c'est en le confrontant sans cesse à la pratique de terrain de l'ethnométhodologie que j'essaie, humblement, de la rendre un peu plus opérationnelle.
Annexes
Je joins à ce journal de recherche trois documents qui ne sont pas de simples illustrations, mais qui constituent le boîte à outils pratique de ce document. Je les présente ici non comme des modèles figés, mais comme des instruments de travail.
Annexe 1 - Grille comparative des modèles d'analyse OVNI
J'ai construit la grille comparative ci-dessous non pas pour distribuer des bons et des mauvais points, mais comme un exercice de clarification pour moi-même. Face à un cas aussi déroutant que Voronej, j'ai ressenti le besoin de situer ma propre démarche par rapport aux grandes traditions qui m'ont précédé, celles de Hynek et de Vallée. Cette grille interprétative me permet de construire une vision articulant différents modes d’analyse. En les intégrant dans la perspective d'une pensée située, c'est-à-dire consciente de son propre contexte, il me devient possible de m'en détacher pour accéder à une compréhension méta-théorique. Dès lors, je conçois la possibilité de générer de multiples méthodes pour cartographier le réel et appréhender l'inconnaissable. L'objectif de cette démarche est d'identifier les formes de compréhension qui éclairent la genèse des investigations antérieures, tout en les inscrivant dans une perspective située (contexte et pratique) à une échelle phénoménologique de plus grande ampleur : celle de l'accomplissement d'une tentative, cerner un phénomène dans les limites d'une analyse approfondie.
Annexe 2 - Extraits de la transcription de la vidéo
Les quelques lignes qui suivent sont extraites de la transcription de la vidéo qui a servi de point de départ à cette enquête. Je ne les présente pas comme des "preuves" ou des "faits", mais comme la matière première brute de mon analyse. C'est sur ces mots, sur leur agencement, sur leur charge évocatrice, que mon travail de déconstruction et de lecture méta-contextuelle a commencé.
<<< Le 27 septembre 1989, à Voronej, plusieurs enfants affirment avoir vu une sphère lumineuse descendre dans un parc. >>>
<<< Un être humanoïde de près de 3 mètres de haut est décrit, accompagné d'un robot métallique. »
<<<< Les autorités locales confirment la présence d'empreintes au sol de forme géométrique étrange.
<<<L'agence TASS relaie le récit, provoquant un emballement médiatique international. >>>>
Il est important de noter que la déconstruction de la vidéo, que j'ai effectuée dans un article précédent, a permis d’analyser les empilements narratifs en examinant le montage qui les structure, et en interrogeant la grille de lecture proposée par le vidéaste à travers son « crediscore » (par la présentation d'un schéma heuristique). Au cours de nos différentes méta-analyses, j'ai pu montrer qu'un questionnaire préétabli ou une grille de notation ne produit pas de résultats homogènes et soulève des problèmes méthodologiques évidents. Ceci illustre une problématique fondamentale des sciences sociales qui se révèle ici avec une clarté aveuglante : toute grille normative appliquée à la compréhension d'une phénoménologie constitue une forme de réductionnisme qui expose avant tout les limites théoriques du modèle que l'on utilise, bien plus qu'elle ne nous apprend quoi que ce soit sur le phénomène étudié.
Annexe 3 - Check-list analytique du Protocole MOE
La liste suivante n'est pas un protocole à suivre aveuglément. C'est plutôt un aide-mémoire robuste et fiable, une sorte de "pense-bête" éthique et méthodologique que je garde à l'esprit tout au long de mon travail. J'ai enrichi chaque principe en lui appliquant la réflexivité du MOE, pour le transformer en une véritable boussole utilisable en toutes circonstances.
Identifier les rationalités locales à l'œuvre dans le récit.
Application : Cela signifie que je dois d'abord identifier ma propre rationalité locale d'analyste. Quels sont mes a priori, mes habitudes de pensée ? Ce n'est qu'en étant au clair avec ma propre logique que je peux espérer comprendre celle des autres sans la déformer.
Repérer les cadres de validation (scientifique, symbolique, médiatique, profane).
Application : Mon travail n'est pas de juger ces cadres, mais de les traiter symétriquement. Je dois analyser avec la même rigueur ethnométhodologique le "travail" accompli par un scientifique pour produire une "preuve" et le "travail" accompli par un témoin pour produire un récit crédible.
Évaluer les dispositifs narratifs mobilisés pour produire du sens.
Application : Je dois me rappeler que mon propre rapport est lui-même un dispositif narratif. En analysant la manière dont la vidéo sur Voronej utilise le montage ou la musique pour créer un effet, je dois m'interroger sur les effets que ma propre écriture produit sur le lecteur.
Situer l'analyse dans un contexte historique, sociopolitique et symbolique.
Application : Cela inclut le contexte de mon analyse. Pourquoi est-ce que j'analyse Voronej aujourd'hui ? Quelles questions de notre époque (désinformation, crise de la vérité) est-ce que je projette sur cet événement de 1989 ? Cette conscience est une condition de la rigueur.
Comparer avec d'autres cas similaires pour dégager une dynamique ou une structure récurrente.
Application : Cette comparaison doit être réflexive. En comparant Voronej à Roswell, est-ce que je cherche des invariants dans le "phénomène", ou est-ce que je cherche à renforcer la validité de mon propre modèle en lui trouvant de nouvelles applications ? Je dois rester vigilant sur cette distinction.
Interroger sa propre posture d'analyse (implication, praxéologie, biais).
Application : C'est le cœur du protocole. Cela signifie transformer cet aide-mémoire en un journal de bord permanent. Chaque décision que je prends (choisir de citer cet auteur, d'ignorer ce détail) doit être considérée comme une action qui pourrait être, elle-même, l'objet d'une analyse ethnométhodologique.
Formuler des hypothèses de lecture sans prétention à la clôture interprétative.
Application : Ce dernier point est une règle éthique. Il m'oblige à conclure mon propre rapport non pas par une vérité, mais par une ouverture. Mon travail n'est achevé que s'il invite d'autres analystes à le critiquer, à le déconstruire, et à poursuivre le dialogue.