Intérêt de l'éthnométhodologie à l'analyse du film de fiction.
Dans l'exacte mesure où l'ethnométhodologie remet en cause les fondements de la sémantique du point de vue strictement linguistique, elle nous paraît une discipline particulièrement performante pour aborder le problème du sens et celui du signifié, dans le domaine non-linguistique ou dans le domaine mixte, à la fois, linguistique et non-linguistique, tel que l'est le cinéma de fiction.

Ainsi, il nous semble, dès l'abord, que le cinéma de fiction propose plusieurs niveaux du signifiant.

En effet, outre la bande-image, nous aurons, la bande-son, qui se subdivise à son tour, en trois niveaux :

- le dialogue qui relève proprement de la linguistique,

- le bruitage qui relève directement de l'icônocité perceptive,

- la musique qui, comme nous le savons, d'après les linguistes-sémiologues est pansémique ou polysémique.

Mais, la bande-image, à son tour, peut être subdivisable à plusieurs niveaux.

Nous avons, en effet, à l'intérieur de la bande image d'un film de fiction, des pictogrammes (aéroport, dépôt de bagages, métro, RER, attention aux chiens, danger, croisement, feux, stop, défense de stationner, etc...).

Mais, nous avons également dans le cadre de la caméra, très souvent, des véritables panneaux d'annonces qui correspondent à un icôno-verbal, c'est à dire à la représentation icônique d'un message écrit.

Outre cela, il va falloir ajouter un certain nombre de codes dits culturels depuis Roland Barthes, le système de la mode auquel le film fait référence, les codes publicitaire de la sociétéde consommation, etc...

A cette grande hétérogénéité du signifiant, il nous faut opposer l'homogénéité du signifié.

En effet, si, comme nous le croyons, à travers la critique, que l'ethnométodologie est en droit d'apporter à la sémantique en général, si comme nous le croyons, la connotation a beaucoup plus d'importance que la dénotation, nous pouvons dire que l'essentiel du signifié se trouve dans lesupra-segmental, cher à Jakobson et pas du tout dans une isotopie du signifié, qui correspondrait à une isotopie du signifiant.

Ni isotopie du signifiant, ni hétérogénéité du signifié, tel semble être le pas que prend le film de fiction sur le documentaire ou sur le reportage. En effet, dans le documentaire ou dans le reportage, comme genre, nous apercevrions très rapidement que la dénotation a plus d'importance que la connotation et que donc à l'hétérogénéité du signifiant correspond une hétérogénéité du signifié.

Une fois posée l'homogénéité du signifié, nous pouvons conclure, dès l'abord, que la lecture d'un film de fiction relève toujours de l'interprétation.

Cette interprétation va donc faire problème simplement parce que si nous en croyons l'étude de 

sur le structuralisme en anthropologie, tome 3 de Qu'est-ce-que le structuralisme ?, nous remarquerons que l'interprétation, avant Lévi-Strauss, relevait de deux ordres, soit l'interprétation était symboliste, soit elle était fonctionnaliste.

Dans l'analyse du film de fiction, dans la plupart du temps, l'interprétation est fonctionnaliste.

En effet, le critique de cinéma ou celui qui analyse les films prend soin de reconstituer l'histoire du film au sein de l'histoire de la production de l'auteur, au sein de l'histoire de la production contemporaine en général, en fonction des critiques de l'époque, en fonction des autres filmographies des autres réalisateurs qui précèdaient l'oeuvre ou qui succèdaient à l'oeuvre.

Ce travail, très intéressant et pertinent par excellence, reste toutefois fonctionnaliste, en ce sens qu'il nous explique l'essentiel de l'oeuvre dans son environnement, mais pas du tout sa spécificité.

Celle-ci ne peut être que déduite apostériori. 

L'autre type d'interprétation est bien entendu l'interprétation symboliste. Les symbolistes, eux, s'attachent en fait, à justifier à l'intérieur de l'oeuvre artistique, - ici, le film de fiction,-le moindre détail, en lui donnantun sens qui vient recouvrir la signification générale apportée à l 'oeuvre.

C'est le procédé dont usait Sigmund Freud, lorsqu'il faisait l'analyse d'une toile de Léonard de Vinci, Sainte-Anne, la Vierge et l'Enfant. Cfrs Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci.

Et ce travail incessant d'herméneutique qui tente de justifier chaque détail, nous allons le retrouver chez Bruno Bettelheim, par exemple, lorsqu'il fait la psychanalyse des contes de fée.

La première méthode, l'interprétation fonctionnaliste, est un travail d'historien, d'érudit, de spécialiste mais a pour objet essentiel, comme intention fondamentale, une sociologie ou un historique qui jure avec la spécificité même du film dans son existence d'oeuvre artistique comme film de fiction. Ce qui nous intéresse, et ce qui intéresse le spectateur enpremier lieu, bien sûr, ce n'est pas tant l'environnement social, culturel, politique, économique, mais d'abord le film en tant qu'oeuvre, en tant que message. Il est donc normal que nous attachions d'avantage d'importance à l'interprétation dite symboliste qu'à l'interprétation fonctionnaliste.

Et, bien que l'ethnométhodologie soit avant tout une sociologie, nous nous défendons d'aborder le film de fiction, en premier lieu comme sociologue, mais d'abord comme herméneute.

La deuxième interprétation, toute intéressante qu'elle soit, dite symboliste, présente un inconvénient grave, c'est qu'elle méconnaît complètement la possibilité de hiérarchie dans la pertinence des signes à l'intérieur même de l'oeuvre. Autrement dit, elle a tendance à traiter de façon close l'ensemble des signes, excluant ceux qui la gêne, n’admettant que ces signes qui la conforte, - chaque lecture faisant son tri- ce qui donne un caractère inépuisable à l'interprétation, plusieurs lectures, plusieurs niveaux de lecture. Et à ce niveau-là, bien entendu, l'intention qui précède la vision du film va ordonner l'interprétation elle-même dans uneposition de prééminence.

Si je suis psychanalyste, ce qui va m'intéresser à travers le film, c'est l'inconscient du réalisateur, ou tout au moins la lecture inconsciente que le spectateur pourrait en retirer. je traite le film comme un fantasme ou comme un mauvais rêve.

Si je suis sociologue, ce qui m'intéressera en premier lieu, sera le reflet que présente le film de fiction d'une société contemporaine à l'oeuvre, ainsi que le microcosme que décrit le film. Et je le prends donc, non-point comme un film de fiction, mais comme un documentaire ou comme un reportage.

Si je suis critique de cinéma, ce qui va m'intéresser dans le film, ce sont les éléments qui plairont ou déplairont au spectateur puisque je suis chargé, en quelque sorte, de satisfaire avant même qu’ils subissent la vision de ce film, aux exigences des lecteurs du journal.

Il s'ensuit donc, que l'ensemble des connotations libres étant considérable dans un film de fiction, l'interprétation de type symboliste court le risque d'être, à la fois, inépuisable et paradoxalement d'être, à la fois, artificielle.

Ma proposition sera donc de trouver un moyen terme entre le fonctionnalisme et le symbolisme pour l'interprétation des films de fiction. Ce moyen-terme est évidemment proposé par le structuralisme, chez quelqu'un comme Lévi-Strauss, avec l'idée que, finalement, si l'oeuvre représente un corpus, ce corpus a tendance à être monosémique . CFRS INTRODUCTION à L’OEUVRE DE MARCEL MAUSS.

Et que nous le voulions ou non, c'est dans la pratique sociale quotidienne du spectateur que de vouloir traduire tout film qu'il vient de voir par une formule lapidaire qui fasse référence à une monosémie .

Ensuite, l'intérêt évidemment, c'est qu'une lecture monosémique hiérarchise forcément de façon pyramidale les connotations libres et les connotations liées à l'intérieur même du corpus que représente l'oeuvre. Et, à ce titre-là, bien entendu, cette hiérarchie permet effectivement de parler d'un système, d'un code du film et donc d'une référence pyramidale qui permette de tendre à la monosémie.

Interpréter revient, en effet, à dépasser le caractère hétérogène du signifié au profit de soncaractère homogène.