AUTRE INTERET DE L'ETHNOMETHODOLOGIE A L'ANALYSE DE FILM

DU POINT DE VUE EPISTEMOLOGIQUE

A partir de ce que nous enseigne l'ethnométhodologie dans son discours sur la science, nous sommes en droit d'aborder sous un angle totalement autre l'analyse du film :

-Il n'y a pas de vérité dans un film, il n'y a que des interprétations rivales et concurrentes,

-Il n'y a pas de spectateur que l'on puisse considérer comme un idiot culturel. Chaque spectateur est dépositaire du sens, les multiples significations que peuvent lui proposer un film, il les renégocie au fur et à mesure de la projection,

Nous suivons là la proposition phénoménologique selon laquelle, s'il n'y a pas de vérité en soi,un film ne saurait posséder un sens en soi.

Le spectateur ne subit pas un sens qui précèderait sa vision et lui serait imposé du dehors mais un sens qu'il crée à tout instant.

-Les ethnométhodes qui ont permis au réalisateur de créer son film, au producteur de le jauger, à la critique de l'apprécier, ces ethnométhodes ne seraient pas d'une nature différente de celles que le spectateur déploie pour comprendre le film.

LA METHODE DOCUMENTAIRE D'INTERPRETATION

APPLIQUEE A L'ANALYSE DE FILM

La méthode documentaire d'interprétation telle qu'elle est exposée par Garfinkel, nous permet de nous rendre compte qu’ un discours ne se constitue que comme interprétation des faits. Il s'en suit que le spectateur qui discute, argumente et débat d'un film après sa projection a dégagé, avant même l'issue de celle-ci, une lecture globale de ce film, lecture qu'il tient pour essentielle et que les appels qu'il fait à sa mémoire visuelle et auditive viendront nourrir et renforcer, contre toutes objections extérieures et ultérieures. Il s'ensuit même que chez bon nombre de spectateurs, l'on arrive à observer une distorsion complète de ce qu'ils ont cru voir ou entendre par rapport à ce qu'ils auraient dû voir et entendre.

De la même façon que l'ethnométhodologie nous permettrade comprendre que le sens d'un film n'est jamais purement donné a priori, la méthode documentaire d'interprétation de l'ethnométhodologie nous enseignera que la signification n'est jamais a posteriori mais qu'au contraire, elle précède la suite du film, anticipe sur sa projection et négocie avec le flux d'informations contraires que l'empathie immédiate ne peut domestiquer.

Il n'y aurait pas de différences fondamentales entre la compétence à déchiffrer les messages et la capacité que le cinéaste a eu à les construire.

Chaque spectateur est cinéaste en puissance, c'est pour cela qu'il n'y a pas d'idiot culturel au cinéma.

De la même façon que je ne comprends que les phrases que je suis capable de répéter et que je ne puis les répéter que dans la mesure où je suis capable de les interpréter, de la même façon, le spectateur à tout moment du film se remémore ce qu'il a vu et entendu auparavant pour anticiper sur ce qui va suivre, par interprétations.

Ce que la méthode documentaire d'interprétation apporte à l'analyse de film:

La comparaison que nous proposons de faire entre la méthode utilisée par le spectateur et la méthode documentaire d'interprétation, telle qu'elle est décrite par Garfinkel au chapitre III des Studies se résume en cinq points communs :

1 - de même que le sujet d'une expérience n'a pour interpréter la réponse du sociologue,

qu'une confirmation ou une infirmation de ce qu'il pensait, le spectateur n'a pour référence à son interprétation du film, qu'une confirmation ou une infirmation de la dénotation.

2 - dans les deux cas, il s'agit d'échafauder une hypothèse qui s'appuie en fait sur un modèle (pattern) sous-jacent. Et toute la procédure d'interprétation consiste à documenter cette hypothèse en lui fournissant des apparences de validité et des évidences de faits.

3 - qu'il s'agisse de la relation sujet-sociologue ou oeuvre-spectateur, cette communication ne peut s'établir que sur la présupposition d'allant-de-soi, qui sont, dans l'analyse et les commentaires sur le film, représentés par la narration et les articulations de la fiction admises par tous.

4 - parce que ses descriptions sont fidèles et ses interprétations conformes à une réification des connotations du film, le spectateur croit que la cohérence qu'il propose appartient à l'évidence du film.

5 - enfin aucune question, chez le spectateur, qui ne soit impénitente. D'une anticipation de la réponse, il documente déjà la question qu'il pose et chacune de ses réponses prend en charge l'acquis des réponses précédentes ; il renégocie en cas d'infirmation, de nouvelles hypothèses auxquelles il donne des apparences de questions, alors qu'il prémédite la réponse.

Nous sommes en droit de nous demander si l'analyse des connotations dans un film de fiction, dès lors qu'elle exige une lecture de cohérence et d'articulation, à la fois

prospective et à la fois rétrospective, n'est pas une méthode documentaire d'interprétation, là où l'on évoquait jusqu'à lors un système hypothético-déductif.