TROISIEME CHAPITRE

LA RECHERCHE D'UNE DÉFINITION PURE
 
 

L'émergence du concept

Comme nous l'avons établi au chapitre précédent, la critique poppérienne du platonisme, au lieu de porter sur la question des essences, des définitions universelles ou des Idées, vise à montrer que lacité idéale est une société fermée.

Popper qualifie de totalitaire la justice de Platon (134). I1 lui reproche d'être anti-égalitaire, de refuser tout changement et de se fonder sur une certaine idée de la nature. Ce programme, qui repose sur une conception historiciste de la société, peut, me semble-t-i1, être en tout justice considéré comme totalitaire (135). Mais le problème qui se pose alors est de savoir ce qui amène à un tel totalitarisme. Nous laisserons de côté la question de l'utilisation par Popper du mot totalitaire dans un contexte historique sans rapport avec celui dans lequel nous utilisons le mot aujourd'hui. On peut penser qu'il s'agit là d'un amalgame abusif i1 n'en reste pas moins que le problème, au delà des mots, subsiste.

Si la cité idéale débouche sur une telle aberration, ce n'est pas à cause d'une volonté platonicienne de grand enfermement avant la lettre. La démarche qui consiste à essayer de définir universellement aboutit à une forme de fermeture. Voulant définir une justice absolue, Platon est déjà prisonnier du problème des essences.

134 : K. Popper, La société ouverte et ses ennemis, t. I, chap. 6, trad. de ,7. Bernard et P. Monod, Seuil, 1979, p. 79 sq.

135 ; ibid. t. I, p. 80.

La négation des essences

Nous nous proposons de montrer, dans ce chapitre, comment le rationalisme critique nie l'existence des essences et comment une telle négation fonde la méthodologie scientifique. La philosophie classique, au contraire, repose sur la notion d'essence. Popper a dénoncé cet essentialisme comme étant une résurgence d'un esprit tribal (136).

Le problème de l'essence, quoiqu'il émerge auparavant, a été principalement développé par Aristote. Utilisant la même méthode que précédemment, nous reviendrons à la source pour aborder, d'une part la question de l'essence avec ce qui en découle, et, d'autre part, l'origine de sa négation. La querelle des universaux et le courant philosophique anglais des 17ème et 18ème siècles ont été deux des moments de cette négation. Certes, Popper n'est disciple ni d' Occam ni de Hume, mais il se rattache à cette tradition par son nominalisme.

Selon Popper, le mal vient de l'historicisme. Il semble que le concept de société ouverte ainsi que la Logique de 1a découverte scientifique s'éloignent surtout de Platon, Aristote ou Hegel par leur façon de considérer les essences. Platon croyait que les idées ou les essences existent antérieurement aux choses changeantes ... Comme Aristote, Hegel croit que l'Idée s'incorpore à la chose en mouvement, ou, plus exactement, qu'elle s'identifie à elle (137).

Voyons donc comment Aristote considère le problème de l'essence.

136 : ibid. t. II, p. 35.

137 : ibid. t. II, p. 24.
 
 

La recherche du mot

La plupart des auteurs s'accordent sur la traduction d'ousia par substance (quoique que la racine être, présente dans le grec soit absente de la traduction) ; l'exception la plus notable est celle d'Heidegger (138). La traduction de to ti ên eînai pose un problème d'exégèse beaucoup plus ardu. De fait, l'expression est assez déconcertante : comment rendre compte du ên, de l'imparfait du verbe être ? L'expression introduit le temps (le passé) dans le vocabulaire de l'être.

Emile Bréhier tente de traduire littéralement par le fait, pour un être, de continuer à être ce qu'il était (139) ; ce faisant il interprète to ti ên eînai comme une dualité interne de l'être entre, d'une part, ce qu'il est présentement et qu'il continue d'être, et, d'autre part, ce qu'il était, c'est-à-dire son état antérieur. Une telle traduction est séduisante ; toutefois, elle sous-entend que cette antériorité de l'être présent est cause de ce que précisément il est. Or, si, en un certain sens, comme nous le verrons, to ti ên eînai est bien cause, il semble risqué d'affirmer la causalité dans une traduction. Pierre Aubenque voit dans to Ci ên eînai une interrogation parallèle à la question ti estimais plus précise (140) où, ce qui importe est la détermination essentielle et complète d'un être. Ross traduit par : the inner nature, what makes a thing what it is, and is unfolded in definition (141) ; cependant, il ne tient pas compte du ên. On pourrait interpréter to ti ên eînai comme ce que la chose a été jusqu'à maintenant. Une telle traduction a l'avantage de rendre compte de l'imparfait mais a l'inconvénient d'introduire une notion de continuité dans ce que la chose a été dans le passé. Le mieux est sans doute d'avouer notre impuissance à résoudre le problème et d'utiliser soit le grec soit le mot quiddité, soit, à la rigueur, le mot essence.

138 : Heidegger propose de traduire ousia par seinheit, et ce afin de conserver le sens étant présent dans le grec ; on peut rendre seinheit par étance ou êtreté. et, en anglais, par beinghood.

139 : E. Bréhier, Histoire de. la philosophie, t. I, P.U.F., Paris, 1948, p. 199.

140 : p. Aubenque, Le problème de l'être chez Aristote, 2ème partie, chap. II, • 3, P.U.F., 1962, pp. 460-466.

141 : Ross, Introduction to Aristotle's Metaphysics, p. XCIV.
 
 

Qu'est-ce que l'essence

La première question qu'on se pose, quand on entre en contact avec l'essence, est de savoir si elle est l'ousia. En effet, quelques textes d'Aristote semblent mettre l'ousia et to Ci ên eînai sur un pied d'égalité. Par exemple, au début de la Métaphysique, alors qu'il rappelle les quatre acceptions du mot cause, la quiddité est citée en passant comme si elle était un synonyme de la substance : en un sens, par cause nous entendons la substance, ou to ti ên eînai (en effet, la raison d'être se ramène en définitive à l'énonciation de la chose, et la raison d'être première est cause et principe (142).

De même, au début de Z, 3, Aristote indique que l'essence est l'un des sens de la substance. Pouvons nous en conclure que la quiddité et la substance sont deux termes univoques ? L'hésitation n'est guère permise, il nous faut répondre par la négative. En effet, en A, 3, Aristote ne fait que rappeler brièvement ce qu'il a déjà expliqué dans la Physique (143) où il ne mentionne pas la substance comme sens du mot cause et où, en revanche, il dit que ce qui est cause n'est pas to ti ên eînai mais l'énonciation de to ti ên eînai. On peut donc affirmer qu'en A, 3, Aristote ne fait que renvoyer à d'autres ouvrages supposés connus du lecteur et, en conséquence, on ne peut interpréter ou lire ce passage qu'à la lumière de ce à quoi il renvoie. En ce qui concerne Z, 3, Aristote ne dit pas que la substance est to ti ên eînai, il se contente de dire que ce dernier n'est qu'un des sens de l'ousia. L'ousia et to ti eînai sont donc bien deux termes différents.

142 : Aristote, Métaphysique, A, 3, 983 a 24.

143 ; Aristote, Physique, II, 3, 194 b 26.
 
 

De quoi y a-t-il essence ?

Le second problème à envisager, avant de pouvoir cerner quels sont précisément les rapports entre la substance et l'essence, est de savoir de quoi il y a essence. Tel est exactement le thème de Z, 4. Au risque d'être un peu long, il est nécessaire de reprendre l'argumentation du chapitre dans ces grandes lignes.

On sait que ti esti appartient de façon primordiale à la substance (144) et, dans une certaine mesure seulement, aux autres catégories. D'autre part, la quiddité est l'essence déterminée (145). Il n'est donc pas surprenant que to ti ên eînai appartienne de façon absolue (haplôs) à la substance (146) et d'une manière secondaire aux autres catégories. Mais, haplôs, la quiddité n'appartient qu'à la substance.

Le problème est maintenant de savoir si le composé de substance et d'accident est susceptible d'avoir une quiddité. Par exemple, y a-t-il to ti ên eînai d'homme blanc ? Non, car quand une chose est attribuée à une autre. chose à titre de prédicat, le composé ne constitue pas une essence déterminée (147)

Si la quiddité appartient bien à la substance, devons-nous pour cela affirmer que toute substance possède une quiddité ? I1 n'y a essence que des choses dont l'énonciation est une définition (148) et, d'autre part, la quiddité de chaque être, c'est ce qu'il est dit être par soi (kath'auto) (149). I1 nous faut donc, pour cerner le rapport entre l'ousia et to ti ên eînai, considérer, en premier lieu ce qui est dit être par soi, puis, dans un deuxième temps, ce qu'est une définition.

144 : Aristote, Métaphysique Z, 4, 1030 a 23 : to ti estin haplôs tê ousia.

145 : ibid. 1030 a 3 : tode ti esti to ti ên eînai (tode est omis par certains éditeurs).

146 : ibid. 1030 a 30.

147 : ibid. 1030 a 4.

148 : ibid. 1030 a 6-7 : Co Ci ên eînai estin hosôn ho logos estin hôrismos.

149 : ibid. 1029 b 12.
 
 

L'expression selon soi chez Aristote

Au début de Z, 4, Aristote nous met en garde contre l'erreur qui consisterait à croire que tout ce qui est selon soi est to ti ên eînai (150) En effet, selon soi a plusieurs acceptions. Il est indispensable de bien comprendre en quel sens de selon soi se dit la quiddité ; pour ce faire, il n'est pas inutile de rappeler brièvement la classification des Analytiques Postérieurs où Aristote distingue quatre sens de l'expression selon soi (151) :

150 ; ibid. 1029 b 17.

151 : Aristote, Analytiques postérieurs, I, 4, 73 a 34 - 73 b 25.

1. : en un premier sens, sont dits selon soi, les attributs qui appartiennent à l'essence (ti esti) du sujet. Ainsi, la ligne appartient par soi au triangle car la substance (ousia, ici, substance formelle) du triangle est composée de la ligne, laquelle entre dans la définition. Appelons essentiellement selon soi ce type d'attributs.

2. : sont dits selon soi les attributs donc l'énonciation implique la présence du sujet. Ainsi, le rond et le rectiligne appartiennent selon soi à la ligne ; on pourrait ajouter cet autre exemple : le blanc appartient selon soi à la surface mais par accident (kata symbébêkos) à l'animal. Appelons accidents selon soi ce type d'attributs (152).

3. : la substance ou tode ti (la détermination).

4. : lorsqu'il y a connexion essentielle entre deux choses, la seconde est selon soi. Ainsi, l'effet est attribut selon soi à la cause ; une propriété inhérente à un sujet lui appartient selon soi, la propriété d'avoir ses angles égaux à deux droits est selon soi au triangle.

En Z, 4, Aristote ne parle que des deux premiers sens de selon soi. Ces deux premiers sens demandent quelques éclaircissements supplémentaires. Une attribution est essentiellement selon soi quand elle appartient nécessairement au sujet (sans que la réciproque soit indispensable). Autrement dit, l'attribut essentiellement selon soi est une condition nécessaire à l'existence du sujet. Au contraire, une attribution est accidentellement selon soi lorsqu'elle est condition suffisante du sujet. On peut tenter de transcrire en logique symbolique l'attribut essentiellement selon soi comme étant la conséquence d'une conditionnelle ; par exemple, la ligne est attribut selon soi du triangle peut s'écrire :

(x) (Tx • Lx)

c'est-à-dire, pour tout x, si x est un triangle, alors il est composé de lignes. Ce faisant, on ne dit rien (et il n'en est pas besoin) de la ligne.

L'attribut accidentellement selon soi, étant condition suffisante, peut être transcrit comme l'antécédent d'une conditionnelle ; par exemple, la parité est un accident selon soi du nombre :

(x)(Px • Nx)

c'est-à-dire, quelque soit x, si x est pair, alors x est un nombre.

Autrement dit, la différence entre ce qui est essentiellement selon soit et ce qui est accidentellement selon soi dépend de la position du sujet et de l'attribution par rapport à la conditionnelle.

L'intérêt de cette symbolique est qu'elle nous permet de voir que l'ensemble des attributs essentiels selon soi constitue l'ensemble des conditions nécessaires, autrement dit, la condition nécessaire et suffisante.

Aristote élimine formellement l'attribut accidentellement selon soi de la quiddité (la longueur de l'argument nous empêche d'en tracer les grandes lignes). On peut donc maintenant préciser que la quiddité de chaque étant, c'est ce qu'il est dit être essentiellement selon soi.
 
 

L'énonciation définissante

Nous avons vu que to ti ên eînai est énonciation et ti esti. Mais, puisque l'essence a une multiplicité de significations,ne peut-on pas en dire autant de l'énonciation définissante (ho logos horismos, c'est-à-dire la définition) ? Et, dans ce cas, quel est le sens de la définition auquel renvoie Aristote ? Il nous faut distinguer les différentes sortes de définition, telles qu'elles apparaissent dans les seconds analytiques. D'une manière générale, la définition est formule de l'essence (153).
 
 

152 : Aristote, Métaphysique, D, 30 (1025 a 30-31) semble réserver l'expression sumbébêkos kath'auto pour la connexion essentielle entre deux choses, ce qui est le quatrième type d'attribution. Cependant, comme il est vraisemblable que D, 30 soit inachevé, il paraît possible de ne pas prendre l'expression à la lettre.

153 : Aristote, Analytiques postérieurs, II, 10.

1. : un discours purement nominal différent de la formule de l'essence est d'une certaine façon définition car elle donne une signification.

Cependant, elle n'est que l'assignation d'un discours à un nom, et n'est donc pas définition véritable (haplôs), car tout agrégat d'accidents peut avoir un nom et ce type de définition. Or, la définition haplôs est formule de l'essence et, en tant que telle, ne s'applique qu'aux étants dont il y a quiddité, c'est-à-dire aux substances (154). Autrement dit, l'univocité n'est pas une condition suffisante pour qu'une expression soit définissante.

2. : la définition par la cause. Ce type de définition montre pourquoi la chose est ; elle est une quasi démonstration de l'essence ne différant de la démonstration que par la position des t:ermes (155)

3. : la définition comme conclusion de la démonstration de l'essence.

4. . la définition des choses qui n'ont d'autres causes qu'elles-mêmes.

C'est le discours indémontrable de l'essence. Ce sens est en fait le sens premier de la définition.

A cette classification, il faut ajouter deux remarques : en premier lieu, la définition concerne l'universels-`'b ; et, en second lieu, il n°y a définition ni de l'individuel (tode ti) ni de la matière qui est inconnaissable par soi (157).

154 :Aristote, Métaphysique, Z, 5, 1031 a 1.

155 ; Aristote, Analytiques Postérieurs, II, 10 a 1.

156 ; Aristote, Métaphysique, Z, 10, 1036 a 1 : ho logos esti toû katholou.

157 : ibid. Z, 10, 1036 a 6, sq.

Substance et définition

De tout cela, pouvons-nous conclure que la définition proprement dite (haplôs) et la quiddité soient une seule et même chose ? I1 semble bien que non. En effet, le particulier ou l'individuel ne sont connaissables qu'à l'aide de la perception ou de l'intuition (158). Or, la substance individuelle est susceptible d'avoir une essence. Il y a une quiddité de Socrate, mais il n'y a pas de définition haplôs de Socrate (159). I1 va de soi qu'un composé comme homme blanc, bien que d'une certaine façon ce soit une substance déterminée par un attribut, n'est pas une substance individuelle ; c'est pourquoi, comme nous l'avons déjà dit, le composé n'admet pas de quiddité au sens propre (haplôs).

D'un autre côté, s'il y a une quiddité de la substance individuelle, comment expliquer qu'Aristote affirme qu'il n'y a quiddité que de ce dont il y a définition (160) ? Nous devons pour le moment laisser cette question en suspens.

158 : Ajoutons que, de même qu'il y a des essences et des quiddités dérivées, il y a aussi des définitions dérivées. Voir Métaphysique, Z, 5 à ce sujet.

159 : Tout étant premier admet une quiddité (Métaphysique, Z, 6, 1032 a 5) ; les substances premières ont une quiddité (Métaphysique, Z, 7, 1032 b 1) ; et les substances premières sont individuelles (Catégories, V). Nous devons donc admettre que les substances individuelles ont une quiddité.

160 : Aristote, Métaphysique., Z, 4, 1030 a 6.

La forme
 
 

J'appelle forme la quiddité de chaque être nous dit Aristote (161). Si on se borne à cette phrase, on est en droit de se demander si la quiddité n'est pas tout simplement l'Idée platonicienne. Tel n'est pas le cas car Aristote distingue deux façons de dire la forme (162) : il y a les formes qui ne sont pas celle d'un genre (c'est-à-dire les Idées platonicienne qui sont transcendantes), mais, en aucune façon, il n'y aura de quiddité pour celles-ci. En revanche, pour les formes immanentes au genre (ta genous eîdê) il y a une quiddité. Autrement dit, la forme n'est quiddité que s'il est inconcevable qu'elle ait une existence séparée de la substance. En effet, l'objet de Z, 6 est de montrer l'identité de chaque être avec sa quiddité. Or, si la forme a une existence séparée, elle ne peut être identique avec la substance dont elle est la forme. Aristote spécifie que, puisque seuls les étants selon soi (kath'auto) ont une quiddité, seule la forme de l'étant selon soi est identique à sa substance.

161: ibid, Z, 7, 1032 b 1.
 
 

L'universel

Au chapitre VIII des Catégories, Aristote dit que la forme est une qualité. Cela signifie-t-il que la quiddité soit une qualité ? Certainement pas. Une forme est une qualité quand elle n'est pas essentielle à l'étant. La qualité-forme n'est pas en actualité dans le sujet ; c'est un universel. Mais la quiddité-forme n'est pas un universel ; c'est ce qui fait qu'un sujet est ce qu'il est. En fait, la quiddité-forme est en entéléchie dans le sujet. Elle est ce qui donne au sujet sa réalité.

En effet, tout (ou presque tout) peut avoir une qualité. Mais seules les substances peuvent avoir une quiddité, c'est-à-dire peuvent réaliser la forme. Et, ici, nous voyons qu'il n'y a pas qu'une simple relation entre l'ousia et to ti ên eînai, mais un lien inaltérable qu'on ne peut retirer. To ti ên eînai donne une réalité à la substance et la substance réalise to ti ên eîna Ainsi, dans un certain sens, nous pouvons dire que l'essence est la cause de la substance ; elle en est la cause formelle, elle est le moule de la substance.

Nous avons établi, croyons-nous, que le selon soi signifie l'essence de chaque être (163) Or, d'après les Analytiques Postérieurs (164), les attributs essentiels sont limités en nombre afin que l'essence soit connaissable. Nous avons vu qu'il est possible d'assimiler les attributs essentiellement selon soi aux conditions nécessaires du sujet ; étant donné que ces attributs sont en nombre fini, leur réunion est une condition nécessaire et suffisante de la substance, aussi bien de la substance individuelle que de celle qui ne l'est pas.

162 : ibid. Z, 4, 1030 a 11.

163 : cf. Aristote, Métaphysique D, 18, 1022 a 25.

164 : Analytique Postérieurs I, 22.

L'entéléchie

Nous avons laissé en suspens une question, celle de comprendre pourquoi une substance individuelle qui n'a pas de définition a cependant une quiddité. D'une certaine façon, il y a définition dérivée de la substance individuelle simplement, cette définition n'est pas scientifique. Pour résoudre la difficulté, il nous faut suivre Ross et dire que la quiddité est l'objet de la définition (165).

Autrement dit, Callias, en tant qu'individu, n'est pas objet de science ; cependant, Callias a une quiddité ; c'est cette essence qui est objet de science et de définition. Et, en effet, si dans une certaine mesure on peut définir Callias, ce n'est pas en tant qu'individu, mais c'est en tant qu'il recèle un universel, à savoir l'humanité. L'essence est ce qu'il y a d'universel dans une substance individuelle.

Enfin, l'essence est forme en tant que réalisée dans une substance. L'essence elle-même n'a donc pas d'individualité, pas de tode ti ; en effet, l'essence de ce triangle est la forme du triangle en tant qu'elle est réalisée dans ce triangle particulier. Mais, la forme du triangle n'a pas de telleté. I1 n'y a pas là contradiction avec l'identité de l'essence et de sa substance : la forme en acte qu'est l'essence étant indissociable de sa substance est par là même une avec elle.
 
 

165 : Ross, Introduction to Aristotle's Metaphysics, p. XCV.

I1 semble bien qu'il y ait trois registres de l'essence :

- elle est cause de la substance en tant que condition nécessaire et suffisante de la substance ce faisant, on voit qu'il n'y a pas antériorité de l'essence sur la substance, car, la cause comme condition nécessaire et suffisante se réciproque avec ce dont elle est cause (A • B = B • A) pour la logique symbolique.

- elle est moyen terme entre la définition et l'individuel, c'est-à-dire qu'elle est le chaînon qui permet de rattacher la science au réel concret.

- elle est, enfin, la forme en entéléchie de la substance.