1.4.1.- La densité terminologique en ethnométhodologie.

Je dois dire que la lecture des textes des ethnométhodologues n'est pas chose facile, tout particulièrement pour ce qui est de Garfinkel. La richesse terminologique est très grande, les textes sont remplis de ce qui parait être, en première approche, des faux amis, c'est à dire des mots du vocabulaire courant utilisés, sans avoir préalablement été redéfinis, dans un sens différent de leur sens habituel. On verra plus loin que cette difficulté d'approche a été source de nombreuses critiques, y compris d'accusation de comportements sectaires.

L'ampleur de cette difficulté surprend dans les textes des ethnométhodologues, car si un effort terminologique est considéré comme normal lorsqu'on aborde une nouvelle école de pensée scientifique, on s'attend également à être guidé lors des premiers pas, une école scientifique ayant généralement pour objet une diffusion maximale de ses thèses. Or il n'en est rien dans les textes fondateurs. Ce n'est que dans des textes ultérieurs, généralement écrits par les élèves, que l'on trouvera les explicitations souhaitées.

Cette difficulté d'approche, qui est destinée, dans l'esprit des auteurs, à forcer le lecteur à une remise en cause de ses positions de recherche, provoque, en particulier, un effet violent : lors de la lecture (du texte original, car les difficultés de traduction donnent aux textes traduits l'apparence d'une mauvaises traduction, ce qu'une relecture ultérieure infirme , en tout cas pour ce qui est des traductions contenues dans [CEMS1984] et [Signorini 1985], déjà cités), l'esprit oscille en permanence entre une incompréhension totale et des impressions de compréhensions partielles en attachant aux mots leurs sens commun. La découverte d'une définition à peu près claire d'un concept ou d'un mot est vécue comme celle d'une pépite d'or. A condition toutefois que différentes définitions ne soient pas contradictoires, auquel cas la référence aux cartes des relations entre groupes d'ethnométhodologues, si elles existent, devient obligatoire. En effet, si deux grands courants de l'ethnométhodologie des premières années sont clairement identifiables (celui des "Garfinkeliens" et celui des "Cicoureliens"), avec, entre ces courants plus de ressemblances que de dissemblances, il n'en est pas de même dès que les idées des premiers ethnométhodologues ont commencé à se répandre.

D'abord parce que de très nombreux contre sens ont été et sont encore commis sur la pensée des fondateurs. Ce phénomène provoque un intense parasitage qui rend difficile le travail de définition des termes, puisque que sur un terme donné, on va trouver la définition originale, quand elle existe, puis des définitions de commentateurs qui sont ou croient être dans la filiation du fondateur, puis des définitions de commentateurs critiques, puis des redéfinitions des fondateurs, en réponse aux critiques et aux mauvaises interprétations, ces redéfinitions traduisant éventuellement un avancement de la pensée du fondateur.

Ensuite, parce que, sauf sur une ou deux idées très fondamentales et exprimées grossièrement, il n'y a pas accord entre les différents chercheurs qui se réclament de l'ethnométhodologie. Ainsi, je n'ai pas trouvé d'ethnométhodologues qui réfutent la notion de contextualité du sens d'un fait social, non plus que l'affirmation de multiplicité infinie des significations attribuables à un fait ou à un compte rendu.

Cette obscurité terminologique a pour conséquence principale qu'il est difficile de structurer, d'ordonner entre eux les différents concepts et termes évoqués. Le monde des ethnométhodologues semble, en première approche, satisfaire parfaitement à l'une des affirmations de Garfinkel : l'indexicalité du discours est totale et les interprétations possibles en sont infinies. Je dois dire que la recherche historique préalable m'a été, une fois encore, d'un grand secours.