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Au sujet de la pédagogie, de l'internet et de l'accès aux savoirs
par Charlie Nestel
 
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De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: L'eveil des pedagogues II
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2000-10-26 12:20:03 PST
 

Cyborg wrote:
>
> Philippe-Charles Nestel a écrit dans le message
>
>
> >Oui... oui... j'ai même écrit dans cette enfilade l'expérience dans mon
> >collège que j'ai trouvée tres positive.
>
> Une expérience d'enseignement avec deux profs par classe ? J'ai cherché ce
> message mais ne l'ai pas trouvé.

Je relatais par exemple mon expérience en parcours diversifié, l'an
dernier. Déjà à l'époque, j'avais refusé d'en fonder un où me serait
confié un micro-groupe d'élèves. Les emplois du temps des parcours étant
alignés, j'ai proposé, lors de la première concertation sur la
répartition des élèves,de supprimer le mien afin que le maximum d'entre
eux puissent réaliser les objectifs fixés dans chaque parcours en
intégrant Internet comme outil d'apprentissage.

Inconvénient : j'augmentais le nbre d'élèves par parcours, en
répartissant les miens sur les autres...
Avantage : nous pourrions travailler en binôme, voire en trinôme
(certains parcours étant déjà bi-disciplinaires, histoire et lettres,
par exemple).

Il y avait par exemple deux parcours sur la Grèce antique, l'un sur la
citoyenneté à Athènes, l'autre sur les expressions françaises issues de
la mythologie grecque.

Pour moi c'était du point de vue stratégique, une occasion en or
d'amener les profs à GNU/Linux, de mettre en scène l'usage d'Internet
comme outil pédagogique qu'ils pourraient utiliser ensuite.
En échange j'ai bénéficié de cours de didactique d'une intensité
rarissime, mes collègues n'en sont sortis que plus grandis...
Je me souviens du prof d'histoire répondre à gamin qui lui demandait
"qu'est-ce qu'il faut chercher ?", alors qu'il effectait des requetes
sur les dieux de l'Olympe : "qui est père et mère de ? " ; alors qu'à
d'autres il demandait : "les liens de parenté de la société grecque ".

Cet historien qui, salle des profs, ironise sur la pédagogie et les
pédagogues vient de me donner une sâcrée leçon de pédagogie
différenciée. Il ne note pas le niveau culturel de l'enfant mais sa
capacité de résoudre une même classe de questions. Même le ptit boss
fouteur de merde qui, dans ses requetes, confondait Jéronimo avec les
dieux de l'Olympe, peut répondre à la question "qui est père et mère
de", une fois remis sur une piste moins cheyenne...  IL n'en néglige pas
pour autant les élèves capables de résoudre des questions complexes.
Il fait cours à un groupe tout en faisant progresser chacun.
Internet lui permet de réaliser sa pédagogie.

Les profs qui ont peur de la pédagogie différenciée ont peur d'Internet.
Et s'ils se sentent obligés,sous la pression des élèves qui veulent
aussi "surfer sur le net", c'est pour dire : "hop ! tout le monde
navigue à la baguette. Je ne veux voir qu'un seul sytème". Manque de pot
au collège on peut pas naviguer en groupe sous Windows.
Si on me demande pourquoi ?
Je réponds : " Pour partager une ligne RTC sous Windows il faut un
routeur. Tu les as toi, les crédits pour acheter un routeur ?".
Et quand ils rétorquent, d'un air soupçonneux : " alors comment ça se
fait que ça marche avec linux ? ", je rétorque " parce que c'est un
logiciel libre.". Mais quand ma collègue de techno qui respecte les
programmes, tout en restant critique, est venue toute seule, lancer le
serveur, établir la connexion PPP sur la machine où est installé
l'IP-masquerading, gérer les login sans problème avec ses élèves,
j'étais fier d'elle !

Beaucoup d'enseignants, frustrés de ne pouvoir gérer l'hétérogénité, ont
découvert que cela pouvait être possible avec Internet. Ils ont tout de
suite compris la puissance du travail en réseau et rejeté par la même
occasion le multimedia commercial, inutilisable en classe.

Il fallait pour ce faire, combiner nos savoir-faire, y compris dans une
mise en scène théâtrale de nos consignes respectives, lors de chaque
séance, avant la course vers les machines. Les élèves en ressortent avec
un sentiment moins morcellé des savoirs.
Tout le monde se sent chargé d'énergie positive.

Je me souviens, à l'époque où je donnais des cours d'ethnométhodologie
dans le DESS de Paris 7, je venais foutre la merde dans le cours de mes
copains. Certains jeudis soirs, on était trois ou quatre en train de
s'engueuler, mais nous répondions tous en coeur à l'étudiant qui posait
une question sur nos contradictions en termes d'universaux : "c'est ça
l'indexicalité" ; et nous laissions l'un de nous reprendre son exposé
jusqu'aux prochaines disruptions que nous nommions "breaching"... :-)))

Ainsi, nous permettions à tous les étudiants de valider la description
d'un village par une dizaine de concepts combinatoires, quelque soit ce
village : l'astrologie, la sorcellerie, l'intelligence artificielle, le
traitement des langues naturelles, la mécanique quantique, les
chauffeurs de taxis, les homosexuels parisiens de telle date à telle
date, du groupware, la tribu des historiens, les ethnométhodes des juges
pour enfants, le fonctionnement de micro-communautés informatiques,
etc...

Nous nommions les savoirs des ethno-savoirs et Robert Jaulin qui
dirigeait le département venait faire des cours sur l'ethnocide. Il y
avait aussi un mec qui faisait une newsletter pour le CNPF et qui était
physicien à l'origine. Lui il s'intéressait aux réseaux. Yves Lecerf
aussi d'ailleurs, qui est mort sur le parvis de la fac de Paris 8 où il
avait fondé le département informatique avec les deux co-auteurs d'un
LISP libre, Patrick Gressay et Harald Wertz ; mais pas pour les mêmes
raisons.
Yves Lecerf était animé par la mission de construire une théorie non
totalitaire de la connaisance fondée sur un rationalisme localiste. Il
reprenait le flambeau des Lumières à la lumière aussi de leurs méfaits
et ce, pour préserver l'essentiel de leurs fondements, la raison.

Ce qui implique, en premier lieu, de tenir pour opératoires que des
descriptions locales, afin de considérer un "vu mais non remarqué" qui
nous aurait échappé, tout en sachant bien qu'on n'est jamais membre
d'une seule communauté. Ce qui fait que la science trouve son unité dans
un réseau où chacun des points de vue est une réflexivité locale.

La multiplicité des points de vue est donc nécessaire à la mise en scène
des savoirs. C'est ce que les ethnométhodologues appellent "mise en
scène de l'action sociale".

Les cours en binôme se révèlent tres efficaces pour ça. C'est la raison
pour laquelle je veux à la fois Internet et l'amphithéâtre. Pas
d'internet sans latin était écrit sur le site Web du mouvement du 93.

Les cours en binôme s'inscrivent directement dans la lignée du dialogue
socratique. Un cours n'est-il pas un cheminement ?

Cordialement Charlie

PS : signez la pétition contre les brevets-logiciels :
http://petition.eurolinux.org
 

Merci !!!