Notre travail a suivi un parcours itératif et progressif, visant à dépasser les cadres d'analyse existants pour l'étude des phénomènes anormaux (OVNI/PAN/UAP). Partant de l'analyse critique d'un modèle sociologique, nous avons, par étapes successives, construit une architecture théorique et pratique beaucoup plus vaste, capable de traiter la nature multimodale et complexe de ces phénomènes.
Aboutissement du projet :
Création d’un "modèle hybride cognitif multimodal" intégrant quatre champs théoriques majeurs (biologie de la cognition, ethnométhodologie, systémique/cybernétique, phénoménologie/épistémologie de la complexité), il s'agit d'un modèle hybride original, adapté à l'analyse de cas hors normes, qui est "scalable" de la microsociologie au macro-groupe, que l'on peut formaliser par une axiomatique ethnométhodologique afin de l'intégrer à des outils informatiques, et que l'on peut enseigner à des enquêteurs ou analystes dans le cadre de missions variées (enquête de terrain, analyse de donnée, recherche transdisciplinaire, prospective et anticipation stratégique).
Nous proposons à partir d'un parcours pédagogique une architecture théorique et méthodologique pour articuler ces quatre champs disciplinaires, en montrant comment ils peuvent dialoguer sans se réduire les uns aux autres, tout en restant opérationnels pour l’étude de terrain.
Pour ce faire, nous construisons un cadre transdisciplinaire pour étudier des phénomènes émergents, ambigus et socialement construits (comme les OVNI, mais aussi les expériences mystiques, les théories du complot, ou les dynamiques de groupe complexes).
Étape 1 : le point de départ, l'analyse critique du modèle « Ufosystémique »
Notre travail a débuté par une analyse critique approfondie du document de référence « Ufosystémique » (COBEPS, 2013). Nous avons identifié ce modèle comme une tentative notable de cartographier la sociologie du phénomène OVNI, mais nous en avons également souligné les limites fondamentales :
Un positivisme systémique : Le modèle postule un "stimulus" objectif à l'origine du système, une "boîte noire" qui existe indépendamment de l'observateur.
Une cybernétique de premier ordre : Il décrit un système observé, plaçant l'analyste dans une position d'extériorité illusoire, sans prendre en compte que l'observateur fait partie du système qu'il étudie.
Une circularité non théorisée : Il décrit les flux d'information sans analyser en profondeur comment la culture préforme la perception, qui à son tour renforce la culture, créant une boucle auto-référentielle.
Cette analyse critique a servi de diagnostic, révélant la nécessité de développer un nouveau modèle capable de sonder les processus cognitifs et expérientiels sous-jacents.
Étape 2 : Première élaboration, le Modèle Cognitif Énactif et Incarné (MCEI)
Face aux limites de l'approche purement sociologique, notre première étape constructive a été de modéliser le cœur de l'événement : l'expérience vécue. Nous avons élaboré le Modèle Cognitif Énactif et Incarné (MCEI), qui a opéré un déplacement fondamental de l'objet d'étude :
De l'objet à l'événement : Nous avons redéfini l'objet de la recherche non plus comme un "OVNI" à identifier, mais comme un Phénomène de Rupture de Sens (PRS).
Fondements en biologie de la cognition : Pour analyser cette rupture, nous avons intégré les concepts de Humberto Maturana et Francisco Varela. L'anomalie a été redéfinie comme une rupture autopoïétique, une crise qui menace la cohérence et l'identité du système cognitif. La réalité a été comprise non comme une chose perçue, mais comme un monde énacté par un observateur incarné.
Une architecture à trois niveaux : Le MCEI a été structuré pour analyser la rupture sur trois plans : autopoïétique (la crise de l'identité), énactif (la faillite du couplage avec le monde) et neurophénoménologique (l'accès à la structure de l'expérience vécue).
Étape 3 : L'extension opérationnelle, le Module Opérationnel Ethnométhodologique (MOE)
Le MCEI fournissait une théorie puissante de l'expérience, mais il manquait une "boîte à outils" pour l'enquête de terrain. La deuxième étape majeure de notre collaboration a été de développer son extension praxéologique : le Module Opérationnel Ethnométhodologique (MOE).
Une science du concret : En nous appuyant sur les travaux de Harold Garfinkel, nous avons défini le MOE comme l'étude des ethnométhodes : les méthodes pratiques que les acteurs utilisent pour construire et rendre intelligible leur réalité, surtout après une rupture.
Une praxéologie interdisciplinaire : Nous avons articulé le MOE autour de la convergence de quatre piliers théoriques :
La biologie de l'autonomie (Maturana & Varela) pour comprendre le pourquoi du témoignage (maintenir sa cohérence).
La cognition comme action (Varela, Thompson, Rosch) pour comprendre le quoi (la rupture du monde énacté).
La dynamique sociale (école de Palo Alto) pour analyser le jeu (les interactions comme stratégies de communication).
La méthodologie du concret, science des ethnomethodes (Garfinkel) pour analyser le comment (les actions pratiques de la mise en récit).
Des outils d'enquête de second ordre : Le MOE a été doté d'une axiologie en quatre domaines (indexicalité, accountability, réflexivité, indifférence) et d'un protocole détaillé (guide conceptuel, grille d'analyse, étude de cas simulée).
Étape 4 : L'application à des cas complexes et la finalisation
Forts de cette architecture complète (MCEI + MOE), nous avons validé sa pertinence en l'appliquant à de nombreux cas d'étude et notamment des incidents particulièrement difficiles :
Les Lumières de Phoenix (1997) : Ce cas nous a servi de laboratoire pour démontrer la capacité du MOE à analyser un contexte saturé de désinformation, de contradictions institutionnelles et de rationalités locales en conflit (civile, militaire, politique).
Le Skinwalker Ranch : Ce cas d'"hyper-anomalie" a constitué le test ultime. Il nous a permis de montrer comment le MOE peut aborder un phénomène multimodal (physique, psychique, paranormal), gérer la divergence radicale des perceptions, et même proposer une méthodologie pour une méta-analyse qualitative de données apparemment incommensurables.
Ce processus itératif, allant de la critique à la théorie, puis de la théorie à la pratique et à l'application, a abouti à la rédaction d'une documentation traitant de toutes ces étapes jusqu'à la finalisation de rapports de synthèse. Ces documents, enrichis d'une bibliographie et d'un lexique, ne se contentent pas de proposer un nouveau modèle ; il se présentent comme un manifeste fondateur pour une science transdisciplinaire de la construction de la réalité face à l'anomalie.