Déploiement du PIT dans le cadre conceptuel du MOE

 Protocole d'Intégration Transdisciplinaire (PIT) pour l'analyse des phénomènes anomaux en contexte opérationnel


Introduction

 

L'analyse des phénomènes anormaux en contexte opérationnel – qu'il s'agisse d'intrusions inexpliquées sur des sites stratégiques, de manifestations de haute étrangeté rapportées par des personnels qualifiés, ou de crises informationnelles complexes – confronte les institutions à une limite fondamentale de leurs cadres d'analyse traditionnels. Ces derniers, conçus pour des objets identifiés et des causalités linéaires, se révèlent souvent inopérants face à des événements qui sont, par nature, ambigus, multimodaux et informationnellement dégradés. La tentation est alors grande de tomber dans un double écueil : soit le rejet a priori de l'anomalie au nom d'un scepticisme dogmatique, soit son acceptation acritique qui ouvre la porte à des biais d'interprétation et à la désinformation.

Ce document a pour objectif de présenter une alternative rigoureuse : le Protocole d'Intégration Transdisciplinaire (PIT). Il ne s'agit pas d'un modèle de plus pour "expliquer" l'inexpliqué, mais d'une praxéologie, c'est-à-dire une science de l'action pratique conçue pour l'enquête en environnement complexe. Le PIT déplace radicalement l'objet de l'analyse. La question n'est plus "Quelle est la nature de ce phénomène ?", mais "Comment, au sein d'une organisation, la réalité de ce phénomène est-elle socialement et pratiquement construite, négociée, stabilisée ou contestée ?".

Pour ce faire, le protocole mobilise de manière opérationnelle les apports de la praxéologie ethnométhodologique. Il ne considère plus les rapports, les témoignages ou les données instrumentales comme de simples "informations", mais comme des accomplissements pratiques (practical accomplishments). L'analyse se focalise sur le "travail" (work) que les acteurs (analystes, opérateurs, décideurs) doivent accomplir pour rendre une situation anormale intelligible et gérable au sein de leur rationalité locale (militaire, scientifique, politique). Le PIT est donc un outil de second ordre : il n'enquête pas sur le phénomène, mais sur les pratiques d'enquête elles-mêmes.

En fondant sa démarche sur l'analyse de la production observable de l'ordre social, l'intégration des principes de la cognition énactive et de la cybernétique de second ordre, le PIT vise à doter les analystes et les décideurs d'un cadre méthodologique robuste. Il ne promet pas de "résoudre" les anomalies, mais de fournir une cartographie rigoureuse des processus de construction du sens, d'identifier les angles morts des systèmes d'analyse existants, et de permettre une prise de décision éclairée en contexte d'incertitude radicale. Ce protocole est donc conçu comme un instrument de lucidité, une méthode pour penser rigoureusement aux limites de ce qui est pensable.


Partie 1 : Architecture conceptuelle du protocole

Le Protocole d'Intégration Transdisciplinaire (PIT) n'est pas une simple succession d'outils, mais une architecture conceptuelle cohérente. Il repose sur un socle de fondements théoriques qui définissent sa vision du monde et sur des principes opérationnels qui traduisent cette vision en une pratique d'enquête rigoureuse. Cette première partie a pour objectif de détailler cette architecture.

 

1.1. Fondements théoriques

Le PIT est une praxéologie qui articule quatre traditions de pensée majeures. Il ne s'agit pas d'une simple juxtaposition, mais d'une intégration où chaque pilier théorique informe et renforce les autres pour créer un outil d'analyse multidimensionnel.

 

1.2. Principes opérationnels

De ces fondements théoriques découlent quatre principes qui doivent guider chaque action de l'analyste appliquant le protocole.


Partie 2 : La solution – Le modèle socio-cognitif comme matrice cognitive partagée

Face à la complexité des phénomènes anormaux et aux limites des approches conventionnelles, le Protocole d'Intégration Transdisciplinaire (PIT) propose une solution qui n'est pas une théorie explicative, mais un modèle socio-cognitif. L'objectif de ce modèle n'est pas de "résoudre" l'anomalie en la réduisant à une cause unique, mais de fournir une matrice cognitive partagée qui permet à des acteurs aux expertises et aux rationalités hétérogènes (opérateurs, analystes, scientifiques, décideurs) de collaborer de manière rigoureuse pour cartographier la complexité de l'événement.

 

2.1. Le concept de "matrice cognitive partagée"

La matrice n'est pas un simple répertoire de connaissances ou de procédures. Inspirée de l'ethnométhodologie, elle doit être comprise comme un ensemble de ressources et de méthodes d'analyse de second ordre, qui rendent les différentes rationalités locales mutuellement intelligibles. Elle ne dit pas quoi penser, mais fournit les outils pour comprendre comment les différents acteurs pensent et accomplissent leurs tâches. En ce sens, la matrice est un accomplissement pratique en soi : elle vise à produire un sens commun méthodologique là où il n'existe pas a priori. Elle est le lieu où les "faits" ne sont plus considérés comme des données brutes, mais où le travail de production de ces faits devient l'objet d'une analyse collective et transparente.

 

2.2. La "grammaire générative" des phénomènes anormaux

Au cœur de la matrice se trouve une "grammaire générative". Ce terme, emprunté à la linguistique mais redéfini ici dans un sens praxéologique, ne décrit pas des structures de langage profondes et universelles. Il désigne l'ensemble des méthodes pratiques (ethnomethods) que les acteurs (témoins, institutions, analystes) déploient de manière récurrente pour construire, narrer et gérer une anomalie. L'analyse PIT vise à identifier et à formaliser les "règles" de cette grammaire.

En maîtrisant cette grammaire, l'analyste peut non seulement déconstruire les cas passés, mais aussi anticiper la manière dont un nouveau phénomène sera probablement construit et géré par les différentes parties prenantes.

 

2.3. L'utilisation de scénarios-types comme outils d'analyse

La matrice cognitive partagée est peuplée de scénarios-types. Ces scénarios ne sont pas des prédictions, mais des modèles heuristiques qui décrivent des trajectoires récurrentes d'événements anormaux. Ils sont construits à partir de l'analyse de cas historiques (Roswell, Nimitz, etc.) et formalisent les enchaînements logiques typiques entre les différents acteurs et leurs rationalités.

En appliquant ces scénarios-types à un nouvel incident, l'analyste dispose d'une grille de lecture qui lui permet d'identifier rapidement les acteurs clés, d'anticiper les prochaines étapes du "jeu" communicationnel, et de repérer les déviations par rapport aux trajectoires connues, qui sont souvent les indicateurs les plus précieux de la singularité de l'événement en cours. La matrice ne donne pas la solution, mais elle rend la complexité intelligible et, par conséquent, gérable.


Partie 3 : La méthodologie d'intervention sur le terrain, le protocole opérationnel

Le Protocole d'Intégration Transdisciplinaire (PIT) n'est pas une théorie abstraite, mais une praxéologie conçue pour être déployée en contexte opérationnel. Il se décline en un protocole séquentiel et itératif en quatre phases. Chaque phase est conçue pour construire une couche de connaissance de plus en plus sophistiquée, en partant du contexte le plus large pour arriver à l'analyse la plus fine des interactions, avant de conclure par une synthèse de second ordre. L'objectif n'est pas de produire une "vérité" finale, mais de fournir au décideur une cartographie riche et rigoureuse de la complexité de la situation.

 

3.1. Phase 1 : L'immersion contextuelle (l'épochè)

La première phase du protocole est une rupture radicale avec les méthodes d'enquête traditionnelles qui se focalisent d'emblée sur le "problème". Elle impose à l'analyste un temps d'immersion et de suspension épistémique. Conformément au principe de l'épochè, l'analyste doit mettre entre parenthèses non seulement ses propres hypothèses, mais aussi la définition même de l'anomalie. L'objectif de cette phase est la saturation contextuelle, qui consiste à reconstituer avec la plus grande finesse possible l'écologie dans laquelle l'événement a émergé.

Cette saturation doit couvrir au moins quatre domaines :

Ce n'est qu'en maîtrisant ce "fond" contextuel, ces évidences invisibles qui structurent le quotidien des acteurs (ce que l'ethnométhodologie nomme les background expectancies), que l'analyste pourra, dans les phases suivantes, comprendre la signification de leurs actions et de leurs récits.

 

3.2. Phase 2 : L'enquête ethno-phénoménologique

Cette seconde phase se concentre sur la collecte et l'analyse des récits des acteurs directement impliqués. Elle est qualifiée d'ethno-phénoménologique car elle poursuit un double objectif :

 

3.3. Phase 3 : La cartographie des rationalités locales

Une fois les récits collectés et analysés dans leur dimension praxéologique, la troisième phase consiste à les organiser en cartographiant les différentes rationalités locales à l'œuvre. L'analyste identifie les différentes "ethnocultures" présentes dans la situation (par exemple, la culture des opérateurs radar, celle des pilotes, celle des analystes du renseignement, celle des responsables politiques) et modélise la logique interne propre à chacune.

Cette cartographie des rationalités permet de transformer un ensemble de contradictions apparentes en un système de tensions logiques et compréhensibles.

 

3.4. Phase 4 : La méta-analyse réflexive et la production de la synthèse

La phase finale est celle de la synthèse de second ordre. L'analyste prend du recul par rapport à sa propre enquête pour produire le livrable final, qui n'est pas une conclusion unique, mais une "cartographie de la complexité" destinée au décideur.

Cette cartographie doit inclure :

Le but de cette synthèse n'est pas de fournir une "réponse", mais d'offrir au décideur une compréhension profonde et nuancée de la situation, lui permettant de prendre une décision éclairée non pas sur la base d'une certitude illusoire, mais sur la base d'une maîtrise de l'incertitude.


Partie 4 : L'exploitation des données, principes d'interprétation transdisciplinaire

L'aboutissement du Protocole d'Intégration Transdisciplinaire (PIT) réside dans sa capacité à transformer un ensemble de données hétérogènes, ambiguës et souvent contradictoires en une synthèse intelligible et opérationnelle pour le décideur. Cette quatrième partie détaille les principes qui gouvernent cette phase cruciale d'exploitation. Il ne s'agit pas d'un ensemble de techniques d'analyse de contenu, mais d'une praxéologie de l'interprétation, une discipline de second ordre qui prend pour objet non pas les "faits", mais le processus de leur construction.

 

4.1. Redéfinition de la "donnée" : de l'artefact à l'accomplissement

Dans le cadre du PIT, une "donnée" (un témoignage, une trace radar, un rapport) n'est jamais considérée comme un artefact neutre ou un reflet transparent de la réalité. Conformément à la méthodologie du concret de Garfinkel, chaque donnée est d'abord et avant tout la trace d'un accomplissement pratique.

L'exploitation des données ne consiste donc pas à les "croire" ou à les "réfuter", mais à analyser le travail (work) qui a été nécessaire à leur production.

 

4.2. Les trois niveaux de l'interprétation transdisciplinaire

L'analyste PIT déploie trois niveaux d'interprétation successifs et complémentaires pour passer des accomplissements individuels à une compréhension systémique.

 

4.3. Le produit final : du méta-récit à la décision éclairée

L'exploitation des données selon le PIT n'aboutit pas à une conclusion unique et définitive. Elle produit une synthèse de second ordre qui se décline en deux livrables :

En fin de compte, l'exploitation des données selon le PIT est une discipline qui transforme l'analyste en un architecte de la complexité, capable de fournir au décideur non pas la certitude, mais la lucidité nécessaire pour naviguer en contexte d'incertitude radicale.