Objectif du module : transformer la cacophonie potentielle d'une enquête de terrain en une synergie cognitive. Fournir un langage commun et une méthodologie partagée à une équipe hétérogène (scientifiques, enquêteurs de terrain, psychologues, spécialistes techniques, témoins profanes) afin de maximiser la collecte de données de haute fidélité tout en minimisant les conflits interpersonnels et les biais de contamination.
Partie 1 : le problème, la fragmentation des réalités sur le terrain
Lorsqu'une anomalie est signalée, de multiples acteurs convergent, chacun avec son propre langage, ses propres objectifs et sa propre définition de la "réalité" :
Le témoin (le "profane expert") : Possède l'accès exclusif à l'expérience vécue (le Noyau Phénoménal). Son objectif est de rendre son expérience intelligible et d'être cru. Son langage est souvent analogique et émotionnel.
L'enquêteur de terrain : Est le premier "traducteur". Son objectif est de sécuriser la scène, de recueillir un récit cohérent et de collecter des preuves. Son langage est procédural.
Le scientifique (physicien, biologiste...) : Cherche des données quantifiables et des traces matérielles. Son objectif est de tester des hypothèses physiques. Son langage est mathématique et formel.
Le psychologue / sociologue : Évalue l'état du témoin et le contexte socioculturel. Son objectif est de comprendre la dynamique humaine. Son langage est clinique ou analytique.
Sans un cadre unificateur, ce n'est pas une collaboration, c'est une collision. Les conflits ne naissent pas de la mauvaise volonté, mais de l'incompatibilité des systèmes d'exploitation cognitifs. Chaque acteur tente de "réduire" l'événement à son propre domaine d'expertise, détruisant ainsi la richesse holistique du phénomène.
Partie 2 : la solution, le modèle socio-cognitif comme matrice cognitive partagée
Le modèle (dérivé du SCAR-AP) ne sert pas à "expliquer" l'OVNI. Il sert de plateforme d'opération et de traduction universelle pour l'équipe. Il fonctionne comme une partition musicale : chaque musicien a son instrument et sa partie, mais tous jouent la même œuvre en harmonie.
Comment le modèle agit comme une passerelle :
Validation des expertises : Le modèle légitime chaque rôle. Le témoin est désigné comme l'expert incontesté de sa propre expérience phénoménologique. Le scientifique est l'expert des mesures physiques. L'enquêteur est l'expert de la méthodologie de recueil de témoignage. Il n'y a plus de hiérarchie où la "science dure" domine le "ressenti", mais une répartition des compétences sur des couches de réalité différentes mais complémentaires.
Création de canaux de données distincts : Le modèle impose de séparer les flux d'information pour éviter la contamination. On ne mélange pas :
Canal 1 (Phénoménologique) : Le récit brut de l'expérience vécue, avec toutes ses "étrangetés".
Canal 2 (Comportemental/Psychologique) : L'analyse de l'état du témoin, ses réactions, son langage non-verbal.
Canal 3 (Physique/Technique) : Les données des capteurs, les analyses de sol, les traces radar.
Canal 4 (Ethnométhodologique) : Le "journal de bord" de l'enquête elle-même. Comment les questions ont-elles été posées ? Comment le témoin a-t-il lutté pour trouver ses mots ?
En dissociant ces canaux, on empêche le physicien de dire au témoin "c'est impossible", et on empêche l'enquêteur de traduire prématurément "une lumière bizarre" en "vaisseau extraterrestre".
Partie 3 : la méthodologie d'intervention sur le terrain, le protocole opérationnel
Pour limiter les conflits et les difficultés opérationnelles, la méthodologie doit être séquentielle, modulaire et centrée sur la préservation de l'information.
Phase 1 : L'interface primaire (le "sas cognitif")
Action : Le premier contact avec le témoin est exclusivement géré par un enquêteur formé aux techniques de l'entretien cognitif et à l'ethnométhodologie. Aucun autre expert n'est présent.
Objectif : Obtenir le récit le plus pur possible (Canal 1), en se concentrant non pas sur "ce qui s'est passé", mais sur "comment le témoin a vécu ce qui s'est passé". L'enquêteur ne juge pas, ne questionne pas la plausibilité. Il est un "miroir" phénoménologique. Il documente également le processus de narration lui-même (Canal 4).
Résultat : Évite l'intimidation du témoin par un parterre de spécialistes et empêche la contamination précoce du récit par les questions orientées des experts.
Phase 2 : L'intervention segmentée (les "modules spécialistes")
Action : Sur la base du premier rapport, les spécialistes sont appelés à intervenir sur des mandats précis et délimités.
Objectif : Le physicien est envoyé pour mesurer le champ magnétique sur une zone précise, pas pour interviewer la famille. Le psychologue conduit un entretien clinique dans un cadre contrôlé, pas sur la scène de l'événement. Chaque expert remplit sa mission dans son domaine, sans déborder sur les autres.
Résultat : Réduit les "guerres de territoire". L'expertise de chacun est utilisée de manière chirurgicale, là où elle est la plus pertinente.
Phase 3 : La synchronisation (l'atelier d'analyse intégrée)
Action : Tous les acteurs (y compris le témoin, si possible et pertinent) sont réunis dans un atelier post-intervention.
Objectif : Mettre en commun les données des différents canaux (1, 2, 3, 4) en utilisant le modèle comme grille de lecture. C'est ici que l'on cherche les corrélations et les dissonances. Exemple : Le témoin rapporte une sensation de "temps suspendu" (Canal 1). Les données de son téléphone portable montrent-elles une désynchronisation anormale ? (Canal 3). L'analyse de son récit montre-t-elle des marqueurs linguistiques typiques d'un état de conscience altérée ? (Canal 4).
Résultat : Le conflit potentiel est transformé en un processus de résolution de problème collectif. La discussion n'est plus "qui a raison ?", mais "comment nos différentes pièces du puzzle s'assemblent-elles pour former une image cohérente ?".
Partie 4 : L'exploitation des données, principes d'interprétation transdisciplinaire
L'interprétation finale doit être un acte d'humilité épistémologique, reconnaissant les limites de chaque discipline et les pièges de la cognition humaine.
Principe de triangulation : Aucune conclusion ne doit reposer sur un seul canal de données. Une affirmation extraordinaire (ex: "un objet matériel était présent") doit être étayée à la fois par le témoignage (Canal 1), des données physiques (Canal 3) et une absence d'explication psychologique évidente (Canal 2).
Principe de la cartographie des biais (la réflexivité active) : L'analyse doit inclure un chapitre obligatoire sur les biais potentiels de l'équipe elle-même.
Biais de confirmation : Avons-nous cherché activement des données qui contredisent notre hypothèse favorite ? (Mise en place d'une équipe "avocat du diable" ou "Red Team").
Biais d'expertise : Le physicien a-t-il tendance à rejeter tout ce qui ne rentre pas dans les modèles connus ? Le psychologue a-t-il tendance à tout pathologiser ?
Biais culturel (contamination mémétique) : La description du témoin ressemble-t-elle étrangement à un film sorti récemment ? Le rapport de l'enquêteur utilise-t-il un jargon popularisé par des émissions de télévision ?
Principe de la conclusion graduée : Le rapport final ne doit pas conclure par "c'était un OVNI" ou "ce n'était rien". Il doit produire une synthèse multi-couches, présentant les certitudes et les incertitudes pour chaque canal.
Exemple de conclusion : "Nous validons avec un haut degré de confiance l'authenticité de l'expérience vécue par le témoin (Canal 1) et l'absence de pathologie psychologique (Canal 2). Les données physiques (Canal 3) sont anormales mais non-concluantes. Le processus d'enquête (Canal 4) a été mené avec une contamination minimale. L'événement reste donc classé comme 'Phénomène Aérospatial Non Identifié de type C', caractérisé par une forte composante phénoménologique et des traces physiques ambiguës."
En appliquant ce protocole, l'équipe ne se contente pas d'enquêter sur un phénomène ; elle devient elle-même un instrument scientifique collectif, calibré et conscient de ses propres limites, capable de produire une analyse d'une profondeur et d'une fiabilité radicalement supérieures.