Avertissement : Ce document est un support d'analyse interne. Les cas présentés ne sont pas analysés pour leur "véracité", mais comme des sites d'étude pour le déploiement de la praxéologie MOE. L'objectif est de tester et d'illustrer la puissance de la méthode sur des exemples concrets et complexes.
1. Principes généraux d'analyse MOE appliqués aux cas
Pour chaque cas, l'enquêteur MOE ne poserait pas la question "Que s'est-il réellement passé ?", mais plutôt une série de questions méthodologiques :
Comment les acteurs impliqués ont-ils accompli la tâche de décrire un événement ineffable ? (Analyse de la compétence locale).
Comment le récit initial a-t-il été transformé, réfracté et stabilisé en passant par différentes chaînes d'interaction (témoins -> enquêteurs -> médias -> culture) ? (Analyse de la réfraction contextuelle).
Comment les différentes "rationalités locales" (militaire, civile, scientifique, médiatique) ont-elles interagi pour co-construire la "réalité" finale du cas ? (Analyse des ethnocultures).
2. Études de cas
Thème I : Confrontations expertes et institutionnelles
Cas où l'anomalie est principalement observée et gérée par des acteurs experts et des institutions (militaires, agences de contrôle), mettant en lumière la confrontation des rationalités techniques et bureaucratiques.
1. L'incident du Nimitz (2004) : La rationalité locale des experts Ce cas, impliquant le groupe aéronaval de l'USS Nimitz, est un terrain d'étude privilégié pour le MOE car il est centré sur la rationalité locale d'experts (pilotes de chasse, opérateurs radar) confrontée à des phénomènes anormaux.
L'accomplissement de la description experte : Le MOE analyserait en détail le langage utilisé par les pilotes comme David Fravor et Alex Dietrich. Leurs descriptions ("It was just behaving in ways we couldn't explain") ne sont pas de simples constats, mais l'accomplissement d'une tâche complexe : décrire un événement qui viole leur expertise tout en préservant leur propre compétence d'observateurs hautement qualifiés. Le récit est construit pour montrer qu'ils ont épuisé toutes les explications conventionnelles propres à leur domaine, ce qui confère à l'anomalie son caractère irréductible.
La co-construction homme-machine : L'analyse porterait sur l'interaction cruciale entre les perceptions humaines (visuelles) et les données instrumentales (radar du SPY-1, ATFLIR). Le MOE ne traiterait pas les données radar comme des "faits objectifs", mais étudierait le travail pratique des opérateurs (comme Kevin Day) pour détecter, suivre, interpréter ces données, les corréler aux observations visuelles des pilotes et, finalement, les transformer en un "contact" intelligible mais anormal.
2. Incident du vol JAL1628 Japan Airlines (1986) : La confrontation de rationalités expertes Le cas du vol 1628 de Japan Air Lines est un exemple exceptionnel de la confrontation entre deux rationalités expertes : celle du pilotage et celle du contrôle aérien. L'analyse MOE se focaliserait sur le dialogue en temps réel entre ces deux mondes.
L'accomplissement du témoignage en direct : Le MOE analyserait la transcription des communications entre le commandant Terauchi et le contrôle aérien de la FAA. Le langage de Terauchi est un accomplissement pratique : il tente de décrire une expérience visuelle et radar anormale ("two ships", "very big") tout en maintenant sa posture de commandant de bord rationnel et en contrôle.
La rationalité du contrôle au sol : Le contrôleur aérien, de son côté, accomplit une autre tâche : maintenir la sécurité. Sa rationalité est basée sur ses propres instruments. Le MOE analyserait comment le contrôleur tente de faire correspondre le récit du pilote avec ses propres données ("I'm not receiving any primary returns"), créant une tension entre deux "réalités" expertes mais divergentes.
La réfraction par la rationalité administrative : L'enquête officielle de la FAA, qui a finalement classifié l'événement comme non identifié mais a aussi sanctionné le pilote, est un accomplissement de clôture institutionnelle. Le MOE analyserait comment le rapport final, tout en reconnaissant l'anomalie radar, accomplit la tâche de préserver l'autorité de l'institution.
3. L'incident de Malmstrom (1967) : L'interaction avec des systèmes stratégiques Ce cas, impliquant la désactivation de missiles nucléaires sur la base de Malmstrom, est un site d'étude pour la confrontation de rationalités au sein d'un environnement de haute sécurité.
La rationalité technique vs. la rationalité militaire : L'analyse MOE se focaliserait sur la tension entre la rationalité technique des ingénieurs et des équipes de maintenance, qui cherchent des causes de défaillance internes au système (pannes électriques, erreurs logicielles), et la rationalité militaire des officiers de lancement (comme Robert Salas) qui, par leur témoignage, lient ces défaillances à une cause externe anormale (la présence d'un OVNI).
L'accomplissement du secret-défense : Le MOE analyserait les procédures de debriefing et de classification de l'événement comme des accomplissements pratiques. L'ordre de signer des documents de non-divulgation n'est pas seulement un acte de dissimulation, mais une méthode pour redéfinir la réalité de l'événement : il cesse d'être une "observation anormale" pour devenir une "information classifiée", changeant ainsi radicalement de statut ontologique et social. Le "secret" est une manière de gérer ce qui ne peut être expliqué dans le cadre de la rationalité institutionnelle.
4. Les survols des centrales nucléaires (Fessenheim 2014, Golfech 2010) : La confrontation des rationalités étatiques Les survols de sites nucléaires français, notamment ceux de Fessenheim et Golfech, par des objets non identifiés (officiellement qualifiés de "drones") constituent un cas d'étude exceptionnel pour la confrontation de multiples rationalités étatiques et para-étatiques.
L'accomplissement de la normalisation : La communication gouvernementale et médiatique a rapidement accompli la tâche de normalisation en catégorisant les objets comme de simples "drones", probablement opérés par des activistes. Cette typification permet de ramener l'anomalie dans le champ du connu, du gérable et du pénalement répréhensible.
La rupture de la normalisation : Cette explication se heurte cependant à une rupture persistante : l'incapacité des forces de l'ordre à intercepter les objets ou à identifier les pilotes, et les témoignages rapportant des capacités de vol (vitesse, silence) semblant dépasser celles des drones commerciaux de l'époque. Le MOE analyserait cette tension comme un échec partiel de l'accomplissement de normalisation, créant une anomalie durable au cœur de l'appareil sécuritaire.
La confrontation des rationalités internes à l'État : Le MOE étudierait la divergence des logiques entre les différents acteurs : la rationalité de la gendarmerie (enquête de terrain, collecte de témoignages), la rationalité de la sécurité nucléaire (protection des sites sensibles), la rationalité militaire (défense de l'espace aérien) et la rationalité politique (communication publique, gestion de l'anxiété). Le "cas" n'est pas l'observation des drones, mais la manière dont l'appareil d'État a géré la friction entre ses propres composantes face à une anomalie.
5. Les vidéos du Pentagone (2017) : La production de la "preuve" médiatique et institutionnelle La divulgation des vidéos "NIMITZ", "GIMBAL" et "GOFAST" par le New York Times en 2017 marque un tournant. L'analyse MOE ne se porte pas sur les vidéos en tant que telles, mais sur l'événement social et médiatique de leur divulgation.
L'accomplissement de la légitimation : La publication par un média prestigieux (le NYT), accompagnée de témoignages d'acteurs institutionnels (comme Lue Elizondo), est un accomplissement pratique de légitimation. Le phénomène sort du champ de l'ufologie "amateur" pour entrer dans celui du débat public "sérieux" et de la sécurité nationale.
La co-construction du "fait" par l'interaction homme-technologie-narration : Les vidéos sont des sites d'étude parfaits pour le MOE. On y observe la co-construction de l'anomalie en temps réel : une donnée instrumentale (le point sur l'écran FLIR) est interprétée en direct par la rationalité experte des pilotes ("Look at that thing!", "It's rotating"). La vidéo n'est pas une "preuve" objective ; c'est l'enregistrement d'un processus de construction de sens en situation.
La gestion institutionnelle de la divulgation : La reconnaissance ultérieure par le Pentagone de l'authenticité des vidéos est un accomplissement bureaucratique complexe. En confirmant que les vidéos sont réelles mais que les objets sont "non identifiés", l'institution accomplit une double tâche : elle valide la crédibilité de son personnel et de sa technologie, tout en maintenant le phénomène dans une catégorie d'incertitude qui préserve le secret sur ses analyses et ses capacités réelles.
Thème II : Construction sociale et narrative
Cas où la dimension du témoignage, de la preuve physique et de la construction du récit sur le long terme sont prépondérantes.
6. La rencontre de Valensole (1965) : La production de la "preuve" physique Ce cas, centré sur le témoignage de Maurice Masse et les traces physiques laissées dans son champ de lavande, illustre parfaitement comment le MOE analyse la construction sociale de la preuve.
De la trace à la preuve : Une trace (un trou, une induration du sol, une végétation affectée) n'est pas une preuve en soi. Elle le devient par un travail d'investigation et de mise en récit. Le MOE analyserait comment les enquêteurs (gendarmes, ufologues) ont méthodiquement lié la trace au témoignage de Masse. Il étudierait comment les analyses biochimiques de la lavande ont été mobilisées pour accomplir l'objectivité de l'étrangeté, en transformant une observation locale en une "donnée scientifique". L'ensemble de ce travail (témoignage + trace + analyse) est ce qui accomplit pratiquement le "cas de Valensole" comme une "Rencontre Rapprochée du 2ème type", une catégorie ufologique qui confère un statut et une intelligibilité à l'événement.
7. L'affaire Travis Walton (1975) : La production d'un récit d'enlèvement Ce cas est emblématique des expériences psychologiquement complexes. Le MOE suspendrait tout jugement sur la "réalité" de l'enlèvement pour se concentrer sur le travail de narration.
La gestion de l'accountability : Le récit de Walton et de ses collègues est un accomplissement remarquable en termes de gestion de la crédibilité. Le MOE analyserait les stratégies mises en œuvre pour rendre le récit "comptable" : le retour de Walton, les tests au polygraphe, la cohérence des récits des bûcherons. Ces éléments ne sont pas des preuves, mais des méthodes pratiques pour défendre la rationalité des acteurs face à une histoire socialement "folle".
La méthode documentaire d'interprétation : L'analyse montrerait comment l'expérience de "temps manquant" et de souvenirs confus est traitée par Walton comme le "document" d'un schéma culturel disponible (l'"enlèvement par des extraterrestres"). Les détails de son expérience (salle d'opération, créatures) sont ensuite réinterprétés à la lumière de ce schéma, ce qui le rend à la fois plus cohérent et plus terrifiant.
8. L'incident de la forêt de Rendlesham (1980) : Divergence des perceptions et réfractions multiples Ce cas est remarquable par la multiplicité des témoins (militaires de l'USAF sur la base de Bentwaters) et la divergence de leurs récits sur plusieurs nuits. Une analyse MOE se concentrerait sur :
La gestion des contradictions : Le MOE analyserait les différences notables entre les témoignages (par exemple, entre le récit du Colonel Halt et celui de John Burroughs), non pas pour déterminer qui a "raison", mais pour comprendre comment chaque acteur a accompli sa propre version intelligible de l'événement. Ces divergences sont des données sur la nature subjective et contextuelle de la perception en situation de stress et d'anomalie.
La trajectoire des réfractions : Le cas est un exemple parfait de réfraction contextuelle. Le MOE tracerait la transformation du récit : depuis les enregistrements audio bruts du Colonel Halt pendant l'incident, en passant par son mémo officiel (le "Halt Memo"), jusqu'aux interviews et livres publiés des décennies plus tard. Chaque étape est une réfraction qui transforme le récit initial en fonction de nouvelles audiences et de nouveaux enjeux (justification, recherche de reconnaissance, etc.).
La production de la "donnée binaire" : L'épisode célèbre des "codes binaires" prétendument reçus par Jim Penniston est un accomplissement fascinant. Le MOE n'analyserait pas la validité du code, mais le travail pratique de Penniston pour produire cette "donnée dure" à partir d'une expérience tactile et visuelle confuse, transformant une expérience subjective en un artefact quasi-informatique et donc socialement plus "objectif".
9. Roswell (1947) : La construction d'un mythe fondateur Le cas Roswell est moins un "événement" qu'un processus de construction narrative et mémorielle qui s'étend sur plusieurs décennies. Une analyse MOE se concentrerait sur :
La production documentaire initiale : L'analyse ethnométhodologique du communiqué de presse initial de la base de Roswell ("RAAF Captures Flying Saucer") serait cruciale. Il ne serait pas lu comme une "preuve" ou une "erreur", mais comme un accomplissement pratique de la part d'une institution militaire tentant de rendre intelligible un événement anormal avec les catégories disponibles à l'époque ("disque volant", une expression alors toute neuve).
La réfraction par la rationalité institutionnelle : La rétractation rapide et la production d'une contre-narration ("ballon météo") est un exemple parfait de réparation de l'ordre social. Le MOE analyserait le travail pratique des militaires pour imposer une version "normale" et clore l'incident, démontrant la fonction de l'institution : réduire l'ambiguïté.
L'émergence des témoignages tardifs : L'analyse porterait sur la manière dont les témoignages des années 80 et 90 sont structurés, non pas pour vérifier leur "vérité", mais pour comprendre comment ils sont accomplis en tant que "révélations" crédibles, en mobilisant des figures d'autorité (militaires, fonctionnaires) et des détails techniques pour produire un effet de réel.
10. Phoenix (1997) : La gestion de la rupture de sens à grande échelle L'incident des "Lumières de Phoenix" est un cas d'école pour analyser la gestion d'une anomalie à l'échelle d'une métropole, impliquant une écologie informationnelle d'une complexité extrême.
La confrontation des rationalités locales : Le MOE cartographierait les logiques à l'œuvre : celle des citoyens (sens commun, rupture perceptive), celle des militaires (sécurité nationale, accomplissement de la normalisation via l'explication des "flares"), celle du politique (gestion de la panique par le ridicule, incarnée par la première conférence de presse du gouverneur Symington) et celle des médias (production d'un récit captivant).
La désinformation comme objet d'étude : Plutôt que de chercher la "vérité" entre l'objet en V et les fusées éclairantes, le MOE étudie la controverse elle-même. La désinformation (intentionnelle ou non) est analysée comme un processus observable de production d'incertitude, visant à paralyser l'analyse et à rendre toute conclusion définitive impossible.
La trajectoire d'un acteur-clé (Fife Symington) : Le changement de posture du gouverneur est un exemple parfait de changement de rationalité locale. En 1997, il accomplit le rôle de l'homme politique responsable de l'ordre public. Après son mandat, il accomplit celui du témoin expert et privilégié. Le MOE analyse ces deux postures non comme une contradiction psychologique, mais comme deux accomplissements sociaux cohérents dans deux contextes différents.
Thème III : Hyper-Anomalies et cas-limites
Cas où le degré d'étrangeté et la nature multimodale des phénomènes défient les cadres d'analyse conventionnels et mettent la praxéologie elle-même à l'épreuve.
11. L'Opération Prato (1977-1978) : La rationalité militaire face à l'hyper-anomalie Ce cas brésilien est unique car il représente une des seules enquêtes militaires officielles sur des phénomènes de haute étrangeté impliquant des effets physiques et psychologiques directs sur la population.
La confrontation de rationalités : L'analyse MOE se concentrerait sur la tension entre la rationalité de l'enquête militaire (collecte de preuves, interrogatoires) et la nature irréductiblement anormale des témoignages locaux décrivant des attaques par des rayons lumineux ("chupa-chupa").
L'accomplissement du secret : L'Opération Prato a été officiellement terminée sans conclusion. Le MOE analyserait cet acte de classification non pas comme une "dissimulation", mais comme un accomplissement bureaucratique logique pour une institution confrontée à des données qu'elle ne peut ni expliquer ni intégrer dans son cadre opérationnel.
La gestion des effets somatiques : Les médecins militaires impliqués ont dû gérer un problème concret : des citoyens blessés. Le MOE étudierait leurs rapports comme l'accomplissement d'une tâche médicale en contexte extraordinaire, cherchant à concilier leur rationalité clinique avec des causes rapportées qui la défient.
12. Skinwalker Ranch (Hyper-Anomalie) : La praxéologie face à l'incommensurable Le Skinwalker Ranch représente un cas-limite, qualifié d'hyper-anomalie, qui met à l'épreuve la méthodologie elle-même. Son caractère multimodal (physique, psychique, paranormal) et la divergence radicale des perceptions en font un laboratoire unique.
L'échec de la typification : Le MOE ne cherche pas à nommer le phénomène. Il étudie le travail de typification des acteurs comme une donnée en soi. Face à l'incommensurable, comment les scientifiques du NIDS, la famille Sherman ou les enquêteurs du Pentagone ont-ils pratiquement tenté de catégoriser l'étrange ?.
La contagion comme accomplissement social : Le "Hitchhiker Effect" (la "contagion" des phénomènes au domicile des enquêteurs) est un objet d'étude privilégié. Le MOE analyserait le travail social et narratif nécessaire pour qu'un acteur puisse lier de manière crédible (pour lui-même et pour son entourage) une anomalie sur le ranch à une expérience domestique, tout en se défendant d'une accusation de délire.
Vers une méta-analyse qualitative : Face à des données hétérogènes et contradictoires, le MOE rend possible une méta-analyse en se concentrant non pas sur les "faits", mais sur les invariants dans la réponse humaine. Il s'agit d'identifier les structures récurrentes dans la manière dont les humains tentent de donner du sens à une anomalie qui semble interagir directement avec leur conscience.