Introduction : l'ambition d'un nouveau paradigme
Ce document formalise la genèse, les principes et les potentialités du module opérationnel ethnométhodologique (MOE). Issu d'un dialogue transdisciplinaire exigeant, le MOE représente une rupture épistémologique avec les manières traditionnelles d'enquêter sur les phénomènes anormaux. Son ambition est de fournir un cadre d'analyse et d'action rigoureux, empiriquement fondé et applicable sur le terrain.
Ce rapport est conçu comme un support pédagogique. Chaque concept théorique sera "déplié" pour en révéler la logique interne, les origines et les implications pratiques. Des annotations, des analogies et des formules conceptuelles viendront éclairer le propos, afin de rendre ce paradigme, d'une grande densité théorique, pleinement intelligible et opérationnel pour le chercheur, l'analyste et le stratège.
Chapitre 1 : les fondements transdisciplinaires du MOE
Le MOE est l'extension méthodologique d'un modèle théorique que nous avons bâti, le MCEI (modèle cognitif énactif et incarné). Pour comprendre le MOE, il faut maîtriser les quatre piliers qui soutiennent l'ensemble de l'édifice.
1.1. Le pilier biologique : l'autopoïèse et la cognition incarnée
Annotation didactique n°1 : l'autopoïèse
Définition : concept forgé par les biologistes Humberto Maturana et Francisco Varela, l'autopoïèse (du grec auto, soi-même, et poiesis, production) décrit le vivant comme un système opérationnellement clos qui se produit et se maintient lui-même en permanence.
Analogie : imaginez une usine entièrement automatisée qui non seulement fabrique des produits, mais fabrique et répare aussi les machines qui la composent, en utilisant les matières premières de son environnement, sans suivre de plan directeur extérieur. L'usine existe pour continuer à exister.
Formule conceptuelle :
Sorg(t+1) = Op[Sétat(t) ○ P(t)]
Où l'organisation du Système (Sorg) au temps t+1 est le résultat de ses propres opérations internes (op) appliquées à son état précédent (Sétat) en interaction avec une perturbation (p). La perturbation ne dicte pas le résultat ; elle ne fait que déclencher une réorganisation interne.
Ce pilier nous apprend que le témoin d'une anomalie n'est pas une caméra qui enregistre passivement une information externe. C'est un système vivant qui, face à une perturbation qu'il ne peut assimiler, doit créer une nouvelle configuration interne pour maintenir sa cohérence. L'expérience vécue est cette nouvelle configuration.
1.2. Le pilier cognitif : l'énaction
Annotation didactique n°2 : l'énaction
Définition : théorisée par Varela, Thompson et Rosch, l'énaction postule que la cognition n'est pas une représentation d'un monde préexistant, mais une action incarnée (embodied) qui fait-émerger un monde pertinent pour l'organisme.
Analogie : un non-voyant qui explore une pièce avec une canne. Le "monde" de la pièce (ses obstacles, ses textures) n'est pas une image dans sa tête ; il émerge de l'action même de sonder l'environnement avec la canne. La perception et l'action sont indissociables.
Formule conceptuelle :
Cognition ≡ Actionguidée-par-perception
La cognition n'est pas `Perception → Modèle interne → Action`. La cognition est l'action couplée à la perception.
Ce pilier nous enseigne que le témoin ne "voit" pas un OVNI pour ensuite "réagir". L'acte de voir, de comprendre et de réagir est un seul et même processus : un acte énactif qui tente de faire-émerger un monde où l'expérience anormale peut prendre sens.
1.3. Le pilier social : la pragmatique de Palo Alto
Annotation didactique n°3 : la tentative de solution paradoxale
Définition : concept central de l'école de Palo Alto (Watzlawick, Bateson), il stipule que la persistance d'un problème est souvent due aux efforts mêmes déployés pour le résoudre.
Analogie : une personne qui a peur de rougir en public. Sa tentative de solution ("il ne faut surtout pas que je rougisse") augmente son anxiété, ce qui la fait rougir encore plus. La "solution" devient le moteur du problème.
Formule conceptuelle :
P → TS(P) → P' → TS(P') → P''...
Le problème `p` mène à une tentative de solution `ts(p)` qui aggrave le problème en `p'`, ce qui incite à appliquer encore plus de la même solution, créant une boucle pathologique.
Ce pilier nous montre que la controverse ufologique est un système auto-entretenu. Le témoignage (tentative de solution pour le témoin), l'enquête (tentative de solution pour l'institution) et la réfutation (tentative de solution pour le sceptique) sont les interactions qui, ensemble, fabriquent et maintiennent le "mystère" qu'elles prétendent résoudre.
1.4. Le pilier méthodologique : l'ethnométhodologie
Annotation didactique n°4 : l'ethnométhodologie
Définition : fondée par Harold Garfinkel, c'est l'étude empirique des méthodes de sens commun que les gens utilisent pour accomplir leurs activités quotidiennes et les rendre intelligibles.
Analogie : au lieu d'étudier le code de la route (les règles formelles), l'ethnométhodologue étudie comment les conducteurs, dans un embouteillage, utilisent des regards, des gestes de la main et des micro-ajustements pour négocier le passage de manière ordonnée, sans suivre de règle écrite.
Formule conceptuelle :
Action + Méthode(Accountability) = Ordre_Social
L'ordre social n'est pas une structure préexistante, mais l'accomplissement continu d'actions rendues comptables (accountable) par l'usage de méthodes de sens commun.
Ce pilier fournit l'outil de terrain, le MOE, pour analyser comment la "réalité" d'un cas d'OVNI est accomplie pratiquement par le travail de tous les acteurs.
Chapitre 2 : la boîte à outils du MOE en action
Le MOE est un protocole d'enquête concret. Voici ses outils principaux et leur mode d'emploi.
Outil 1 : l'analyse du travail (workplace analysis)
Objectif : décrire la "fabrique" de la preuve et des faits.
Mode d'emploi :
Identifier le "lieu de travail" : un bureau de gendarmerie, un laboratoire d'analyse, une salle de rédaction, le cockpit d'un avion de chasse.
Documenter les pratiques : observer et analyser les actions concrètes : comment un formulaire est-il rempli ? Comment une mesure est-elle prise ? Comment un rapport est-il rédigé et mis en page ?
Analyser la "chaîne de traduction" : suivre un "fait" de son origine (un écho radar ambigu) à sa forme finale (une ligne dans un rapport officiel), en notant toutes les transformations pratiques qu'il a subies.
Outil 2 : l'analyse de conversation (CA)
Objectif : révéler comment la réalité est co-construite dans le dialogue.
Mode d'emploi :
Transcription détaillée : transcrire un entretien (témoin-enquêteur, pilotes, etc.) en incluant les pauses, les hésitations, les intonations (selon la convention Jeffersonienne).
Analyse des séquences : isoler des paires adjacentes (question-réponse, affirmation-confirmation).
Focalisation sur les "formulations" : porter une attention particulière aux moments où un participant résume ou reformule le propos de l'autre ("donc, si je comprends bien..."). C'est à ce moment précis que la version "officielle" de l'histoire est activement négociée et fixée.
Outil 3 : l'analyse de la cognition comme pratique sociale
Objectif : analyser le témoignage comme une performance de crédibilité.
Mode d'emploi :
Identifier les attributions psychologiques : repérer tous les moments où le témoin parle de ses états internes ("j'ai paniqué", "j'ai pensé que c'était...", "j'ai réalisé que...").
Analyser leur fonction pragmatique : au lieu de prendre ces énoncés comme des descriptions d'états internes, analyser ce qu'ils accomplissent dans l'interaction. Dire "au début, j'ai pensé que c'était un hélicoptère" n'est pas un rapport sur une pensée passée ; c'est une méthode pratique pour se présenter maintenant, face à l'enquêteur, comme un individu rationnel qui a d'abord épuisé les hypothèses normales.
Chapitre 3 : potentialités présentes et futures du MOE
3.1. Potentialités présentes : révolutionner l'enquête sur l'anomalie
Le MOE permet de transformer radicalement l'étude des PAN :
Surmonter le secret : le secret militaire ou d'état n'est pas un obstacle, mais devient l'objet même de l'enquête : le MOE analyse le secret comme un travail observable de gestion de l'information.
Produire de la connaissance fiable : en se concentrant sur les pratiques observables, le MOE produit des données empiriques et vérifiables même lorsque le phénomène originel est insaisissable.
3.2. Potentialités futures : un outil pour l'anticipation stratégique
Le MOE est un puissant outil de simulation et de formation pour les organisations confrontées à l'incertitude radicale.
Scénario de simulation : "incident de type Malmstrom 2.0".
Rôles : décideurs politiques, militaires, responsables de la communication, experts scientifiques.
Injects : des données ambiguës et contradictoires arrivent en temps réel.
Analyse MOE en direct : un "contrôleur" formé au MOE analyse les interactions des participants. Il ne juge pas leurs décisions, mais leur montre en débriefing comment leurs "tentatives de solution" (communiquer trop vite, ne pas communiquer du tout, etc.) ont créé des boucles paradoxales, aggravant la crise.
Objectif pédagogique : apprendre aux décideurs à gérer non pas l'événement, mais le processus social de construction du sens qui en découle, afin de maintenir la confiance et la résilience organisationnelle.
Conclusion : vers une science de l'accomplissement pratique
L'élaboration du module opérationnel ethnométhodologique est l'aboutissement de notre dialogue. Il est la synthèse d'une trajectoire qui nous a menés de la critique des systèmes à la biologie, de la biologie à la cognition, et de la cognition à la pragmatique de l'action humaine.
Il propose de remplacer la quête métaphysique de la "vérité" d'un phénomène par l'enquête empirique, humble et rigoureuse, sur la prodigieuse machinerie par laquelle les êtres humains, qu'ils soient pilotes de chasse, bureaucrates ou simples témoins, accomplissent, moment après moment, le tissu fragile et miraculeux de la réalité.