Avertissement : Ce document se fonde sur l'analyse critique de modèles antérieurs pour proposer une architecture de recherche transdisciplinaire robuste, destinée à servir de référence pour l'étude de la conscience, de la réalité et de leurs crises. Il est conçu pour une audience académique interdisciplinaire (sciences sociales, cognitives, philosophie).
Résumé : ce rapport effectue une refondation paradigmatique de l'étude des anomalies à travers une analyse transdisciplinaire. Partant d'une analyse critique du modèle de l'« Ufosystémique », il développe d'abord le Modèle Cognitif Énactif et Incarné (MCEI), qui redéfinit l'anomalie non comme un objet externe, mais comme un phénomène de rupture de sens (PRS). Le rapport introduit ensuite une extension fondamentale : le Module Opérationnel Ethnométhodologique (MOE), une praxéologie détaillée qui dote le MCEI d'une boîte à outils concrète pour l'enquête de terrain. Cette praxéologie est fondée sur une axiologie rigoureuse et une synthèse interdisciplinaire reliant la biologie de l'autonomie, la cognition énactive, la dynamique sociale et l'ethnométhodologie. Le rapport final détaille cette architecture à deux niveaux (théorique et praxéologique), démontre sa supériorité sur les approches précédentes et ouvre de nouvelles pistes de recherche pour une science de la construction de la réalité face à l'inconnaissable.
Introduction
L'étude des phénomènes anormaux, et en particulier du phénomène OVNI, se heurte à une difficulté fondamentale : l'inadéquation des cadres d'analyse traditionnels face à des événements qui se situent aux limites de l'expérience et de la description. Le modèle de l'« ufosystemique » a représenté une tentative notable de rationaliser ce champ d'étude en le cartographiant comme un système d'interactions sociales. Cependant, cette approche, bien que nécessaire, reste à la surface des processus cognitifs et pratiques qui sous-tendent la construction même du phénomène.
Ce rapport a pour objectif de présenter une architecture de recherche complète, qui ne se contente pas de proposer une nouvelle théorie, mais qui en détaille également la mise en application. Il se structure en deux temps majeurs :
La présentation du Modèle Cognitif Énactif et Incarné (MCEI), un cadre théorique qui redéfinit l'anomalie comme une rupture dans le processus de construction de la réalité.
L'élaboration de son extension, le Module Opérationnel Ethnométhodologique (MOE), une praxéologie qui traduit les concepts du MCEI en une méthodologie d'enquête de terrain rigoureuse et reproductible.
En articulant systématiquement la théorie et la pratique, ce document vise à fonder une science transdisciplinaire de la manière dont l'intelligence humaine, individuelle et collective, construit, maintient et répare sa propre réalité lorsqu'elle est confrontée à ses limites.
Chapitre I : Analyse critique du modèle de l'« Ufosystémique »
Le modèle de l'« Ufosystémique » représente une avancée méthodologique notable dans l'étude des PAN. Son principal mérite est de formaliser un champ d'étude chaotique en le conceptualisant comme un réseau d'éléments en interaction : l'OVNI (stimulus), le témoin, l'environnement, l'enquêteur, les structures d'enquête et le rapport final. Il permet ainsi de cartographier la sociologie du traitement de l'information anormale. Cependant, une analyse plus profonde, informée par les sciences cognitives et l'épistémologie contemporaines, révèle ses limitations structurelles.
1. Le postulat d'un stimulus objectivable : le problème de la boîte noire Le modèle place à son origine une « boîte noire » nommée « OVNI », source d'un stimulus qui alimente le système. Cette posture, si elle est méthodologiquement commode, est épistémologiquement naïve. Elle suppose une séparation nette entre un phénomène-en-soi et le système qui le perçoit, occultant le fait que la nature même du "stimulus" est déjà une co-construction dépendante des catégories cognitives de l'observateur.
2. Une cybernétique de premier ordre : l'illusion de l'observateur externe L'« Ufosystémique » décrit un système observé. L'analyste, l'ufologue lui-même, se place implicitement à l'extérieur, dans une position d'objectivité. Or, comme l'a démontré la cybernétique de second ordre, toute observation d'un système modifie ce système, et toute description d'un système est avant tout une description des opérations cognitives de l'observateur. Le modèle systémique ne peut donc rendre compte de sa propre participation au jeu social qu'il prétend décrire.
3. La linéarité apparente d'un processus circulaire Le modèle présente un flux qui semble aller de l'événement au rapport. Il sous-estime la puissance des boucles de rétroaction. Comme le souligne l'analyse critique, la culture (science-fiction, mythes) ne fait pas que recevoir l'information ; elle la préforme. Elle fournit au témoin les catégories de perception qui vont structurer son expérience, laquelle sera ensuite traitée par un enquêteur lui-même influencé par ces mêmes catégories, produisant un rapport qui viendra renforcer le corpus culturel initial.
En conclusion, le modèle systémique est une excellente cartographie de la pathologie de la gestion de l'information, un exemple de « solution tentée » qui maintient le problème en place, comme l'ont théorisé Paul Watzlawick, John H. Weakland et Richard Fisch. Pour avancer, il faut opérer un changement de niveau : passer de la description du système à l'analyse de l'événement qui le déclenche, c'est-à-dire la rupture dans le consensus de réalité du sujet.
Chapitre II : Le Modèle Cognitif Énactif et Incarné (MCEI), architecture et concepts
Face aux apories du modèle précédent, nous avons élaboré un système cognitif qui déplace radicalement l'objet d'étude. Le MCEI ne demande pas « Qu'est-ce que l'OVNI ? », mais « Que se passe-t-il pour une conscience lorsqu'elle est confrontée à une impossibilité qui se donne comme une réalité ? ».
Le MCEI repose sur les fondements de la biologie de la cognition de Francisco Varela et Humberto Maturana. Son axiome central est que la cognition n'est pas une représentation d'un monde préexistant, mais une énaction : un « faire-émerger » un monde de signification à travers l'activité d'un système autonome en couplage avec son environnement. Notre réalité est un monde que nous énactons continuellement.
Concept analytique fondamental : la rupture autopoïétique Le concept clé du MCEI est celui de rupture autopoïétique. Un système vivant (et par extension, une conscience) est autopoïétique, comme défini par Maturana et Varela : il se produit et se maintient lui-même en permanence, conservant son identité. La rupture autopoïétique est un événement-perturbation si radical qu'il ne peut être intégré par le système. Il menace la clôture opérationnelle, la cohérence interne qui garantit l'identité. C'est une crise existentielle au niveau cognitif le plus fondamental, une dissolution du monde énacté.
L'architecture du MCEI : trois niveaux d'analyse
Niveau I : analyse autopoïétique (le « Qui »). Ce niveau analyse les acteurs (témoins, enquêteurs) comme des systèmes autopoïétiques cherchant à maintenir leur intégrité organisationnelle.
Niveau II : analyse énactive (le « Quoi »). Ce niveau se focalise sur le « monde » qui a été rompu. L'anomalie n'est pas un « objet », mais la perception d'une incohérence fondamentale entre l'action et la perception.
Niveau III : pratique neurophénoménologique (le « Comment »). C'est le cœur méthodologique du MCEI, visant à obtenir des descriptions fines de la micro-dynamique de l'expérience de la rupture.
Chapitre III : La praxéologie du module opérationnel ethnométhodologique (MOE)
Le MCEI fournit un cadre théorique puissant. Cependant, pour être pleinement opératoire, il nécessite une couche praxéologique. C'est le rôle du Module Opérationnel Ethnométhodologique (MOE).
A. Axiologie et fondements interdisciplinaires de la praxéologie MOE L'efficacité du MOE repose sur une axiologie claire et sur l'intégration de quatre piliers théoriques.
L'axiologie des 4 domaines du MOE
Le domaine de la pertinence contextuelle (Indexicalité).
Le domaine de la production observable de l'ordre (Accountability).
Le domaine de la co-construction (Réflexivité).
Le domaine de l'indifférence ethnométhodologique.
La praxéologie interdisciplinaire Chaque action du protocole MOE est éclairée par la convergence de quatre courants de pensée :
La biologie de l'autonomie (Maturana & Varela).
La cognition comme action (Varela, Thompson, Rosch).
La dynamique sociale (école de Palo Alto).
La méthodologie du concret, sciences des ethnométhodes (Garfinkel).
B. Guide conceptuel, protocole détaillé et étude de cas simulée (Cette section sera développée ultérieurement pour présenter le guide conceptuel, le protocole détaillé et l'étude de cas.)
Chapitre IV : Analyse comparative et nouvelles perspectives de recherche
La validation du MCEI/MOE passe par sa confrontation directe avec le modèle de l'« Ufosystémique ».
1. Comment le MCEI/MOE complète-t-il l'« Ufosystémique » ?
Le MCEI/MOE ne réfute pas la cartographie systémique ; il lui donne une profondeur et une explication. L'« Ufosystémique » décrit le « comment » social (les flux d'information), tandis que le MCEI/MOE explique le « pourquoi » cognitif et biologique, et le "comment" pratique.
2. Comment le MCEI/MOE améliore-t-il l'« Ufosystémique » ?
Résolution du paradoxe de l'observateur.
Accès à la source du phénomène.
Dépassement de la stérilité du débat.
3. Quelles nouvelles pistes de recherche le MCEI/MOE ouvre-t-il ?
De la morphologie des objets à la morphologie de la rupture.
Analyse des « solutions tentées » institutionnelles.
Recherche comparative interculturelle.
Laboratoire de la conscience.
Conclusion
Nous avons initié ce projet avec pour concevoir un système d'étude pour un phénomène marginal. Nous concluons avec une architecture qui place ce phénomène au cœur des questions les plus fondamentales sur la nature de la réalité et de la conscience. Le Modèle Cognitif Énactif et Incarné, complété par sa praxéologie MOE, est plus qu'un nouveau modèle pour l'ufologie ; c'est un manifeste pour une approche transdisciplinaire de l'expérience humaine. Il reconnaît que notre monde n'est pas un donné stable, mais un accomplissement fragile, une histoire que nous nous racontons pour maintenir notre propre existence.
Le phénomène OVNI, dans cette perspective, n'est pas un problème à résoudre, mais une opportunité à saisir. C'est une invitation à suspendre nos certitudes et à observer la manière dont nous construisons nos réalités. Le MCEI/MOE fournit les outils pour accepter cette invitation avec la rigueur, l'audace et l'humilité que requiert une telle exploration.
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