Elle se place en opposition aux compétences universelles, qui affirment pouvoir analyser un événement spécifique avec des grilles préétablies. Ceci alors qu'il s'agit d'une étude mettant en scène des personnes différentes et des cas qui ne peuvent être identiques. Si la notion de compétence existe, c'est qu'elle illustre un refus des théories par inductions.
Cela permet ainsi une ouverture sur un champ de possibilités qui ne risque pas d'être forclos par des présupposés, scientifiques ou non. Cela remet en question toute prétention d'objectivité qui handicape toute plasticité de la pensée.
D'un point de vue pragmatique, en tant qu'étudiant en ethnométhodologie, nous pouvons choisir le thème de notre sujet dans ce qui nous semble intéressant. Personne, dans ces conditions, ne peut s'arroger le droit de nous condamner. Chacun peut sans prétention s'exprimer. Si cela permet une économie d'induction, c'est également un instrument de liberté pour qui, dans d'autres circonstances, ne pourrait prendre la parole.
Yves LECERF décompose le mot "induction" en quatre sous-termes :
- l'induction explicitée, dont on signale qu'elle est une pure hypothèse
- l'induction référée au style indirect et daté.
- l'induction bornée qui propose des opérations suffisamment peu nombreuses, pour être vérifiables.
- l'induction suggérée, procédé consistant à répondre à une question posée en général, par une énumération de cas particuliers.
Il est aisé de constater qu'il est facile de céder à la tentation de l'induction, tant elle est utilisée fréquemment quotidiennement, d'une manière inconsciente ou non. Elle nous permet de cerner l'inconcevable. Par ailleurs, l'effet paradoxal de la volonté de ne pas se laisser influencer par la possibilité d'induction se retrouve dans le fait de suivre l'induction de ne pas suivre l'induction.
Je compare cela à l'injonction paradoxale, qui se retrouve dans le langage courant : "Sois naturel !"
Comment l'être, alors que cela est imposé comme une exigence. On ne peut être naturel d'une manière forcée, ou alors on fait celui qui est naturel, attitude qui est pour le moins artificielle.
A la fois, je suis séduite par les différents axiomes de l'ethnométhodologie, mais en même temps je me rend compte que si je devais les utiliser sans relâche, il faudrait que je me recompose une attitude me permettant de contrôler si je ne dévie pas à chaque instant de ces huit concepts. La part de spontanéité qui se retrouve dans le quotidien, n'en est-elle pas d'une certaine manière supprimée? Ainsi l'ethnométhodologie qui condamne les théories de l'absolu, ne peut elle-même en être une. En revanche, elle est utile pour ne pas tomber dans le piège de préceptes (à caractère prétendument scientifiques ou non) totalisants.
De plus, si je devais vérifier qu'à chacune de mes actions et de mes paroles, je ne dévie pas de ces huit axiomes, cela deviendrait une idée fixe, un des symptômes de la paranoïa que condamne l'ethnométhodologie.
Clément ROSSET avait une façon amusante d'expliquer la paranoïa, une manière simplifiée. Il décrivait une personne paranoïaque de la manière suivante :
- Première proposition: "Maman m'aime."
- Deuxième proposition: "Maman aime les confitures."
- Réaction du sujet paranoïaque: "Mais tu ne peux pas m'aimer, puisque tu aimes les confitures!"
Dans le modèle paranoïaque, il y a une toute-puissance de la personne qui se manifeste, alliée à un instinct de persécution.
Ne voit-on pas certains défenseurs de leur théorie user des arguments les plus étudiés possibles, afin de pouvoir prouver aux autres et à eux même qu'ils ont raison.
Il est fréquent que l'on ait l'impression de dire la vérité, parce qu'on dit ce qu'on pense. Robert JAULIN écrivait qu'il fallait se méfier du "terrorisme de la vérité."
Pour revendiquer une vérité absolue, il est nécessaire de se positionner dans un contexte où cette vérité aurait une essence divine et non humaine, puisque ce qui touche à l'être humain est par essence subjectif. Les fanatiques de religions diverses usent de cet argument qui ne supporte aucune objection, puisqu'ils sont frappés par une vérité transcendante, selon leur discours.
Ce n'est pas par hasard que je prends cet exemple. Je suis issue d'un couple franco-algérien et la majorité de ma famille vit en Algérie. Je suis affectivement touchée par les événements tragiques qui se déroulent dans ce pays, par la violence des islamistes qui tentent de prendre le pouvoir.
En ce qui concerne la compétence unique, je souligne que lorsque j'observais ce qu'il y avait autours de moi, dans la rue, ainsi que dans l'institution psychiatrique, j'étais dans un état modifié de conscience, dû à une absence de sommeil et à un jeune forcé. De ce fait, le regard que je portais sur le monde et mes actions ne peuvent être comparés à ceux relevant d'un état de perception ordinaire. Il n'en est pas pour autant plus faux, (ni plus juste), il est autre et je suis seule à pouvoir en rendre compte.