SIXIEME CHAPITREÉMERGENCE DE L'INDÉTERMINISME
L'introduction de la subjectivité
On considère habituellement que c'est la Mécanique Quantique qui a introduit la subjectivité, l'indétermination et le hasard en science. L'idée courante est que la physique classique impliquait une causalité et un déterminisme strict. Si la physique moderne tolère le hasard, il semble légitime de remettre en question le principe de causalité. Les concepts de causalité et de déterminisme paraissent liés de manière objective. On peut néanmoins soulever un problème : quelle est la nature du lien qui relie la cause et le déterminisme ? S'agit-il d'un lien logique ou subjectif ?
Nous avons vu que derrière la notion de cause se cachait une pluralité de signification. Si elle est une règle de grammaire mentale ou une juxtaposition d'événements, rien ne permet de justifier le déterminisme ou la prédiction à partir d'elle. Si on n'y voit, avec l'ethnométhodologie de Garfinkel, un mode de comportement, une règle de conduite (la plupart du temps admise tacitement), elle est subjective et, là encore, il n'y a pas de lien direct avec le déterminisme. La relation n'apparait que si on parle d'une causalité objective. Mais la structure logique de la relation causale : A • B, indique seulement que la cause est une condition suffisante. Rien n'indique que nous ayons la possibilité de déterminer toutes les conditions suffisantes et qu'on puisse à partir de là affirmer l'existence d'une cause globale nécessaire.
L'inutile déterminisme
Le déterminisme ne semble donc pas être contenu logiquement ou réellement dans la notion de cause et c'est abusivement que Michel Paty, par exemple, a pu parler de la mort de la causalité en raison de l'émergence du hasard.
Popper estime quant à lui que le déterminisme est un ajout inutile. Non seulement il admet que la mécanique quantique ne permet pas la prédiction, mais il affirme que la science classique n'est pas fondamentalement différente de la science actuelle. Il soutient une vision unitaire de la science et son propos n'est pas seulement historique.
Dans Of Clouds and Clocks, il oppose deux conceptions de la réalité celle qui tendrait à voir dans l'ensemble des phénomènes un désordre parfois troublé par une apparence d'ordre, c'est la vision météorologique ; et celle qui tend à voir dans l'ensemble des phénomènes un ordre rigoureux qui n'est pas toujours perceptible à cause de notre ignorance. Il développe ce point de vue dans L'Univers irrésolu et soutient que derrière une régularité apparente se dissimule une certaine contingence.
Le fatalisme
Popper prend soin de distinguer soigneusement le déterminisme scientifique et le déterminisme métaphysique. Le premier peut à la rigueur faire l'objet d'une réfutation tandis que le second n'est pas expérimentalement réfutable. On peut néanmoins s'étonner que Popper associe systématiquement déterminisme et prédiction. Pour attaquer le premier, il montre l'impossibilité de la seconde. Or ce qu'il critique ainsi est plutôt une vision fataliste ou providentielle du monde qu'une vision déterministe stricto sensu. On peut en effet soutenir de manière cohérente l'impossibilité d'une prédiction absolue (on l'a vu avec Cournot) et un déterminisme strict. Quand Popper démontre l'impossibilité pour un système, compte tenu du temps, de prédire sa propre évolution, il ne détruit pas, contrairement à ce qu'il pense, la possibilité d'un déterminisme scientifique, mais il réfute une vision fataliste du monde.
Des horloges dans les atomes
On peut soutenir comme le fait Franco Selleri que la mécanique quantique est une théorie incomplète. Il estime qu'on peut imaginer deux types de variables cachées :
Les mécanismes d'horlogerie proscrits par Popper au profit des météores refont surface au coeur des particules. Bien star, Selleri ne prétend pas que l'on puisse parvenir à des prédictions Laplaciennes en mécanique quantique mais il laisse entendre que le déterminisme n'est pas tout à fait incompatible avec la physique actuelle. Dans la préface qu'il a écrite pour le livre de Selleri, Popper indique indique qu'il partage l'essentiel des thèses qui y sont exposées. I1 veut dire qu'il se réjouit de l'effort accompli pour trouver une interprétation non subjective de la physique. Etant donné que pour lui la mécanique quantique n'est pas plus indéterministe que la physique classique, il n'a pas éprouvé le besoin de critiquer ce retour des horloges. En effet, les arguments en faveur de l'indéterminisme resteront valables si on revient à une définition locale des particules.Des variables associées à la structure interne des particules.<Par exemple:>, un collectif de neutrons se comporte alors comme un ensemble de bombes extérieurement idntiques, mais munies de dispositifs d'horlogerie les faisant exploser à des instants différents. Des variables associées à d'hypothétiques fluctuations du vide dans de petites régions entourant les particules. Un collectif de neutrons se comporte alors comme un ensemble de bateaux mal construits, sur la mer. Une vague un peu forte coule une partie d'entre eux et cela survient au hasard dans le temps (234). On peut conclure que la question du déterminisme est en réalité essentiellement métaphysique et que les tentatives popperiennes n'apporte aucun argument décisif étant donné l'amalgame qui est fait entre la prédiction et le déterminisme.
234 : F. Selleri, Le Grand débat de la théorie quantique, trad. de F. et P. Guéret, Flammarion, 1986.