INTERVIEW DE JEAN-CLAUDE VAN DAMME
(PREMIERE n° 269, année 1999)
[EPISODE 3] interview par Jean-Yves Katelan

Là, j'ai deux questions superconcrètes, c'est...
Superconcrètes ! [Il rigole franchement] T'es sympa comme mec ! Au passsage, il n'y a rien de concret. Tu sais pourquoi elles sont concrètes ? Je vais t'expliquer pourquoi elles sont concrètes avant même que tu ne me dises tes questions ! Parce qu'on crée une réalité et, dans notre réalité, on a inventé le temps : les 24 heures, les 365 jours par an...

Oui...
Ce qui est bien ! Comme ça, on sait que quand je traverse mon living-room et que je marche de ma cheminée jusqu'à la fenêtre, ca va prendre dix secondes. Mais en vérité, pour un oiseau, ça va prendre une seconde ! Et pour l'oxygène, ça prend zéro seconde !

Oui.
Alors on se crée un temps, ce qui est bien ! Comme ça, on sait ce qui se passe. On se crée des choses concrètes pour se protéger. Une maison est concrète, les briques sont concrètes. Si je suis marié avec cette femme pour la vie, J'aurai une vie concrète. SI mon ami me dit qu'il ne me trahira jamais, c'est une amitié concrète. Mais en vérité, de quel droit... peut-on se mettre dans une autre enveloppe, et la faire obéir à des lois que NOUS, on voudrait comme on les voudrait ? Tu vois ? Mais en vérité, les choses concrètes, oui, elles sont concrètes si on croit qu'elles sont concrètes ! Vas-y, donne moi la question !

Qu'avez toujours dans votre Frigidaire ?
Ah, ha, ha ! Ca, c'est concret pour mon estomac ! J'ai toujours du non fat milk ; du lait très très froid, glacé parce que quand j'ai faim, j'aime bien prendre des céréales. Qu'est-ce que j'ai encore... Des tas de choses... Ah ouais : J'ai toujours de la viande hachée, mais du turkey...

De la dinde...
De la dinde, parce que j'aime bien la mettre avec des petits oignons, le soir ; je cuis ça avec des tomates, des oignons, du garlic et ça fait de bonnes pasta bolognaises.

Ouais ! Ca sounds good !
Alors, tu veux quelque chose de pas concret dans mon frigidaire, et ce qui est concret aussi ?

Oui ?
De l'eau. L'eau, c'est quelque chose de concret mais pas concret. [Sur un ton de mélopée.] Parce que l'eau... peut me nourrir, maus aussi l'eau... peut me porter. Parce que l'eau... a des lois magiques. L'eau peut tenir des cargots dans la mer, des millers de tonnes d'acier... C'est quelque chose qui a beaucoup de dimensions, l'eau.

Qu'avez-vous comme voiture ?
Une Mercedes. Et pourquoi ? Je vais te dire... Premièrement, j'aime bien les voiture solides ; deuxièmement, elle est très belle, et troisièmement, elle ne me tombe jamais dans les mains. Ca t'as raison, c'est concret ; je la porte au garage tous les six mois.

Qu'aimeriez-vous qu'on dise de vous ?
Ecoute bien... [Un peu haletant.] Je peux pas me mettre à la place des gens et les forcer à dire ce que je voudrais qu'ils disent ! Ce que j'aimerais qu'on dise de moi... C'est une très très bonne question... C'est la meilleure ! Elle est très simple mais elle est très compliquée. Et en vérité... elle est simple si elle est simple... C'est le secret! Ecoute bien, écoute bien ce que tu m'as donné comme question ! C'est une des plus primordiales pour savoir ce qu'un acteur veut. Il y a beaucoup d'acteurs - et j'en viens à la réponse -, quatre vingt dix pour cent des acteurs sont acteurs parce qu'ils ont un problème d'insécurité ou d'affection sur eux-mêmes. J'étais là-dedans aussi. Et je te dis honnêtement, tu sais quoi ?

Non... ?
[Calme et déterminé.] J'ai vraiment plus rien à foutre de ce qu'on dit de moi... MAIS PAS de ce qu'on pense de moi... Parce que "dire" quelque chose, c'est très facile. Bon, OK, c'est une question qui est formidable, je vais prendre un peu de temps dessus, si je t'emmerde, tu me le dis.

Pas du tout.
OK. [A toute allure.] Entre dire et penser... OK, voilà ce qui se passe. [Plus posément.] Tu as une femme, des enfants, et tu sais que tu as une justice d'être avec elle parce que... elle a été fidèle avec toi sur les meilleurs et les plus mauvais moments de ta vie, OK ?

OK.
Tu marches dans la rue, et une femme sort, une autre femme. Qui est formidable, qui est belle, qui est formidable. Et tu as envie, tu as ENVIE de dire au monde entier, inculding yourself. "Qu'est-ce qu'elle est belle ! je sens quelque chose de vraiment très très beau avec elle !"... [Silence, puis désolé.] Mais tu peux pas le dire. Si tu le dis, tu vas mettre la merde dans ton ménage. Alors, entre ce qu'on dit et ce qu'on pense, il y a une grande différence. Alors, ce que je voudrais, c'est que les gens pensent ce qu'ils vont dire. Je ne veux pas qu'ils disent quelque chose de moi. Entre penser et dire, il y a un monde de différence. Et ils sont très près. [Il chantonne.] Une personne s'appelle "Dieu", et l'autre s'appelle "être humain". Et on est tous les deux la même chose au même niveau... mais "Dieu" voudrait qu'on pense la vérité sur nous même et pas ce qu'on dit... Tu comprends ce que je veux dire ? It's a paradigme, un "paradigme" comme on dit en français, je crois... Eh bien, je n'ai jamais fait une interview comme ça ! Je ne sais pas pourquoi...

J'espère que c'était pas désagréable ?
C'était super ! Tu as senti un sincérité en moi - je le sens, tu peux me dire ce que tu veux -, j'ai senti qu'il y avait une très très belle connexion et que t'es un mec supersympa, et peut-être pas sympa dans la vie, et moi aussi ! C'était un moment. Il n'y avait pas de temps entre l'interview, je ne sais pas combien de temps ça a duré, mais il y a avait un moment entre toi et moi et mettre ce moment sur papier... c'est très bien ! Tu sais pourquoi ? On va aider pas mal de gens, OK ?