LE DOPAGE DE DEMAIN ( Mel Vadeker, 1999)


Le futur athlète du millénaire est à mes pieds, drogué jusqu'à la plus petite parcelle, au plus profond de sa fibre charnelle, il ne reconnaît plus son corps. La lente dégradation a commencé dès le premier jour où il a fait ce pari insensé, le sacrifice de sa santé au bénéfice de la fortune et de la gloire, avec dans l’esprit la vague idée d’en payer le prix plus tard en espérant que cela en vaut la peine. Il pleure maintenant à genoux dans sa chambre d’hôpital car il vient d’apprendre que les molécules qu’il a ingéré étaient en fait une gamme de rétrovirus pour une thérapie visant à modifier son patrimoine génétique et faire de lui un être plus robuste, de fait plus endurant et plus performant.

Voilà donc le mystère de son succès, il a servi de cobaye à des recherches médicales secrètes.  Afin de faire la preuve de l’efficacité de l’amélioration de la condition physique pour  les situations à fortes contraintes, de stress intense et de compétition extrême. Pour cela on a soumis le corps de cet ignorant à la plus abominable manipulation.

On peut se demander à qui profite le crime ? Une réponse toute simple vient à l’esprit. Qui a intérêt à faire de l’homme un être capable de résister à une pression de sélection extrême, aux traumatismes et répétitions d’un entraînement éprouvant pour atteindre des niveaux d’excellences sportives jamais atteints jusque-là ? Qui a intérêt à faire de l’homme modifié, la base de l’emprise de la science sur le conditionnement et la modification du vivant ?

Cela me rappelle les recherches du projet Manhattan visant à construire une bombe atomique, des milliards investis pour la conquête et la maîtrise de l’atome. Nous sommes maintenant dans l’ère de la bombe biologique, la nouvelle boite de Pandore. Quiconque connaîtra les secrets du vivant pourra dicter sa loi au monde car il devient évident que ce siècle sera celui de l’apogée de la manipulation génétique au profit des groupes industriels toujours plus voraces et subordonnés au lobby militaro-industriel.

Oui, il s’agit bien de la nouvelle arme en devenir, la nouvelle croisade des laboratoires de recherches militaires à la pointe et en avance sur ce qui se fait dans le civil. Toujours dans le secret car la loi du plus fort est un but en soi, cette connaissance et ce savoir-faire ne se partage pas lorsqu’elle sert un but inavouable, faire de l’usage du savoir technique une assise à un totalitarisme économique et militaire.

J’espère que les nouveaux cobayes de la nouvelle ère industrielle se réveilleront et lutteront avec les mêmes armes pour empêcher la progression de la contamination du tissu vivant par cette manipulation orientée vers l’esclave corporel et l’emprise mentale. Les nouvelles formes de dopage arrivent. Je vous mets en garde, elles seront là pour la fabrique des futurs consommateurs asservis et dociles.

Le sport de demain si l’on n’y prend pas garde sera donc une arène où on exhibera des athlètes modifiés au niveau moléculaire, comme pour un défilé de bestiaux de la foire agricole. On s’extasiera alors devant la puissance et la docilité de cette nouvelle chaire prête à mourir sur l’autel de l’effort surhumain.

Ainsi nous voilà donc revenu à l’époque antique ou les gladiateurs combattaient pour un repos, un titre de gloire, la fortune et une chance d’allonger leur durée de vie. On va donc promettre à ces gladiateurs du futur une utopie en seringue, injectable pour faire de la condition physique un sacrifice économiquement utile à la société. Nous voilà revenu vers une nouvelle forme de sauvagerie scientifique, c’est la barbarie des intelligentsias au service de la folie guerrière et du profit à tout prix.

Une nouvelle dictature s’annonce, le danger est immense car il s’agit là de l’espérance humaine et de son évolution manipulée, étranglée, corrompue pour les siècles à venir. Si la résistance ne se réveille pas, dans quelques siècles nous aurons une humanité de lutte des classes génétiques. Au sommet de la pyramide sociale, ceux qui seraient améliorés génétiquement contrôlant des populations de drogués dociles, tous des êtres sans volonté propre compartimentés par l’élite dans une sous-humanité sous domination d’une autre humanité qui se proclamerait supérieure.

Cette dérive a déjà commencée, l’aliénation de l’espèce humaine en tant que population génétique diversifiée et en phase avec le milieu naturel. L’espace vital et le corps en devenir menacés par cette même société de consommation qui vise le bien être des consommateurs. Pouvons-nous encore faire un choix de société ? C’est la question que l’on est en droit de se poser.

Il est urgent d’intégrer une éthique d’un nouveau genre, plus radicale et de portée universelle, afin de conserver une liberté de choix quoi qu’il arrive et pour ne pas se laisser abuser par les mirages de la biotechnologie et de ses fausses promesses.

Le jour ou la science aura mis la puissance de la nature en bouteille nous aurons atteint les pires profondeurs de l’obscurantisme scientifique et ce jour se profile à l’horizon des nouvelles prouesses du génie génétique. Un mauvais génie qui se développe sans retenue et sans respect tant qu’il sert l’industrie de la guerre et de la consommation de masse. La bioéthique de demain devra être universellement reconnue et appliquée en toute circonstance, y compris dans les cénacles et les méandres des laboratoires secrets. Méfions-nous de la perversité et de la folie des prétendants aux biopouvoirs.