Art étrange et arts divinatoires. (Mel Vadeker, 1999)

J’ai perdu l’innocence des ignorants dès que j’ai mis le pied dans le terrain de l’exploration du soi. Rien de tel qu’une mauvaise divination pour faire de son esprit le refuge des croyances contradictoires et des doutes en puissance. La prescience est un talent qui peut se travailler comme le ferait un sportif qui s’entraîne dans la discipline en veillant à la progression régulière. Le danger d’un surentraînement se fait ressentir aisément dès que la disposition d’esprit du pratiquant faiblit et que la rigueur n’est plus au quotidien. J’ai connu les difficultés que ressentent les jeunes esprits dans la tourmente de la recherche mystique, les sens aux aguets prêt à se prêter au jeu des pratiques ésotériques pour un soupçon d’émotion. J’ai vu les voyants et les médiums au sommet de leurs compétences mais bloqués dans les limites de leur propre rationalité se prêtant à une pratique divinatoire sans voir au-delà de leur propre expérience.

Le meilleur sujet de recherche possible pour le mystique est justement la compréhension de la mécanique interne de la construction de la propre rationalité humaine et des outils qu’elle utilise pour se représenter le monde de l’extérieur du Soi. La difficulté étant de confondre la connaissance interne avec sa représentation au monde. L’expérience personnelle des états modifiés de conscience reste incommunicable, c’est l’expérience ontologique de la prise de conscience des forces internes qu’il faut ensuite représenter avec le langage d’une communauté qui s’échange des informations dans le réseau social d’une réalité collective reconstruite localement par chacun de nous.

C’est la difficulté première de faire voir aux autres une connaissance personnelle qui reste indicible et enracinée dans une expérience personnelle qui reste à la limite de ce que le langage permet de représenter. Il devient des lors impossible de comprendre vraiment ce qu’il se passe dans l’être en état de transe, dans cet état de la conscience qui permet de voir ces forces de la nature qui nous dépassent. Des forces de la vie qui dépasse de loin ce que peux supporter l’homme au quotidien mais qui touchent aussi bien les êtres en questionnement que les artistes soulevant les voiles de l’inconnaissable. Ces artistes jouant sur les styles de la représentation pour faire passer justement cette puissance de la vie qu’ils ont captée par leur sens internes, les sens de la conscience explorant ses propres origines et se dévoilant une connaissance intime.

Je ne suis pas de ces débutants qui vont sombrer facilement dans les pièges du romantisme et se perdre dans les excès de la sensation forte en errant dans une illusion masquant une vérité trop difficile à supporter. Le romantisme a lui seul est d’un faible secours, il s’agit en fait de pratiquer un art martial, celui qui permet d’utiliser la technique et l’instinct pour le développement de la personnalité et de ses potentialités. Si l’on reste dans la technique, on devient une sorte de robot, avec une marge d’improvisation réduite, le corps étant assujetti à des connaissances figées. Si l’on reste dans l’instinct, on devient une sorte d’animal incontrôlable qui finit par se perdre dans la fureur de sa propre puissance.

L’idéal est cette évidence qu’est la voie du milieu, utiliser la technique pour maîtriser l’instinct et orienter sa progression dans les limites raisonnables de ce que peut le corps, en ayant cette notion de liberté créatrice, une pensée en mouvement improvisant en situation évolutive malgré les contraintes. Utiliser ses compétences pour répondre aux agressions du monde extérieures et non pour se terrer dans un ermitage et vivre les replis du soi. Le piège de la dissociation avec le monde de la collectivité reste un danger très présent chez ceux pratiquant l’art étrange.

De la même façon que pour les arts martiaux, la voie du milieu permet de faire de la technique un outil de régulation de ses instincts. Il ne s’agit plus de choisir entre le romantisme et le rationalisme mais justement de s’appuyer sur la rigueur d’un rationalisme formant le noyau de base d’un système de croyances pour atteindre une rigueur et explorer les représentations romantiques du monde interne et externe. Il faut une discipline qui s’appuie sur la base d’une technique sans cesse remise en question sur le feu de l’expérimentation.