Killologie : une science pour transformer des êtres humains en tueurs.
30 aout 2006, planetnonviolence.org
 

Qu'est qu'il faut exactement pour tuer quelqu'un ?

Voici ce qu'un soldat américain du Texas Ouest de 21 ans, Steven Green décrit alors qu'il a tiré et tué un homme qui refusait de s'arrêter à un check point en Irak : « En fait c'était rien. Ici, tuer les gens c'est comme écraser une fourmi. Je veux dire, vous tuez quelqu'un, et c'est comme « bon, allons chercher une pizza », a –t-il dit au journal militaire Stars & Stripes.

« Je veux dire, je pensais que tuer quelqu'un serait une expérience qui changerait ma vie. Et puis je l'ai fait, et puis c'était comme « bon, et après ».

Ce soldat, a été tout récemment accusé et inculpé de viol d'une fillette irakienne de 14 ans, Abeer Qassim al-Janabi, violée à plusieurs reprises puis tuée, son corps incendié. Son père, sa mère sa sœur ont également été tués. Des actes barbares qui ont eu lieu le 12 mars dans un village proche de Bagdad, Mahmoudiya et qui, malheureusement, ne sont pas les seuls cas rapportés dans cette guerre d'occupation américaine en Irak.

En fait, le cerveau des êtres humains – sauf s'ils tombent dans la catégorie des psychopathes – est formaté à ne pas tuer d'autres êtres humains. Comme les serpents qui mordent à mort d'autres espèces mais se battant entre eux ne font que se terrasser, les humains dans la grande majorité des cas se refusent à recourir à l'homicide. Une démystification du darwinisme nihiliste qui voudrait que les humains naissent et vivent que pour s'entretuer dans le cadre d'une « sélection naturelle», visant à faire triompher la loi du plus fort.

C'est pourquoi ceux, institutions et individus à leur service, qui survivent, vivent, et profitent du « régne de la terreur » s'ingénient à trouver des méthodes pour inverser ces tendances pacifistes. Des camps militaires, en passant par les institutions policières et même certains clubs d'auto défense, tous sont continuellement à la recherche de nouvelles méthodes plus efficaces pour supprimer cette humaine aversion à tuer un autre être humain. Il s'agit en fait de reformater le cerveau de façon à ce qu'il réagisse automatiquement dans certaines situations pour tuer.

Ainsi les soldats américains s'entraînent-ils sur des cibles remplies de ketchup pour mimer la façon dont une balle touchant une tête d'homme la fait éclater et saigner. Des marches sont organisées avec des chants d'entraînement du type : « tuer, tuer, tuer ». Des simulations par le biais de jeux vidéo permettent à ceux qui réussissent leurs « tirs » de gagner des points. Il y a des centaines de techniques selon les experts qui permettent de reconditionner le cerveau humain.

Ces processus de reconditionnement constitue ce que l'on appelle la killologie.

« Une fois que les balles commencent à être tirées, la plupart des combattants arrêtent de penser en utilisant la partie frontale du cerveau ( cette partie du cerveau qui fait de nous des humains) et commencent à penser avec le cerveau moyen ( la partie primitive du cerveau qui est la même que celle d'un animal) selon le lieutenant colonel à la retraite Dave Grossman, un ancien ranger de l'armée Us, professeur de science militaire au collège militaire de West Point, et qui a inventé le mot killologie. « Dans des situations de conflits, cette utilisation du cerveau moyen primitif peut être constatée là où existe une puissante résistance à tuer quelqu'un de son espèce…C'est un mécanisme essentiel de survie qui empêche les espèces de s'auto détruire lors de conflits territoriaux et de rituels d'accouplements ».

Pour Grossman, la seule façon de réduire au silence le cerveau moyen c'est le conditionnement à la Pavlov.

Le besoin de trouver des nouvelles méthodes pour conditionner à tuer s'est fait sentir quand des chercheurs ont remarqué que la majorité de ceux qui avaient été entraînés à tuer en utilisant d'autres mécanismes, refusaient, en douce, de tuer.

Pendant la seconde guerre mondiale, alors que des soldats américains étaient en position de tuer des combattants ennemis, seulement 1 sur 5 tirait, selon une étude controversée et qui a fait sensation, celle de l'historien de l'armée le brigadier général S.LA Marshall. Ce n'était pas par lâcheté, au contraire, car ils s'acquittaient de missions très périlleuses, notamment celles de courir sur des champs de bataille pour sauver leurs compagnons d'armes, se plaçant parfois dans des situations où ils risquaient leur vie en refusant de tirer. Ainsi, au moment de tirer, ils ne pouvaient pas le faire.

Bien que certains chercheurs aient mis en doute sa méthodologie, d'autres ont conclu comme lui que « la peur de tuer plutôt que celle d'être tué était la raison la plus habituelle des échecs individuels sur les champs de bataille ».

Grossman, en remontant plus loin dans l'histoire des Etats-Unis a noté : « l'Encyclopédie des Collectionneurs de la Guerre Civile » fait mention de fusils retrouvés après la bataille de Gettysburg dont 90% étaient encore chargés, et 50% de plusieurs coups. Cela veut dire que, étant donné que dans ce genre de combats, les soldats passaient 95% de leur temps à charger leur fusil et 5% à tirer, tant de fusils chargés prouvent que les soldats passaient leur temps à faire comme s'il les chargeaient, pour faire en sorte de ne pas se faire remarquer de leurs compagnons d'armes.

Des psychologues qui conseillent l'armée et les services de police aux Us ont commencé à faire pression pour que des changements soient faits pour révolutionner l'entraînement pour améliorer le taux de « tuerie ». Leurs méthodes – familières à ceux qui font fonctionner des camps d'entraînement militaires, policiers et d'auto défense agressive – restent mystérieuses pour le monde extérieur mais, elles marchent paraît-il.

Le Pentagon a amélioré les taux de réussite aux tirs. Selon certaines études, lors de la guerre de Corée, 55% des soldats Us tiraient sur les combattants ennemis, dans la guerre du Vietnam, le taux avait atteint les 90%. L'un des changements radical cela a été d'arrêter d'entraîner au tir à distance dans l'œil d'un taureau. Aujourd'hui, les « apprentis tueurs » s'entraînent dans des situations simulées proches de la réalité et selon des méthodes qui seraient instantanément reconnues par Pavlov et B.F Skinner comme celles de modifications comportementales. Les cibles ont des formes humaines qui apparaissent à l'improviste, avec des visages fait de polyuréthane fixés sur des ballons gonflables en forme de corps vêtus d'uniformes. Celui qui s'entraîne apprend à détecter la cible et à tirer presque d'instinct, et il est récompensé par des points, des badges et des jours de repos. Pratiqués de façon répétitive, ces « exercices de tuerie » construisent une mémoire musculaire et habitue le cerveau à tuer.

Mais la plupart des apprentis tueurs ont derrière eux des années d'entraînement moral renforçant le commandement « tu ne tueras pas ». Le supprimer est l'un des défis de la killologie.

Certaines méthodes d'entraînement se concentrent sur la tuerie utilisant des justificatifs rationnels comme : il faut éliminer l'ennemi parce qu'il « menace le style de vie américain » ou « mène un combat contre la liberté » ou simplement « essaie de tuer des personnes innocentes ». Mais l'objectif principal de ces nombreux programmes c'est de rendre la tuerie plus acceptable – même socialement acceptable et désirable.

L'utilisation d'un langage sanguinaire du genre « tu veux lui arracher les yeux, déchiqueter sa machine à faire l'amour, tu veux le détruire… tu veux le renvoyer chez lui, à sa mère, dans un sac plastique », ce type de langage aide à « désensibiliser les soldats à la souffrance de l'ennemi » et en même temps ils sont endoctrinés de la manière la plus explicite qu'il soit, comme ne l'étaient pas les générations précédentes de soldats. Ce qu'on leur demande ce n'est pas seulement « d'être brave et de bien se battre », mais aussi de «tuer des personnes » selon un historien militaire Gwynne Dyer dans son livre « la guerre : une coutume létale ».

Une autre technique c'est de créer une distance physique et émotionnelle entre le tueur et la cible en développant ce sens du « nous » contre « eux ». Alors que la distance physique peut être établie à l'aide de bombes, de lanceurs de roquettes, et même d'équipements de vision nocturne réduisant les êtres humains à ne plus être que des ombres vertes furtives, construire une distance émotionnelle se fait souvent en désignant les cibles selon des catégories différentes à cause de leur race, leur ethnicité, ou leur religion. L'armée fait tout ce qu'il est possible de faire pour nier l'humanité des soldats ennemis combattants, et répugne à rappeler des évènements tels ceux du Noël 1914, où des soldats allemands et britanniques s'étaient retrouvés dans les tranchées lors d'une trêve à leur initiative pour partager bonbons et cigarettes et aussi pour jouer une partie de foot.

Dans son autobiographie un marine tireur d'élite Jack Coughlin écrit d'Irak : « jusqu'à maintenant dans cette guerre, j'ai tiré 6 fois et j'ai tué 6 personnes – exactement le bon taux. Je considérais les soldats irakiens, mal entraînés, comme des hamburgers dans mon télescope, me suppliant de les tuer, et j'étais plus que prêt à exaucer leurs vœux. »

La dynamique sociale joue aussi un rôle prépondérant dans la vie des tueurs, leurs liens de camaraderie avec les autres tueurs par exemple. Certaines études montrent que leur plus grande peur sur un champ de bataille ou sous le feu ce n'est pas de mourir mais de laisser tomber leurs potes – une motivation importante pour tuer.

Et puis finalement, ces institutions que sont l'armée et la police fonctionnent à partir de règles strictes que les autorités supérieures doivent faire appliqués. Tuer est un ordre auquel on doit obéir. Selon une expérience célèbre conduite par le professeur Stanley Milgram d'Harvard 2/3 des gens seraient prêts à infliger des décharges électriques à d'autres allant jusqu'à 450 volts, soit une décharge mortelle, simplement parce qu'une autorité scientifique leurs a donné l'ordre de le faire.

L'impact socio psychologique négatif de ce genre d'entraînement, une fois la personne retournée à la vie civile n'est plus à démontrer. Aux Etats Unis par exemple, des milliers de vétérans, incapables de se réinsérer dans la vie civile, finissent comme SDF. Certains soldats israéliens, une fois leur service terminé, comme échappatoire, partent en Inde pour oublier, dans les fumées des drogues, les crimes qu'ils ont commis dans les territoires occupés palestiniens.

L'humain n'est pas fait pour tuer ses semblables.

Conditionner à le faire, une fois qu'il se retrouve seul face à sa conscience, c'est la fuite en avant vers l'auto destruction.

Source de certaines informations : un article du journaliste Vikki Haddok du San Francisco Chronicle www.sfgate.com du 13 aout 2006 intitulé « The science of creating killers. Human reluctance to take a life can be reversed through training in the method known as killology”

Sources documentaires :