QUI SURVEILLERA CEUX QUI SURVEILLENT ?

PAR RICHARD M. STALLMAN

Qui surveillera ceux qui surveillent ? la question fut posée la première fois en latin, mais reste tout aussi importante qu'il y a 2000 ans. Le pouvoir doit être maintenu sous contrôle, comme le savaient les fondateurs de notre pays lorsqu'ils créèrent un système de contrôle et d'équilible dans la constitution des Etats-Unis. Toute agence qui a le pouvoir de nous protéger d'ennemis a aussi le pouvoir de nous nuire gravement.

La police doit être en mesure de perquisitionner pour trouver des preuves en vue d'attraper des terroristes ou d'autres criminels. Mais lorsque les policiers peuvent avoir accès à des information nous concernant trop facilement, ils abusent fréquemment de leur pouvoir [1]. Il est vital de protéger les citoyens des intrusions de la police. Aux Etats-Unis, nous le faisons en imposant à la police d'aller auprès de la justice pour obtenir un mandat de perquisition.

Aujourd'hui les forces de sécurité veulent être autorisées à saisir des informations relatives aux achats par carte de crédit sur internet sans ordre légal, à enregistrer quelles URL vous consulter sans ordre légal, ce qui peut leur donner des informations telles que les titres des livres que vous avez acheté. Il n'y aura aucune difficulté à obtenir d'une cour un mandat de perquisition lorsqu'il y aura une preuve crédible de complot terroriste, de sorte qu'il pourront enquêter sur des terroristes sans avoir à changer cela. Chaque fois que la police demande à passer outre l'obtention de mandats de perquisition, nous devons être sur nos gardes.

Nous dépendons du FBI pour enquêter sur les terroristes, mai sur qui d'autre va-t-il enquêter ? Probablement toute opposition politique réelle, puisque le FBI a une vieille tradition d'enquêtes sur les dissidents uniquement fondée sur leurs opinions politiques. Le téléphone de Martin Luyher King Jr était sur écoute ; son engagement à vie dans la non-violence n'était apparemment pas suffisant pour le considérer comme non-menaçant. Plus récemment John Gilmore, fondateur de la Electronic Frontier Foundation, fut traité par le FBI comme un criminel suspect sur la base d'aucune preuve si ce n'est ses opinions politiques.

Les terroristes montent des organisations pour assurer leurs activités ou collecter de l'argent, et il est logique de poursuivre ces organisations et d'interdire d'y faire toute contribution. Mais nous devons rester très prudents sur la façon dont ces organisations sont désignée comme « terroristes », parce que nous savons que le FBI ne sera pas raisonnable là-dessus. Le FBI a infiltré et pris pour cible de nombreux groupes pacifiques – durant les années 80, alors que les Etats-Unis soutenaient au Salvador un régime qui tua des dizaines de milliers d'opposants, le FBI a cambriolé le bureau du CISPES plutôt que de demander un mandat de perquisition.

Le FBI reviendra-t-il à la raison dans la désignation des « groupes terroristes » ? Non, s'il faut s'en remettre à l'expérience récente. En mai 2001, le directeur du FBI Louis Freesh, en témoignant devant le Congrès sur la « menace terroriste sur les Etats-Unis » a inclus Reclaim the Streets [2] parmi les menaces terroristes. Reclaim the streets organise des fêtes de rue, où les gens jouent de la musique et dansent. Ce groupe est décrit dans No Logo de Naomi Klein comme une des formes nouvelles de protestation contre la mondialisation culturelle dominée par les marques. Personne n'a jamais été tué ni blessé par Reclaim the streets. Le FBI serait il incapable de faire la différence entre la danse et le meurtre ?

L'Attorney General des États-Unis John Ashcroft a demandé le pouvoir d'expulser tout non-citoyen, ou de l'emprisonner définitivement, sur la simple suspicion d'implication dans une activité terroriste, sans même passer devant une cour. Cela priverait les visiteurs et les immigrants dans notre pays du droit le plus fondamental, le droit à un procès juste en cas d'accusation de crime. Cela placerait les Etats-Unis parmi les États policiers. Le gouvernement britannique a déjà annoncé des plans en vue de prendre des mesures similaires ; nous ne pouvons plus considérer comme acquis que les Etats-Unis ne suivront pas.

Une autre façon pour les surveillants de nous menacer est de nous maintenir dans l'ignorance quant aux actions du gouvernement.

Il y a de bonnes raisons de garder secrets les méthodes de renseignement. Si des ennemis découvrent comment leurs plans sont observés, ils peuvent prendre des contre-mesures. Mais le gouvernement des Etats-Unis a aussi une longue tradition de dissimulation face au public étasunien pour lui cacher ses erreurs ou ses bavures. Dans les années 60, les « Pentagon Papers » [3] montraient que le Département de la Défense savait que ce qu'il disait au public à propos de la guerre du Vietnam était faux. Le public découvrit la vérité grâce à une héroïque sentinelle, Daniel Ellsberg, qui livra ces notes au New York Times.

Alors quand nous voyons des propositions pour prévenir les fuites en punissant de telles sentinelles, nous devrions les examiner attentivement pour être certains que nous ne sommes pas en train de donner carte blanche [4] à nos serviteurs du public, pour qu'ils nous toisent plus tard.

Si un agent du FBI nous demande notre coopération, que devons-nous faire ? Le FBI enquête sur les terroristes et les arrête. Si le FBI était en train d'enquêter sur un complot en vue de détourner un avion, je ferais tout mon possible pur l'aider. Mais le meme FBI a arrêté Dmitry Sklyarov parce qu'il aurait développé un programme que les étasuniens peuvent utiliser pour échapper aux carcans des e-books de Adobe. Personne ne devrait coopérer à une enquête sur ce genre de « crime ». Si vous ne savez pas si un policier tente d'arrêter une personne pour meurtre ou pour avoir fumé un joint, comment pouvez-vous déterminer la bonne conduite à tenir ?

Si les Etats-Unis veulent obtenir la totale coopération avec le FBI et la police de tous les Étasuniens, ils devraient abolir les lois qui contraignent et heurtent les Étasuniens. Le Congrès devrait abolir le DMCA, ainsi que la prohibition de certaines drogues

La prohibition des drogues est aujourd'hui tout spécialement autodestructrice, parce qu'en plus de faire emprisonner un million d'Étasuniens qui autrement contribueraient à la force de notre pays, elle finance le terrorisme. La prohibition rend les drogues illégales si profitables que divers groupes terroristes (celui de Ben laden inclus, selon la presse) reçoivent par là un soutien substanciel. La politique autodestructrice sur les drogues des État-Unis est devenue une vulnérabilité que nous ne pouvons plus assumer.

Au fil des des décennies, des ennemis intérieurs et extérieurs se sont succédés. Parfois le gouverment nous protège du danger, parfois il est le danger. Chaque fois qu'est faite une proposition visant à augmenter le pouvoir de surveillance du gouvernement, nous devons la juger non seulement dans les termes de la situation du moment, mais aussi dans les termes de toute l'étendue des situations auxquelles nous avons dû faire face et auxquelles nous devrons à nouveau faire face. Nous devons utiliser le gouvernement pour notre protection, mais nous ne devons jamais cesser de nous en protéger.

Aux Etats-Unis, nous avons développé un système pour surveiller les surveillants. Les juges les surveillent d'une certaine façon, le public les surveillent d'une autre. Pour notre sécurité, nous devons maintenir ce système en fonction. Si les surveillants sont effectivement en train de travailler pour nous, alors ils doivent pouvoir assumer de nous laisser contrôler leur travail. S'il nous demande d'arrêter de contrôler, nous devons dire non.

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[1] Voir « Cops tap database to harass, intimidate ».

[2] Voir Louis J. Freeh, « Threat of Terrorism to the United States » sur le site du FBI.

[3] Littéralement les « notes du Pentagone » : il s'agit d'une série de documents spécifiques produits par le Département de la Défense des Etats-Unis -NdT.

[4] En français dans le texte -NdT.

Copyright © 2001 Richard Stallman Verbatim copying and distribution of this entire article are permitted in any medium provided the copyright notice and this notice are preserved.
Traduction de l'anglais (américain) par Germinal Pinalie. Publié en français sur samizdat.net (http://infos.samizdat.net). Version originale en anglais sur le site de Richard Stallman. Version 2, corrigée le 17/10/01 à la demande de Richard Stallman.