Rien ne sert de chuter, il faut courir et sauter à point


Rien ne sert de chuter, il faut courir et sauter à point. Le lapin blanc et la grenouille en sont le témoignage. Tout deux voulaient se protéger de l'apocalypse qui survenait en fin de chaque cycle de survie.

La grenouille dit à au lapin : "Pourquoi cours-tu, il suffit de se cacher et d'attendre".

Le lapin répondit : " Il n'est pas possible de se cacher de soi-même, si je cours ainsi, ce n'est pas pour me perdre mais pour me retrouver. Je me sépare du superflu et ne conserve que l'essentiel. C'est une mise à l'épreuve avec le réel"

La grenouille se tordit de rire : "Qu'elle pauvreté d'esprit, regarde ce que j'entasse, toutes sortes de trésors, de fondations et encore plus d'accumulation en imagination. Je suis riche en pensées et ma maison est pleine à craquer. Je parie que je m'en sortirai mieux que toi pour la prochaine fin du monde. Je gage mon poids en nourriture que tu ne seras pas capable de survivre dans un tel dénuement."

"Pari tenu !" dit le lapin, et il commença à courir de plus belle pendant que la grenouille reconstruisait en pensée le monde au lieu de l'explorer.

La grenouille voyant tant d'efforts chez le lapin, pris soin de conserver encore plus de choses et transforma sa maison en un lieu de perdition et de grande instabilité, mais toujours certaine de gagner son pari, elle dit au lapin comme pour se rassurer : "Abondance de biens ne nuit pas !".

Le jour de l'apocalypse tardait à venir. C'était pour tous les deux une longue attente et une préparation différente.

Le lapin devint rapide, agile et perspicace. Il reconnaissait immédiatement ses propres faiblesses et admettait son manque de jugement lorsqu'il se perdait. Toujours prêt à améliorer son savoir faire et à corriger ce qui n'allait pas, il travaillait sans relâche autant son corps que son esprit. Sans cesse aux aguets, il s'évertuait à explorer autour de lui, il n'allait jamais aux mêmes endroits. Par sa persévérance et son habileté, il parvenait à faire beaucoup avec peu de choses. Avec un profond esprit de curiosité et une grande joie de la découverte, il ne reculait jamais devant la difficulté et son expérience du réel s'en trouva renforcée.

A la différence de la grenouille qui avait entassé toute sorte de connaissances et de constructions imparfaites. Trop orgueilleuse pour se questionner elle-même, elle préférait se mettre à l'abri au fond d'un refuge inconsistant, au lieu de s'en extraire pour le modifier et le rendre plus cohérant. Elle préférait s'enchainer aux constructions qu'elle connaissait plutôt que de partir en recherche et tout recommencer.

Finalement le jour tant attendu de l'apocalypse arriva, et rien n'advenant à l'identique, tout en fut profondément bouleversé. Pour conjurer le sort, la grenouille se terra au plus profond d'amoncellement de formes et d'assemblages contradictoires, à tel point qu'elle ne vit plus la nécessité d'en sortir, pris au piège d'une pensée paralysée. La grenouille ne parvint pas à faire le saut utile, le premier geste pour sortir de l'enlisement.

Quant au lapin, il couru sans attendre vers d'autres terrains plus accueillants. Il sautait par dessus les pièges et contournait les grands obstacles. Son cheminement était fait de petit bonds jusqu'à destination.

La grenouille perdu son pari et ne s'en remit pas. Elle ne put se résoudre à lâcher prise, incapable de quitter sa maison détruite, ne sachant comment faire pour se reconstruire ailleurs. Ne comprenant pas les raisons de son échec, elle ne put se repositionner sur de nouveaux fondements. Tournant et se retournant sur place dans une ronde désespérée, elle était spectatrice de son triste sort. Le chagrin de la grenouille était si immense et sa dévastation si grande, que le lapin par compassion l'accueillit sur son propre terrain afin qu'elle y survive.

Moralité : ce n'est pas avec l'accumulation que l'on prospère ou que l'on surmonte le pire mais en mettant à l'épreuve ses pratiques et ses connaissances avec le réel. Abandonner ce qui est inutile, rejeter ce qui est incohérent, conserver ce qui fonctionne, rechercher sans cesse autour de soi pour améliorer ses acquis et s'adapter au plus juste. Le doute et le questionnement ne deviennent plus des inconvénients mais des qualités d'intelligence à entretenir.

Pour faire ce petit saut qui éloigne du danger et qui sauvegarde du pire, mieux vaux s'alléger du poids qui nous ralenti, et dans un même élan unir l'action, l'intelligence et la connaissance. Un petit saut habile et anticipé vaut mieux qu'un grand saut laborieux et fastidieux.

Saut de la grenouille

Sauter par dessus une grande accumulation, perdre l'équilibre, retomber lourdement sur sa tête et s'étaler de tout son flanc sans parvenir à rien.

Saut du lapin blanc

Sauter par dessus un obstacle abordable, retrouver son équilibre autour de sa tête, atterrir sur ses pieds et continuer à avancer.