PAX AMERICANA

 
"Le terme latin de Pax Americana (français : Paix américaine) est le produit de l'hégémonie américaine dans le monde. Elle résulte des incursions militaires des États-Unis pour renverser les régimes politiques hostiles aux intérêts américains et à ceux de pays alliés. Elle dénote aussi la relative période de paix entre les pays occidentaux, de la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, à nos jours coïncidant avec les dominations économique et militaire des États-Unis d'Amérique, en étroite collaboration avec les Nations unies. Cette notion place les États-Unis dans le rôle moderne que purent avoir l'Empire romain en son époque (Pax Romana), et l'Empire britannique' au (Pax Britannica), une position de gendarme du monde. C'est ainsi que depuis la fin du dernier conflit mondial, aucun conflit armé n'émergea parmi les pays occidentaux et aucune arme nucléaire ne fut utilisée à des fins belliqueuses. Cependant, cette situation de Pax Americana ne garantit pas forcément l'absence totale de tout conflit à l'échelle mondiale (voir la liste des interventions militaires des États-unis dans le monde). C'est ainsi que de nombreuses fois, les États-Unis et ses alliés eurent à s'engager dans divers conflits, comme dans la guerre de Corée (1950-1953), dans la guerre du Viêtnam (1968-1975) ou plus récemment la guerre du Golfe (1990-1991) et la guerre en Irak (2003). Le terme Pax Americana est à la fois utilisé par les partisans et détracteurs de la politique étrangère des États-Unis et peut avoir différentes connotations, alternativement positives ou négatives selon le contexte dans lequel il est employé." d'après wikipédia.

« Je crois dans l’« exceptionnalisme » américain de tout mon être. Mais ce qui nous rend exceptionnels, ce n’est pas tant notre capacité à faire fi des normes internationales et à bafouer la primauté du droit; c’est plutôt notre volonté de les affirmer à travers nos actions. » Président Barack Obama, Le 29 mai 2014, discours de graduation à l’académie militaire de West Point

"L'exceptionnalisme américain est une théorie politique et philosophique qui considère que les États-Unis occupent une place spéciale parmi les nations du monde en termes de sentiment national, d'évolution historique, d'institutions politiques et religieuses, et parce que c'est un pays qui a été construit par des immigrés. Elle constitue une déclinaison de la théorie de la Destinée manifeste." d'après wikipédia.

"Le concept d’exceptionnalisme américain constitue depuis longtemps un thème de choix pour les analystes des questions politiques américaines. Son utilité pour saisir le comportement américain n’a jamais été aussi évidente que lors du désaccord entre les États-Unis et l’Europe au sujet de la guerre en Irak. Cette notion demeure un élément-clé pour comprendre pourquoi les Américains se sont accordés un rôle particulier dans la résolution de problèmes globaux, et pourquoi d’autres pays dans le monde se montrent aussi réticents à concéder cette place à la puissance américaine." Fukuyama Francis, « L'exceptionnalisme américain et la politique étrangère des États-Unis », Politique américaine 1/ 2005 (N° 1), p. 37-42

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Pax Americana ou la conquête militaire de l’espace (documentaire)

Synopsis Arte : Comment, grâce aux satellites, les États-Unis ont entrepris de contrôler la Terre « d’en haut » et de militariser l’espace. Une enquête terrifiante, à regarder tant qu’il en est encore temps.

Le film

C’était à la fin des années 1950 : l’URSS et les États-Unis lançaient leurs premiers satellites dans l’espace. Un demi-siècle plus tard, ces bijoux technologiques sont devenus indispensables au bon fonctionnement de nos sociétés interconnectées. Sur eux repose la gestion de nos communications (télévision, téléphone portable…) comme celle de nos économies (cartes de crédit, activités boursières…), la prévision météorologique (cyclones, sécheresses…), les appareils de positionnement (GPS, trafic aérien…), la récolte de données (sur les gisements de matières premières, la pollution, le réchauffement climatique…), etc. Un réseau fragile sans lequel tout cesserait instantanément de fonctionner. Parallèlement, les satellites sont devenus un formidable moyen de surveillance des activités politiques, commerciales et militaires. Les contrôler devient un enjeu capital. Au nom de la pax americana – par référence à la pax romana, doctrine selon laquelle la puissance dominante se doit d’assurer la paix du monde –, les États-Unis se sont lancés dans une politique visant à empêcher leurs adversaires (mais aussi leurs alliés) de leur faire concurrence « là-haut ». L’enjeu ? Monopoliser l’espace pour contrôler la Terre « en bas »…

Folamour pas mort

Fruit de cinq années d’enquête, le documentaire de Denis Delestrac montre que la perspective de voir la Terre contrôlée depuis l’espace ne relève plus du domaine de la science-fiction. Le rêve de Wernher von Braun, l’ancien concepteur des missiles nazis, qui fut l’un des dirigeants de la Nasa de 1958 à 1972, a accompagné chaque administration américaine depuis la Seconde Guerre mondiale et prend forme aujourd’hui. Celui qui servit de modèle au Docteur Folamour de Kubrick n’avait pas les moyens de mettre en œuvre sa folie. Mais désormais, la technologie nécessaire pour militariser l’espace existe. Le complexe militaro-industriel des États-Unis s’y attelle (les projets de « guerre des étoiles » et de « bouclier antimissile » ont permis de lever des milliards de dollars) et les principales « nations spatiales » s’efforcent d’y prendre un avantage décisif. Pax americana tente de saisir ce moment charnière de l’histoire militaire et géopolitique. Des machines de guerre sont-elles déjà en orbite ? Des traités peuvent-ils préserver l’espace du surarmement ? Le monde doit-il capituler devant un « superflic » mondial (les États-Unis possèdent près de 50 % des satellites en activité) ? Grâce à d’étonnantes archives et surtout en faisant pénétrer pour la première fois une caméra dans le Centre de commandement spatial de l’US Air Force, Pax Americana révèle les forces en présence. Généraux, analystes des politiques spatiales, politiques, « faucons » et activistes font un état des lieux du nouveau déséquilibre des forces et de ses conséquences. « Nous vivons une époque très très dangereuse, conclut le comédien et activiste Martin Sheen. Mais les gens sont absorbés par les difficultés de leur vie quotidienne. Ce n’est pas facile de réclamer leur attention pour dire : « Attendez, vous croyez que ça va mal ? J’ai une nouvelle pour vous : c’est pire que vous ne croyez ! » »

PAX AMERICANA
Ou la conquête militaire de l’espace
Documentaire de Denis Delestrac (France/Canada, 2009, 1h16mn)
Coproduction : ARTE France, In Fine Films, Lowik & Coptor Inc.

en 4 parties sur dailymotion : [part 1] - [part 2] - [part 3] - [part 4]


On Thermonuclear War, de Herman KAHN

Cet important ouvrage sur la guerre thermonucléaire, écrit par Herman KAHN (1922-1983), parmi d’autres sur sa plume, comme Thinking about the Unthinkable (1962, avec une introduction de Raymond ARON dans la traduction française), publié en 1960, est un traité controversé sur les doctrines stratégiques de la guerre nucléaire. Beaucoup lu aux États-unis comme en Union Soviétique d’alors, cet ouvrage discute des possibilités de gagner une guerre nucléaire. Écrit contre la Doctrine de Destruction Mutuelle Assurée (MAD) avant d’être adoptée par les États-unis, le titre du livre s’inspire de Sur la guerre, de CLAUSEWITZ.

 

Herman KAHN, qui écrit ce livre juste avant de quitter la Rand Corporation, pour créer avec Max SINGER et Oscar RUEBBAUSEN l’Institut Hudson, considère, en s’appuyant sur la théorie des jeux, la stratégie des « représailles massives » comme intenable, car simpliste et potentiellement instable. Alors qu’en 1960, les tensions de la Guerre froide sont à leurs paroxysme, il expose deux hypothèses :

- une guerre nucléaire est plausible, puisque les deux « grands » disposent désormais d’arsenaux nucléaires massifs ;

- comme toute guerre, la guerre nucléaire aura un vainqueur.

Même si cette guerre thermonucléaire fait des millions de victimes, cela n’empêchera par la vie humaine de subsister, (l’auteur fait une comparaison avec la Peste Noire de l’Europe du XVIe siècle ou le Japon qui survécut en 1945), il faut se préparer pour éviter le pire et faire en sorte de gagner cette guerre. Il considère que pour que la dissuasion ait des effets, il faudrait une capacité de seconde frappe, afin de convaincre Moscou de la détermination américaine. S’il donne l’impression d’envisager le désastre, pourvu que ce soit les États-unis qui gagne, il est toujours prêt à envisager toutes les possibilités. Critiquant les responsables politiques et militaires sur leur refus de penser l’impensable, il minore les effets des retombées radioactive qu’une telle guerre causerait, en suggérant des programmes massifs d’abris anti-atomiques (au moment où effectivement l’industrie d’abris est en plein essor aux États-unis), la création d’un système d’assurance pour tous contre les dégâts nucléaires, d’une intense propagande visant à insuffler à la population l’esprit de reconstruction...

Son livre, souvent considéré comme une incitation à préparer une guerre nucléaire, dans l’éventualité d’un échec de la dissuasion, et même une justification des situations post-atomiques, est cependant une argumentation souvent serrée sur la dissuasion qui inspire (souvent contre ses conclusions) les responsables politiques et militaires occidentaux. A contrario, une lecture pacifiste peut se servir de ce livre pour montrer l’inéluctabilité d’une guerre nucléaire, donc rendre évidente la nécessaire d’un désarmements nucléaire total et général.

Ce livre suscite à l’époque un tel tollé que, alors qu’il a fondé en 1961 dans la région de New York, avec Max SINGER et Oscar RUEBHAUSEN, l’Institut Hudson, laboratoire d’idées politiques axé sur la futurologie des relations internationales, qu’il fait publier l’année suivante, en 1962, un nouvel essai, Thinking About the Unthinkable et un traité de géostratégie, De l’escalade (1965) pour préciser sa pensée (et persister dans les conclusions de On the Thermonuclear War). De 1966 à 1968, Herman KAHN, consultant au Department of Defense, s’oppose aux partisans d’une négociation directe avec le Nord VietNam et prône l’escalade militaire directe, en dehors de tout projet d’une « vietnamisation », voué à l’échec selon lui et ses collaborateurs à l’Institut. Pour lui, l’examen des guerres contre-révolutionnaires dans l’histoire contemporaine montre une corrélation entre la victoire (du pouvoir officiel) et un appui policier important, dans les administrations locales. Vu l’évolution de la stratégie américaine au VietNam, au risque de paraître un traître à l’administration des États-unis, il estime que son pays fonce droit dans la défaite.

Ses travaux, après la guerre du VietNam s’axe sur l’étude des évolutions futures globales du monde. Dans un livre publié en 1967, écrit avec Anthony J WIENER, L’an 2000, sous-titré pompeusement en français, la Bible des 30 prochaines années, avec de multiples rééditions complétées, il « prédit » des évolutions politiques, stratégique, technologiques et économiques. Dans lequel figure d’ailleurs quelques possibilités de guerre nucléaire (Marabout Université, 1972).

Dans Sur la guerre thermonucléaire, l’auteur décrit les diverses stratégies nationales possibles :

"Le 16 juillet 1960, le monde est entré dans la seizième année de l’ère nucléaire. Et cependant, nous sommes de plus en plus conscients qu’après avoir vécu quinze ans avec les bombes nucléaires, il nous reste encore beaucoup à apprendre sur les effets possibles d’un conflit atomique. Et nous avons encore plus à apprendre sur la conduite des relations internationales dans un monde où la force tend à devenir de plus en plus disponible et d’un emploi de plus en plus dangereux, et par conséquent pratiquement de plus en plus inépuisable. Du changement continu que notre siècle connaît dans la structure fondamentale de la situation internationale, il résulte que les politiques étrangères et de défense formulées au début de l’ère nucléaire ont grand besoin d’être révisées et modifiées.

En considérant ces politiques fondamentales, il convient de distinguer différentes conceptions militaires et les stratégies correspondantes possibles, tant pour les États-unis que pour l’Union soviétique. cet examen de la guerre thermonucléaire portera essentiellement sur quatre types possibles de conceptions, que j’appellerai respectivement « dissuasion finie », « contre force comme garantie », « base de mobilisation pour pré attaque » et « capacité crédible de frapper le premier ».

J’examinerai les possibilités et les implications de ces positions du point de vue de l’Union soviétique et des États-unis. Bien qu’il n’y ait aucune raison pour que les deux pays les plus puissants aient des approches identiques, je ne m’étendrai pas d’abord sur de possibles asymétries, et n’examinerai pas tout de suite les problèmes nationaux respectifs.

Un certain nombre de conceptions fondamentales (...) sont énumérées dans le tableau I, en gros en ordre de capacité croissante à mener une guerre générale."

Dans ce tableau 1, nous pouvons lire les diverses conceptions possibles :

1- Force interne de police plus « gouvernement mondial ».

2- Dissuasion minimum plus guerre limitée plus contrôle des armements.

3- Ajouter la garantie à la dissuasion minimum :

a) pour la fiabilité (dissuasion finie),

b) contre la non fiabilité (contre force comme garantie),

c) contre un changement de politique (base de mobilisation pour pré attaque).

4- Ajouter capacité crédible de frapper les premiers.

5- Première attaque « pleinement réussie » sans capacité de guerre limitée.

6- Rêves.

L’auteur suit alors son tableau pour exposer ses points de vue les plus saillants :

1- Sur la Force interne de police, plus un « gouvernement mondial », « il ne semble pas utile d’examiner une solution qui serait un désarmement total dans le monde. Ni nos propres désirs sentimentaux ni le fait que beaucoup de gens sérieux préconisent cette politique, ne sauraient nous porter vers une position qui ignore certaines des réalités fondamentales. Il a probablement toujours été irréaliste d’imaginer un monde complètement désarmé, et l’introduction de la bombe thermonucléaire a ajouté une dimension particulière à ce caractère irréaliste. (...). »

2- Sur cette dissuasion minimum plus une guerre limitée plus encore un contrôle des armements, « ce point de vue, ou sa modeste variante qu’on appelle dissuasion finie est probablement la conception la plus répandue à l’Ouest de l’attitude stratégique désirable et possible. Parmi les tenants de cette conception figurent la plupart des intellectuels intéressés aux affaires militaires, les milieux dirigeants des administrations, les civils qui cherchent à se qualifier comme »spécialistes des questions militaires" (...), ceux qui élaborent les plans dans les trois armes, et la plupart des analystes profanes, étrangers et américains.

Qu’entend-t-on par dissuasion minimum ? Il y a une idée essentielle : c’est qu’aucun pays dont les dirigeants sont sains d’esprit n’en attaquera un autre qui possède un nombre assez considérable de bombes thermonucléaires. Par conséquent, tout pays ainsi armé n’a à craindre que la folie, l’irresponsabilité, l’accident et les erreurs de calcul.(...).« 3- Sur les trois catégories de garantie : »Le point de vue qui suit quant aux possibilités offertes par une capacité stratégique satisfaisante ajoute plusieurs sortes de « garanties » à la simple position de la dissuasion minimum. Il y a trois catégories de garantie que celui qui veut survivre peut souhaiter voir adoptées. La première étant la garantie de fiabilité. Nous donnerons à la conception qui s’inquiète des détails permettant d’obtenir des représailles « punitives », mais qui ne recherche pas de capacité stratégique allant au-delà, le nom de stratégie de la dissuasion finie. A bien des égards, et avec quelques inconséquences, c’est là le point de vue officiel américain. (...).« Sur la garantie de la fiabilité, »Certains partisans de la dissuasion finie ne sont pas hostiles à toutes les formes de contre forces. Ils tiennent à s’assurer contre l’absence de fiabilité, c’est-à-dire que même si la dissuasion est aussi fiable qu’ils le croient possible, ils se rendent bien compte qu’elle risque encore d’échouer ; par exemple, du fait d’un accident, de l’absurdité humaine, de mauvais calculs ou d’un comportement irresponsable. Dans l’éventualité d’une guerre, ils trouvent difficile qu’on ne fasse pas « quelque chose » pour en atténuer les effets. Même parfaitement convaincus de l’« anéantissement mutuel », les dirigeants pourront se refuser à reconnaître ouvertement qu’on ne fait aucun préparatif pour atténuer les conséquences d’une guerre. (...)" Dans sa discussion sur les dommages, Herman KHAN expose dans un tableau des situations d’après-guerre tragiques mais différenciées : de 2 000 000 de morts et un rétablissement en 1 an à 160 000 000 de morts et un rétablissement en 100 ans. Beaucoup de choses peuvent être faite pour diminuer le nombre des morts et réduire ces délais de rétablissement économique. Il série les différents composantes d’une guerre thermonucléaire auxquelles les dirigeants doivent s’atteler : Divers programmes chronologiques pour la dissuasion et la défense, et leur impact éventuel sur nous, les alliés et les autres, les performances en temps de guerre selon les différentes conditions de pré attaque et d’attaque, les problèmes des retombées radioactives graves, la survie et les réparations, le maintien de l’impulsion économique, le relèvement à long terme, les problèmes médicaux et les problèmes génétiques...

Sur la garantie contre un changement politique : « Une des choses que je vais essayer de montrer (...), c’est que le problème militaire est réellement compliqué, et il est impossible pour les êtres humains faillibles de prédire exactement quels sont les moyens qu’ils souhaiteront ou dont ils auront besoin. Cela ,e signifie pas pour autant, bien entendu, qu’il faut tout acquérir. Les ressources ne sont peut-être pas aussi faibles que des gens préoccupés du budget le pensent, mais ils restent fort modérés. En tout cas, cela signifie que chaque fois qu’il est peu coûteux de le faire (...), nous devrions être disposés à nous prémunir contre des changements dans nos désirs. Le fait qu’il soit coûteux d’acquérir et d’entretenir un arsenal complet des moyens militaires ne signifie pas que ne nous ne devrions pas avoir ce que l’on pourrait qualifier de »bases de mobilisation« pour un arsenal complet de moyens adéquats. Le gouvernement, s’en tenant à la doctrine en vigueur, aux moyens militaires existants, à ses estimations quant aux possibilités et aux intentions d’ennemis potentiels ou à certains aspects de la situation politique pourrait se contenter de ce qui est actuellement alloué pour la défense nationale. Mais il pourrait aussi désirer se prémunir pour le cas où les circonstances changeraient à ce point que la répugnance à dépenser de l’argent changerait elle aussi, soit pour croître, soit pour décroître. Cela peut se faire en consacrant des sommes relativement modestes à une planifications et à des préparatifs matériels. Nous serions alors dans une position où nous pourrions faire l’usage le plus rapide et le plus efficace de fonds plus importants s’ils devenaient disponibles, ou bien nous serions en mesure de tirer le maximum d’un budget militaire réduit s’il semble désirable de réduire les dépenses. (...) » La tonalité de l’argumentation ne doit pas tromper : les États-unis ne sont pas un État planificateur et ce qu’il y derrière le mot « programme » constitue tout un programme qui peut avoir des répercussions importantes sur ce que les Américains considèrent comme libertés garanties par la Constitution...

4- Sur la capacité de frapper les premiers : « La position suivante (...) qui fait état de circonstances dans lesquelles un pays peut souhaiter disposer d’une capacité crédible de frapper le premier peut sembler à de nombreux Américains une possibilité pour les Soviétiques, mais pas pour nous. On a souvent pu entendre et lire des déclarations selon lesquelles »jamais nous ne frapperont les premiers« . Compte tenu du contexte dans lequel cela est dit habituellement (une »lâche« attaque surprise contre un ennemi pris au dépourvu), c’est une position juste. Une telle capacité n’aurait pas d’attrait pour les États-unis, mais nous avons conclu de nombreux traités et souscrit maintes obligations. IL y a l’obligation de venir à l’aide des pays de l’OTAN s’ils sont attaqués. On suppose généralement que cette aide comporte l’emploi de notre commandement aérien stratégique contre le territoire de l’URSS, même si les Soviétiques attaquent l’Europe sans attaquer les États-unis. D’un point de vue technique, cela signifie qu’en l’occurrence, c’est nous qui frapperions les premiers ! La décision déchirante de déclencher une guerre thermonucléaire nous appartiendrait. C’est une question sérieuse que de savoir si, dans ces conditions, nous respecterions les obligations que nous imposent les traités. (...) ». L’auteur suggère fortement que les États-unis soit en mesure, même à son corps défendant, de mener cette première frappe.« Il y a cependant une différence entre la contre force en tant que garantie et la capacité de frapper les premiers. Dans le cas de cette dernière, nous ne disons pas qu’il est peu probable que la théorie de l’anéantissement mutuel soit erronée ; au contraire nous pensions qu’il y a une très forte probabilité qu’elle le soit. En bref, le temps est venu où nous devons croire que nos programmes ont toutes chances d’être efficaces dans les conditions de la guerre et de l’après-guerre. (...) ».

5- Sur la capacité « pleinement réussie » de frapper les premiers sans capacité de guerre limitée : « La plupart des gens ont du mal à croire qu’un pays déclencherait une guerre thermonucléaire contre un adversaire capable de riposter, quelles que soient ses capacités et les provocations subies. Néanmoins, bien des responsables militaires sont hostiles à l’idée d’avoir des moyens de guerre limitée pour faire face à de petites provocations. Ils avancent que c’est là un détournement de nos ressources, alors qu’il y a dans ce domaine des capacités qui sont importantes et essentielles. Ils semblent croire que notre puissance stratégique peut être si efficace aux yeux des Soviétiques qu’ils n’oseront pas se livrer à des provocations, même limitées. Ils pensent aussi que, si les Soviétiques nous provoquent, nous les frapperions »au moment et à l’endroit de notre choix« . Telle est en gros, la théorie de la riposte massive énoncées par l’ex-secrétaire d’Etat John Foster Dulles. Une capacité crédible de frapper les premiers afin de réagir à une agression limitée mais majeure implique aussi une riposte massive sur des questions de premier et non de second ordre. Il faut aussi qu’il soit clair que, si dans »l’équilibre de la terreur«, la terreur s’intensifie, la ligne séparant les questions de premier ordre de celles du second ordre se déplacera de telle sorte que le niveau de provocation acceptable pour nous sans déclencher l’action du commandement stratégique s’élèvera.

Quiconque étudie, même superficiellement, les effets probables d’une guerre thermonucléaire parviendra inévitablement à certaines conclusions. Une des principale est l’idée que même si on peut frapper les premiers et avec succès, le dommage net, ne serait-ce que du fait du contrecoup (c’est-à-dire les retombées radioactives sur les États-unis et le monde provoquées par les bombes larguées sur la Russie, sans parler des Russes qui trouveraient la mort), rendrait déraisonnable une attaque de ce genre à propos d’une affaire mineure. N’est-il pas vrai que si nous devons déclencher une telle guerre, ce ne serait pas sur une question mineure qui nous préoccupe, mais en réalité parce que nous aurions résolu de déclencher une guerre préventive ? Dans la réalité, nous aurions à nous soucier de beaucoup plus que du simple contrecoup de notre attaque : nous aurions à nous soucier de la riposte soviétique. Ne serait-ce que pour de telles raisons pratiques, sans parler des raisons morales et politiques essentielles, l’idée de détenir la capacité de frapper les premiers de façon « pleinement réussie » est extravagante.« 

6- Sur les rêves, il écrit : »Si une capacité « pleinement réussie » de frapper les premiers parait, à la lumière des faits et de la raison, absolument extravagante, elle n’en est pas moins étrange que bien des idées qui circulent à Washington et dans les capitales européennes. On accorde là de l’attention aux notions les moins vraisemblables. L’une de celles-ci concerne un conflit dans lequel une attaque thermonucléaire est suivie de trois ans de guerre de production assortie du genre de mobilisation que nous avons connue dans la Seconde guerre mondiale. Une autre hypothèse est celle où l’ennemi peut se lancer à attaquer le premier mais où, dans ce cas, nos défenses nous mettraient substantiellement à l’abri, et où nous pourrions riposter puis observer la situation. On croit avec ferveur à la possibilité d’un système actif de défense « à l’épreuve des fuites ». Et puis il y a l’image d’un conflit traînant en longueur, une « guerre aux reins cassés », menée avec des armes conventionnelles, les deux parties ayant simultanément épuisé tout leur arsenal nucléaire. On fait valoir aussi que dans une guerre thermonucléaire, il importe de maintenir les voies maritimes ouvertes. Et puis, il y a cette idée bizarre que l’objet principal de la défense civile est de soutenir un effort de guerre thermonucléaire avec des hommes et des matériels. Ou encore cette idée aussi étrange qu’après un échange massif de bombes thermonucléaires, l’objectif majeur des forces américaines aux États-unis ne serait pas d’aider à relever la population civile mais de se porter dans un port (détruit) d’embarquement pour faire mouvement outre-mer. Toutes ces vues sont invraisemblables, mais il n’empêche qu’on peut les trouver dans diverses sortes de déclarations officielles et officieuse. (...).« Pour Herman KAHN, »C’est l’un de mes principaux arguments, que du moins pour l’avenir immédiat, nous devrions nous trouver quelque part entre la base de mobilisation pour pré attaque et la capacité crédible de frapper les premiers."

Herman KHAN, On Thermonuclear War, Princeton University Press, 1960. Traduction de Catherine Ter SARKISSIAN, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990.

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Ressources Internet :


Mythes de l’« exceptionnalisme » américain Howard Zinn

La notion de l’« exceptionnalisme » américain – selon laquelle seuls les Etats-Unis ont le droit, soit par décret divin, soit par obligation morale, d’apporter la civilisation, la démocratie ou la liberté au reste du monde, et par la violence, si nécessaire – n’a rien de neuf. Elle était déjà apparue en 1630, au sein de la colonie de Massachusetts Bay, lorsque...

...le gouverneur John Winthrop prononça les mots qui, quelques siècles plus tard, seraient repris par Ronald Reagan. Winthrop qualifia la colonie de Massachusetts Bay de « cité au sommet d’une colline ». Reagan enjoliva quelque peu l’expression en en faisant une « cité étincelante au sommet d’une colline ». 

L’idée d’une cité au sommet d’une colline réchauffe le cœur. Elle suggère ce dont George Bush avait parlé : les Etats-Unis sont un phare de liberté et de démocratie. Les gens peuvent se tourner vers nous, apprendre de nous et nous imiter.
En réalité, jamais nous n’avons été une simple cité au sommet d’une colline. Quelques années après que le gouverneur Winthrop eut prononcé ces mots célèbres, les gens de la cité au sommet d’une colline lancèrent une expédition en vue de massacrer les Indiens pequod. Voici une description, par William Bradford, un colon de la première heure, de l’attaque d’un village pequod par le capitaine John Mason :

« Ceux qui avaient échappé au feu furent tués par l’épée, certains littéralement taillés en pièces, d’autres pourfendus à coups de rapière, de sorte qu’on put les achever rapidement et que très peu parvinrent à s’échapper. On estime en avoir détruit environ 400, en cette occasion. C’était donc un spectacle horrible que de les voir rôtir dans le feu, de même que de voir les flots de sang se répandre partout, et tout aussi horrible étaient ces odeurs et cette puanteur. Mais la victoire sembla un doux sacrifice et ils en firent louange à Dieu qui avait œuvré si miraculeusement pour eux, leur permettant d’enserrer leurs ennemis dans leur emprise et d’arracher si rapidement une victoire sur un ennemi aussi fier et insultant. »

Le genre de massacre décrit par Bradford ne cessera de se répéter à mesure que les Américains marcheront vers l’ouest, en direction du Pacifique, et vers le sud, en direction du golfe du Mexique. (En fait, notre fameuse guerre de libération, la Révolution américaine, fut un désastre pour les Indiens. Les Britanniques et les contraintes fixées dans leur proclamation de 1763 avaient empêché les colons de s’implanter en territoire indien. L’indépendance américaine balaya ces contraintes.) 

S’étendre vers un autre territoire, l’occuper et traiter durement les gens qui résistent à l’occupation, voilà un fait persistant de l’histoire américaine, depuis les premières implantations de colons jusqu’à nos jours. Et, dès le début, cela s’accompagna souvent d’une forme particulière de l’exceptionnalisme américain : l’idée selon laquelle cette expansion américaine est commandée par Dieu. A la veille de la guerre contre le Mexique, au milieu du 19e siècle, immédiatement après l’annexion du Texas par les Etats-Unis, le publiciste et écrivain John O’Sullivan eut cette expression de « destinée manifeste ». Il déclara qu’elle était « l’accomplissement de notre destinée manifeste consistant à se répandre à travers le continent alloué par la Providence au libre développement de nos millions d’êtres se multipliant d’année en année ». Au début du 20e siècle, lorsque les Etats-Unis envahirent les Philippines, le président McKinley déclara que la décision de s’emparer des Philippines lui était venue au cours d’une nuit, lorsqu’il s’était agenouillé pour prier et que Dieu lui avait dit de s’emparer des Philippines.

Invoquer Dieu a été une manie des présidents américains tout au long de l’histoire de la nation, mais George W. Bush s’en est fait une spécialité. En vue d’un article dans le quotidien israélien Ha’aretz, le journaliste parlait avec des dirigeants palestiniens qui avaient rencontré Bush. L’un d’entre eux rapporta que Bush lui avait déclaré : « Dieu m’a dit de frapper al-Qaïda. Et je l’ai frappé. Puis, Il m’a ordonné de frapper Saddam, ce que j’ai fait. Et, aujourd’hui, je suis fermement décidé à résoudre le problème du Moyen-Orient. » Il est malaisé de savoir si la citation est authentique, particulièrement du fait qu’elle semble si littéraire. Mais il ne fait pas de doute qu’elle cadre très bien avec les très fréquentes affirmations de Bush. Une histoire plus crédible nous vient d’un chaud partisan de Bush, Richard Lamb, le président de la Commission sur l’éthique et la liberté religieuse de la Convention baptiste du Sud, qui affirme que, lors de la campagne électorale, Bush lui a dit : « Je crois que Dieu veut que je sois président. Mais si ça ne se réalise pas, c’est d’accord. » 

L’ordination (*) divine est un concept très dangereux, particulièrement lorsqu’elle est combinée avec le pouvoir militaire (les Etats-Unis disposent de 10.000 têtes nucléaires, possèdent des bases militaires dans une centaine de pays différents et des navires de guerre dans chaque mer). En même temps que l’approbation de Dieu, vous n’avez besoin d’aucune norme humaine de moralité. Toute personne, aujourd’hui, qui se revendique de l’aide de Dieu serait bien embarrassé de rappeler que les combattants de choc nazis portaient « Gott mit uns » (Dieu avec nous) gravé sur leur plaque de ceinturon.

Tous les dirigeants américains n’ont pas invoqué le consentement divin mais l’idée s’est maintenue que, seuls, les Etats-Unis avaient de bonnes raisons d’utiliser le pouvoir pour s’étendre dans le monde entier. En 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Henry Luce, propriétaire d’une vaste chaîne d’entreprises dans les médias – Time, Life, Fortune, e.a. – déclara que le siècle à venir serait « le siècle américain », que la victoire à la guerre conférait aux Etats-Unis le droit « d’exercer sur le monde entier le plein impact de notre influence, dans les buts et par les moyens qui semblent le mieux nous convenir ». 

Cette prophétie confiante allait s’accomplir durant toute la suite du 20e siècle. Presque immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis pénétrèrent dans les régions pétrolières du Moyen-Orient via des arrangements spéciaux avec l’Arabie saoudite. Ils établirent des bases militaires au Japon, en Corée, aux Philippines et dans nombre d’îles du Pacifique. Au cours des décennies suivantes, ils orchestrèrent des coups d’Etat en Iran, au Guatemala, au Chili et apportèrent leur aide militaire à diverses dictatures des Caraïbes. Dans une tentative d’établir une tête de pont en Asie du Sud-Est, ils envahirent le Vietnam et bombardèrent le Laos et le Cambodge. 

L’existence de l’Union soviétique, même avec l’acquisition par celle-ci d’armes nucléaires, ne freina nullement cette expansion. En fait, la menace exagérée du « communisme mondial » donna aux Etats-Unis une puissante justification à leur expansion partout dans le monde et, bientôt, ils eurent des bases militaires dans une centaine de pays. On peut supposer que, seuls, les Etats-Unis barraient la route à la conquête du monde par les Soviétiques. 

Pouvons-nous croire que c’est l’existence de l’Union soviétique qui engendra le militarisme agressif des Etats-Unis ? Si tel est le cas, comment expliquer toute cette expansion par la violence qui eut lieu avant 1917 ? Un siècle avant la révolution bolchevique, les armées américaines liquidaient les tribus indiennes, préparant la grande expansion vers l’Ouest dans un exemple précoce de ce que nous appellerions aujourd’hui le « nettoyage ethnique ». Et, avec la conquête du continent, la nation se mit bientôt à regarder en dehors de ses frontières. 

A la veille du 20e siècle, quand les armées américaines se rendirent à Cuba et aux Philippines, l’exceptionnalisme américain ne signifiait pas toujours que les Etats-Unis voulaient y procéder seuls. La nation voulait – désirait ardemment, en fait – rallier le petit groupe des puissances impérialistes occidentales qu’un jour ou l’autre elle allait détrôner. Le sénateur Henry Cabot Lodge écrivait, à l’époque : « Les grandes nations absorbent rapidement, en vue de leur expansion future et de leur défense actuelle, tous les espaces encore en friche de la terre. » Il ne fait aucun doute que l’esprit nationaliste dans d’autres pays les a souvent amenés à considérer leur expansion comme uniquement morale, mais c’est ce pays qui a poussé ces revendications le plus loin. 

L’exceptionnalisme américain ne s’exprima jamais plus clairement que dans les propos du secrétaire à la Guerre, Elihu Root qui, en 1899, déclarait : « Le soldat américain est différent de tous les soldats de tous les autres pays depuis que le monde est monde. Il est l’avant-garde de la liberté et de la justice, de la loi et de l’ordre, de la paix et du bonheur. » A l’époque où il prononçait ces paroles, les soldats américains aux Philippines lançaient un bain de sang qui allait coûter la vie à 600.000 Philippins. 

L’idée que l’Amérique est différente du fait que ses actions militaires visent le bénéfice d’autrui devient particulièrement persuasive quand elle est avancée par des dirigeants censés être libéraux ou progressistes. Par exemple, Woodrow Wilson, toujours placé très haut sur la liste des présidents « libéraux » et étiqueté comme « idéaliste », tant par les gens doctes que par la culture populaire, était impitoyable dans son recours à la puissance militaire contre les nations plus faibles. Il envoya la marine de guerre bombarder et occuper le port mexicain de Vera Cruz, en 1914, parce que les Mexicains avaient arrêté plusieurs marins américains. IL envoya les marines à Haïti en 1915 et, lorsque les Haïtiens résistèrent, des milliers d’entre eux périrent. 

L’année suivante, les marines américains occupèrent la République dominicaine. Les occupations de Haïti et de la République dominicaine durèrent de nombreuses années. Et Wilson, qui avait été élu en 1916 en disant : « Il existe effectivement quelque chose de tel qu’une nation trop fière pour se battre », envoya bientôt de jeunes Américains à l’abattoir de la guerre européenne.
Théodore Roosevelt était considéré comme un « progressiste » et, en effet, en 1912, il concourut pour la présidence en tant que candidat du Parti progressiste. Mais il aimait la guerre et il était partisan de la conquête des Philippines – il avait félicité le général qui avait rayé de la carte un village philippin de 600 habitants en 1906. Il avait promulgué en 1904 le « Corollaire de Roosevelt » à la doctrine de Monroe, lequel justifiait l’occupation de petits pays des Caraïbes quand cette occupation leur apportait la « stabilité ». 

Au cours de la guerre froide, de nombreux « libéraux » américains furent saisis d’une espèce d’hystérie à propos de l’expansion soviétique, qui fut certainement réelle en Europe de l’Est, mais fut grandement exagérée en tant que menace pour l’Europe occidentale et les Etats-Unis. Durant la période du maccarthysme, le libéral par excellence du Sénat, Hubert Humphrey, proposa des camps de détention pour les gens soupçonnés de subversion qui, en période d’« urgence nationale », pourraient y être enfermés sans jugement. 

Après la désintégration de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, le terrorisme remplaça le communisme comme justification à l’expansion. Le terrorisme fut réel mais sa menace fut amplifiée jusqu’à l’hystérie, permettant des actions militaires excessives à l’étranger et la réduction draconienne des libertés civiques au pays même. 

L’idée de l’exceptionnalisme américain persista lorsque le premier président Bush déclara – en développant la prédiction de Henry Luce – que la nation était sur le point de s’embarquer vers un « nouveau siècle américain ». Bien que l’Union soviétique eût disparu, la politique d’intervention militaire à l’étranger ne cessa pas. Le père Bush envahit Panama, puis se lança dans la guerre contre l’Irak. 

Les terribles attentats du 11 septembre donnèrent un nouvel élan à l’idée que les Etats-Unis étaient les seuls responsables de la sécurité planétaire, en nous défendant tous contre le terrorisme comme il l’avait fait précédemment contre le communisme. Le président George W. Bush porta l’idée de l’exceptionnalisme américain jusqu’à ses limites extrêmes en mettant en exergue, dans sa stratégie de sécurité nationale, les principes de la guerre unilatérale. 

Ce fut une répudiation de la Charte des Nations unies, qui repose sur l’idée que la sécurité est un problème collectif et que la guerre ne pourrait se justifier que par autodéfense. Nous pourrions faire remarquer que la doctrine de Bush viole également les principes établis à Nuremberg, lorsque les dirigeants nazis furent inculpés, puis pendus pour leur guerre d’agression, leur guerre de prévention, à mille lieues de toute idée d’autodéfense. 

La stratégie de Bush en matière de sécurité nationale et sa déclaration audacieuse disant que les Etats-Unis sont seuls responsables de la paix et de la démocratie dans le monde ont été perçues de façon choquante par de nombreux Américains.
Mais ce n’est pas vraiment un écart dramatique vis-à-vis de la pratique des Etats-Unis qui, très longtemps, ont agi comme agresseurs, bombardant et envahissant d’autres pays (le Vietnam, le Cambodge, le Laos, Grenade, Panama, l’Irak) et insistant pour maintenir leur suprématie nucléaire et non nucléaire. L’action militaire unilatérale, sous le prétexte de la prévention, est un engagement familier de la politique étrangère américaine. 

Parfois, les bombardements et les invasions ont été déguisés sous forme d’action internationale en y incorporant les Nations unies, comme en Corée, ou l’Otan, comme en Serbie, mais, fondamentalement, nos guerres ont été des entreprises américaines. Ce fut le secrétaire d’Etat de Bill Clinton, Madeleine Albright, qui déclara à un moment donné : « Si c’est possible, nous agirons dans le monde de façon multilatérale mais, si nécessaire, nous agirons unilatéralement. » Henry Kissinger, entendant cela, répondit avec sa solennité coutumière que ce principe « ne devrait pas être universalisé ». Jamais l’exceptionnalisme ne fut plus évident.
Certains libéraux de ce pays, opposés à Bush, sont néanmoins plus proches de ses principes en matière d’affaires étrangères, qu’ils ne veulent bien le reconnaître. Il est clair que le 11 septembre a eu un effet psychologique puissant sur tout le monde en Amérique et, pour certains intellectuels libéraux, une espèce de réaction hystérique a déformé leur capacité d’avoir des idées claires à propos du rôle de notre nation dans le monde. 

Dans un numéro récent du magazine libéral The American Prospect, les éditeurs écrivent : « Aujourd’hui, les terroristes islamistes de portée mondiale posent la pire menace immédiate. Contre nos existences et nos libertés. (…) Lorsqu’ils sont confrontés à une menace substantielle, immédiate et démontrable, les Etats-Unis ont à la fois le droit et l’obligation de frapper de façon préventive et, au besoin, unilatéralement, contre les terroristes ou les Etats qui les soutiennent. » 

Préventivement et, au besoin, unilatéralement ; et contre « les Etats qui soutiennent » les terroristes, et pas seulement contre les seuls terroristes mêmes. Voilà des pas importants en direction de la doctrine de Bush, bien que les éditeurs qualifient leur soutien à la prévention en ajoutant que la menace doit être « substantielle, immédiate et démontrable ». Mais quand des intellectuels défendent des principes abstraits, même lorsqu’ils sont qualifiés pour le faire, ils doivent garder à l’esprit que les principes seront appliqués par les personnes qui dirigent le gouvernement américain. Il est on ne peut plus important de garder cela à l’esprit quand le principe abstrait concerne le recours à la violence. 

Il peut y avoir un cas acceptable de déclenchement de l’action militaire face à une menace immédiate, mais seulement si l’action se limite et se concentre directement sur la partie menaçante – exactement de la même manière que nous pourrions accepter la neutralisation de quelqu’un criant faussement « au feu » dans un théâtre rempli si c’était réellement le cas et non l’un ou l’autre individu distribuant des tracts contre la guerre dans la rue. Mais accepter l’action, non seulement contre les « terroristes » (pouvons-nous les identifier de la même façon que nous identifions la personne criant « au feu »), mais contre « les Etats qui les soutiennent » incite à une violence non ciblée et sans discrimination, comme en Afghanistan, où notre gouvernement a tué au moins 3.000 civils en prétendant poursuivre des terroristes. 

Il semble que l’idée de l’exceptionnalisme américain se répand comme une traînée de poudre parmi tout le spectre politique.
L’idée n’est pas remise en cause parce que l’histoire de l’expansion américaine dans le monde n’est pas le genre d’histoire que l’on enseigne beaucoup dans notre système éducatif. Il y a deux ou trois ans, Bush fit un discours devant l’Assemblée nationale philippine en déclarant : « L’Amérique est fière de son rôle dans la grande histoire du peuple philippin. Ensemble, nos soldats ont libéré les Philippines de la domination coloniale. » Apparemment, le président n’a jamais eu vent de l’histoire de la conquête sanglante des Philippines. 

Et, l’an dernier, lorsque l’ambassadeur mexicain à l’ONU dit quelque chose de peu diplomatique sur la façon dont les Etats-Unis avaient traité le Mexique comme s’il se fut agi de leur « arrière-cour », il fut immédiatement rabroué par le secrétaire d’Etat de l’époque, Colin Powell. Powell, réfutant l’accusation, déclara : « Nous avons vécu ensemble une trop importante histoire commune. » (N’avait-il donc rien appris de la guerre contre le Mexique ou des raids militaires dans ce même pays ?) L’ambassadeur ne tarda pas à être relevé de ses fonctions. 

Les principaux journaux, shows d’informations télévisés et talk-shows de la radio semblent ne pas connaître l’histoire ou préfèrent l’oublier. Lors du second discours inaugural de Bush, il y eut un débordement de louanges dans la presse, y compris dans la prétendue presse libérale (The Washington Post, The New York Times). Les éditorialistes s’empressèrent de reprendre les propos de Bush concernant la propagation de la liberté dans le monde, comme s’ils ignoraient l’histoire de telles affirmations, comme si le poids des infos émanant de l’Irak, ces deux dernières années, était sans importance. 

Quelques jours seulement avant que Bush ne prononce ces mots sur la diffusion de la liberté dans le monde, le The New York Times publia une photo d’une fillette irakienne recroquevillée et saignant en abondance. Elle était en pleurs. Ses parents, qui l’emmenaient quelque part dans leur voiture, venaient d’être abattus par des militaires américains trop nerveux. 

L’une des conséquences de l’exceptionnalisme américain, c’est que le gouvernement des Etats-Unis se considère comme libre exempté de devoir appliquer les normes légales et morales acceptées par d’autres nations dans le monde. La liste de ces auto-exemptions est très longue : le refus de signer le traité de Kyoto réglementant la pollution de l’environnement, le refus de renforcer la Convention sur les armes biologiques. Les Etats-Unis n’ont pas rejoint les cent et quelques nations qui se sont mises d’accord pour interdire les mines terrestres, en dépit des statistiques effrayantes concernant les amputations pratiquées sur des enfants mutilés par ces mines. Ils refusent d’interdire l’usage du napalm et des bombes à fragmentation. Ils insistent sur le fait qu’ils ne doivent pas être soumis, comme le sont d’autres pays, à la juridiction de la Cour pénale internationale. 

Que répondre au fait d’insister sur l’exceptionnalisme ? Ceux d’entre nous, aux Etats-Unis et dans le monde, qui ne l’acceptent pas, doivent impérativement déclarer que les normes éthiques concernant la paix et les droits de l’homme devraient être observées. Il faudrait qu’on comprenne que les enfants de l’Irak, de la Chine et de l’Afrique, les enfants de la terre entière, ont le même droit à l’existence que les enfants américains. 

Heureusement, il y a des gens partout dans le monde qui croient que les être humain méritent partout les mêmes droits à la vie et à la liberté. Le 15 février 2003, à la veille de l’invasion de l’Irak, plus de dix millions de personnes, dans plus de soixante pays du monde entier, ont manifesté contre cette guerre. 

Il y a un refus croissant d’accepter la domination américaine et l’idée son exceptionnalisme. Récemment, lorsque le département d’Etat a sorti son rapport annuel établissant la liste des pays coupables de tortures et d’autres violations des droits de l’homme, il y eut des réponses indignées du monde entier pour commenter l’absence des Etats-Unis sur cette liste. Un journal turc écrivit : « Il n’est même pas fait mention des incidents de la prison d’Abou Ghraïb, pas plus que de Guantanamo. » Un journal de Sydney faisait remarquer que les Etats-Unis envoyaient des suspects – des gens qui n’ont ni été jugés ni même inculpés de quoi que ce soit – dans des prisons situées au Maroc, en Egypte, en Libye et en Ouzbékistan, des pays dont le département d’Etat prétend qu’ils recourent à la torture. 

Ici, aux Etats-Unis, malgré le fait que les médias « omettent » de le rapporter, il y a une résistance croissante à la guerre en Irak. Les sondages d’opinion révèlent qu’au moins la moitié des citoyens ne croient plus en la guerre. Le fait peut-être le plus significatif, c’est que parmi les forces armées et les familles des gens qui s’y trouvent, il y a de plus en plus d’opposition à cette guerre.
Après les horreurs de la Première Guerre mondiale, Albert Einstein a dit : « Les guerres cesseront quand les hommes refuseront d’y combattre. » Nous assistons actuellement au refus des militaires de combattre, au refus des familles de laisser leurs êtres chers partir à la guerre, à l’insistance des parents des enfants des collèges et universités pour que les sergents recruteurs se tiennent à l’écart de leurs écoles. Ces incidents qui se produisent de plus en plus fréquemment peuvent finalement, comme ce fut le cas avec le Vietnam, rendre impossible, pour le gouvernement, de poursuivre la guerre, et celle-ci finira par se terminer. 

Les véritables héros de notre histoire sont ces Américains qui ont refusé d’accepter que nous ayons une prétention particulière à la moralité et au droit exercer notre force contre le reste du monde. Je pense à William Lloyd Garrison, l’abolitionniste. Dans l’en-tête de son journal antiesclavagiste, The Liberator, figuraient les mots : « Mon pays est le monde. Mes compatriotes sont l’humanité. »


Howard Zinn, auteur de A People's History of the United States (Une histoire populaire des Etats-Unis) est historien et dramaturge. Son essai est l’adaptation d’une conférence donnée pour le Programme spécial du MIT (Massachusetts Institute of Technology) pour les Etudes urbaines et régionales.

Copyright Boston Review , 1993–2005.

Note  :
(*) Au sens protestant du terme : acte par lequel l’Eglise confère à une personne la charge d’un ministère ou d’une tâche particulière (NdT).

Traduction : Jean-Marie Flémal

Ressources Internet :


1600 milliards de dollars : le coût astronomique d’une décennie de guerre contre le terrorisme

par Eros Sana, 3 mars 2015

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont dépensé au moins 1600 milliards de dollars dans la lutte contre le terrorisme, au Moyen-Orient, en Amérique du Nord et aussi en Afrique, a révélé un rapport du Congrès. Avec 350 000 personnes tuées, le coût humain de l’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak est aussi extrêmement élevé. Ces centaines de milliards de dollars ont principalement bénéficié à l’industrie de l’armement et aux sociétés militaires privées. Et pour quels résultats alors que le Moyen-Orient continue de sombrer dans la guerre, le terrorisme et la pauvreté ?

Une facture de 1 600 milliards de dollars (1 300 milliards d’euros). Depuis le 11 septembre 2001, c’est la somme astronomique que les États-Unis ont dépensé, en treize ans, pour l’ensemble des guerres qu’ils ont menées, principalement en Afghanistan et en Irak. Sur une décennie, c’est presque deux fois le coût de l’assurance santé, l’ « Obamacare », dont bénéficient près de 20 millions d’États-uniens (900 milliards de dollars sur dix ans). Et c’est l’équivalent de ce que l’Inde et ses 1,2 milliards d’habitants ont produit en une année (son PIB). Ce montant n’est pas avancé par une ONG altermondialiste ou un collectif de pacifistes. Ce n’est ni plus ni moins qu’un organe du parlement nord-américain, le Congressional Research Service, qui l’avance dans un rapport intitulé « Coût des guerres en Irak, en Afghanistan et des guerres globales contre le terrorisme depuis le 11 septembre », et publié en décembre 2014 [1].

Malgré l’ampleur de l’estimation, plusieurs universitaires considèrent encore ces chiffres comme sous-évalués. Le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et l’académicienne Linda Bilmes avancent dans un livre désormais célèbre, « The three trillion dollar war », le chiffre de 3000 milliards de dollars ! Derrière le coût financier, d’autres rappellent l’impossibilité d’évaluer le coût humain. « Une comptabilité exhaustive des coûts de la guerre ne pourrait tenir dans un livre de comptes. Des civils blessés ou déplacés par la violence, aux soldats tués et blessés, en passant par les enfants qui jouent sur des routes et des champs parsemés de dispositifs explosifs improvisés et de bombes à sous-munitions, aucune série de chiffres ne peut retranscrire le bilan humain des guerres en Irak et en Afghanistan, ni comment elles se sont étendues aux États voisins et sont revenues aux États-Unis », estime Neta Crawford, enseignante en sciences politiques à l’Université de Boston.


Guerre en Irak et en Afghanistan : 350 000 morts

Neta Crawford co-dirige également le projet Cost Of War (« Coût de la guerre »), une plateforme de recherche interdisciplinaire. Le bilan que dresse Cost Of War des guerres états-uniennes est tout autant terrifiant : 350 000 morts directes, dont 174 000 civils en Irak, en Afghanistan et au Pakistan. Neta Crawford estime que le coût financier total s’approche davantage des 4400 milliards de dollars. Pourquoi une telle différence avec les chiffres du Congrès ? Dans cette évaluation, Neta Crawford ajoute les 316 milliards de dollars d’intérêt que les États-Unis remboursent à leurs créanciers, car la majeure partie de ces financements a été empruntée. Elle comptabilise également 1000 milliards de dollars supplémentaires, le coût de la couverture santé des « vétérans », les militaires démobilisés et blessés, parfois lourdement, physiquement ou psychologiquement.

À quoi ce déversement de dollars a-t-il été employé ? Si l’on s’en tient aux 1600 milliards du rapport du Congrès, cela couvre le soutien logistique des bases nord-américaines, la maintenance des armes, la formation des forces de sécurité irakiennes et afghanes, le coût des ambassades nord-américaines, l’aide aux États étrangers ou les efforts de reconstruction… Trois postes budgétaires majeurs composent ces dépenses : le prix de l’invasion de l’Irak (815 milliards de dollars), la guerre en Afghanistan (686 milliards de dollars) et les dépenses de prévention du terrorisme – 108 milliards dont 27 milliards pour l’opération Noble Eagle qui consiste à assurer un survol constant de l’espace aérien états-unien et d’une partie de l’espace aérien canadien par des avions de combats (voir aussi cet article en anglais de Mother Jones).


Contre-terrorisme au Sahel et au Nigeria : une belle réussite...

Ce montant faramineux démontre à lui seul le gigantisme qui caractérise le complexe militaro-industriel nord-américain. Précisons que ces 1600 milliards ne recoupent pas le budget de la défense des États-Unis. Le Pentagone dispose d’un budget séparé spécifique de 550 milliards de dollars. À eux seuls, les États-Unis représentent près de 40% des dépenses militaires dans le monde, pour 5% de la population mondiale ! Ce qui les place loin devant tous leurs rivaux.

Ce budget ne prend pas en compte les récentes opérations contre l’« État islamique », Daesh. Il n’inclut pas non plus, les dépenses propres aux opérations secrètes menées en partie par la CIA en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen et ailleurs, comme au Sahel où l’administration de Georges W. Bush avait lancé la « Trans-Sahel Counterterrorism Initiative ». Une initiative à 500 millions de dollars, regroupant les États sahéliens ainsi que le Nigeria et le Ghana, dans le but de combattre le terrorisme. Avec l’émergence d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) au Mali et la montée en puissance de Boko Haram au Nigeria, cette initiative n’a pas vraiment porté ses fruits. Bien au contraire !


Multinationales et sociétés militaires privées s’enrichissent

Ces sommes colossales font cependant des heureux : le complexe militaro-industriel. Ces sociétés sont les premières à avoir bénéficié de l’abondante manne guerrière et antiterroriste. Avec un chiffre d’affaires de plus de 45 milliards, Lockheed Martin, l’une des multinationales de l’armement les plus importantes au monde a vendu de tout : des véhicules blindés, des avions de chasse et de transport, des missiles Patriot ou Hellfire… Et pas seulement aux États-Unis, mais aussi aux États irakiens, afghans et israéliens. Boeing – qui ne construit pas que des avions de ligne, mais aussi des missiles –, ainsi que Raytheon, Northrop Grumman, General Dynamics ont aussi bénéficié de cette décennie de guerres. Ces cinq sociétés représentent plus d’un tiers des fournisseurs de l’US Army. « Le marché » ne s’y est pas trompé : leur cotation en bourse a grimpé après le début des frappes contre Daesh. En septembre 2014, la valeur boursière des quatre principaux fournisseurs militaires des États-Unis a augmenté de 19%, dépassant les prévisions de l’index de Standard & Poor.

Le business de la guerre et de la violence profite lui aussi des privatisations. Plusieurs dirigeants états-uniens ont proposé d’externaliser une partie des activités, et donc des coûts, de l’armée. Du combat direct sur le terrain, à la protection des ambassades et des personnalités nord-américaines ou étrangères, en passant par la récolte de renseignements, les États-Unis ont institutionnalisé le recours au « mercenariat corporate » : les sociétés militaires privées (SMP). En Irak, au pic de la présence nord-américaine et britannique, on estimait qu’environ cinquante sociétés militaires privées étaient en activité, employant près de 30 000 personnes, issus de différents pays : Nord-américains, Britanniques, mais aussi Népalais ou Bosniaques.


Un milliard de dollars par an aux mercenaires

Le Pentagone et le Département d’Etat ont recours à vingtaine de ces sociétés militaires privées. Elles emploient elles-mêmes près de 10 000 personnes. Une autre agence fédérale, le Congressional Budget Office a estimé qu’entre 2003 et 2007, le gouvernement a dépensé entre 3 et 6 milliards de dollars au profit des sociétés militaires privées. Les États-Unis imposent aussi aux gouvernements afghans et irakiens d’utiliser une partie du budget consacré à la reconstruction pour employer des sociétés militaires privées, majoritairement états-uniennes. En 2007, un sénateur démocrate, Henry Waxman, regrettait que près de 4 milliards de dollars, censés servir à la reconstruction, avaient été dépensés auprès de mercenaires sous-traitants.

C’est ainsi que l’une des plus grandes entreprises de mercenariat privé, Blackwater – qui s’appelle désormais Academi – a pu s’enrichir sur le dos des gouvernements irakiens et afghans. Leur enrichissement est d’autant plus condamnable que Blackwater est accusé d’avoir commis plusieurs exactions en Irak et en Afghanistan. En Irak, ses mercenaires ont été impliqués dans près de 200 fusillades ayant coûté la vie à des civils. Les sociétés militaires privées ont un statut juridique flou en droit international humanitaire. Comme elles entretiennent de très forts liens avec l’administration et l’armée états-uniennes, elles échappent pour l’instant à des sanctions judiciaires concernant leurs actions en zone de guerre.


Des milliards de dollars évaporés

Les vendeurs d’armes ne sont pas les seuls à s’enrichir. La première société « non combattante » à avoir bénéficié de cette décennie de guerre s’appelle KBR Inc., plus connue sous son ancien nom : Halliburton, une société para-pétrolière qui fournit matériaux et services pour l’extraction de l’or noir. KBR a longtemps été dirigée par Dick Cheney, ancien ministre de la Défense de Georges Bush senior et ancien vice-président de Georges Bush junior. Cette société proche des néoconservateurs a ainsi pu bénéficier d’un contrat pour la reconstruction de l’Irak, sans appel d’offre et avant même que commence l’invasion de ce pays en 2003. Un contrat constamment reconduit qui a rapporté plus de 39,5 milliards de dollars à KBR Inc.

Ce déversement d’argent n’a jamais été clairement tracé et contrôlé. Ainsi en 2011, la commission du Congrès on Wartime Contracting a estimé qu’entre 30 et 60 milliards de dollars avaient été détournés en corruption et autres fraudes. Pire, 6 milliards de dollars avaient complètement disparu. En plus des victimes de guerre, ce flux d’argent opaque a contribué à déstabiliser les communautés et les institutions irakiennes et afghanes. La corruption a renforcé les antagonismes locaux et régionaux en Afghanistan, entre Pachtounes, Hazaras et Ouzbeks. En Irak, elle a renforcé les antagonismes religieux entre chiites et sunnites, entre majorité musulmane et minorités chrétienne ou yézidie.


Qui paiera la prochaine facture ?

Les seigneurs de guerre, les chefs de clan, les leaders religieux, ainsi qu’une série de représentants d’autorités publiques ont entretenu la corruption comme système de gouvernance. Selon Transparency International, en 2013, l’Afghanistan de l’ancien président Hamid Karzaï, malgré la longue présence internationale, se classe très mal en matière de corruption : 140ème sur 177. Quant à l’Irak de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, il arrive en 170ème position... Un quart des Irakiens vivent dans une telle pauvreté qu’ils dépensent moins de 2,2 dollars par jour. Et ce, alors que sous leurs pieds se trouvent des réserves de pétrole parmi les plus importantes du monde. En Afghanistan, un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

« Tant que le Moyen-Orient restera un lieu de tyrannie, de désespoir et de colère, il continuera de produire des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité des États-Unis et de nos amis. Aussi, l’Amérique poursuit-elle une stratégie avancée de liberté dans le Grand Moyen-Orient », déclarait le président Bush junior en 2004 pour justifier les guerres commencées et à venir. 1600 milliards ont été dépensés. 350 000 personnes tuées. Pour rien ? L’Afghanistan est toujours en proie à l’instabilité et à la guérilla des talibans. Le mouvement terroriste Daesh a émergé en Syrie et en Irak et constitue une nouvelle menace. Qui paiera la facture des dix prochaines années ?

Eros Sana

Notes
[1] Pour télécharger le rapport, en anglais.

source de l'article


Le projet d’un « Nouveau Moyen-Orient »

Plans de refonte du Moyen-Orient, Par Mahdi Darius Nazemroaya, Mondialisation.ca, 11 décembre 2006

” L’hégémonie est aussi vieille que l’humanité… “ 
Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité Nationale aux États-Unis

L’expression ” Nouveau Moyen-Orient ” a été présentée au monde en juin 2006 à Tel Aviv par la Secrétaire d’État étatsunienne Condoleezza Rice (qui a été créditée par les médias occidentaux de l’avoir inventée) en remplacement de l’expression plus ancienne et plus imposante du ” Grand Moyen-Orient. “

Ce changement dans la phraséologie de politique étrangère coïncidait avec l’inauguration du terminal pétrolier Bakou-Tbilisi-Ceyhan en Méditerranée Orientale. L’expression et le concept de ” Nouveau Moyen-Orient, ” ont été plus tard annoncés par la Secrétaire d’État US et par le Premier ministre israélien au sommet du siège israélien du Liban parrainé par les anglo-étatsuniens. Le premier ministre Olmert et la Secrétaire Rice avaient informé les médias internationaux que le projet d’un ” Nouveau Moyen-Orient ” était lancé depuis le Liban.

Cette annonce confirmaient une ” feuille de route militaire ” anglo-israélo-étatsunienne au Moyen-Orient. Ce projet, qui était planifié depuis plusieurs années, consiste à créer un champ d’instabilité, de chaos, et de violence, s’étendant du Liban, Palestine et Syrie, à l’Irak, au golfe Persique, à l’Iran et aux frontières de l’Afghanistan tenu par l’OTAN.

Le projet du ” Nouveau Moyen-Orient ” était présenté publiquement par Washington et Tel Aviv avec l’espoir que le Liban serait le point de tension, pour la réorganisation entière du Moyen-Orient, permettant le déchaînement les forces du ” chaos constructeur. ” Ce ” chaos créateur ” — qui crée l’état de violence et de guerre dans toute la région — sera pour sa part utilisé de sorte que les USA, la Grande-Bretagne et Israël, puissent redessiner la carte du Moyen-Orient en fonction de leurs besoins et objectifs géostratégiques.

La nouvelle carte du Moyen-Orient

La Secrétaire Condoleezza Rice a déclaré lors d’une conférence de presse : ” Ce que nous voyons ici, concernant la destruction du Liban par des attaques israélienne contre lui, est dans un sens la croissance — les douleurs de l’enfantement — d’un ‘ Nouveau Moyen-Orient ‘, et tout ce que nous (les USA) faisons c’est de nous assurer de pousser en avant pour ne pas revenir à l’ancien. ” (1) La Secrétaire Rice était aussitôt critiqué mondialement pour ses déclarations sur le Liban et pour son indifférence à la souffrance d’une nation entière, qui était bombardé sans distinction par l’armée de l’air israélienne.

La feuille de route militaire anglo-US au Moyen-Orient et en Asie Centrale

Le discours de Condoleezza Rice sur le ” nouveau Moyen-Orient ” déterminait l’étape. Les attaques israéliennes sur le Liban — qui étaient entièrement approuvées par Washington et Londres — ont davantage compromis et confirmé l’existence des objectifs géostratégiques des USA, de la Grande-Bretagne, et d’Israël. Selon le professeur Mark Levine les ” néolibéraux globalisateurs et les néoconservateurs, et en fin de compte l’administration Bush, s’accrocheraient à la destruction créatrice comme à une manière de tracer le processus par lequel ils espèrent créer leurs nouveaux ordres mondiaux, ” et cette ” destruction créatrice était aux USA dans les mots du néoconservateur philosophe et conseiller de Bush, Michael Ledeen, ` une considérable force révolutionnaire ‘ pour (…) la destruction créatrice… ” (2)

L’Irak occupé par les Anglo-étatsuniens, en particulier le Kurdistan irakien, semble être un terrain d’entraînement à la balkanisation (fractionnement) et à la finlandisation (pacification) du Moyen-Orient. Déjà le cadre législatif — sous l’intitulé fédéralisation irakienne du parlement irakien –, pour la partition de l’Irak en trois parties est sorti. (Voir la carte ci-dessous)

De plus, la feuille de route militaire anglo-étatsunienne semble rivaliser avec une entrée en Asie Centrale via le Moyen-Orient. Le Moyen-Orient, l’Afghanistan, et le Pakistan sont des tremplins pour étendre l’influence US dans l’ancienne Union Soviétique et ses anciennes républiques soviétiques d’Asie Centrale. Le Moyen-Orient est dans une certaine mesure la ligne sud de l’Asie Centrale. L’Asie Centrale à son tour est aussi nommée ” la ligne sud de la Russie ” ou le ” Proche Étranger ” russe.

De nombreux érudits russes et d’Asie Centrale, planificateurs militaires, stratèges, conseillers de sécurité, économistes, et politiciens, considèrent que l’Asie Centrale (la ligne sud de la Russie) est le ” ventre mou ” de la Fédération de Russie. (3)

Il convient de noter que dans son livre, Le grand échiquier : La suprématie américaine et ses impératifs géostratégiques, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité Nationale US, fait allusion au Moyen-Orient moderne comme à un levier de contrôle d’une région qu’il appelle les Balkans Eurasiens. Les Balkans Eurasiens se composent du Caucase (Géorgie, Azerbaïdjan et Arménie) et de l’Asie Centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Afghanistan, et Pakistan) et dans une certaine mesure de l’Iran et de la Turquie. L’Iran et la Turquie formant les lignes les plus au nord du Moyen-Orient (en excluant le Caucase) (4) qui borde l’Europe et l’ancienne Union Soviétique.

La carte du ” Nouveau Moyen-Orient “

Une carte du Moyen-Orient, de l’Afghanistan aux mains de l’OTAN, et du Pakistan, passablement ignorée, circule dans les milieux stratégiques, gouvernementaux, de l’OTAN, de la politique et des cercles militaires, depuis mi 2006. Elle a donné l’occasion d’une apparition publique, peut-être pour tenter d’établir un consensus, ou pour préparer lentement le grand public aux possibles, et peut-être même cataclysmiques, changements au Moyen-Orient. C’est la carte d’un Moyen-Orient refondu et restructuré, assimilée au ” Nouveau Moyen-Orient. “

CARTE DU NOUVEAU MOYEN-ORIENT

Note : La carte ci-dessus a été préparée par le Lieutenant-colonel Ralph Peters. Elle a été publiée dans le Armed Forces Journal en juin 2006. Peters est colonel retraité de l’Académie Nationale de Guerre US. (Carte sous Copyright 2006 du Lieutenant-colonel Ralph Peters).

Bien que la carte ne reflète pas officiellement la doctrine du Pentagone, elle a servi dans un programme de formation au Defense College de l’OTAN pour les officiers supérieurs militaires. Cette carte, ainsi que d’autres cartes semblables, a servi à la National War Academy aussi bien que dans les cercles de planification militaire.

Cette carte du ” Nouveau Moyen-Orient ” semble reposer sur plusieurs autres, dont des cartes plus anciennes des frontières potentielles du Moyen-Orient remontant à l’ère du Président US Woodrow Wilson et de la Première Guerre Mondiale. Cette carte est exhibée et présentée comme une invention du Lieutenant-Colonel retraité (de l’armée US) Ralph Peters, qui pense que les frontières remodelées de la carte résoudront totalement les problèmes du Moyen-Orient contemporain.

La carte du ” Nouveau Moyen-Orient ” était un élément clef du livre du Lieutenant-Colonel retraité, Ne jamais abandonner le combat, qui a été diffusé au public le 10 juillet 2006. Cette carte d’un Moyen-Orient refondu a aussi été publiée, sous le titre Frontières de sang : À quoi ressemblerait un meilleur Moyen-Orient, dans le Armed Forces Journal des militaires étatsuniens avec le commentaire de Ralph Peters. (5)

Il convient de noter que le dernier poste du Lieutenant-colonel Peters fut la charge de Chef d’État-major adjoint pour le Renseignement, au Département de la Défense US, et il fut l’un des auteurs les plus en avant du Pentagone, avec de nombreux essais sur la stratégie pour les journaux militaires et la politique étrangère étatsunienne.

Il a été écrit, sur Ralph Peters, que ses ” quatre livres précédents sur la stratégie ont été très influent au gouvernement et dans les cercles militaires “, mais on sera pardonné de demander si vraiment le contraire pourrait en fait arriver. Ce pourrait-il que le Lieutenant-Colonel Peters soit en train de révéler et de proposer ce que Washington et ses planificateurs stratégiques ont prévu pour le Moyen-Orient ?

Le concept d’une refonte du Moyen-Orient a été présenté comme un arrangement ” humanitaire ” et ” juste “, qui bénéficiera aux peuples du Moyen-Orient et de ses régions périphériques. Selon Ralph Peter :

Les frontières internationales ne sont jamais tout à fait justes. Mais le degré d’injustice qu’elles infligent à ceux qu’elles forcent à se regrouper ou à se séparer fait une énorme différence — souvent la différence entre la liberté et l’oppression, la tolérance et la barbarie, l’autorité de la loi et le terrorisme, ou même la paix et la guerre.

Les frontières les plus arbitraires et les plus dénaturées du monde sont en Afrique et au Moyen-Orient. Dessinées par des européens intéressés (qui ont eu assez de difficultés à définir leurs propres frontières), les frontières de l’Afrique continuent à provoquer la mort de millions d’autochtones. Mais les injustes frontières du Moyen-Orient — pour emprunter à Churchill — génèrent plus de malheurs qu’il ne peut en être consommé sur place.

Alors que le Moyen-Orient a beaucoup moins de dysfonctionnements frontaliers que de problèmes — de stagnation culturelle à travers l’inégalité scandaleuse du mortel extrémisme religieux — le plus grand tabou pour tenter de comprendre l’échec complet de la région n’est pas l’Islam, mais les terribles et sacro-saintes frontières internationales adorées par nos propres diplomates.

Naturellement, aucun ajustement frontalier, aussi draconien soit-il, ne pourra rendre heureuse chaque minorité du Moyen-Orient. Parfois, les groupes ethniques et religieux vivent mélangés et mariés entre eux. Ailleurs, les sociétés fondées sur le sang ou la croyance ne sauraient se montrer aussi heureuses que leurs partisans actuels l’attendent. Les frontières projetées dans les cartes accompagnant cet article réparent les maux dont souffrent les groupes de population ” trompées ” les plus significatives, comme les Kurdes, les Balouchs et les Arabes Chiites (musulmans), mais elles échouent toujours à constituer un Moyen-Orient convenable pour les chrétiens d’orient, les Béhaistes, les Ismaéliens, les Naqshbandis et de nombreuses autres petites minorités. Et un mal obsédant ne peut jamais être réparé par une gratification territoriale : le génocide Arménien commis par l’Empire Ottoman agonisant.

Malgré toutes les injustices des frontières ré-imaginées ici, laissant des sans adresse sans révisions de frontières majeures, nous ne verrons jamais un Moyen-Orient plus paisible. Même pour ceux abhorrant le sujet d’altération des frontières, il serait très utile de se lancer dans l’exercice de tenter de concevoir une plus prometteuse, même si elle est encore imparfaite, modification des frontières nationales entre le Bosphore et l’Indus. En admettant que le savoir de l’homme d’État international n’a jamais développé d’outils efficaces — rien que la guerre — pour réajuster les frontières boiteuses, un effort mental pour comprendre les frontières ” organiques ” du Moyen-Orient nous aide cependant à comprendre l’ampleur des difficultés auxquelles nous faisons, et aurons à faire, face. Nous avons affaire à des difformités colossales créées par l’homme, qui ne cesseront d’engendrer haine et violence tant qu’elles ne seront pas corrigées. ” (6)

” Souffrance nécessaire “

En plus de croire qu’il existe une ” stagnation culturelle ” au Moyen-Orient, on doit noter que Ralph Peters admet que ses propositions sont ” draconiennes ” par leur nature, mais il insiste sur le fait que ce sont les souffrances nécessaires des peuples du Moyen-Orient. Cette vue de douleur nécessaire et de souffrance est un parallèle effrayant avec la conviction de Condoleezza Rice pour qui la dévastation du Liban par les militaires israéliens était une souffrance nécessaire ou les ” douleurs de l’enfantement ” du ” Nouveau Moyen-Orient ” qu’envisagent de créer Washington, Londres, et Tel Aviv.

De plus, il vaut la peine de noter que le sujet du Génocide arménien est politisé et ravigoté en Europe pour offenser la Turquie. (7)

La révision, le démantèlement, et le remontage des états nations du Moyen-Orient ont été emballés comme la solution aux hostilités du Moyen-Orient, mais c’est carrément trompeur, faux, et fictif. Les avocats d’un ” Nouveau Moyen-Orient ” et de la refonte des frontières de la région évitent et échouent à décrire sincèrement les racines des problèmes et des conflits au Moyen-Orient contemporain. Ce que les médias ne reconnaissent pas est le fait que presque tous les conflits principaux affligeant le Moyen-Orient sont la conséquence des ordres du jour anglo-israélo-étatsunien.

De nombreux problèmes affectant le Moyen-Orient contemporain résultent de l’aggravation délibérée des tensions régionales préexistantes. La division sectaire, la tension ethnique et la violence interne ont été généralement exploitées par les USA et la Grande-Bretagne dans diverses régions du globe, dont l’Afrique, l’Amérique Latine, les Balkans, et le Moyen-Orient. L’Irak est juste l’un des nombreux exemples de la stratégie anglo-étatsunienne du ” diviser et vaincre. ” D’autres exemples sont le Rwanda, la Yougoslavie, le Caucase, et l’Afghanistan.

Le manque de véritable démocratie est parmi les problèmes du Moyen-Orient actuel. En fait, elle avait été délibérément entravée par la politique étrangère des USA et des Anglais. La ” démocratie ” de style occidental a été une exigence seulement pour ces États du Moyen-Orient ne se conformant pas aux demandes politiques de Washington. Invariablement, cela constitue un prétexte de confrontation. L’Arabie Saoudite, l’Égypte, et la Jordanie sont des exemples d’États non démocratiques avec qui les USA n’ont aucun problème parce qu’ils sont solidement alignés dans l’orbite ou la sphère anglo-étatsunienne.

En plus, les USA ont délibérément bloqué ou supplanté les véritables mouvements démocratiques du Moyen-Orient, depuis l’Iran en 1953 (où un coup parrainé par les USA et le Royaume-Uni a été mis en scène contre le gouvernement démocratique du premier ministre Mossadegh), jusqu’à l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la Turquie, les Émirats Arabes, et la Jordanie, où l’alliance anglo-étatsunienne soutient le contrôle militaire, les absolutistes, et les dictateurs de toutes sortes. Le dernier exemple en est la Palestine.

La protestation turque au Military College de l’OTAN à Rome

La carte du ” Nouveau Moyen-Orient ” du Lieutenant-colonel Ralph Peters a déclenché des réactions irritées en Turquie. Selon des communiqués de presse turcs du 15 septembre 2006, la carte du “Nouveau Moyen-Orient ” a été montrée au Military College de l’OTAN à Rome en Italie. On a en plus signalé que les dirigeants turcs ont été aussitôt outrés par la présentation d’un partage et d’un morcellement de la Turquie (8). La carte a reçu une certaine forme d’approbation de la National War Academy étatsunienne avant sa divulgation devant les dirigeants de l’OTAN à Rome.

Le Chef d’État-Major turc, le Général Buyukanit, a contacté le président du Chef Adjoint d’État-major étatsunien, le Général Peter Pace, et a protesté contre l’événement et l’exhibition de la carte de refonte du Moyen-Orient, de l’Afghanistan, et du Pakistan (9). De plus, le Pentagone a abandonné sa façon de garantir à la Turquie que la carte ne reflète pas la politique officielle et les objectifs étatsuniens dans la région, mais cela semble être en conflit avec des actions anglo-étatsuniennes au Moyen-Orient et en Afghanistan sous mainmise de l’OTAN.

Y a-t-il un lien entre le projet des ” Balkans Eurasiens ” de Zbigniew Brzezinski et le ” Nouveau Moyen-Orient ” ?

Ce qui suit sont des extraits et des passages importants du livre de Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier : La suprématie américaine et ses impératifs géostratégiques. Brzezinski déclare aussi que la Turquie et l’Iran, les deux États les plus puissants des ” Balkans Eurasiens, ” situés sur la ligne sud, sont ” potentiellement vulnérable aux conflits ethniques internes (balkanisation), ” et que, ” si l’un ou les deux devaient être déstabilisés, les problèmes internes de la région deviendraient incontrôlables. ” (10)

Il semble que l’Irak divisé et balkanisé serait le meilleur moyen d’accomplir cela. Prenant ce que nous savons des propres confessions de la Maison Blanche ; il y a une croyance en ce que la ” destruction et le chaos créateurs ” au Moyen-Orient sont des atouts bénéfiques à son remodelage, pour réorganiser le ” Nouveau Moyen-Orient, ” et promouvoir la feuille de route anglo-étatsunienne au Moyen-Orient et en Asie centrale :

” En Europe, le mot ” Balkans ” évoque des images de conflits ethniques et de rivalités régionales de grandes puissances. L’Eurasie a aussi ses ” Balkans, ” mais les Balkans eurasiens sont beaucoup plus grands, plus peuplés, plus hétérogènes en religions et ethnies. Ils sont situés dans ce grand rectangle géographique qui délimite la zone centrale de l’instabilité mondiale (…) qui embrasse des régions du sud-est de l’Europe, de l’Asie Centrale et des régions du sud de l’Asie (Pakistan, Cachemire, ouest de l’Inde), la région de Golfe Persique, et le Moyen-Orient.

Les Balkans eurasiens forment le noyau intérieur de ce grand rectangle (…) ils diffèrent de leur régions externe d’une manière particulièrement significative : Ce sont un vide hégémonique. Bien que la plupart des États du Golfe Persique et du Moyen-Orient soient aussi instables, la puissance US est l’arbitre suprême de cette région. La région instable dans la zone externe est ainsi une région sous l’hégémonie d’une seule puissance, qui est modérée par cette hégémonie. Par contraste, les Balkans eurasiens évoquent vraiment les plus anciens et plus familiers Balkans du sud-est de l’Europe : Non seulement ce sont des entités politiques instables mais elles tentent et invitent l’intrusion de leurs plus puissants voisins, chacun d’eux étant déterminé à s’opposer à la domination des autres sur la région. C’est cette combinaison familière de vide hégémonique et d’aspiration au pouvoir qui justifie l’appellation ” Balkans eurasiens.

Les Balkans traditionnels représentaient un enjeu géopolitique potentiel dans la lutte pour la suprématie européenne. Les Balkans Eurasiens, à cheval sur le réseau de transport émergeant inévitablement censé relier plus directement les richesses et les travailleurs des extrémités occidentales et orientales d’Eurasie, ont aussi une importance géopolitique. D’ailleurs, ils sont d’importance du point de vue de la sécurité et des ambitions historiques d’au moins trois de leurs voisins les plus proches et plus puissants, à savoir, la Russie, la Turquie, et l’Iran, avec la Chine qui montre aussi un intérêt politique croissant pour la région. Mais les Balkans Eurasiens sont infiniment plus importants comme enjeu économique potentiel : Une énorme concentration de réserves de gaz naturel et de pétrole est localisée dans la région, en plus d’importants minerais, dont de l’or.

La consommation énergétique mondiale augmentera extrêmement, sans doute, dans les deux ou trois décennies suivantes. Les évaluations du Département de l’Énergie US prévoient que la demande mondiale augmentera de plus de 50 pour cent entre 1993 et 2015, avec l’augmentation de consommation la plus importante en Extrême-Orient. L’impulsion du développement économique asiatique produit déjà une énorme pression sur l’exploration et l’exploitation de nouvelles sources d’énergie, et la région de l’Asie Centrale et du bassin de la Mer Caspienne sont connus pour contenir des réserves de gaz naturel et de pétrole qui éclipsent celles du Koweït, du Golfe du Mexique, ou de la Mer du Nord.

L’accès à ces ressources et le partage de sa richesse potentielle représentent les objectifs qui agitent les ambitions nationales, motivent les intérêts des entreprises, ravivent des revendications historiques, raniment des aspirations impériales, et alimentent des rivalités internationales. La situation se fait plus volatile du fait que non seulement la région est un vide hégémonique mais elle est aussi intérieurement instable.

(…)

Les Balkans eurasiens incluent neuf pays, qui d’une façon ou d’une autre s’accordent à la description précédente, plus deux autres candidats potentiels. Les neuf sont le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, et la Géorgie — tous faisant partie autrefois de l’ancienne Union Soviétique –, ainsi que l’Afghanistan.

Les ajouts potentiels à la liste sont la Turquie et l’Iran, tous deux beaucoup plus viables politiquement et économiquement, tous deux concurrents actifs pour l’influence régionale dans les Balkans Eurasiens, et aussi les deux acteurs géostratégiques importants de la région. En même temps, tous deux sont potentiellement vulnérables aux conflits ethniques internes. Si l’un, l’autre ou les deux, devaient être déstabilisés, les problèmes internes de la région deviendraient ingérables, pendant que les efforts pour restreindre la domination régionale de la Russie pourraient même devenir vains. ” (11)

La refonte du Moyen-Orient

Le Moyen-Orient est à certains égards un parallèle saisissant des Balkans et du centre-sud de l’Europe durant les années menant à la Première Guerre Mondiale. Suite à la Première Guerre Mondiale les frontières des Balkans et du centre-sud de l’Europe ont été refondues. Cette région a expérimenté une période de bouleversements, de violences et de conflits, avant et après la Première Guerre Mondiale, résultant directement d’intérêts et d’interférences économiques étrangers.

Les raisons derrière la Première Guerre Mondiale sont plus sinistres que l’explication standard des livres scolaires, l’assassinat de l’héritier au trône de l’empire austro-hongrois (les Habsbourg), l’archiduc Franz Ferdinand, à Sarajevo. Les facteurs économiques étaient la vraie motivation de la guerre à grande échelle de 1914.

Normand Dodd, ancien banquier de Wall Street et enquêteur pour le Congrès US, qui a examiné les institutions US exemptées d’impôts, a confirmé lors d’une entrevue en 1982 que ces individus puissants, qui contrôlaient en coulisses les finances, les politiques, et le gouvernement US, avaient en fait aussi comploté l’intervention US dans une guerre qui contribuerait à fixer solidement leur mainmise sur le pouvoir.

Le témoignage suivant est la transcription de l’entrevue de Normand Dodd avec G. Edouard Griffin :

Nous sommes maintenant en 1908, l’année où la Fondation Carnegie entra en fonction. Cette année là, les administrateurs se réunissant pour la première fois soulevèrent une question précise dont ils discutèrent d’une manière très savante du début à la fin du bilan de l’année. La question était : Y a-t-il un moyen connu plus efficace que la guerre pour réaliser le souhait de changer la vie d’un peuple entier ? Et ils concluent qu’il n’existe à cette fin aucun moyen connu plus efficaces que la guerre. Ensuite, en 1909, ils soulevèrent la deuxième question, et discutèrent d’elle, à savoir, comment impliquerons-nous les Etats-Unis dans une guerre ?

Hé bien, je doute qu’à cette époque il y avait dans la pensée de la majeure partie des gens de ce pays (États-Unis) un sujet plus éloigné que leur participation à une guerre. Il y avait des émissions irrégulières sur la guerres des Balkans, mais je doute beaucoup qu’un grand nombre de gens savaient même où se trouvaient les Balkans. Et en définitive, ils répondirent ainsi à cette question : nous devons contrôler le Département d’État.

Et puis, cela souleva très naturellement la question : Comment ferons-nous cela ? Ils y répondirent en disant, nous devons prendre la direction et le contrôle de la machine diplomatiques de ce pays et, à la fin, ils décidèrent de s’atteler à cet objectif. Puis, le temps passant, nous avons fini par être dans une guerre qui sera la Première Guerre Mondiale. À ce moment-là, ils ont enregistré dans leurs minutes un rapport choquant selon lequel ils expédient au Président Wilson un télégramme l’avertissant de s’assurer que la guerre ne finisse pas trop vite. Et finalement, naturellement, la guerre se termina.

À ce moment-là, leurs intérêts se déplacèrent pour empêcher ce qu’ils appelaient un retour à la vie d’avant 1914 aux États-Unis, quand éclata la Première Guerre Mondiale.

Refondre et démembrer le Moyen-Orient, depuis les rivages méditerranéens orientaux du Liban et de la Syrie jusqu’à l’Anatolie (Asie Mineur), l’Arabie, le Golfe Persique, et le plateau iranien, répond aux larges objectifs économiques, stratégiques et militaires, qui font partie d’un ordre du jour anglo-israélo-étatsunien de longue date dans la région.

Le Moyen-Orient a été conditionné par des forces extérieures dans un baril de poudre prêt à exploser avec un bon déclencheur, peut-être le lancement de raids aériens anglo-américains et/ou israéliens contre l’Iran et la Syrie. D’une guerre élargie au Moyen-Orient peuvent résulter des frontières redessinées stratégiquement avantageuses pour les intérêts anglo-israélo-US.

L’Afghanistan aux mains de l’OTAN a été divisé avec succès, entièrement sauf son nom. L’animosité a été inséminée au Levant, où une guerre civile palestinienne est nourrie et est menée au Liban une campagne de divisions. La Méditerranée orientale a été militarisée avec succès par l’OTAN. La Syrie et l’Iran continuent à être diabolisés par les médias occidentaux, en vue de justifier une action militaire. Pour leur part, les médias occidentaux nourrissent, quotidiennement, de notions incorrectes et partiales, selon lesquelles les populations irakiennes ne pourraient pas coexister et le conflit ne serait pas une guerre d’occupation mais ” une guerre civile ” caractérisée par des différends internes entre chiites, sunnite et kurdes.

Les tentatives pour créer intentionnellement de l’animosité entre les différents groupes ethnico-culturels et religieux du Moyen-Orient ont été systématiques. En fait, elles font partie d’un ordre du jour secret soigneusement conçu et réfléchi.

Bien plus inquiétant, de nombreux gouvernements du Moyen-Orient, tels que celui d’Arabie Saoudite, aident Washington à fomenter des divisions entre populations. L’objectif final étant d’affaiblir le mouvement de résistance contre l’occupation étrangère par la ” stratégie du diviser et vaincre ” qui sert les intérêts anglo-israélo-étatsunien dans la région entière.

Mahdi Darius Nazemroaya est auteur indépendant à Ottawa, spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient et d’Asie Centrale. C’est un Chercheur Associé du Center for Research on Globalization (CRG).

Notes

1 Briefing spécial sur le voyage au Moyen-Orient et en Europe de la Secrétaire d’État Condoleezza Rice, Washington, DC. Le 21 juillet 2006. http://www.state.gov/secretary/rm/2006/69331.htm

2 Professeur Mark LeVine, “The New Creative Destruction“, Asia Times, le 22 août 2006. http://www.atimes.com/atimes/Middle_East/HH22Ak01.html

3 Professeurr Andrej Kreutz; The Geopolitics of post-Soviet Russia and the Middle East, Arab Studies Quarterly (ASQ), Association of Arab-American University Graduates, Washington D.C., janvier 2002. http://findarticles.com/p/articles/mi_m2501/is_1_24/ai_93458168/pg_1

4 Le Caucase, ou la Caucasie, peut être considéré comme une région du Moyen-Orient ou comme une région séparée.

5 Lieutenant-Colonel (retraité) Ralph Peters; “Blood borders: How a better Middle East would look“, Armed Forces Journal (AFJ), juin 2006 http://www.armedforcesjournal.com/2006/06/1833899

6 Ibid

7 Crispian Balmer; French MPs back Armenia genocide bill, Turkey angry, Reuters, 12 octobre 2006.

James McConalogue; French against Turks: Talking about Armenian Genocide, The Brussels Journal, 10 octobre 2006. http://www.brusselsjournal.com/node/1585

8 Suleyman Kurt; Carved-up Map of Turkey at NATO Prompts U.S. Apology, Zaman (Turkey), 29 Septembre 2006. http://www.zaman.com/?bl=international&alt=&hn=36919

9 Ibid

10 Zbigniew Brzezinski; The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geo-strategic Imperatives, Basic Books, New York, 1998 http://www.perseusbooksgroup.com/basic/book_detail.jsp?isbn=0465027261

11 Ibid

Original : Global Research, 18 novembre 2006.

Traduction de Pétrus Lombard.


L’OTAN n’amène que la destruction, la pauvreté, l’insécurité et la misère. Elle doit être abolie


Par Silvia Cattori et Mahdi Darius Nazemroaya
Mondialisation.ca, 22 mars 2013

Apprécié pour la rigueur et la justesse de ses analyses le sociologue canadien Mahdi Darius Nazemroaya (*), 30 ans, s’est imposé comme un des meilleurs connaisseurs de l’OTAN. Ses investigations, traduites en de nombreuses langues, ont acquis une audience internationale et son ouvrage « The globalisation of NATO » [« La mondialisation de l’OTAN »] fait aujourd’hui référence. En 400 pages denses, fascinantes, préoccupantes, il nous fait prendre la mesure de la menace que l’OTAN fait peser sur la paix du monde et l’avenir de nombreux peuples. Il nous fait également prendre conscience de l’urgence qu’il y aurait à obtenir la dissolution de cette dangereuse organisation.

Silvia Cattori : Dans votre remarquable ouvrage vous mettez en lumière les stratégies mises en place par l’OTAN pour étendre son emprise militaire dans le monde. J’aimerais vous demander ce qui vous a motivé à consacrer tant d’énergie à un sujet aussi ardu et exigeant. Comment en êtes-vous venu à considérer que l’analyse du rôle de l’OTAN et des stratégies qu’elle a mises en place était une tâche absolument essentielle ?

Mahdi Darius Nazemroaya : Les graines de ce livre ont été semées en 2007. J’avais alors rédigé un petit manuscrit mettant en relation les guerres en Afghanistan et en Irak (qui avaient fait suite aux tragiques évènements du 11 septembre 2001) avec l’expansion de l’OTAN, le projet de bouclier antimissiles états-unien – que je décrivais comme s’étant finalement couvert du manteau d’un projet de l’OTAN, – et le concept de ce que les néoconservateurs et leurs alliés sionistes appellent « destruction créative » pour redessiner la restructuration des pays du Moyen-Orient, et l’encerclement aussi bien de la Chine que de la Russie.

J’ai toujours considéré que tous les évènements négatifs auxquels le monde est confronté étaient les éléments d’un ensemble ; ou de ce que le savant et révolutionnaire hongrois György Lukács a appelé « totalité fragmentée ». Les guerres en « série », l’accroissement des lois de sécurité, la guerre contre le terrorisme, les réformes économiques néolibérales, les « révolutions colorées » dans l’espace post-soviétique, la diabolisation de différentes sociétés par les médias, l’élargissement de l’OTAN et de l’Union Européenne, et les fausses accusations au sujet d’un programme d’armement nucléaire iranien font partie d’un tout. Un de mes articles publié en 2007 [1], posait également les principales bases de cette feuille de route et reliait tous les éléments de la guerre perpétuelle à laquelle nous assistons.

J’ai écrit ce livre parce que je pensais que c’était un sujet très important. J’ai lu la plupart des textes de l’abondante littérature concernant l’OTAN et aucun n’examine l’OTAN dans la perspective critique où je me place. De même qu’aucun ne relie l’OTAN de manière pertinente à une « vue d’ensemble » des relations internationales. Un chercheur de l’Université Carleton m’a dit que mon livre était comme une Bible des relations internationales et de tous ses sujets importants. Je vois moi aussi mon livre sur l’OTAN de cette manière.

Ma principale motivation pour écrire ce livre était d’amener les lecteurs à prendre conscience de la nature impérialiste des conflits internationaux modernes et de les aider à en voir la « totalité » au lieu de ses éléments « fragmentés ». Quand vous voyez l’ensemble, vous êtes en mesure de prendre de meilleures décisions. Je pense avoir donné de l’OTAN une évaluation correcte. Dans sa bibliothèque à Bruxelles il y a un exemplaire de mon livre. C’est l’OTAN elle-même qui a annoncé son acquisition comme l’une des ressources de sa bibliothèque, en novembre 2012. Ce livre est ma contribution, en tant que chercheur, pour essayer de permettre aux lecteurs de prendre des décisions en connaissance de cause en voyant au-delà des effets de miroirs et des éléments fragmentés du tableau.

Aujourd’hui dans le monde, les gens sont de façon générale plus instruits. Mais malheureusement l’ignorance se répand en ce qui concerne les relations de pouvoir et ce qui se passe dans ce domaine au niveau mondial. Nous entrons dans une ère trompeuse de l’histoire où beaucoup de gens à travers le monde sentent de plus en plus qu’ils ne peuvent rien faire d’autre que d’être des spectateurs impuissants, réduits à n’être que des particules, des rouages, ou des extensions d’une immense machine invisible sur laquelle ils n’ont aucun contrôle.

Les scénarios du livre de George Orwell « 1984 » se sont pour l’essentiel réalisés. Les gens sont devenus étrangers à leur monde et gouvernés de plus en plus par cette machine capitaliste invisible qui travaille à détruire toutes sortes de façon alternatives de vivre ou de penser ; l’ordre qui s’impose aujourd’hui à nous est comme un resserrement de la « cage d’acier » de Max Weber [2] qui réduit de plus en plus notre indépendance et nos mouvements.

La plupart des gens regardent maintenant les nouvelles et la télévision passivement. Ils essaient de se distraire de la réalité ; ils tentent d’engourdir leur conscience et de vivre dans un faux état de bonheur qui leur permet d’ignorer la réalité et les misères du monde. Collectivement, nos esprits ont été colonisés, on leur a fait croire à un faux ordre des choses. L’humanité est en train d’être de plus en plus déshumanisée. Peut-être que j’ai l’air hégélien, mais les gens deviennent étrangers à eux-mêmes. Ils deviennent aussi étrangers aux capacités de leur propre esprit et aux talents dont ils ont été dotés. Mais la vérité est que nous ne sommes pas séparés des évènements et des processus qui façonnent ce monde. Nous ne devrions pas devenir les esclaves des objets ou des structures de notre propre fabrication, que ce soit le capitalisme ou les structures politiques. Nous ne devons pas devenir de simples spectateurs de notre parcours de vie.

L’hégémonie est un processus continu de leadership, de contrôle, et d’influence qui implique à la fois la contrainte et le consentement. Mais son emprise n’est jamais totale et elle peut toujours être combattue. Nous voyons des défis à l’hégémonie dans la construction de blocs historiques qui affrontent les centres de pouvoir impérialistes et capitalistes. Le Mouvement bolivarien d’Hugo Chávez et l’ALBA sont des exemples réussis d’une contestation de l’hégémonie traditionnelle des élites compradores qui gouvernent la région au bénéfice de forces extérieures.

Silvia Cattori : Un grand chapitre passionnant et troublant de votre livre est consacré à l’Afrique. L’entrée en guerre de la France au Mali n’a pas dû être une surprise pour vous. La déstabilisation de ce pays affaibli, engendrée par l’intervention de la France en Libye, n’ouvre-t-elle pas une grave crise dans tous les pays du Sahel, de l’Atlantique à la Mer rouge ?

Mahdi Darius Nazemroaya : Dès le début j’ai soutenu que la division du Soudan, l’intervention française en Côte d’Ivoire soutenue par les États-Unis, et la guerre de l’OTAN en Libye, faisaient partie d’une deuxième « ruée vers l’Afrique ». J’ai expliqué que la guerre en Libye visait à déstabiliser d’autres parties de l’Afrique et aurait un effet d’entraînement sur une large partie de ce continent incluant des pays comme le Niger et le Mali.

Dans mon livre, j’ai examiné le Sahel qui est constitué par les terres intérieures de l’Algérie, du Niger, de la Libye, et du Mali. La guerre de l’OTAN contre la Libye a déclenché une réaction en chaîne, comme une démolition contrôlée, que les États-Unis et leurs alliés utilisent pour contrôler une vaste portion de l’Afrique et de ses ressources. Comme la première « ruée vers l’Afrique » qui a été déclenchée par une crise économique dans les pays industrialisés de l’Europe occidentale, ces évènements concernent en fait le contrôle des ressources. Alors que les États-Unis s’impliquaient davantage en Afrique, son gouvernement et le Pentagone se sont mis à parler de plus en plus de l’expansion des facilités dont disposait Al-Qaïda en Afrique et de la manière dont l’armée américaine et ses alliés devaient combattre cette organisation en augmentant leur présence sur le continent africain. En fait, les États-Unis ont constitué en 2011 un budget pour l’actuelle guerre au Mali sous le couvert de la lutte contre Al-Qaïda en Afrique de l’Ouest. Des intérêts stratégiques comme l’obsession grandissante des États-Unis pour le Golfe de Guinée et l’approvisionnement en pétrole en Afrique de l’Ouest sont occultés dans un récit qui nous parle de la lutte contre les groupes terroristes rangés sous le label d’Al-Qaïda. Nous savons d’expérience que l’Empire américain a en fait travaillé avec ces groupes, aussi bien en Libye qu’en Syrie. Et que l’on cherche à pousser hors d’Afrique la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, et d’autres rivaux économiques du bloc occidental, mais on n’en parle pratiquement pas. En lieu et place, on déguise les intérêts des États-Unis et des ses alliés de l’OTAN comme la France, en objectifs altruistes visant à aider des États faibles.

Pour en revenir au Mali. Je n’ai pas été surpris quand le Président François Hollande et son gouvernement ont ordonné aux soldats français d’envahir ce pays. Aussi bien la France que les États-Unis sont très au fait des réserves de gaz et de pétrole au Mali, au Niger, et dans l’ensemble du Sahel. Mon livre traite de ces points et de la création par le gouvernement français, en 1945, d’un Bureau de recherches pétrolières dans le but d’extraire le pétrole et le gaz de cette région. Quelques années plus tard, en 1953, Paris a délivré des licences d’exploitation à quatre compagnies françaises en Afrique. En raison de ses craintes, à la fois des empiétements américains et des demandes africaines d’indépendance, Paris a créé l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) pour maintenir son contrôle sur les parties riches en ressources de ses territoires africains qui possèdent du pétrole, du gaz, et de l’uranium. L’uranium a été important pour garantir l’indépendance de la France vis-à-vis de Washington par la création d’une force de dissuasion nucléaire stratégique, en riposte au monopole anglo-américain.

Ce n’est donc pas un hasard si les zones du Sahel que les États-Unis et ses alliés ont désignées comme faisant partie de la zone où Al-Qaïda et les terroristes sont situés correspondent à peu près aux frontières de l’OCRS, riche en énergie et en uranium. En 2002, le Pentagone a commencé d’importantes opérations visant à contrôler l’Afrique de l’Ouest. Cela a eu lieu sous la forme de l’Initiative Pan-Sahel, qui a été lancée par l’US European Command (EUCOM) et l’US Central Command (CENTCOM). Sous la bannière de ce projet de l’armée américaine, le Pentagone a formé des troupes du Mali, du Tchad, de la Mauritanie, et du Niger. Les plans visant à établir l’Initiative Pan-Sahel remontent toutefois à 2001, lorsque l’Initiative pour l’Afrique a été lancée à la suite des attentats du 11 septembre. Sur la base de l’Initiative Pan-Sahel, la Trans-Saharan Counter-terrorism Initiative (TSCTI) a été lancée en 2005 par le Pentagone sous le commandement du CENTCOM. Le Mali, le Tchad, la Mauritanie, et le Niger ont été rejoints par l’Algérie, le Maroc, le Sénégal, le Nigeria, et la Tunisie. La TSCTI a été transférée en 2008 au commandement de l’AFRICOM récemment activé. Il faut relever que le capitaine Amadou Sanogo, le leader du coup d’État militaire qui a eu lieu au Mali le 21 mars 2012, est l’un des officiers maliens qui ont été formés dans le cadre de ces programmes américains en Afrique de l’Ouest.

L’analyse du coup d’État de 2012 au Mali montre qu’il s’agit d’un acte criminel. Le coup d’État militaire a renversé le Président Amadou Toumani Touré sous prétexte qu’il ne pouvait pas restaurer l’autorité malienne sur le nord du pays. Le Président Amadou était sur le point de quitter son poste et n’avait pas l’intention de rester dans la vie politique, et les élections allaient avoir lieu dans moins de deux mois. Ce coup d’État a essentiellement empêché une élection démocratique d’avoir lieu et l’action du capitaine Sanogo a mis fin au processus démocratique au Mali et a déstabilisé le pays. Sa nouvelle dictature militaire a été reconnue par l’OTAN et par le gouvernement installé en Côte d’Ivoire par les Français. Les États-Unis ont continué à financer le gouvernement militaire du Mali et des délégations militaires et civiles des États-Unis et d’Europe occidentale ont rencontré le régime militaire de Sanogo. Peu après, la France a déclaré qu’elle avait le droit d’intervenir en Afrique partout où ses citoyens et ses intérêts étaient menacés. C’était autant de préliminaires.

Les armes qui sont utilisées au Mali et au Niger aussi bien par les groupes terroristes que par les tribus touaregs sont liées aux actions de l’OTAN en Libye. Plus précisément ces armes viennent des arsenaux libyens pillés, et des armes envoyées en Libye par les Français, les Anglais et les Qataris. L’OTAN a eu un rôle direct dans ce domaine et l’on sait que les Français ont soudoyé les groupes touaregs et ont contribué à les armer et à les financer durant la guerre contre la Libye. Du reste, en Afrique, les Français ont toujours manipulé les Touaregs et les Berbères contre d’autres groupes ethniques à des fins coloniales.

Par ailleurs, les tensions entre le Soudan et le Sud-Soudan sont attisées. La région soudanaise du Darfour et la Somalie sont toujours des points chauds. Tout cela fait partie d’un arc africain de crise qui est utilisé pour restructurer l’Afrique et l’englober dans les frontières du bloc occidental.

Silvia Cattori : Quand sous l’impulsion du président Sarkozy, après 33 ans de retrait, la France est revenue dans le commandement militaire de l’OTAN, il n’y a eu aucune protestation. N’est-ce pas le signe que les citoyens ignorent, que cette organisation menace l’humanité et que l’appartenance de leur pays à l’OTAN implique sa subordination à la politique étrangère belliciste de Washington et la perte de sa souveraineté ?

Mahdi Darius Nazemroaya : Je pense que ce que le Président Sarkozy a fait en réintégrant la France dans le commandement militaire de l’OTAN est largement le reflet d’un consensus au sein de la classe politique française. Je sais qu’à Paris de nombreuses voix politiques l’ont critiqué, mais si au sein de la classe politique française l’opposition avait été intransigeante, elle aurait pu faire beaucoup plus que parler. Aujourd’hui, les membres de l’establishment politique français, aussi bien à « gauche » qu’à « droite », se battent entre eux pour savoir qui va le mieux servir les centres impérialistes et capitalistes à Washington et à New York. L’establishment politique français ne fait pas cela parce qu’il est particulièrement pro-américain, mais parce qu’il est au service du système mondial corrompu qui sert lui-même le capitalisme global dont le centre en voie d’affaiblissement est aux États-Unis. Ainsi, nous avons aussi besoin de réévaluer ce qu’est l’anti-américanisme, ou d’où proviennent et ce que représentent en fait les sentiments anti-américains.

De larges segments de l’élite de l’Europe occidentale sont au service de ce système mondial parce que leurs propres intérêts y sont investis et y sont liés. Comme les États-Unis sont en voie d’affaiblissement et en lutte pour maintenir leur primauté mondiale en tant que centre du capitalisme, de la régulation et de l’accumulation capitaliste, ils vont de plus en plus déléguer leurs missions impériales à des pays comme la France. On verra également davantage de compromis entre les États-Unis et des pays alliés comme la France et l’Allemagne. Il s’agit là d’une décentralisation dialectique du pouvoir des États-Unis visant à renforcer l’hégémonie du système mondial et à maintenir l’Empire américain par délégation. Il faut noter que ce système capitaliste mondial est fragmenté en blocs, raison pour laquelle nous voyons des rivalités entre les États-Unis, la Chine et la Russie.

De façon générale, la majorité des citoyens dans de nombreuses sociétés sont de plus en plus passifs vis-à-vis des décisions de leurs gouvernements et de leurs dirigeants. C’est le reflet d’un sentiment croissant d’aliénation, de détachement et d’impuissance qui a transformé les êtres humains en marchandises et en objets. Cela fait partie du resserrement de la « cage d’acier » dont je parlais plus haut, en termes weberiens.

Silvia Cattori : La France a été au commencement, avec le Qatar, le principal « parrain » de la déstabilisation de la Syrie [3]. La Chine et la Russie ont empêché par leurs vétos l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité qui aurait autorisé une intervention militaire de l’OTAN comme cela a été le cas en Libye. Mais on peut se demander si les pays de l’OTAN et leurs alliés arabes ne sont pas en train de réaliser leur plan de déstabilisation de la Syrie par d’autres voies ? Et pensez-vous que la Chine et la Russie pourront durablement contenir l’OTAN tant que les pays émergents n’auront pas leur mot à dire et les moyens d’imposer un véritable multilatéralisme au Conseil de sécurité ?

Mahdi Darius Nazemroaya : En premier lieu, il faut voir que les évènements en Syrie font partie d’une guerre par procuration menée par les États-Unis, l’OTAN, Israël et les dictatures arabes (comme l’Arabie Saoudite), contre la Chine, la Russie, l’Iran et leurs alliés. Deuxièmement, quand on considère les évènements en Syrie d’un point de vue international, on devrait penser à la Guerre civile espagnole qui a éclaté avant la Deuxième guerre mondiale. De même, on peut considérer les évènements en Libye et en Afrique, et peut-être les invasions antérieures de l’Afghanistan et de l’Irak, en pensant à l’invasion de la Chine par le Japon ou l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne avant la Deuxième guerre mondiale. Cela ne signifie pas que la Syrie ou ces évènements soient nécessairement le prélude à une Troisième guerre mondiale, mais ils ont le potentiel d’allumer un vaste incendie au niveau mondial — à moins que l’on ne pense que tous ces évènements font déjà partie de la Troisième guerre mondiale.

Les thèses de Giovanni Arrighi sur les cycles systématiques d’accumulation dans le « système-monde » peuvent nous aider à trouver une base de réflexion. Son travail est important parce que nous pouvons l’utiliser pour lier entre eux, de la Syrie à l’Afrique, les éléments dont nous parlions en termes de « totalité fragmentée » constituant le système mondial. Les cycles d’accumulation étudiés par Arrighi se rapportent à des périodes de temps qui s’étendent sur une centaine d’année ou plus, durant lesquelles le centre du capitalisme dans le système mondial se situe dans un lieu géographique ou un pays donné. Ses thèses sont fortement influencées par les travaux du savant français Fernand Braudel sur l’expansion du capitalisme. Pour Arrighi ces centres d’accumulation ont été les pouvoirs hégémoniques du système mondial en expansion. À la dernière étape de chaque cycle, les capitalistes déplacent leurs capitaux de ces centres dans d’autres endroits et finalement dans le nouveau centre capitaliste qui a émergé. Ainsi, chronologiquement, le pouvoir hégémonique du système mondial a été transféré de la ville-État italienne de Gênes aux Pays-Bas, puis en Grande Bretagne et, finalement, aux États-Unis. Le déplacement géographique du centre du système mondial se produit au cours d’une période de crise, au moins pour les anciens centre capitalistes, et dans un court laps de temps. Nous en arrivons aujourd’hui à la Chine. Ce qui se passe est que le centre du capital est sur le point de sortir des États-Unis. Si l’on suit la tendance soulignée par Arrighi, alors le prochain centre d’accumulation capitaliste du système mondial sera la Chine. Toutefois d’autres scénarios ne sont pas à écarter, comme une direction globale de toutes les principales puissances capitalistes. En me référant aux travaux d’Arighi, je veux dire ici que nous avons affaire à un système capitaliste mondial qui inclut la Chine et la Russie. Ni les États-Unis ni la Chine ni la Russie ne veulent perturber ce système. Ils sont en compétition pour en devenir le centre d’accumulation capitaliste. C’est pourquoi aucune des parties ne veut une guerre directe. C’est pourquoi les Chinois n’ont pas utilisé la dette étrangère américaine pour dévaster l’économie des États-Unis ; la Chine souhaite voir un transfert ordonné du centre d’accumulation depuis les États-Unis.

La Chine et la Russie ne changeront pas leurs politiques et leurs positions sur la Syrie ou l’Iran, mais elles veulent éviter une guerre qui perturbe le système capitaliste mondial. Bien sûr, les États-Unis essaient de maintenir leur position en tant que centre du système mondial, par la force brute, ou en impliquant leurs alliés et vassaux dans leurs opérations impérialistes, comme au Mali et en Libye.

Silvia Cattori : Vous consacrez un long chapitre (p 67 à 113) à l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie. Pouvez-vous résumer pour nos lecteurs ce à quoi cette guerre, qui a démembré un pays et généré tant de souffrances, devait aboutir ?

Mahdi Darius Nazemroaya : Le démantèlement de la République fédérative socialiste de Yougoslavie a été une étape importante pour ouvrir les portes d’une expansion vers l’Est de l’OTAN et de l’Union Européenne. Il a ouvert la route pour la marche vers les frontières de la Russie et de l’ex-Union soviétique. L’ex-Yougoslavie était aussi un obstacle majeur vis-à-vis du projet euro-atlantique de l’OTAN et de l’UE en Europe. En outre, la guerre de l’OTAN en Yougoslavie a permis de préparer la logistique des guerres en Afghanistan et en Irak.

Silvia Cattori : Denis J.Halliday [4] écrit dans la préface de votre ouvrage : « L’OTAN n’amène que la destruction, la pauvreté, l’insécurité et la misère. Elle doit être abolie ». Quand on sait qu’il n’y a aucun mouvement qui s’oppose à la guerre, que des ONG comme Amnesty, HRW, MSF, MDM, prennent le parti de l’ingérence militaire des grandes puissances, comme on l’a vu en ex-Yougoslavie, au Soudan, en Libye, en Syrie, que peut-on suggérer à toute une jeunesse en quête de justice et désireuse d’agir pour un monde meilleur ? Que peuvent faire concrètement les peuples européens contre la machine destructrice de l’OTAN ?

Mahdi Darius Nazemroaya : Comme je l’ai dit, nous en sommes arrivés à la situation décrite par George Orwell dans son roman “1984”. Amnesty International, Human Rights Watch, et une grande partie des ONG de l’industrie humanitaire sont des outils de l’impérialisme pratiquant les deux poids deux mesures. Les organisations d’aide étrangère sont profondément politiques et politisées. Cela ne signifie pas que tous leurs employés soient de mauvaises gens qui ne veulent pas aider le monde. Bon nombre de leurs employés et des bénévoles sont des gens estimables ; ils ne comprennent pas tous les faits et ils ont de bonnes intentions. Ces gens ont été trompés ou aveuglés par la pensée de groupe institutionnelle. Leurs esprits devraient être débarrassés de tous les préjugés et de la désinformation dont ils ont été nourris ; une véritable tâche de dévouement.

Les citoyens des pays de l’OTAN doivent travailler à se positionner eux-mêmes pour informer leurs sociétés respectives sur l’OTAN et finalement les influencer pour qu’elles se retirent de cette organisation. Cela peut être fait de diverses manières. Mais cela commence par une compréhension de ce qu’est l’OTAN et une connaissance non censurée de son histoire.

Je ne suis pas une autorité morale ou un stratège. Se maintenir soi-même sur la bonne voie est déjà un défi assez difficile, je pense. Je n’ai aucun droit à pontifier sur la façon dont les gens devraient vivre. Je vais toutefois vous dire ce que je pense personnellement. À mon avis, le plus gros problème pour beaucoup de gens est qu’ils veulent changer le monde à une beaucoup trop grande échelle sans s’attaquer aux problèmes immédiats dans leurs propres vies. Je trouve que la meilleure manière de changer le monde est de commencer par de petits pas dans notre vie de tous les jours. Je parle ici d’ « échelle » et pas de « changement graduel » ou de « rythme ». Faire un monde meilleur commence par votre environnement immédiat. Le changement commence avec vous-même et ceux qui vous entourent, tout comme le devrait la charité. Imaginez si la plupart des gens faisaient cela ; le monde serait changé par petites étapes qui aboutiraient collectivement à un changement monumental. Rien de tout cela ne peut non plus se faire sans patience et détermination, et je souligne encore une fois qu’action et connaissance ne devraient pas être séparées. Je ne sais que dire de plus.

Silvia Cattori : En mettant ensemble les pièces du puzzle vous démontrez magistralement dans votre livre comment ces guerres en série, menées sous des prétextes humanitaires, s’inscrivent dans une stratégie de « destruction créative » conçue par « les néoconservateurs et leurs alliés sionistes », et comment – de la Yougoslavie, à l’Afghanistan, à l’Irak et à la Libye – elles sont toutes liées. Des personnalités de premier plan, comme l’ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU Denis J. Halliday qui a préfacé votre ouvrage, vous donnent entièrement raison : l’OTAN est bel et bien le principal danger pour la paix du monde. Mais vous savez qu’en Europe, notamment dans les pays où, comme en France, les organisations juives ont une forte emprise sur les politiques et les médias, dénoncer la stratégie des néoconservateurs et de leur allié Israël [5], ou dénoncer les révolutions colorées suffit à vous faire cataloguer comme « théoricien du complot » et à vous écarter du débat. Que peut-on faire à votre avis pour modifier cette désespérante situation ?

Mahdi Darius Nazemroaya : Mon expérience (au Canada) est différente. On ne m’a jamais qualifié de théoricien du complot. Je pense que la censure des médias et le mépris systématique sont des tactiques clés utilisées contre ceux qui remettent en question le récit dominant ou les opinions énoncées par les forces hégémoniques qui dominent la société. L’objectif visé en diabolisant des personnes ou des groupes sous le qualificatif de « théoriciens du complot » est de les discréditer et de les neutraliser. Cela se produit généralement quand ils ont beaucoup attiré l’attention et quand ils ont aussi quelques idées fausses qui peuvent être ridiculisées et liées à leurs positions. Néanmoins, ceux qui se voient qualifiés de théoriciens du complot ne devraient pas laisser cette accusation les dissuader de maintenir leurs positions et de continuer à s’adresser aux gens. Car la démoralisation fait partie de la tactique utilisée pour réprimer les points de vue et réflexions « dérangeantes ».

Les groupes et les lobbies sionistes ont une présence forte et disproportionnée dans le domaine politique et dans les médias de plusieurs pays, mais il faut reconnaître qu’ils ne sont pas homogènes et qu’ils ne sont pas les seuls facteurs influents ; ils font partie d’un bloc d’intérêts pour qui il est important d’empêcher qu’un discours critique n’ébranle les forces hégémoniques qui dominent aujourd’hui la société. Et les lobbies sionistes ne sont pas tous liés à Israël. Il arrive qu’un groupe sioniste travaille à introduire et à imposer à Israël des projets externes. Les motivations de ces groupes ne sont pas toutes les mêmes, mais elles font partie du programme dominant qui s’est développé en ce que les renommés sociologues Giovanni Arrighi et Immanuel Wallerstein ont appelé « système-monde » [ou « économie-monde »].

À mon humble avis, être entendu est la chose la plus importante. Internet et les réseaux sociaux ont contribué à ce processus. Je pense que, pour être entendu, il est également important de proposer des analyses rigoureuses et bien articulées. C’est une tâche difficile qui doit être accomplie, et qui fait partie d’un processus culturel plus large incluant l’éducation et la rééducation. Modifier les forces hégémoniques dominant la société ne peut se faire qu’en établissant de nouveaux courants de pensée pouvant contester leur hégémonie. La critique ne suffit pas non plus, une alternative et un meilleur programme doit être articulé et proposé. La critique en elle-même est inutile si l’on n’offre pas parallèlement un programme alternatif. Pensée et action doivent également être liées dans un processus pratique.

Silvia Cattori : Votre livre va-t-il être traduit en français ? A-t-il eu la couverture médiatique lui permettant de toucher un large public ?

Mahdi Darius Nazemroaya : Mon livre devait être traduit en français en trois volumes par un éditeur en France, mais malheureusement l’accord a fait long feu. En notre temps où la durée d’attention s’amenuise, peu de gens sont intéressés à lire un livre de plus de 400 pages. Très peu d’attention lui a été accordée de la part des grands médias. Il y a plusieurs mois, Le Monde Diplomatique à Paris a contacté mon éditeur aux États-Unis, ainsi que la maison qui le diffuse en Grande Bretagne, pour leur demander l’envoi d’un exemplaire. Je ne sais pas si Le Monde Diplomatique a réellement l’intention de faire une recension d’un livre aussi critique et, très honnêtement, je ne m’en soucie pas vraiment.

Mon ouvrage a eu de bonnes critiques disant que c’est un livre à lire absolument. Il est diffusé dans les universités et les collèges. On en trouve des exemplaires dans les bibliothèques de diverses institutions comme l’Université de Harvard et l’Université de Chicago. Il est référencé à la Haye et dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque du Palais de la Paix aux Pays-Bas qui tient à jour les livres relatifs aux lois internationales. 
Sur Amazon au Royaume Uni, il est classé comme l’un des meilleurs livres sur l’OTAN et je crois qu’il est en train de prendre un bon départ.

Silvia Cattori

 

Mahdi Darius Nazemroaya est un sociologue interdisciplinaire, auteur primé, et analyste politique connu. Il est chercheur au Centre de recherche sur la mondialisation à Montréal, collaborateur expert de la Strategic Culture Foundation à Moscou, et membre du Comité scientifique de la revue de géopolitique Geopolitica, en Italie. 
Sur son ouvrage « The Globalization of NATO », voir également (en anglais) : 
 http://www.silviacattori.net/article4005.html 
 http://www.silviacattori.net/article3834.html 
 http://www.silviacattori.net/article3780.html  Article traduit de l’anglais par JPH
 

[1] Publié d’abord sous le titre « La mondialisation de l’OTAN » puis sous le titre modifié « La mondialisation de la puissance militaire : l’expansion de l’OTAN » . Cet article a été traduit en de nombreuses langues, y compris en arabe par la chaîne qatari d’information Al-Jazeera.

[2] La « cage d’acier » (ou « cage de fer ») est un concept sociologique introduit par Max Weber qui se réfère à la rationalisation accrue de la vie sociale, en particulier dans les sociétés capitalistes occidentales. Ainsi la « cage d’acier » enferme les individus dans des systèmes fondés uniquement sur l’efficacité, le calcul rationnel et le contrôle.

[3] Voir : 
 « Gérard Chaliand dit quelques vérités sur la Syrie » : 
http://www.silviacattori.net/article3350.html 
 « Syrie : Les victimes de l’opposition armée ignorées » : 
http://www.silviacattori.net/article3416.html

[4] L’Irlandais Denis J. Halliday a passé une bonne partie de sa carrière auprès des Nations Unies, impliqué dans des actions d’aide humanitaire. En 1997, il fut nommé Sécrétaire général adjoint et directeur du programme humanitaire en Irak. Un an plus tard, après 34 ans de service au sein des Nations Unies, Halliday a annoncé sa démission en raison des sanctions économiques imposées à l’Irak, qu`il a qualifiées de « génocide ». En 2003, il a reçu Le Gandhi International Peace Award. Depuis son départ des Nations Unies, Denis Halliday a participé de manière active dans plusieurs actions contre la guerre et les crimes contre l’humanité. Il est présentement membre de l’Initiative de Kuala Lumpur en vue de « criminaliser la guerre ».

[5] Par exemple, l’écrivain israélien Israël Shamir, a été accusé d’antisémitisme par Olivia Zemor, Nicolas Shahshahani et Dominique Vidal pour avoir affirmé en 2003 cette vérité : qu’Israël et le lobby juif avaient joué un rôle prépondérant dans la guerre qui devait démembrer l’Irak un pays qu’Israël voulait mettre à genoux.


Les principes du pouvoir (documentaires)

« The Power Principle » (Les principes du pouvoir) est une série documentaire en trois volets réalisée par Scott Noble en 2012. Documentaires à but non-lucratif, distribués gratuitement sur Internet en trois parties : L'Empire, la Propagande et l'Apocalypse

Site web du filmMetanoia  - Traduction du film : Linguistic Team International

 

I : L’Empire

Contenu de la 1ère partie : Le complexe militaro-industriel, budget militaire toujours en hausse, formation de l’empire, bloc soviétique, Guerre froide, Iran (1951, Mossadegh, SAVAK, Le Shah, Khomeiny...), Guatemala (1954, Arbenz, United Fruit, Rockfeller, Edward Bernays, escadrons de la mort...), Che Guevara, Patrice Lumumba (Congo), colonialisme, néo-colonialisme, Grenade (1983, Reagan), Théorie des dominos, Vietnam (McNamara), Indonésie (1965, Soeharto, génocide), Chili (1973, 11 septembre 1973, Allende, Pinochet, Kissinger, torture, meurtres, Victor Jara, Milton Friedman, Thatcher...), Naomi Klein (The Shock Doctrine, La Stratégie du choc), Marché libre, crises alimentaires, Nouvel Ordre Mondial, CFR (Council on Foreign Relations), contrôle du Monde, Grèce (dictature, Truman), Italie, fascisme, Espagne (révolution populaire, communisme, anarchisme, Roosevelt, Franco), propagande nazie, la ploutocratie finance Hitler (Opel, Siemens, Prescott Bush...), Truman accusé de soutenir les dictatures...

vidéo supprimé sur youtube, à voir en VO sur :

The Power Principle 1 - Empire on Vimeo.


Dans cette première partie intitulée "Empire" figurent les intervenants suivants (par ordre d’apparition) :
Nafeez Ahmed, politologue britannique (http://nafeez.blogspot.com)
John Perkins, écrivain américain (http://www.johnperkins.org/)
James Petras, professeur en sociologie (http://petras.lahaine.org/)
John Stauber, écrivain (http://www.prwatch.org/users/4/john-stauber)
Marcia Esparza, sociologue (http://historicalmemoryproject.com)
Peter Linebaugh, historien, écrivain
Noam Chomsky, écrivain (http://www.chomsky.info) (chomsky.fr) (noam-chomsky.fr)
Graeme McQueen, professeur en sciences religieuses (http://www.humanities.mcmaster.ca/ peace/)
Michael Parenti, professeur en sciences politiques (http://www.michaelparenti.org)
Russ Baker, journaliste (http://whowhatwhy.com/)


II : La Propagande

Contenu de la 2ème partie : rappel sur les interventions américaines (propagande, CIA) : Iran, Guatemala, Congo, Grenade, Chili, République Dominicaine, Brésil (Goulart), Bolivie, Argentine (Videla), Salvador (Romero, George Bush, Cristiani), Nicaragua (Reagan, Sandinistes, Somoza, Contras, terreur, Mig-21) ;
Soutien au fascisme contre communisme, système de propagande anti-soviétique, CIA, Staline, Guerre froide = guerre des USA vs 1/3 monde, conspiration communiste internationale était un mythe élaboré par la propagande US, une économie de guerre permanente souhaitée par président de G.E. (Wilson), réarmement des USA et de l’Europe de l’ouest (top secret NSC-68, Guerre de Corée), Pentagone > fonds publics vers le privé, Wall Street, médias, publicité, divertissement, progrès technologiques, guerre perpétuelle = croissance économique, John Stockwell (3ème guerre mondiale depuis 40 ans, violation des lois internationales, comité Church, opérations de la CIA, NSA), néo-impérialisme, Haïti, interventions humanitaires, Orson Wells (radio : invasion from Mars), peur, manipulation des foules, patriotisme, désinformation, télévision, cinéma, contrôle de l’opinion publique par une élite, psyops, journalisme, Henry Luce (American Century), infiltration des médias, vendre les guerres au public, Rumsfeld, menace nucléaire...

Pour activer les sous-titres en français, cliquez sur le bouton "Sous-titres" dans la fenêtre du lecteur.

Dans cette deuxième partie intitulée "La Propagande " figurent les intervenants suivants (par ordre d’apparition) :
Christopher Simpson, écrivain (http://www.american.edu/soc/faculty/simpson.cfm)
William Blum, historien
Howard Zinn, historien (http://howardzinn.org/)
Noam Chomsky, écrivain (http://www.chomsky.info)
Nancy Snow, écrivain (http://www.nancysnow.com/)
Michael Parenti, professeur en sciences politiques (http://www.michaelparenti.org)
William I. Robinson, sociologue (http://www.soc.ucsb.edu/faculty/robinson/)
Russ Baker, journaliste (http://whowhatwhy.com/)
John Stauber, écrivain (http://www.prwatch.org/users/4/john-stauber)
Morris Berman, écrivain (http://morrisberman.blogspot.com/)
Peter Phillips, sociologue (http://www.projectcensored.org/)

 

III : L’Apocalypse

Contenu de la 3ème partie : Discours de Churchill sur l’arme atomique, discours de JFK, MAD, armes nucléaires pointées vers chaque "bloc ennemi", Curtis Lemay, les USA poussaient les soviétiques à s’armer, McNamara, Docteur Folamour, Rand Corporation, Herman Kahn (Fondation Rockfeller), Cuba, Kennedy, Richard Helms, CIA, attaques contre Cuba, attentats, Fort Detrick, biological warfare, complots pour assassiner Castro (CIA), Baie des cochons, Crise des missiles, Vasili Arkhipov sous-marin russe, 27 ans plus tard chute de l’empire soviétique, Reagan, militarisme, Guerre des étoiles, evil empire, 1983 : station soviétique croit en une attaque US (erreur informatique), 1989 : promesse faite à Gorbatchev de "geler" l’OTAN, approvisionnement en énergie mondial, De la Yougoslavie (1999) à la Libye (2011), US : contrôle militaire étendu, Air Force Space, USA + Israël vs Iran, discours de Poutine, Les USA ont dépensé 21 billions de dollars pour "sa défense" depuis la 2ème Guerre mondiale

Pour activer les sous-titres en français, cliquez sur le bouton "Sous-titres" dans la fenêtre du lecteur.

Dans cette troisième partie intitulée "l’Apocalypse" figurent les intervenants suivants (par ordre d’apparition) :
Robert Steele, spécialiste du renseignement
Noam Chomsky, écrivain (http://www.chomsky.info)
Nancy Snow, écrivain (http://www.nancysnow.com/)
Michael Albert, économiste


Thomas Barnett - Pentagon's New Map

 

 

2011 presentation, Washington DC audience
"The World According to Tom Barnett" 2011 brief, Pt 1 to 9

 


Les fondements de la doctrine de défense des USA (Vision 2020)


Le contenu de cette vision nous indique clairement que les États-Unis cherchent à détenir un contrôle absolu et quasi exclusif de l’espace. Voici l’essentiel de cette vision :

«Au cours des dernières décennies, la puissance spatiale a soutenu principalement les opérations stratégiques et opérationnelles sur terre, sur mer et dans l’espace aérien. Au cours de la première partie du XXIe siècle, la puissance spatiale va également s’avérer un medium propre pour la guerre. C’est ainsi que celle-ci se développera dans le but de protéger les intérêts nationaux militaires et commerciaux ainsi que les investissements qui se retrouvent dans l’environnement spatial en raison de leur importance croissante».

«Le but premier de la puissance spatiale a été d’appuyer et supporter les opérations sur terre et en mer. Cependant, au fil du temps elle est devenue en elle-même un medium pour la guerre».

«Les deux thèmes principaux de la Vision USSPACECOM concernent le medium spatial et la puissance spatiale d’intégration tout au long des opérations militaires. Aujourd’hui, les États-Unis sont la puissance de l’espace militaire par excellence. Notre Vision est celle de conserver cette excellence tout en fournissant des bases solides pour notre sécurité nationale».

«Le contrôle de l’espace est la capacité d’assurer un accès à cet espace, de réaliser des opérations en toute liberté et d’empêcher d’autres de l’utiliser, si nécessaire. L’environnement spatial est reconnu comme étant le quatrième medium pour la guerre».

«Des opérations conjointes exigent le contrôle de l’espace pour atteindre les objectifs visés par une campagne de grande envergure. Le contrôle de l’espace englobera la protection des investissements militaires, civils et commerciaux des États-Unis qui se retrouvent dans l’espace»(fas.org).

source : United States Space Command  -  Long Range Plan, vision for 2020  -  Vision for 2020  -  Joint Vision 2020

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