Ministère de la Culture et de la Communication

Mission d’évaluation, d’analyse et de propositions

relative aux représentations violentes à la télévision.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

LA VIOLENCE A LA TELEVISION
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

RAPPORT de Madame Blandine Kriegel

à Monsieur Jean-Jacques Aillagon,

Ministre de la Culture et de la Communication.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

LA VIOLENCE A LA TELEVISION

Résumé du rapport de la mission Kriegel

La dérive de la violence dans notre société républicaine démocratique particulièrement attachée à la liberté est un phénomène dont nous avons pris lentement et récemment conscience. Que nous est-il arrivé ? Comment avons-nous laissé filer les incivilités, les agressions et s’installer une situation particulièrement dommageable aux plus fragiles : les pauvres, les femmes, les enfants ? Cette interrogation, les individus, les familles, les responsables, se la posent tous uniment et séparément. Il était inévitable qu’elle s’adresse aussi à ce qui constitue l’un des principaux vecteurs de la culture et de la communication dans notre société : la télévision.

La Mission qui nous a été confiée par Monsieur Jean-Jacques Aillagon procédait d’une volonté de sursaut : " la protection des plus vulnérables, la lutte contre toutes les formes de violence, le refus de la discrimination et de la haine sont au cœur de notre pacte social ", écrivait le Ministre dans les premières lignes de la triple Mission d’évaluation, d’analyse et de propositions d’actions et de législation qu’il définissait le 6 juin 2002 et qui précédait l’installation d’une Commission de trente-six personnalités représentatives du monde des médias, de l’éducation, de la médecine et du droit. Le rapport remis au Ministre est le résultat du travail commun de l’ensemble de ses membres qui ont contribué activement à son élaboration.
 
 

1 – L’évaluation

Après avoir fait le point des travaux déjà existant sur la violence à la télévision, sur la législation européenne et nationale en vigueur, la Commission a auditionné de nombreuses personnalités des associations familiales, des acteurs (médecins et magistrats) qui avaient à connaître les effets de la violence. Ce faisant, elle a mesuré l’effet particulièrement destructeur de la violence dans notre société républicaine où l’effondrement du droit à la sûreté met fin au pacte républicain.

Elle a entendu les réalisateurs et les diffuseurs de la programmation, notamment les directeurs de grandes chaînes de télévision. Elle a également visionné des cassettes proposées par le CSA, l’INA ou qui avaient fait l’objet de nombreux débats. Elle a été particulièrement sensible à l’évolution de la discussion que ses travaux ont ouvert dans les médias. Elle a ainsi pu faire le point sur les diverses positions exprimées en faisant le pari qu’il était possible de réduire leur écart et d’introduire le débat et le contrat.

Procédant à une évaluation des effets sociologiques, psychologiques, esthétiques de l’inflation de la violence à la télévision, la Commission s’est accordée à reconnaître un effet net de l’impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes et/ou un ensemble de présomptions convergentes tendant à établir cet effet.

Elle a constaté un retard signalé de la France par rapport à ses voisins européens dans la mise en place d’instruments de régulation à la fois efficaces et consentis par tous les partenaires contre le développement de cette violence.

Mais elle a également pris acte et s’est réjouie de l’évolution sensible de tous les acteurs, à partir de la discussion engagée, en particulier des dirigeants de chaînes de télévision, pour assumer leur responsabilité dans la mise en place d’un meilleur système de protection des enfants.

De bout en bout, cette évaluation a été soutenue et portée par le grand débat qui s’est développé dans l’opinion publique et dont ont témoigné de nombreux articles de presse comme le très abondant courrier reçu par la Commission.
 
 

2 – L’analyse

Les analyses de la Commission ont porté sur le caractère mortel de la montée de la violence dans une société démocratique. Elles ont cherché une définition de la violence et de l’image.

Dans la mesure où apparaissait un conflit d’intérêts entre un principe de liberté qui est au cœur de notre société démocratique et un principe de protection du droit des enfants qui ne l'est pas moins, la Commission s’est appliquée à les ajuster et à proposer pour ce faire un certain nombre de principes.

Premièrement, une définition de la violence : " la force déréglée qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique pour mettre en cause dans un but de domination ou de destruction l’humanité de l’individu ", définition qui doit constituer un critère d’évaluation des spectacles violents.

Deuxièmement, une réflexion sur l’image pour tenter de comprendre les raisons positives et négatives du rôle qui est le sien dans notre culture.

Troisièmement, un principe de résolution : tout garder à la liberté, tout confier à la responsabilité, de l’Etat, des diffuseurs, des réalisateurs, des familles, des éducateurs. La Commission a réaffirmé son attachement à la liberté de création qui est au fondement du dynamisme de notre société médiatique. Elle a estimé qu0’une société démocratique soucieuse de la transmission des valeurs de respect de la dignité humaine et de la protection des mineurs doit assumer les responsabilités nouvelles que lui impose l’âge de la société des écrans dans la conservation de la liberté. En cas de heurt perpendiculaire entre le principe de liberté et le principe de protection des enfants, on doit faire prévaloir le droit des enfants selon la législation européenne constante.

3 – Recommandations

Le maître mot de ces recommandations est celui de contrat, de pacte, de consentement des parties intéressées. Un pacte de liberté et de responsabilité qui doit lier l’Etat, les réalisateurs, les diffuseurs, les familles, les éducateurs.
 
 
 
 
 
 

On constate que la France jusqu’à présent, n’a pas de commission unique de classification pour l’ensemble des écrans. De même, il n’existe de classification systématique que pour les films qui sortent en salle. C’est pourquoi la France ne classe que 20 % des films alors que nos voisins en classent 80 %. Enfin, les critères que nous utilisons sont beaucoup plus laxistes que ceux de nos voisins. Nous proposons donc que la Commission de classification soit transformée : La pornographie doit être mise hors de portée des enfants : Les bandes-annonces, représentant des images violentes ou pornographiques, ou titres pornographiques, doivent être prohibés pendant les heures protégées.

Les programmes violents ou pornographiques ne doivent en aucun cas être diffusés dans des tranches horaires susceptibles d’être regardées par les enfants de 7 heures à 22 heures 30.
 
 

Le CSA doit voir ses missions renforcées.

Elle implique la mise en place d’études financées par les chaînes et le renforcement de la cellule d’étude ouverte à des chercheurs au sein du CSA.
 
La commission demande aux chaînes de prendre un certain nombre de mesures :

La Commission demande aux chaînes publiques ou privées de faire connaître publiquement leur charte de déontologie, c’est-à-dire les règles que doivent respecter les producteurs de tous les programmes (fictions ou émissions de plateaux) et les critères et objectifs généraux qu’elles poursuivent. Elles peuvent utiliser à cette fin leur propre publication aux abonnés.

A cet égard, nous proposons en plus de la nouvelle signalétique du CSA, une signalétique positive qui pourrait être appliquée à des programmes pour la jeunesse, ce qui se fait déjà dans des pays européens. Certains membres de la Commission ont abordé ce point et la Commission continue d’y réfléchir.
 
 
 
 

Un large volet éducatif

comprenant :

La Commission recommande que la production télévisuelle et les auteurs relèvent le défi de proposer des émissions de fiction ou d’information qui les entraîne à la citoyenneté et à la vie démocratique.

L’Education Nationale doit généraliser l’éducation à l’image déjà engagée par des institutions telles que le CLEMI ou le CNDP.

Une information des parents concernant les risques de la télévision pour les enfants menée par l’école et par les institutions de santé publique doit être mise en place.

L’école doit également généraliser le programme éducatif consacré au lien civil et aux règles communes qui garantissent les libertés et sont le meilleur antidote à la violence.
 
 

Un volet législatif

comprenant la réécriture de l’article 227-24 est proposé avec une incrimination plus étroite donc plus raisonnable et applicable…

La Commission estime que si toutes ces solution qui ont été largement approuvées dans le cadre des débats qu’elle a organisées n’étaient pas appliquées dans une durée probatoire d’un an, elle demande que des mesures plus drastiques soient alors prises.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Monsieur le Ministre,
 
 
 
 
 
 
 
 

Par la lettre du 6 juin 2002, vous avez bien voulu me confier une Mission sur la violence à la télévision qui procédait d’un sursaut devant la montée indifférenciée et indistincte de la violence et de la délinquance dans tous les secteurs de notre société. " La protection des plus vulnérables, la lutte contre toutes les formes de violence, le refus de la discrimination et de la haine sont au cœur de notre pacte social. C’est pourquoi il nous appartient collectivement, dans une culture marquée par la force et l’omniprésence de l’image de refuser la banalisation des représentations violentes ou agressives particulièrement dans l’esprit des plus jeunes ", écriviez-vous.
 
 

Vous souligniez que dans le cadre de la législation européenne (la directive Télévision sans Frontières), et de la loi relative à la liberté de communication du 30 septembre 1986) confiait au CSA le soin de veiller à la protection de l’enfance et de l’adolescence. Davantage, la loi du 1er février 1994 attribuait aux associations familiales reconnues par l’UNAF le droit de saisir le CSA. Malgré les dispositions prises et le soin du CSA à les faire respecter, des médecins, des juristes, des éducateurs, et les représentants les plus autorisés des associations familiales ont dénoncé une situation de dérive inacceptable, marquée par le déferlement de spectacles de plus en plus violents, à des heures de plus en plus ouvrées, à la télévision.
 
 

C’est pourquoi, vous avez pris la responsabilité de me charger d’une triple Mission d’évaluation, d’analyse et de propositions. Pour mener à bien cette mission, vous avez bien voulu installer une Commission paritaire de trente-six personnalités venues du monde des médias, de la réflexion, de la médecine et du droit. Cette Commission a travaillé avec une remarquable intensité et assiduité. Elle a auditionné un grand nombre de personnalités compétentes, des représentants des associations familiales, des acteurs de la protection de l’enfance, des réalisateurs, des diffuseurs, des responsables de chaîne au plus haut niveau, des éducateurs, et des responsables des institutions médiatiques publiques, au premier rang desquelles le Président du CSA, M. Dominique Baudis. Il leur a apporté, conformément à votre vœu, un soutien constant. La Commission a approfondi sa réflexion en visionnant des cassettes proposées par le CSA, par l’INA, par des réalisateurs, qui portaient sur des sujets d’information et de fictions ayant fait l’objet de controverses sensibles. Surtout, elle n’a pas cessé, par ses interrogations et ses réflexions réciproques, de nourrir le sentiment commun de ses membres, mais d’abord et avant tout, d’engager un débat, une relation contractuelle entre toutes les parties prenantes de la discussion. Et ce sera peut-être là l’aspect le moins visible et pourtant le plus notable de son travail.
 
 

Grâce à la Mission dont vous avez eu l’initiative, un débat de grande ampleur s’est en effet engagé dans l’opinion et dans les médias. Il a valu à la Commission un abondant courrier et a permis que se développe dans la presse écrite et audiovisuelle un puissant courant de prise de conscience et de volonté d’intervention sur la violence et la pornographie dont on ne parlait jamais si on les voyait partout. La prise de position de Dominique Baudis, menaçant d’interdire les spectacles pornographiques, les interventions fermes et pertinentes de M. Christian Jacob, Ministre de la Famille, les projets de loi imaginés par plusieurs parlementaires, ont contribué à fixer les cadres de ce débat.
 
 

C’est dans le contexte de cette discussion engagée avec tous les partenaires qu’une évolution sensible s’est produite : elle a conduit des réalisateurs et des dirigeants de chaîne à suggérer des initiatives ou à prendre des responsabilités dans le contrôle de la violence à la télévision qu’ils n’avaient pas prises auparavant. La Commission a le sentiment que la volonté politique que vous avez manifestée, comme le souci constant qu’elle a eu de forger un consentement en son sein, ainsi que de promouvoir un pacte avec tous les acteurs du problème traité, n’ont pas compté pour rien dans l’évolution qui se dessine et qui reste maintenant à institutionnaliser.

En vérité, chacun des protagonistes du débat l’a bien senti : plus encore que des groupes sociaux qui s’affrontaient, il y avait des individus qui s’interrogeaient. Car chacun de nous, qu’il travaille dans le monde de la réalisation, de la diffusion, de l’éducation, de la santé, de la culture ou du droit, est aussi et toujours un téléspectateur et un parent. La division et la décision passait donc dans et par chaque individu et chaque conscience.
 
 

C’est pourquoi, il faut saluer l’esprit de liberté et de responsabilité qui a présidé à l’évolution signalée. Il n’était pas évident, il n’allait pas de soi, que des réalisateurs comme Coline Serreau, que des dirigeants de chaîne comme Emmanuel Florent, Guillaume de Posch, Xavier Couture, Sophie Barluet, Jean Drucker, Nicolas de Tavernost, Claude Berda, Marc Tessier, Rémi Pflimlin, Jean-Pierre Cottet, Etienne Mougeotte, Edouard Boccon-Gibod, Christophe Baldelli, prennent, alors même qu’ils ont en charge la responsabilité de création et de diffusion, ce qui est une véritable industrie dont notre pays est légitimement fier, des responsabilités qu’ils ont assumées. La première a été de participer sans hésitation au débat commun en venant nombreux et à plusieurs reprises assister aux travaux de notre Commission. De même, les représentants des associations familiales, Jean- Pierre Quignaux pour l’UNAF par exemple, qui avaient pourtant déjà beaucoup écrit et beaucoup donné, n’ont pas craint d’enseigner et de répéter, de redire toujours et encore leurs attentes et leurs espoirs. Qu’ils soient très chaleureusement remerciés.
 
 

Enfin, ce travail, qui a abouti au rapport ici présenté, n’aurait pas été possible sans l’appui constant des collaborateurs du Ministre de la Culture. M. Guillaume Cerruti, Mme Manuela Isnard, M. Eric Gross, Mme Marie-Claude Arbaudie, M. Dominique

Vinciguerra, M. Yves d’Hérouville, nous ont apporté leur appui indéfectible et leur attention particulière. Mme Juliette Zilber, beaucoup sollicitée, nous a aidés de toutes les manières. Sans eux, ce travail n’aurait pas eu le climat de liberté et de disponibilité qui lui a permis d’avancer. Nous remercions également M. Bruno Racine, Président du Centre Pompidou, et M. Laurent Claquin, membre du Cabinet du Ministre de la Culture de nous avoir permis d’organiser la journée du 5/11/2002 au Centre Pompidou. Nous remercions enfin Mme Caroline Bray qui a assuré le secrétariat général de la Mission dans des circonstances personnelles particulièrement difficiles, Mme Joëlle Troiano et Mme Clélia Fortier pour son ultime concours. Notre gratitude leur est acquise.
 
 
 
 

La dérive vers la violence dans notre société démocratique particulièrement attachée à la liberté est un phénomène dont nous avons pris lentement et récemment conscience. Que nous est-il arrivé ? Comment avons-nous laisser filer les incivilités, les agressions, et s’installer une situation particulièrement dommageable aux plus fragiles : les pauvres, les femmes, les enfants ? Cette interrogation, les individus, les familles, les responsables se la posent tous uniment et séparément ; il était inévitable qu’elle s’adresse aussi à ce qui constitue l’un des principaux vecteurs de la culture et de la communication dans notre société : la télévision.

Nous avons donc procédé à ces trois missions d’évaluation, d’analyse et de propositions que nous souhaitons maintenant retracer.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

I
 
 
 
 

L’EVALUATION
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Evaluer la place que les représentations violentes occupent dans les médias télévisés a été notre premier souci mais comme la question n’était pas simple, notre interrogation ne pouvait être uniforme. Pour en effectuer la mesure, il fallait inscrire le développement des spectacles violents dans le contexte plus vaste de la montée de la violence et de l’insécurité dans notre société de liberté.
 
 

Un effet paradoxal. Comment expliquer que dans le havre des sociétés démocratiques d’information et de communication, le souci de la liberté des représentations et le développement de la communication aient potentialisé la mise en scène des théâtres de la cruauté et de l’agression qui sont partout dans le monde ? Paradoxe d’abord de l’information libre. Comment comprendre aussi les effets du développement de la violence et des spectacles pornographiques sur le comportement des individus et ses conséquences sur le lien social ? Paradoxe ensuite de la fiction libre et des effets de la liberté de création quand celle-ci traverse, sans que personne n’y ait pris garde, le cercle de craie magique mais friable qui sépare l’adulte de l’enfant, divise le public du privé, et fait entrer le flux d’images au cœur de la famille sans qu’on ne l’ait apparemment réfléchi ou effectivement choisi…
 
 

Quels effets sociaux manifestes sur le comportement des plus jeunes en aval, quelles causes peuvent donc expliquer l’indifférence à la transmission en amont ? Quels effets psychologiques sur le comportement des enfants ?

Ou plus simplement, que nous apprend cette dérive non contrôlée de l’évolution de notre société et de ses représentations, de son rapport à la cité et à la civilisation, de son lien aux générations à venir et de la sanction de ses responsabilités ? Ou encore, que nous enseignent, nolentes volentes, les maîtres de la fiction cinématographique sur l’état de notre société et sur le périple ou sur l’itinéraire que sans que nous ne le soyons avoué, elle s’est choisis ou elle s’est imposés ? Quels effets esthétiques ?

Quels effets politiques enfin ? Une société républicaine qui a pour code le pacte par lequel chacun aliène sa puissance d’agressivité à la force publique, si en retour celle-ci est capable de lui assurer la sûreté et son droit à la vie, peut-elle conserver son ciment quand le rapport de forces a usé le rapport de droit, quand les individus, au lieu de négocier leurs différents et leurs différences par le langage et par les normes assurent leur hiérarchie respective par la violence et par l’agression ?
 
 

Ce sont toutes ces questions que posait l’évaluation de la violence que nous n’avons pas voulu ni éviter ni évider. Qu’en est-il ensuite de la législation existante ? Quelles sont les particularités françaises ? En quoi les institutions de régulation ont-elles pu jouer ou non leur rôle ? Cette interrogation, en creux, était décisive pour dessiner le dessein d’un éventuel changement.
 
 
 
 

Mais enfin, cette perplexité et cette problématique ne tombaient pas plus du ciel que nous n’étions pas les premiers à les énoncer et à ouvrir la boîte de Pandore en tournant le bouton de télévision. Quelles étaient les positions, sur toutes ces questions, des associations familiales, des réalisateurs, des diffuseurs, des annonceurs, des médias, des médecins, des éducateurs, des juristes ? Il fallait les recueillir pour mesurer leurs convergences ou leur écart, il fallait clarifier autant que faire se pouvait les termes du débat, il fallait réduire, si cela était possible, la longueur des écarts et l’extranéité des discours. C’est à quoi s’est essayé sur ces points sociologique et psychologique, esthétique, politique, notre évaluation. Voici les résultats qu’elle a recueillis.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

1- La montée et les effets de la violence dans la société et les médias.

L’évaluation sociologique.
 
 

La télé-violence, selon le terme déjà utilisé par Jean Cluzel, déjà en 1978, les écrans de la violence, selon le titre du livre de Divina Frau-Meigs et Sophie Jehel, les enfants sous influence, selon l’appellation du psychiatre Serge Tisseron, tous ces ouvrages n’auraient pas paru sans le contexte généralisé d’une montée de la violence dans notre société.
 
 

La montée de la violence dans la société française.
 
 

Etat, société et délinquance, titrait le numéro 308 des Cahiers français de mai-juin 2002. Comme le souligne le sociologue Hugues Lagrange, le processus de civilisation des mœurs étudié jadis par Norbert Elias est remis en cause depuis une vingtaine d’année par la montée des comportements agressifs : vols avec violence, attaques contre les personnes. Hugues Lagrange note que depuis une à deux décennies, la pacification des mœurs de la société civile qui s’était généralisé au milieu du vingtième siècle a connu une involution. Alors que la croissance de la criminalité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se limitait à une progression des atteintes aux biens, on observe, depuis les années 80, à des rythmes variables selon les pays, une croissance des violences interpersonnelles. Si le taux des homicides n’a guère progressé, les vols avec violence et les agressions ont connu une augmentation générale. En France, c’est au cours des années 80-90, que la croissance de la violence s’est faite plus rapide. Grâce aux efforts des chercheurs de l’International Crime Victims Survey, Hugues Lagrange souligne qu’on dispose d’enquêtes standardisées qui permettent de connaître cette évolution. Au cours de la dernière décennie des années 90, la délinquance des jeunes en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie a été le phénomène le plus notable. Si elle ne marque pas de la même manière tous les acteurs des couches sociales, et caractérise d’abord celles qui sont atteintes par le chômage, les inégalités et les discriminations, Hugues Lagrange estime qu’elles sont néanmoins liées à ce qu’il appelle " l’assouplissement de l’autocontrôle dans le contexte de fragmentation sociale des années 80-90 engendrée par le chômage durable. " Les années de forte croissance de la délinquance en France, les années 93-97, ne touchent pas seulement à l’équilibre social, elles entament aussi l’identité des individus.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

En face de ces faits dûment quantifiés, et quelles que soient les interprétations proposées, le discours a changé : alors qu’on continuait à parler d’un sentiment d’insécurité, les indicateurs convergents qui ont attesté la montée de la délinquance ont obligé les sociologues à réfléchir au phénomène de l’insécurité lui-même. Un retournement de l’opinion a alors été sensible : à la mise en cause de l’objectivité des indicateurs et des statistiques, au souci de déconstruction de la présentation de la délinquance, le Procureur de la République au Tribunal de Grande Instance de Pontoise, Didier Peyrat, a souligné  sa conviction que la délinquance en augmentation impliquait des solutions neuves " la tolérance démocratique et les politiques de prévention, quand elles sont adossées à des études de déni de la délinquance, s’affaiblissent insidieusement mais sûrement : en indexant une vision progressiste de la sécurité sur des diagnostics désinvoltes que les événements réels viennent constamment pulvériser, les dénégationnistes contribuent largement à disqualifier les approches nuancées et intelligentes de la sécurité… Ouvrir les yeux sur la crise de la performance de notre chaîne pénale n’implique nullement de vouloir aligner le système français sur les pratiques répressives existant ailleurs. Il y a encore beaucoup de place pour élaborer un système de sécurité différent, capable de relever le double défi de l’efficacité et de l’humanité. "
 
 

La violence à l’école.
 
 
 
 

Ce sont particulièrement les enquêtes du rapport Debarbieux sur les violences en milieu scolaire et les statistiques qu’il a fournies sur la victimisation qui ont montré l’ influence indiscutable parmi les jeunes, en particulier sur les élèves des collèges défavorisés, de la montée de la violence à l’école. L’enquête, commencée en 1994-95, poursuivie en 1998-99 dans trente-trois établissements a interrogé plus de vingt mille élèves de collèges âgés de onze à dix-sept ans, et permis de montrer une corrélation entre l’établissement défavorisé et le développement de la violence, ou encore dans la perception du sentiment d’insécurité. Le racket, les insultes, les vols, les coups, la violence ressentie, l’agressivité perçue entre élèves et professeurs, les attaques racistes, font apparaître que les plus jeunes, les plus faibles, 10% des élèves de milieu défavorisé sont en réelle souffrance. En 1995, 24% des élèves des établissements populaires pensaient que la violence était très présente dans leur établissement, trois ans plus tard, ils sont 41%. De même, les professeurs étaient 7% en 1995 à estimer qu’une forte violence existait dans leur collège, en 1998, ils sont 49%. En 1995 36% des victimes du racket pensaient que la violence était très présente dans leur établissement, elles sont 60% à le penser en 1998. Comme le dit la conclusion de l’enquête de 1998 et de 1999 de Debarbieux : " ce qui apparaît donc très nouveau dans l’enquête récente est le fait que la classe devient un lieu plus fréquemment cité comme réponse à la question ouverte : Où y a t-il de la violence ? ".
 
 

Un autre fait nouveau, mis en évidence cette fois par les Hautes Etudes pour la Sécurité intérieure et les statistiques policières sur la violence scolaire, est l’augmentation des faits de violence à l’égard des enseignants et du personnel de l’Education Nationale qui montre une tendance forte à la hausse, +41,5% en ce qui concerne les coups et blessures volontaires avec armes ou interruptions temporaires de travail de plus de huit jours, +86,4% pour les violences légères et les voies de fait, +10,6% pour les vols. Les dégradations volontaires à l’encontre des établissements ont augmenté dans le même temps de 17%. Il s’agit donc pour Debarbieux, d’une violence tournée contre l’école et contre son personnel.

A cette violence, violence dans la société, violence à l’école, violence touchant désormais ceux qui devaient attendre leur protection des adultes responsables, que personne ne pouvait plus feindre d’ignorer, on a cherché des réponses sociales et pénales que nous n’envisagerons pas ici, mais on a aussi, et dans la foulée, interrogé les contenus de la télévision. La télévision, qui se veut un miroir fidèle de notre société, a -t-elle une responsabilité ?
 
 

La responsabilité de la télévision.

Pour répondre à cette question, nous reprenons ici les études de Laurent Bègue et Sébastian Roché qui ont proposé une synthèse des études actuellement en cours parmi les sociologues.

Les images de la télévision incitent-elles à la violence ? Accusée naguère d’être la vitrine criminogène d’une société d’affluence, suspectée encore de narcotiser les esprits au point de représenter " un danger pour la démocratie " (Karl Popper et John Coudry, 1996), la télévision est depuis plusieurs décennies dans le collimateur de nombre de critiques. Le réalisateur Oliver Stone a été assigné en justice après que son film, Tueurs Nés, a été cité comme référence par les auteurs d’un assassinat (Le Monde, 28-29 juillet 1996). La controverse de l’ultra-violence, déjà présente lors de la sortie d’ Orange mécanique de Stanley Kubrick (1971), se retrouve périodiquement actualisée par des films comme Nikita de Luc Besson (1990), Reservoir Dogs (1992) de Quentin Tarentino, Trainspotting de Danny Boyle (1995), Baise-moi de Virginie Despentes (2000), ou encore Scream. Des élus dénoncent la " maltraitance télévisuelle " et ses effets " barbarisants " en écho à l’opinion, qui considère majoritairement que le nombre de scènes de violence à la télévision a " atteint un niveau inquiétant jamais connu auparavant " (sondage IFOP-Santé Magazine, janvier 2002) et que la violence vue à la télévision est l’une des causes de l’augmentation des conduites délinquantes. Le temps considérable que les enfants et adolescents passent devant le petit écran renforce cette préoccupation. Une enquête réalisée par l’UNESCO en 1998 dans 23 pays auprès de 5000 jeunes de 12 ans indiquait que ceux-ci y consacraient quotidiennement trois heures en moyenne, soit 50% plus de temps qu’à n’importe quelle autre activité. Selon cette même enquête, cinq à dix scènes de violence seraient diffusées par heure. En France, une enquête quantitative du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel réalisée en 1994 avait répertorié près de dix scènes violentes par heure dans les fictions des chaînes nationales. C’est dans ce contexte qu’ont été conduites d’abord un bon nombre de recherches expérimentales de laboratoire pour mesurer l’impact de la télévision sur le comportement.

Liebert et Baron (1972) ont présenté à des enfants de 5-6 ans et de 8-9 ans des extraits d’émissions d’une durée de trois minutes environ présentant soit un programme violent (un extrait de feuilleton populaire à l’époque comprenant entre autres, deux bagarres, un coup de couteau et deux coups de feu), soit un programme sportif excitant (athlétisme). Après avoir vu les films, les enfants étaient conduits dans une autre pièce et placés devant un tableau de bord comprenant deux boutons, l’un étiqueté " blessé " et l’autre " aider ", ainsi qu’un signal lumineux étiqueté " prêt ". On leur disait que dans une autre pièce se trouvait un autre enfant, en train de tenter de jouer à un jeu afin de gagner un prix, et que chaque fois que le signal " prêt " serait allumé, ils pourraient, en appuyant sur le bouton de leur choix, apporter de l’aide à l’enfant dans sa tâche ou le blesser. On les informait en effet que s’ils pressaient le bouton " blesser ", cela avait pour conséquence de rendre brûlante une poignée manipulée par l’enfant dans son jeu et donc lui faire mal. Les sujets étaient ensuite laissés seuls dans la pièce, et le voyant " prêt " s’allumait à vingt reprises. Les résultats ont montré que les sujets qui avaient vu le film violent, garçons ou filles et quel que soit leur âge, administraient significativement plus de brûlures à la victime.

Un degré de réalisme plus élevé a été atteint dans une série d’expérimentations de terrain, dont celles de Leyens et ses collègues (1975) est un bel exemple. Ils ont commencé à observer durant plusieurs jours les comportements agressifs et non-agressifs de garçons vivant dans une institution pour adolescents ayant des difficultés d’intégration sociale, en Belgique. Puis, durant les cinq jours suivants, ils ont présenté, en soirée, à certains divers types de films violents ( film de guerre, policier, western…) et aux autres un film neutre. Les comportements ultérieurs des sujets dans leur vie quotidienne, et notamment l’agressivité qu’ils manifestaient envers leurs pairs, ont effectivement montré que certaines formes d’agression se sont développées chez les sujets ayant été exposés cinq jours consécutifs à des films violents.
 
 

Puis, des études longitudinales beaucoup plus importantes ont été conduites.

L’une des recherches les plus citées de la littérature est la Columbia County Longitudinal Study (CCLS) démarrée en 1960 par Huesman, Eron, et leurs collègues (1984) se fondant sur un échantillon de 856 enfants âgés de 8 ans. Lors de la première vague de l’étude, des informations ont été recueillies sur les émissions préférées par les enfants en même temps que des mesures d’agressivité fondées sur un questionnaire de comportements auto-rapportés et sur des évaluations issues des pairs et des parents. Des mesures et diverses informations sur les sujets ont été prises en 1970 (735 sujets), puis en 1982 (427 sujets). Les résultats ont montré que chez les garçons, des émissions suivies à 8 ans étaient liées de manière modeste à un indicateur d’agressivité onze ans plus tard (r=.31). Huesman et Eron ont également mis en évidence que les garçons qui avaient vu beaucoup d’émissions violentes à 8 ans avaient, à 30 ans, un casier judiciaire plus chargé que les autres. Ces effets n’étaient pas réductibles à des facteurs comme la classe sociale des sujets, leur fonctionnement intellectuel ou les styles éducatifs de leurs parents. D’autres travaux longitudinaux réalisés par la suite dans d’autres pays ont répliqué cet effet chez les garçons et les filles (voir Huesman et Eron, 1986). En 2000-2002, soit plus de quarante années après la première cueillette de données, une nouvelle vague de l’étude CCLS, actuellement en cours d’analyse, a été lancé par Eron et Dubow auprès des sujets ayant participé à l’étude de 1960 (mais incluant aussi leurs enfants), faisant de ce programme l’une des études longitudinales les plus longues et les plus ambitieuses jamais réalisées en sciences sociales.
 
 
 
 

On s’est également adonné à des analyses dites épidémiologiques sur la violence avant et après l’apparition de la télévision.

L’impact des émissions violentes sur les conduites consiste à examiner l’incidence des conduites violentes d’une aire géographique bien délimitée avant et après l’introduction de la télévision. Joy et ses collègues (1986) ont étudié l’agressivité d’enfants juste avant l’introduction de la télévision, et deux ans après, dans une ville canadienne, en comparant les évolutions des enfants de deux autres villes similaires recevant une seule chaîne canadienne et trois chaînes américaines. Les résultats indiquaient que l’agressivité physique avait augmenté de 160% deux ans plus tard dans la ville où avait été introduite la télévision (tandis qu’elle avait augmenté beaucoup plus faiblement dans les autres villes).
 
 
 
 

L’examen de recherches fondées sur des méthodologies différentes montre qu’un effet semble se dégager, suggérant que les émissions de télévision violentes seraient impliquées dans la violence. Les travaux les plus souvent cités comme ceux d’Eron, Huesman, ou Centerwall ont eux-mêmes fait l’objet de critiques méthodologiques (voir notamment Fowles en 1999). Il ne serait pas possible de conclure à un effet en se fondant uniquement sur des exemples choisis, même très convaincants. Ce qui, par contre, permet de trancher, c’est la mise en perspective systématique d’études comparables, soit en examinant séparément leurs résultats et en déterminant si les effets attendus se produisent le plus souvent, soit en procédant à une méta-analyse, qui consiste dans le calcul de la significativité statistique de leurs résultats agrégés. Ce travail a été réalisé par Hearold (1986), qui a sélectionné 230 études (impliquant plus de 100 000 sujets). Paik et Comstock (1994) ont sélectionné quant à eux, sur la base de leur qualité méthodologique, 217 études publiées entre 1950 et 1990. D’autres études similaires ont également été réalisées par d’autres chercheurs (Bushman et Huesman, 2001 ; Geen et Thomas, 1986 ; Hogben, 1998 ; Wood, Wong et Chachere, 1991). Dans tous les cas, les émissions violentes étaient effectivement liées, quoique modestement, à l’apparition de comportements plus agressifs à court et à long terme, les liens les plus forts s’exprimant dans le cas des études expérimentales. Reste à savoir dans quelles conditions et par quels mécanismes s’actualisent ces effets.
 
 

Les effets de la violence télévisée.

Lorsqu’une personne est exposée à la violence télévisuelle, les effets physiologiques immédiats sont de même nature que si cette personne était exposée à une situation de violence réelle, à savoir une augmentation du rythme

cardiaque et de la pression sanguine. Dans son audition devant la Commission, le Professeur Didier Sicard, Président du Comité Consultatif National d’Ethique, a montré sur ce point l’identité du comportement entre les singes et les humains. Les effets émotionnels à court terme de l’exposition à la violence télévisuelle sont des réactions de crainte, d’anxiété et de détresse. A long terme, l’exposition fréquente à des scène de violence contribue à une désensibilisation du spectateur qui s’habitue à la violence. Les résultats de recherches ont montré que les enfants qui avaient été exposés à un film violent réagissaient beaucoup moins rapidement que les autres après avoir vu ce qu’ils croyaient être une vraie bagarre et mettaient plus de temps à intervenir pour y mettre fin.
 
 

A long terme est acquis un répertoire de " solutions violentes " prêtes à l’emploi en situation de conflits. Certains auteurs parlent également de l’acquisition de " scripts " agressifs, c’est-à-dire de structures cognitives contenant les connaissances stockées d’une personne quant à un domaine comportemental particulier. Les messages peuvent induire une perception plus favorable de la violence, qui est consolidée à long terme. De nombreux travaux, comme ceux de Gerbner et ses collègues (1982) ont également montré que certaines personnes qui sont acculturées à la violence télévisuelle en viennent à surestimer leur risque d’être victime d’agressions, ce qui augmente leur anxiété et leur sentiment d’insécurité et fait diminuer la confiance qu’ils accordent aux gens en général, ils ont le sentiment de vivre dans " le grand méchant monde " , selon la formule de Gerbner.
 
 

Les films violents ont également des effets néfastes, en ce qu’ils induisent des croyances erronées concernant le viol. Une scène de violence sexuelle typique montre un homme pénétrant une femme de force, qui, après avoir résisté, finit par en redemander. Des recherches expérimentales (par exemple, Linz en 1989) indiquent que l’exposition même courte à un film présentant une scène similaire suffit effectivement à augmenter l’adhésion à ce que les anglo-saxons appellent les " rape myths ", qui n’ont rien d’anodin : dans un texte classique, Diane Scully et Joseph Marolla(1984) ont montré que la rhétorique selon laquelle " les femmes veulent dire oui quand elles disent non " est très prégnante dans le discours des auteurs d’agressions sexuelles.

L’exposition à des scènes violentes a plusieurs effets bien identifiés. A court terme, la violence vue à la télévision est copiée, notamment chez les jeunes enfants. L’effet de désinhibition fait s’émousser le sentiment de culpabilité normalement associé à l’acte violent. L’effet d’attraction correspond à la recherche de produits culturels violents suite à l’exposition à des émissions violentes. Enfin, les effets comportementaux à long terme des émissions violentes sont les généralisations à des nouvelles situations.
 
 

Depuis les années 60, les preuves d’une influence de la télévision sur les comportements violents se sont accumulées. Plusieurs articles méthodologiques indiquent que les émissions concernant des scènes violentes ne sont pas sans conséquences sur les téléspectateurs, notamment les enfants. L’incidence des émissions violentes sur les conduites est toutefois réduite et les processus à l’œuvre sont loin de se résumer à des automatismes mimétiques. Il est plus raisonnable de dire que pour certaines personnes et dans certaines situations, les émissions violentes ont un effet.
 
 

Mais, si cet effet est modeste, des chercheurs comme Huesman affirment qu’on aurait tort de négliger ses conséquences au niveau sociétal. Pour fixer un ordre de grandeur, Huesman et ses collègues indiquent que la taille de l’effet est statistiquement comparable à celle qui relie la consommation du tabac au cancer du poumon. Il a été montré que la mise en évidence des conséquences des actes violents sur les victimes ou encore l’insistance sur le caractère fictif ou esthétique des scènes contribuait à diminuer significativement l’agressivité subséquente du spectateur. Plusieurs recherches suggèrent que l’existence de compétences critiques chez le spectateur permet de limiter réellement les effets de la violence.

Les résultats les plus indiscutables, peuvent, selon Sébastian Roché, être considérés comme des " hard facts ", des faits établis par des chercheurs qui ont consacré plusieurs années voire plusieurs dizaines d’années à ce sujet. La méthode utilisée, celle de la consultation des méta-analyses (système de quantification des milliers d’études sélectionnées en fonction de leur validité scientifique) ou des études longitudinales qui permettent de répondre à la question des causalités. Il n’existe pas d’études françaises dans ces synthèses car ces dernières ne répondent pas encore aux critères scientifiques préalables à la sélection (nombre d’enquêtes, méthode d’échantillonnage, groupe de contrôle, test avant/après).

Ces études précises ont obtenu le consensus des experts : Les sociétés savantes American Psychological Association, American Academy of Child, American Medical Association etc. concluent à l’existence d’un rapport de cause à effet (causal connection), même si les médias mettent parfois en cause cet effet (comme certains cigarettiers le lien entre cancer et tabac). Il en existe plus de 3 500 qui montrent une corrélation entre consommation d’images violentes et comportements agressifs.

L’étude longitudinale actualisée la plus importante (Johnson et Alii, 2002) porte sur :707 familles, durant 17 ans, (1975 à 1991-1993), tirage aléatoire des familles (NY state) et tirage aléatoire des participants, mesurant le nombre d’heures devant la télévision (60 % des programmes de télévision ont une dose de violence, programmes pour adultes avec 3-5 actes par heure et 20-25 dans les programmes pour enfants !) ; ce qui fait dire aux scientifiques que cette étude tend à minorer l’effet télévisuel pour prendre en compte les effets à court terme d’exposition plus les effets à long terme, 10 ans après ou plus. L’étude veut arbitrer entre deux théories : l’usage plus ou moins intense de télévision est proportionnel ou non à un accroissement de la violence, et la consommation de télévision violente dérive de la préférence pour la violence et n’a donc pas d’effet.
 
 

Les facteurs qui sont " contrôlés " sont les troubles psychiatriques, pauvreté, niveau scolaire des parents, intelligence verbale, négligence vis-à-vis de l’enfant (childhood neglect),caractéristiques du quartier (peu sûr).

Les résultats montrent  que la négligence vis-à-vis de l’enfant, caractéristiques du quartier, pauvreté, niveau scolaire des parents sont corrélés avec le temps passé devant la télévision, que l’âge et le sexe sont corrélés avec l’agression, pas avec la télévision consommée à un âge donné (14 ans), que la consommation de télévision à 14 ans explique les agressions subséquentes (agressions avec blessures, vols avec violence ou avec menace d’arme). Par exemple, si l’exposition à la télévision est inférieure à une heure par jour, le taux d’auteurs d’actes agressifs est de 5,7 %, et si elle est supérieure ou égale à trois heures par jour, on atteint 25,3 %. Sachant que  le contrôle du profil personnel (avoir commis des violences avant l’exposition) ne suffit pas à expliquer l’augmentation des agressions en fonction de la consommation de télévision, et que la consommation de télévision à 22 ans provoque des agressions subséquentes, même si on contrôle l’agressivité à 14 ans (qui n’est pas liée à une plus grande consommation de télévision après cet âge) et également sa consommation avant cet âge : on peut en conclure que la sélection des programmes violents par des jeunes violents ne suffit pas à expliquer le niveau d’agressivité des jeunes. De plus, la consommation extensive de télévision aide à comprendre les interactions entre les facteurs de risque dans l’environnement et les agressions commises. L’effet est encore plus fort si le jeune a une " histoire personnelle de violence " ; dans ce cas les taux d’auteurs d’agressions passent à 8 % , si la consommation est inférieure à une heure par jour et à 60 % si elle est supérieure ou égale à trois heures par jour.

En conclusion, il existe à la fois des liens directs et indirects (des années après l’exposition) ; il existe des effets sur les enfants, mais également les jeunes adultes , les explications usuelles (sans exposition aux images) ne suffisent pas ; il existe un effet net de la consommation des programmes TV, c’est à dire une fois toutes les autres variables prises en compte. L’existence d’un effet net signifie que les dimensions suivantes ne sauraient expliquer les effets des images violentes : le caractère plus ou moins artistique, les intentions de l’auteur (du film, programme) par exemple en ce qui concerne le sens de la violence (violence gratuite ou non), (on peut se demander d’ailleurs si l’enfant les perçoit), la discussion en famille, le souci familial pour la discussion avec l’enfant.

Ces dimensions peuvent jouer un rôle (par ex. la discussion), mais étant donné que les aspects éducatifs sont pris en compte et que les images ont un effet même dans ce cas là, on doit les placer au rang de facteurs qui introduisent des variations mais pas de facteurs décisifs. Ces résultats ne sont pas des explications des mécanismes psychologiques et sociaux en jeux. Leur force est précisément de montrer les faits même si l’on ne sait pas toujours l’expliquer. Parmi les conséquences qui prouvent l’existence d’un effet de la télévision, on trouve donc comme on vient de le voir, une baisse de l’inhibition et de la culpabilité, (une désensibilisation), l’acquisition de solutions violentes , le déclenchement de comportements appris ailleurs, l’acquisition de stéréotypes (les femmes qui disent non veulent dire oui), l’excitation ou activation physiologique (sur l’effet immédiat) ; l’imitation pure et simple ( reproduire une scène donnée) est un phénomène qui existe mais considéré comme la moins pertinente. Remarque finale : les études montrent les variations des comportements en fonction de la durée d’exposition. Il ne s’agit pas de tout ou rien (télévision ou pas télévision) mais d’une quantité d’images violentes.
 
 

Autrement dit, la responsabilité de la télévision sur le comportement des jeunes téléspectateurs, la responsabilité des images violentes quant à certains comportements, qui avait été présumée par une série d’examens de laboratoire, ou par des observations empiriques des médecins et des magistrats, a également été mesurée comme un effet net proportionnel au temps passé devant l’écran.Personne, aujourd’hui, ne peut plus prétendre l’ignorer. Sur l’effet de la violence, à la télévision à l’égard du comportement des jeunes et sans préjuger s’il s’agit d’un effet direct ou d’un effet seulement indirect, on peut néanmoins conclure à l’existence d’un pouvoir et d’un danger de la violence télévisée, même si on attend encore des études françaises de même ampleur que les études américaines. Comme le souligne Georges Gerbner dans un article des Cahiers de la sécurité intérieure consacré aux médias et à la violence (n°20, 2ème trimestre 1995) : " la violence télévisée ne reflète ni la liberté d’expression des créateurs ni la demande du public, mais est le produit d’un système de marketing planétaire. Elle exerce un effet d’incubation culturelle en contribuant à long terme à une dévalorisation du monde. "

Si la violence à la télévision doit être comprise dans un scénario complexe, elle est aussi un révélateur de nos relations sociales. Dans la mesure où elle capture plus encore qu’elle ne captive le public, en particulier celui des jeunes, il faut alors analyser les effets psychologiques de la violence et la parole est donnée ici aux psychologues, aux psychanalystes, aux pédiatres.
 
 

2- L’évaluation psychologique de la violence sur les enfants.
 
 

Concluant l’étude qu’il a menée sur les enfants sous influence pour répondre à la question " les écrans rendent-ils les jeunes violents ? ", le psychiatre Serge Tisseron remarque que les images violentes ont des effets très différents des autres images, qu’elles provoquent des émotions désagréables : l’angoisse, la colère, la peur, la honte. Les enfants, angoissés et malmenés par ces images, manifestent un grand désir de parler de ce qu’ils ont éprouvé pour en maîtriser les effets. De même, ils adhèrent plus massivement à des repères de groupe qu’à des repères personnels. L’exposé de Sophie Jehel devant la Commission a confirmé l’étude qu’elle avait menée avec Divina Frau-Meigs sur les Ecrans de la violence, à savoir que la télévision française n’est nullement à l’abri des représentations violentes qui peuvent être très importantes aux heures de grande écoute. Elle note en effet que sur les programmes de soirée, le taux de violence des programmes proposés en première partie de soirée sur le network américain est plus bas que le taux observé sur les chaînes françaises. Le taux de séquences violentes par heure observé en France et aux Etats-Unis sur les programmes de première partie de soirée est à l’avantage des chaînes américaines . Sophie Jehel et Divina Frau-Meigs ont souligné les enjeux culturels de la violence sur la formation de la psychologie des jeunes : l’idéalisation de rapports fondés sur la force, le brouillage des rapports fondamentaux avec l’effacement d’un cadre juridique et symbolique et l’absence de sanctions. Elles ont rappelé la part de transgression de la loi que comportait le personnage des mercenaires comme Rambo, Superman, Robocop, Rick Hunter, de même que la surenchère dans la perversité des crimes. Plus généralement, les scénarios d’action qui véhiculent la violence à répétition proposent une vision manichéenne du monde. La menace vient de l’autre, l’autre qui suscite avant tout la peur. Les héros, sans subjectivité ni histoire, sont " voués à vaincre et à incarner l’immortalité tel le personnage de Highlander. La conséquence de cette sur-dramatisation dans les programmes pour enfants est la même que dans les autres types de programme… Elles nuisent à la qualité du récit et sont particulièrement problématique s’agissant des programmes spécifiquement destinés aux enfants. "
 
 

L’influence des spectacles violents sur le petit enfant.
 
 

Dans une audition devant la Commission le 10 septembre 2002, le pédiatre Julien Cohen-Solal dont les ouvrages sont internationalement connus, a souligné que l’enfant est littéralement fabriqué par la relation qu’il entretient avec ses proches, sa mère, et particulièrement avec les stimulations du monde ambiant. Il ne vient pas au monde comme une cire vierge, rappelle le pédiatre. Il est déjà génétiquement déterminé par des milliers de siècles d’évolution pour devenir un homme et non pas une alouette, et aussi pour parler,. Lorsqu’il n’existe pas d’environnement humain, l’enfant demeure un être sauvage et meurt comme en témoignent les expériences de Frédéric II en 1274. L’enfant est fondamentalement un être culturel où le langage joue un rôle essentiel. Julien Cohen-Solal rappelle que le nouveau-né est prêt à communiquer avec ses semblables, que déjà, il a un système sensible très développé. Son audition est excellente : à quelques jours, il est capable de différencier les syllabes, ba et pa par exemple, et reconnaître la voix de sa mère et la langue maternelle. Il a déjà une vision des couleurs même s’il est très hypermétrope, il touche, il pointe. Son odorat est considérable : il reconnaît à cinq jours l’odeur de sa mère et le goût du lait. Il a des capacités de reconnaissance transmodales, c’est-à-dire qu’il peut passer d’un canal sensoriel à l’autre pour un même objet. Cet appareil sensible entraîne des compétences globales de recognition, de mémorisation et de compréhension qui sont attestées par la lallation, le gazouillis, puis par l’apprentissage de la langue. Dans ces relations précoces, ce qui est fondamental est l’ interaction et la capacité qu’a l’entourage de comprendre le petit enfant et d’apporter de bonnes réponses à ses demandes. C’est ce phénomène qui crée la dépendance affective entre le bébé et sa mère, l’attachement, et qui le conduit aux représentations mentales, à la pensée réflexive, à la confiance en soi, données absolument fondamentales pour la construction du langage dans sa complexité.
 
 

Reprenant à son compte de nombreux travaux sur l’enfant et la télévision, Julien Cohen-Solal souligne l’importance de l’influence de la télévision sur l’enfant et en particulier la nocivité des trop longues heures passées devant la télévision. Un document du Conseil de l’Europe, datant de 1995, révélait que le temps passé par les enfants devant la télévision se situait entre une heure quinze par jour pour les enfants de moins de 5 ans et deux heures cinquante-cinq pour les 10-14 ans. Aux USA, ces chiffres sont allés jusqu’à quatre heures quotidiennes et on a pu constater des lésions sur les coudes des enfants qui regardaient la télévision allongés par terre.

Observant que les chercheurs ont été unanimes pour montrer que la télévision fait partie de l’écologie naturelle chez l’enfant moderne et qu’elle exerce une attraction particulière puisque, tout petit, le bébé est déjà attiré par les points brillants qui bougent, Julien Cohen-Solal a rappelé que le bébé est formaté pour la tétée et non pour la télé et qu’il est très dommageable que les enfants puissent la voir en moyenne deux heures par jour, surtout seuls le matin. Cela a des conséquences en matière de sommeil. Ils provoquent notamment de la somnolence des enfants à l’école. Rappelant que l’image est caractérisée par une force intrusive particulière, il conclut aux effets parfaitement nuisibles de la vision des images violentes à la télévision, comme si, dit-il, le malaise engendré par ces images était validé par les adultes. Parmi ces images violentes, il faut compter des images pornographiques qui constituent une forme d’effraction violente dans l’intimité affective des enfants par l’exposition trop précoce à la sexualité des adultes. Julien Cohen-Solal reprend la conclusion du chercheur américain Gerbner dèjà cité : " l’environnement d’images violentes finit par produire une société dans laquelle la violence réelle n’est plus considérée comme quelque chose d’ évitable mais comme une fatalité et où chacun se sent bientôt le devoir d’être violent avec les autres parce qu’il est persuadé que les autres ne vont pas tarder à l’être avec lui. "
 
 

L’influence des spectacles violents sur l’enfant et l’adolescent.
 
 
 
 

S’intéressant à l’influence de l’image télévisuelle sur la construction de l’enfant, le Docteur, pédopsychiatre et psychanalyste, Marielle David, dans une contribution écrite, note que notre inquiétude par rapport à la violence télévisuelleest motivée par la levée totale de l’interdit de la représentation dans les spectacles violents et pornographiques. Elle est susceptible d’entraîner l’enfant et l’adolescent dans la violence, voire de les pousser adulte au meurtre et à la guerre. Réfléchissant sur certains films et sur le chanteur américain Marilyn Manson accusé par certains d’inciter au meurtre des personnes fragiles à partir de son autobiographie, Mémoires de l’enfer, le Docteur David rappelle que le chanteur qui s’est appelé Marilyn comme Marilyne Monroe et Manson comme Charles Manson, exhibe volontiers l’origine de sa perversité dans l’enfer qu’était pour lui la cave de son grand-père, où pré-adolescent avec un copain, il avait découvert tout l’attirail d’un exhibitionniste. Une question inquiétante se pose alors : l’accès aux médias des spectacles pervers ne modifie-t-il pas incontestablement le contrat social, en permettant leur exhibition ? On ne peut se détourner de cette interrogation : le conflit qui s’ensuit n’est-il qu’un conflit de générations qui se résoudra de lui-même ou une atteinte grave de la structure psychique de l’enfant. La télévision, remarque le Docteur David, comme l’écran en général, institue un dispositif inverse de celui de la psychanalyse. Alors que Freud fait parler ses patients dans une chute du regard pour mieux articuler le fantasme et la parole, la télévision amène de l’image au cœur du lieu où se joue pour chacun au départ de sa vie, l’articulation des pulsions et du langage. Le dévoilement par l’écran a pour conséquence un affaiblissement de l’interdit de l’inceste, de l’interdit de l’exhibitionnisme, de l’interdit du viol, bref, un oubli des interdits majeurs qui régulent la sexualité des adultes, lesquels sont passibles de la loi lorsqu’ils les transgressent. Il existe alors une contradiction grave manifeste entre l’obligation professionnelle de dénoncer les crimes sexuels, l’aggravation des peines d’une part et la facilitation par l’image des fantasmes pervers, d’autre part. La télévision est née en un temps où se marquait clairement l’autorisation de la représentation à condition qu’elle respecte les interdits de la société. Très vite, le cinéma a autorisé la représentation du meurtre, mais le passage à l’acte demeurait interdit. Le film de guerre a servi de révélateur : peu à peu, un glissement s’est opéré. La barrière qui existait entre fantasme et réalité est devenue floue ; le voile a chuté, et une violence d’une autre nature s’est révélée : celle de la jouissance de faire souffrir l’autre.

Curieusement, ce dévoilement de la violence perverse s’est appelé violence gratuite dans la nomenclature européenne. Appellation étrange qui supposerait qu’il existe une violence payante, elle-même autorisée pour tous les lieux et pour tous publics. Qu’est-ce que les psychanalystes peuvent dire de la violence payante ? Freud a définitivement résolu la question en révolutionnant la connaissance de l’enfant. Il a révélé qu’il n’est pas un ange mais un être de chair animé de pulsions sexuelles qui évoluent au cours de sa jeune vie pour se refouler après six ans. Il existe une pulsion de mort qui s’oppose à Eros. Perdre dans un arrachement violent quelque chose à quoi l’ on tient pour gagner autre chose qui mène à une plus grande satisfaction, tel est le paradoxe de la pulsion de mort qui devient pulsion de destruction si elle ne trouve pas une nouvelle satisfaction et si son pari a raté. Nombre de films américains violents jouent de ce ratage, souligne le Docteur David. Perdre pour gagner, telle est l’opération de violence payante qui respecte le jeu pulsionnel quand il renonce à Eros qui lui aussi est une force qui devient violente par excès et peut permettre au sujet la construction de sa propre psyché. Dès lors, la " violence gratuite " est celle qui sort de ce jeu pulsionnel pour affirmer la jouissance gratuite et perverse. La destruction de l’autre n’est là que pour satisfaire la jouissance de détruire l’autre, de le déposséder de ce qui lui permet d’être le maître de sa jouissance. Celui qui l’exerce n’y perd-il rien ? Ne fait-il que déstabiliser l’autre ? La clinique nous montre que la perversion est plus complexe et que le jeu est perturbé par le retournement masochiste sur la personne elle-même dans un mécanisme inconscient. La télévision a donc pour danger d’actualiser cet affrontement, estime le Docteur David. Il faudrait que les enfants soient épargnés, car plus tard, à l’adolescence, chaque sujet devra surmonter cette rencontre, cette " tuché ", avec un appui des anciens qui ne devraient pas leur manquer.

Comme l’a souligné Dominique Ottavi, Professeur de psychologie à l’Université Paris 8, la résistance au développement de la violence chez les adolescents a été très problématique dans l’école et dans la société. Jusqu’à une date récente, il a été très difficile de regarder en face le problème de la violence scolaire. En dehors des moments éducatifs proprement dits (cours, classe), il était fréquent de considérer que " les enfants se débrouillent entre eux ". Supporter la violence des autres, ou l’exercer soi-même, par exemple dans la cours de récréation paraissait relativement normal, " ça ne concerne pas l’adulte, on ne peut pas être toujours derrière, ils doivent être capables de régler ça… " Lorsqu’il y a eu passage de la bagarre à la violence potentiellement meurtrière, avec le " jeu du foulard " qui consiste à s’étrangler, ou le " jeu du CRS ", qui consiste à taper à plusieurs un individu soi-disant choisi au hasard, il a fallu un certain temps pour l’admettre. Même remarque en ce qui concerne la violence contre les enseignants, actuellement l’objet de mesures législatives. Le " chahut ", perturbation de l’institution, a fait place à l’agression personnelle, soit au travers les biens (voiture, domicile), soit directement sur les personnes. Il a fallu beaucoup de temps pour briser un mur de silence, même du point de vue des syndicats.

Depuis les années 60, le terrain de la violence à l’école, sur le plan théorique, a été occupé par une littérature qui mettait en avant une violence de l’institution, et expliquait la violence des jeunes comme une réaction à cette première violence ; la contrainte liée aux apprentissages ou aux comportements a été interprétée comme une normalisation, sans parler de la violence symbolique chez Bourdieu. Tout ceci a pu être pertinent mais s’est transformé en obstacle épistémologique. L’école a donc été récemment très démunie devant l’augmentation de la violence, elle ne représente sans doute qu’un aspect d’une indifférence plus générale envers ce que les jeunes vivent effectivement. Dans ces conditions, la télévision, bien que fréquemment accusée de provoquer cette violence, a été paradoxalement tolérée dans ses excès. D’un point de vue éducatif, et à l’école en particulier, la télévision a été considérée comme un élément parmi d’autres d’un environnement difficile, une violence de plus, à laquelle l’enfant est censé pourvoir faire face.
 
 

Les effets de la pornographie sur les jeunes et les femmes.

Pour le Docteur gynécologue Anne de Kervasdoué, le sexe est en permanence représenté, exhibé ou suggéré, sur nos écrans de télévision de cinéma ou d’ordinateur, dans les films ou la publicité pour les produits de la vie courante les plus anodins. Il se substitue aux autres formes de sensualité. Une grande marque de cônes glacés a proposé pendant des années ses esquimaux sur une scène de fellation à peine déguisée sur fond de sado masochisme. Fait intéressant, depuis la rentrée, il est revenu à une représentation plus classique de l’esquimau savoureux pour le palais. Une affiche publicitaire laisse croire à une goutte de sperme sur la peau lisse et dorée ; il s’agit en fait d’un gel solaire. Pour vendre, il faut séduire, et aujourd’hui la séduction ne semble passer que par le sexe, comme s’il était la seule source de rêve et de plaisir, le seul sens à satisfaire. On s’habitue à ces images qui paraissent socialement acceptées, mais on est tous saturés et parfois révoltés, comme l’attestent beaucoup de commentaires spontanés, émanant le plus souvent de femmes. La réduction de l’humain à sa seule dimension sexuelle Le fait d’être réduit à la seule dimension de la sexualité est une atrophie et une forme de violence.

Quant à la pornographie, la plupart des adultes délivrent la même réponse, mi-figue, mi-raisin : " En tout cas ce serait absurde de l’interdire. " Tout est dit. Personne ne veut paraître liberticide. L’interdit est devenu interdit. Les images ont donné une légitimité à la violence et à la pornographie. Et pourtant dès que l’on avance des arguments, dès que s’élabore une prise de conscience, les avis se nuancent. Jusqu’où peut-on aller au nom de cette liberté ? N’y a-t-il pas de limites ? Les effets de la pornographie sur un adulte sain sont de moindres conséquences, car il a acquis la capacité de se distancier par rapport à la fiction, même " réaliste " et dénuée de poésie. Délibérément choisie et non imposée, pourquoi pas ? Mais il pourrait y accéder par internet ou les films ; cela implique, il est vrai, une démarche active qui laisse davantage de trace… Le problème se pose très différemment pour l’enfant ou l’adolescent.
 
 

Pour se développer normalement, la sexualité a besoin d’étapes adaptées à la maturation psychique de l’enfant ou de l’adolescent. La représentation visuelle brutale ou répétée de scènes pornographiques à un stade trop précoce peut créer une émotion capable d’influer sur le cours normal de l’évolution du cerveau, perturber son équilibre intérieur et, en tout cas, imprimer durablement sa conception de la sexualité. Avant d’avoir acquis une maturité sexuelle, l’adolescent peuple son imaginaire à partir de données tactiles agréables, de phrases lues, entendues ou chuchotées, d’intonations de voix, de gestes saisis ici ou là, de regards significatifs et d’échanges affectifs. Quand l’image pornographique — d’où qu’elle vienne — fait irruption dans sa conscience, son pouvoir émotionnel s’impose d’emblée, sans représentation ni explication. Elle brûle ces étapes. Les psychologues et les médecins, savent de par leur exercice clinique, qu’elle obligera par la suite à corriger en permanence l’image, voire à l’effacer pour en limiter l’impact. Pire, elle impose plus gravement que les mots, une certaine image de la sexualité. Elle donne une fausse représentation des hommes et surtout des femmes qui peuvent se sentir agressées. Ces scènes les avilissent. Elles ne se reconnaissent pas dans ces personnages de femmes disponibles à tout instant, exhibant un appétit sexuel irréaliste, ou bien soumises abusivement au désir masculin. Cette impression que la femme aime être violée est encore profondément ancrée dans les esprits, parfois jusqu’à l’exacerbation. Le viol récent d’une jeune fille par un groupe d’adolescents à peine plus âgés qu’elle et expérimentés, en témoigne et leurs explications sont confondantes : " On pensait que cela se passait comme ça, qu’elle aimait ça ".

Quant aux hommes de 18 à 23 ans, ils semblent encore plus affectés de ne pouvoir afficher les mêmes performances que celles véhiculées par les médias. Certains en éprouveront de l’angoisse, d’autres useront de la violence, par peur de ne pas être à la hauteur.

Elle fixe des normes de comportement en matière de sexualité et déforme la réalité des attentes. Les jeunes filles se sentent, malgré elles obligées, plus ou moins consciemment de mimer leurs attitudes sur celles qu’elles voient à l’écran, contraintes d’accepter certaines pratiques sexuelles alors qu’elles n’en ont, bien souvent, aucune envie. Elles disent au gynécologue, ce qu’elles n’osent dire à personne. D’où la déception, le dégoût perceptible chez certaines voire le rejet. Les plaintes les plus fréquentes en matière de sexualité viennent des adolescentes et des femmes de moins de 30 ans. N’osant pas aborder le problème de front, elles font état de douleur. Plus de 50% des femmes de cette tranche d’âge trouvent les rapports douloureux, les redoutent et souvent les refusent pour cette raison.

La sexualité représentée à l’écran y apparaît facile, sans risque et sans conséquences. Pourtant, une sexualité adulte implique certaines connaissances médicales sur le risque de grossesse et les moyens de s’en prémunir, sur les façons de se protéger des maladies sexuellement transmissibles et le sida dont on connaît la redoutable gravité, sur les différences psychologiques entre les hommes et les femmes. Le danger vient de cette inconscience et de cette indifférence aux émotions, aux risques encourus, aux sanctions, aux conséquences psychiques et physiques.

Parvenir à l’harmonie de couple est tout sauf simple. En réduisant la sexualité à une mécanique, la pornographie la prive de ce qui en fait l’essentiel : le relationnel. Elle fait abstraction de l’émotionnel. Elle abolit le langage, l’échange, les manifestations affectives qui sont le fondement de la sexualité d’un couple.

Par ailleurs, on imagine les dégâts occasionnés par la pornographie sur le cerveau d’un enfant ou d’un très jeune adolescent, plus susceptible qu’un adulte de mêler réel et fiction. Ces images représentent à ses yeux la réalité des corps d’un homme et d’une femme qui pourraient être son père et sa mère ; ce qu’elles racontent lui est incompréhensible. Elles abusent de son immaturité et de sa sensibilité particulière. Ces images lui sont imposées, abusant de son immaturité et de sa sensibilité particulière. La pornographie, pour lui, s’apparente à un acte d’exhibitionnisme. Il se sent agressé et, en prime, voyeur malgré lui, sadique ou masochiste, selon les cas.

Lorsqu’on sait que certains estiment que la plupart des enfants de moins de douze ans ont vu une scène pornographique à la télévision. La plupart d’entre eux n’en parleront pas, ce phénomène est constaté après un viol ou un abus sexuel, excluant par là toute explication. On sait maintenant qu’ils élaborent, à partir de ce traumatisme initial, des mécanismes de défense. La réception d’une image crue et brutale par le cerveau d’un enfant qui sent confusément que se nichent là des tabous a autant d’effet qu’un abus sexuel. Pour avoir écouté des dizaines de femmes abusées pendant leur enfance ou leur adolescence, le Docteur de Kervasdoué croit pouvoir affirmer que l’on retrouve chez les plus exposées mentalement, les mêmes mécanismes d’élaboration mentale. Il éprouve en voyant cette image un sentiment de trouble et ce culpabilité. S’il n’en parle pas, s’il rumine ces images et ces pensées, ce sentiment risque de se muer en angoisses diverses (phobies, obsessions, etc) ou en dégoût de la sexualité. Chez d’autres, il arrive que cette culpabilité, en créant des réactions défensives, peut promouvoir des rôles actifs , à savoir la recherche d’une agression pour se motiver et réactualiser les identifications à des agresseurs vus sur les écrans. Comme dans le cas d’un abus sexuel, la victime cherche à se revaloriser, de préférence en devenant elle-même bourreau.
 
 
 
 

La pornographie vue par l’enfant peut le conduire à des comportements pervers. La perversion naît à partir d’une réponse à une agression. La perversion vient d’une agression à partir de laquelle le sujet a élaboré des mécanismes de défense. Les pervers sont d’anciens agressés, comme l’attestent les faits divers sexuels. Les plus fragiles mentalement, c’est à dire les plus agressifs, les moins encadrés par la famille ou le milieu environnant, et ils sont nombreux, seront tentés de passer à l’acte, parfois dramatiquement.

La vision d’une scène violente ou la réalisation d’un tabou sexuel donne une fausse impression de déjà vu et de déjà fait pas sanctionné, et donc permis, et libère l’esprit de l’interdit. Toute l’élaboration mentale de l’interdit plus ou moins acquis au cours de l’enfance vole en éclats dès lors qu’il est transgressé sous ses yeux. En effaçant les limites entre l’imaginaire et la réalité, en banalisant les scènes agressives et les actes interdits, voire en les érigeant en normes, on invite le spectateur à y participer, on lui donne l’illusion de l’avoir réalisé et d’avoir transgressé l’interdit : la transgression devient alors permise.
 
 

Autrement dit, l’évaluation que nous avons entreprise ne dément aucunement la synthèse qui avait déjà été proposée par le rapport du CIEM concernant les effets sociaux et psychologiques de la violence. " L’appauvrissement des scénarii, l’affrontement manichéen, l’absence de résolution des conflits, la déréalisation des effets spéciaux, la négation du point de vue de la victime, le sexisme, la xénophobie latente " qui avaient été dénoncées, ainsi que les effets particulièrement nocifs sur les enfants, aggravés chez les plus fragiles, conduisent à rechercher une transformation de la situation.

Mais auparavant, il nous a paru intéressant de se demander ce que l’évolution du cinéma lui-même a pu nous révéler de l’état de la société.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

3 - L’évaluation esthétique.
 
 

Nous reprendrons ici le travail d’Olivier Mongin dans sa réflexion sur le lien entre cinéma, violence et société. Peut-on encore parler d’une civilisation de l’image ? Cela n’est plus évident car nous avons glissé d’un monde formé par des " images " à un monde structuré en flux. L’image visible renvoyant à un envers d’elle-même, à un invisible, a laissé la place à des flux continus d’images qui ne renvoient plus à aucune invisibilité. Pour le dire autrement on est passé de la salle de cinéma à l’atelier audio-visuel où les images défilent sur des écrans divers. Alors que l’image cinéma renvoie à un monde extérieur, à une altérité, l’image télévision renvoient à un sujet qui se reflète sur les écrans. A un monde où le spectateur voyait défiler sur l’écran des héros, des stars auxquelles il pouvait s’identifier où il y avait des modèles d’humanité, s’est substitué un spectacle continu où l’individu se projette lui-même sur l’écran. Comme l’a dit Serge Daney, il n’y a plus d’histoire mais une variété infinie de scénarios.

La prise en considération des fictions renvoie à la violence effective dans nos sociétés. On peut se demander si l’exhibition sur les écrans des images d’une violence intense et incandescente n’accompagne pas les ratés de la pacification des mœurs, la violence des fictions n’étant pas sans relation avec les métamorphoses historiques de la violence, tant du point de vue des sociétés que du point de vue international.

Les grandes polémiques esthétiques n’ont plus cours, elles semblent s’être effacées. Il paraît inimaginable aujourd’hui que les gens de la " nouvelle vague " aient pu parler à la fin des années 1950 d’une " morale du cinéma ". L’idée qu’on ne puisse pas tout montrer, qu’il ne faille pas tout montrer n’importe comment, qu’il y a des zones d’ombre, des secrets à préserver et un envers du décor. Ces temps-ci, nombreux sont ceux qui rappellent la polémique publiée dans les Cahiers du Cinéma au début des années 60 entre Jacques Rivette et le cinéaste italien G. Pontecorvo (surtout connu pour sa Bataille d’Alger). Dans Kapo, la camera de G. Pontecorvo s’attarde interminablement sur le visage d’une femme (Emmanuelle Riva) en train de mourir lentement après s’être prise dans les barbelés en tentant de s’échapper d’un camp de concentration. Scandalisé par la manière dont cette scène a été tournée (la camera s’appesantit sur le visage), Rivette apostrophe Pontecorvo : " Qui a le droit dit-il a peu près de s’approprier l’irreprésentable ? Qui a le droit de s’attarder sur la mort d’un autre alors qu’elle est une expérience inimaginable, inconcevable ? "

Ce débat esthétique, " Comment tourner ? Comment tenir une caméra " , renvoie à des considérations éthiques qui mériteraient plus de considération aujourd’hui. Un exemple suffira, celui de la scène de torture d’un policier par un malfrat dans Reservoir Dogs, le premier film de Quentin Tarantino. Qu’est-ce qui caractérise cette scène ? On assiste selon Carole Desbarats à une double perte des repères du fait d’un maniement contestable, incontrôlé et arbitraire, de la caméra : la position de l’auteur, de celui qui tient la caméra est trouble. Ce qui rend du même coup trouble la position du récepteur. Les places du " sujet/auteur " et du " sujet/spectateur " ne peuvent pas être occupées. Les postures du bourreau et de la victime ne peuvent plus être distinguées et hiérarchisées. Le trouble des positions affecte simultanément l’auteur, le spectateur et les personnages de la fiction qui défilent sur l’écran. Cette image mal tournée, il faudrait dire : " qui tourne mal " donnent lieu à une perte des repères et à une défection de la pensée. Voilà ce qui est grave : une image non pensée empêche le spectateur de voir et de penser ce qu’il voit, en l’occurrence de juger de sa position et de celle des personnages qu’il voit à l’écran.

Que nous apprennent les images violentes dans les films des années 1990 ? Les scénarios et le contenu d’un certain nombre de films récents — pour la plupart des films cultes des années 1990 — soulignent quelques uns des ressorts de la violence exhibée sur les écrans. Ce cinéma violent n’est pas un simple produit du capitalisme américain et de Hollywood, ou l’expression d’un puritanisme qui n’est pas le nôtre. Le cinéma français produit aussi des films analogues.

Le plus frappant est de constater que la violence exhibée par un certain nombre de cinéastes se présente comme dérégulée, dé-réglée, sans règles, comme une violence qui n’a aucun sens. Qu’on soit pour ou contre, la violence révolutionnaire avait, pour sa part, un sens historique. Classiquement, la violence au cinéma était une violence guerrière, accoucheuse de l’histoire. Le cinéma naît avec deux films de Griffith au titre significatif : Naissance d’une nation, Intolérance, qui mettent en scène la guerre civile et le racisme. Le cinéma comique invente de son côté, dans les années 1910-1915, un burlesque de nature belliqueuse. Bref, le cinéma violent traditionnel s’organise autour du thème de la guerre et du champ de bataille. Mais d’une guerre qui a des règles. Le film noir, Scarface, en est l’expression dès l’avant-guerre, les westerns et les films de boxe (des comédiens comme Burt Lancaster ou Kirk Douglas, qui y font leurs premières armes, sont les ancêtres de Sylvester Stallone/Rocky) sont autant d’expression de ce champ de bataille où les individus luttent fortement les uns contre les autres (le ring de boxe comme champ de bataille).
 
 

Mais un tournant pris au milieu des années 1970 est à l’origine de la déferlante des films de ces années dont les metteurs en scène cultes sont Quentin Tarentino ou Oliver Stone aux USA, Mathieu Kassovitz ou Luc Besson en France. Progressivement, la violence n’est plus circonscrite à un champ de bataille en même temps que les genres narratifs traditionnels, à commencer par le western à la Ford ou à la Mann, sont remis en cause . La Horde sauvage de Peckinpah, en 1969 annonce la disparition du western classique dès la fin des années 1960. Cette dérégulation de la violence s’exacerbe au moment de la guerre du Vietnam. Cette guerre à propos de laquelle tous les cinéastes américains qui comptent réalisent un film (Coppola, De Palma, Cimino, Kazan…), est une guerre où l’ennemi est anonyme (il n’y a pas de front et d’adversaire visible, c’est la jungle et la guérilla) et où la drogue commence à envahir le corps de l’intérieur. Parallèlement, la trilogie du Parrain de Coppola met en scène la décadence de la mafia italo-sicilienne. Lui succède la montée en puissance des mafias asiatiques, ukrainiennes et russes (voir récemment The Quickie) et de films sur la dépression chez les mafieux traditionnels (voir la série des Soprano, ou le film Mafia blues).

Une violence dérégulée, c’est une violence sans repères, une violence qui ne peut que s’exacerber parce qu’elle est déréglée et qu’elle ne sait pas contre qui elle s’exerce. C’est une violence extrême, démesurée et infinie parce qu’elle tourne à vide, parce qu’elle ne butte sur rien (pas de loi contre laquelle se cogner, et donc pas de transgression possible). On sort d’une logique du champs de bataille pour entrer dans une dynamique infinie de la violence. A la différence des westerns, des films de guerre et des films de boxe, qui se terminent par un retour à la loi, la violence est ininterrompue et sans cible dans les films violents des années 1990.

Dans l’un des films qui l’ont fait connaître à un public mondial, The Killer, le cinéaste hong-kongais John Woo (Volte-Face) met en scène un policier et un truand qui, alors qu’ils ne cessent de s’entretuer, s’arrêtent brutalement et se demandent : " Mais pourquoi en est-on arrivés là ? " Aucune raison à cette tuerie réciproque, à cet acharnement, se répondent-ils mutuellement l’arme à la main, sinon le constat qu’il n’y a plus de règles, celles de la justice, de la police ou du milieu, et qu’on a même perdu les règles de l’honneur pour emprunter les termes de la violence mafieuse. Alors que la violence n’est jamais nue et passe par des rituels, des règles, ceux-ci font défaut aujourd’hui ou ne sont plus respectés. Il faut sauver le soldat Ryan, de Spielberg est intéressant parce qu’il participe d’un double registre en terme d’économie de la violence : d’une part, il exhibe une violence dé-réglée, celle de la sauvagerie du débarquement à Omaha Beach, d’autre part la deuxième partie du film correspond à un quasi-western classique, retrouver un disparu.
 
 

Cette dérégulation se nourrit d’un imaginaire terroriste. Le terroriste est un guerrier qui refuse l’affrontement, la confrontation, le champ de bataille, celui qui prend par derrière, en traître. Il n’a d’autre règle que d’éviter l’affrontement et d’échapper aux règles même de la guerre (voir Clausewitz) et il tue par surprise parce qu’il refuse le conflit. Un tel imaginaire se traduit par l’importance donnée à la bombe et aux explosions et par la présence de personnage qui se présentent comme des " nettoyeurs " (voir Léon) de Luc Besson où le tueur à gage, qui prétend prendre en charge l’éducation (par les armes !!!) d’une jeune fille dont la famille a été décimée par des maffieux). C’est pourquoi les anciens terroristes pullulent depuis des années dans les scénarios des films violents contemporains.
 
 

L’imaginaire terroriste, indissociable du contournement du champ de bataille, de l’esquive du conflit direct et de la confrontation violente, peut donner lieu à des actions de divers ordres ; le poseur de bombe, issu des groupes terroristes européens, l’IRA par exemple, et travaillant pour la CIA, est un personnage fréquent des films des années 1990. Mais quel que soit le type d’action privilégié, la Ville et la Cité sont le plus souvent visées. La pratique de l’urbicide est permanente (non sans lien avec les événements qui ont ponctué les années 1990 : Vukovar, mais aussi Kaboul, Grozny) et va de pair avec un climat de violence de plus en plus civile et urbaine. La violence n’a plus lieu entre des États, elle lamine les sociétés de l’intérieur. Pour mémoire, New York est ravagé à plusieurs reprises : Mars attacks, Godzilla, Independance Day, Armageddon. Deep Impact de Mimi Leder, Couvre-Feu d’Edouard Zwick.

La violence n’est pas un état particulier et provisoire de l’individu, mais son " état de nature ", son unique raison d’être. Le titre du films d’Oliver Stone Natural born killers (" naturellement nés tueurs ") en dit long : on n’a pas affaire dans le cas de Mickey et Mallory à deux desperados anarchistes du type de Bonnie and Clyde (1966) mais à deux " serials killers " qui n’ont d’autre choix que d’exercer une violence infinie pour survivre et l’emporter. Seul le plus fort gagne, il n’y a d’autre loi que celle de l’état de nature, et on en revient au thème de la guerre de tous contre tous.Ce même film nous instruit sur les liens de l’image télévisuelle et de la violence. Si Mickey ne survit qu’en tuant, en faisant le vide autour de lui, il n’existe simultanément qu’en se montrant aux autres grâce à l’image de télévision. On assiste à une alliance diabolique entre le tueur qui veut se montrer, s’exhiber à la face du monde pour cracher tout son mépris et " s’identifier contre " et l’image de télévision, l’un se nourrissant de l’autre et réciproquement.

A cette violence intériorisée, quasi toxicomane, correspond une violence externalisée (celle du terrorisme) dans Nikita (un rôle féminin, il faut le souligner). Une violence externe qui peut être le fait de toutes les populations et pas seulement le privilège des banlieues (dans Fight Club de David Fincher, des cadres ont une vie nocturne consistant à se battre à mort sans règle, dans des boites de nuit prévues pour ce genre de sport). Violences interne et externe vont de pair, manque la possibilité de les mettre en rapport, d’organiser des médiations, de le mettre en relation. Ce double mouvement s’accompagne aussi d’une violence plus privée que publique (voir War Zone), un film au titre significatif de Tim Roth qui porte sur l’inceste et la violence privée intra-familale. Tous ces films sont à l’origine d’un climat particulier où le mal a toujours le dessus. On vit dans un monde (de fiction) où le mal est toujours vainqueur et où il est inimaginable de vouloir lutter contre lui. C’est un climat gnostique, le monde a été mal créé et il est impossible d’y remédier. Certes, on peut être policier par exemple et rétablir de temps à autre un peu de justice, mais il est illusoire de croire que ce monde mauvais peut changer.

C’est ce que dit, dans Seven de David Fincher ( le titre renvoie aux sept péchés capitaux) un vieux flic, l’acteur noir Morgan Freeman, qui affirme, au cours d’une discussion avec la femme d’un jeune flic qui est enceinte, qu’il n’imagine pas qu’on puisse avoir des enfants (crise de la généalogie). Sous l’anecdote et le dialogue hollywoodien perce l’idée que l’histoire est mise à mal et, avec elle, la possibilité d’un lieu généalogique.

Autre constat : si la femme est la plupart du temps absente de ces films, elle intervient cependant de temps à autre comme salvatrice, comme celle qui peut mettre un terme au processus de la violence (voir l’inspectrice de police de Fargo des frères Coen qui est justement enceinte, voir la mère de L’âme des guerriers, un film néo-zélandais de Lee Tamahori, qui va instaurer un rituel de deuil en réinscrivant le suicide de sa fille dans une histoire, une généalogie. Cette crise de la masculinité renvoie à une crise de la virilité et du corps masculin dans une société où le corps ouvrier de la société industrielle n’a plus place.

La violence apparaît comme l’envers d’une éducation défaillante, comme s’il n’y avait rien d’autre à transmettre que l’apprentissage de la mort et de la violence. Dans son dernier film, Assassins, Mathieu Kassovitz, le réalisateur de La haine, présente trois générations de tueurs qui évoluent en fonction de l’histoire de la télévision et des changements qui affectent le contenu et la forme de cette dernière. Première génération : la télévision est éteinte, on ne regarde pas le petit écran, le tueur professionnel a des règles et un savoir faire (c’est un petit maffieux, un parrain qui a une morale). Deuxième génération : la télé est allumée, on y regarde des séries télévisées, le tueur à gages devient maladroit et échoue dans le meurtre qu’il doit commettre. Troisième génération : la télévision est en permanence allumée et les jeux de guerre crépitent sur le petit écran, le jeune beur qui incarne cette troisième génération produit un carnage à la sortie de l’école. Au sens strict, il " pète les plombs " et tue symboliquement le proviseur, celui qui incarne l’autorité éducative. S’il ne reste que l’éducation par les armes (voir supra, Léon), celle-ci est devenue impossible, elle est elle-même condamnée à échouer au profit d’une violence déréglée débouchant sur des massacres.
 
 

Si cette violence tourne autour de la mort et se manifeste par les cadavres qu’elle laisse derrière elle, elle nous instruit également sur notre propre relation avec la mort. Cette manière de tuer en permanence ne correspond-elle pas à un désir caché de maîtriser la mort pour ne pas avoir à la subir ? Maîtriser la mort pour ne pas la subir : cela revient dans ces films à tuer tous les autres, tous les gêneurs qui risquent de prendre votre place pour survivre et être intouchable. On sait que le spectacle suprême de la violence au cinéma est le " snuff movie ", ce film qui relève de la légende et qui consiste à mettre en scène des morts réelles en direct (des femmes ou des enfants achetés). La question du sacrifice y est ici centrale (voir aussi Les rivières pourpres de Kassovitz).
 
 

Beaucoup de ces films mettent l’accent, involontairement, sur l’incapacité de parler des personnages. Dans La haine de Kassovitz, le trio est le plus souvent silencieux : il n’y aura que deux grandes manifestations de paroles : il n’y a pas d’autres choix que de se prendre pour un animateur de télévision ou d’être surpris par un rescapé de Büchenwald, titubant sous les effets de l’alcool, dans les toilettes d’une boite de nuit. On ne parle pas, on tchatche, on s’emballe avec les mots, on devient violent parce qu’on parvient difficilement à argumenter, à s’expliquer, mais aussi à comprendre ce qui se passe. La crise du symbolique est ici patente, l’image violente montre qu’il est difficile de renvoyer à autre chose. Pour se mettre à parler, il faut se prendre pour un animateur télé ou bien être médusé par un homme qui parle de la Shoah. On est toujours dans le régime de l’extrême. Cette violence est d’autant plus infinie qu’elle ne se heurte plus à une loi, qu’elle n’est pas une violence de transgression. Et c’est l’erreur fréquente de ceux qui défendent sans plus se poser de questions ce cinéma violent, ils croient, en effet, qu’on a encore et toujours affaire à une violence de transgression. Comme l’a montré Alain Ehrenberg dans La fatigue d’être soi (Odile Jacob), le couple excitation/dépression a pris la place du couple norme/transgression. Or, le binôme excitation/dépression renvoie au double mouvement d’intériorisation, violence intériorisée et dépressive, silencieuse, peu visible, et d’extériorisation (la violence externalisée comme une déferlante, comme le feu d’une arme). Un double mouvement qui n’est pas sans lien avec la réception télévisuelle elle-même. Il faut souligner qu’à ces scénarios violents répond tout une autre série de scénarios destinés à freiner la violence. Cela montre bien que la nécessité de calmer une violence infinie, une excitation que l’on peut calmer, est une question centrale. L’exemple des films de Clint Eastwood sont fort intéressants : celui intitulé Le canardeur dans toutes ses variantes réalisent des films où des tueurs se demandent comment ne plus l’être (voir Impardonnable).
 
 

Le cinéma contemporain nous alerte de la sorte sur la crise de la transmission des valeurs de la règle démocratique, sur la rupture qui sépare les générations des années cinquante et soixante et les générations actuelles, sur l’abandon et le repli générateurs de violences supplémentaires dans lesquels sont plongés les jeunes. A la fin, il nous pose brutalement la question : " Acceptez-vous de continuer ainsi ? Ne devez-vous pas vous ressaisir. ? "
 
 
 
 

4 - L’évaluation législative.

La situation française.

Qu’en est-il du cadre législatif et réglementaire concernant la diffusion de spectacles violents ou pornographiques à la télévision ? Les services du Ministère de la Culture et de la Communication le résument ainsi.

La loi du 30 septembre 1986, qui repose sur le principe de liberté de communication audiovisuelle énonce en son article premier : " la communication audiovisuelle est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limitée que dans la mesure requise, d’une part par le respect de la dignité de la personne humaine… ". Son article quinze précise pour sa part : "  le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille à la protection de l’enfance et de l’adolescence et au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle… " Elle limite les programmes violents sur les chaînes dans une exigence de protection des personnes et en particulier de respect du jeune public. En droit interne les dispositions de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989, dite directive TVSF, telle que modifiée par la directive 97/36/CE du 30 juin 1997, la loi établit que les programmes susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne doivent pas être mis à disposition du public , sauf lorsqu’il est assuré par le choix de l’heure de diffusion ou par tout autre procédé technique approprié que les mineurs ne sont pas normalement susceptibles de les voir ou de les entendre .

Ainsi, la loi du 1er août 2000 portant modification de la loi du 1er août 1986 a renforcé les pouvoirs de contrôle du CSA sur le contenu des programmes diffusés par un service de communication et s’est prononcé sur la nécessité de caractériser davantage la signalisation des programmes diffusés à la télévision, lorsqu’ils sont susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, en rendant obligatoire l’affichage d’un symbole visuel tout au long de leur durée. Il appartient également à cette instance de régulation de veiller à ce que ces programmes ne contiennent aucune incitation à la haine.. En outre, dans la mesure où ces programmes sont susceptibles de nuire gravement aux mineurs, le CSA doit veiller à ce qu’ils ne soient pas mis à la disposition du jeune public.

Il a été proposé lors des débats parlementaires du 25 mai 1999 tendant à la modification de la loi de 1986, l’adoption d’un dispositif technique de cryptage des émissions comportant des scènes violentes ( procédé canadien de la puce anti-violence). Cet amendement proposé par Mme. Frédérique Bredin, a été repoussé. Des doutes subsistaient quant à l’efficacité d’un tel procédé, encore expérimental à l’époque.
 
 
 
 
 
 
 
 

Les conventions

Les conventions des chaînes prévoient déjà un dispositif de classification systématique des émission établi en accord avec le CSA, comportant une signalétique appropriée destinée à informer les parents sur les programmes susceptibles d’être vu par les mineurs. Cette classification est assortie d’une signalétique en cinq pictogrammes visant à informer les téléspectateurs du degré de violence des œuvres audiovisuelles diffusées. Ces conventions comportent aujourd’hui : l’obligation de classification des programme et d’information au public, les règles de diffusion des programmes ainsi que leurs bandes annonces selon leur classification, la référence au décret du 23 février 1990 relatif à la classification des œuvres cinématographiques ( notamment en son article 4 concernant les avertissements avant diffusion).
 
 

Les cahiers des charges

Les cahiers des charges des chaînes publiques ont été progressivement renforcés en 1994, 1996 et 1998. Ces sociétés doivent s’abstenir de diffuser des programmes comprenant des scènes pornographiques et de violence gratuite. Elles sont tenues de respecter une grille horaire des programmes en fonction de leur degré d’accessibilité au jeune public et d’appliquer la classification des programmes et la signalétique définie en accord avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel visant à informer les téléspectateur du degré de violence des œuvres audiovisuelles. Les obligations en terme de signalétique y sont toutefois moins précises que dans les conventions pour les services privés. Lors de la modification des cahiers des charges intervenue le 2 mai 2002, le CSA a écrit à la ministre de la culture et de la communication en préconisant d’étendre la signalétique à tous les programmes et non plus aux seules œuvres audiovisuelles, ainsi que l’exigence de rapports semestriels sur son application.
 
 

Classification et signalétique des programmes
 
 

Le choix d’un dispositif technique destiné à la protection du jeune public et commun aux chaînes hertziennes terrestres , décidé en accord avec le CSA, a été mis en place en novembre 1996 et perfectionné en 1998 afin de mieux informer les téléspectateurs sur la nature des programmes diffusés et de faciliter le contrôle des parents et des éducateurs.

Le CSA a manifesté à plusieurs reprises sa volonté d’encourager les chaîne à utiliser la signalétique dès que celles-ci présentent qu’un programme risque de heurter la sensibilité des plus jeunes, estimant que l’objectif est avant tout d’informer, et non selon ses terme " d’aseptiser le petit écran ".Dans son bilan d’activité pour l’année 2000 , l’instance de régulation, après avoir constaté que la signalétique n’était pas complètement dissuasive pour les enfants, a rappelé la demande qu’elle avait faite aux chaînes hertziennes de réfléchir aux moyens de renforcer l’information des parents sur le dispositifs et d’accroître leur vigilance sur les programmes regardés par les plus jeunes.
 
 

La loi de 1986 confère au CSA le pouvoir de mettre, demeure les sociétés nationales de programme ainsi que les éditeurs et distributeurs de radiodiffusion sonore et de télévision de respecter les obligations qui leurs sont imposées par les textes, notamment en ce qui concerne la protection des mineurs. Lorsque ces sociétés ne se conforment pas à ses mises en demeure, l’instance peut également prononcer à leur encontre des sanctions en fonction de la gravité du manquement.

Les pouvoirs de sanctions du CSA sont encadrés par l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 qui précise : "  si un éditeur ou distributeur de service de radiodiffusion ne se conforme pas aux mises en demeure qui lui ont été adressées, le CSA peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, l’une des sanctions suivantes : la suppression de l’autorisation ou d’une partie du programme pour un mois ou plus ; la réduction de la durée de l’autorisation dans la limite d’une année ; une sanction pécuniaire assortie éventuellement d’une suspension de l’autorisation ou d’une partie du programme si le manquement n’est pas constitutif d’une infraction pénale "
 
 

Indépendamment du renforcement de son contrôle, le CSA a précisé que l’efficacité du système de protection mis en place reposait en définitive sur une responsabilité partagée entre les diffuseurs, l’instance de régulation et les parents et adultes ayant autorité sur les enfants. Comme il a pu être amené à en faire la recommandation dans ses précédents bilan, le CSA rappelle régulièrement aux chaînes de télévision qu’il leur appartient d’éviter la banalisation des représentations violentes. Les familles ont en effet un rôle à jouer dans le contrôle des programmes diffusés à la télévision. La loi du 1er Février 1994 accorde aux associations familiales reconnues par l’Union nationale des associations familiales le droit de saisir le CSA pour qu’il engage la procédure de mise en demeure à l’encontre des services autorisés et des sociétés nationales de programme. cette procédure peut être mise en œuvre notamment lorsque les sociétés n’ont pas respecté leurs obligations en ce qui concerne la limitation de la violence et de l’érotisme dans leurs programme. En outre, l’article 39 de la loi n°94_629 du 25 juillet 1994 relative à la famille rend obligatoire la consultation du Haut Conseil de la population et de la famille sur les programmes destinés aux enfants, lors de l’élaboration du cahier des charges des sociétés nationales de programme et de la cinquième.

L’ensemble de ces dispositifs de régulation, textes de loi, institutions et actions du CSA, ont néanmoins été jugées insuffisantes par les associations familiales et une partie de l’opinion publique qui ont considéré que la France n’était pas à niveau égal avec ses voisins en matière de protection des mineurs contre la violence et la pornographie.

La situation française est-elle effectivement pire que celle d’autres pays ayant à connaître des semblables publications et plus précisément de nos voisins européens, comme le dénonce certains ? Quelles sont les mesures préconisées par le Conseil de l’Europe, la Commission, le Parlement européen ? Quel est l’état du droit français en cette matière ?
 
 
 
 

Si l’on tente une brève évaluation des mesures prises aux États-Unis et en Angleterre comme l’a fait pour nous Maître Marie-Christine de Percin, l’impact des images de violentes et/ ou pornographiques a depuis longtemps été dénoncé, examiné par d’autres pays qui ont tenté d’y remédier.
 
 
 
 

Aux Etats-Unis, le débat sur la violence à la télévision a duré dix ans. La télévision fait à présent l’objet d’un régime spécifique édicté par le FCC (Federal Communication Commission) qui limite exceptionnellement la liberté d’expression garantie par le Premier amendement pour interdire la diffusion des programmes considérés comme indécents pendant la journée, aux heures où des mineurs peuvent être à l’écoute. Pour justifier cette exception, la jurisprudence de la Cour Suprême invoque le pouvoir d’influence et d’accaparement des esprits de la radiotélévision et le caractère captif de l’audience ainsi atteinte ( arrêt 1978 FFC V Pacifica Foundation). Toutefois, ces limitations ont certaines failles et selon les termes de la jurisprudence américaine, proportionnées à la satisfaction de l’intérêt général recherché, elles laissent accessibles la diffusion de tels programmes à d’autres heures d’écoute.
 
 
 
 

Différentes mesures ont été prises : le système d’indexation (rating) des programmes sur les chaînes destinées au grand public ; le vidéo-clip, la puce anti-violence miracle qui devait permettre aux parents de filtrer les programmes suspects ; et l’auto-censure : sensible aux reproches d’incitation à la violence et aux réticences des annonceurs face aux contenus de certains programmes, les chaînes hertziennes font attention et montrent, comme dans les avions, des versions édulcorées des films d’action hollywoodiens.En revanche, le câble auquel le spectateur choisit de s’abonner conserve plus de latitude, tout en respectant un rating détaillé.
 
 
 
 

Mais surtout le débat sur l’impact de la télévision sur les mineurs qui a duré dix ans a eu le mérite d’aboutir à l’adoption du Children’s Television Act (CTA) en 1990, renforcé en 1996. Une association (Action for Children’s Télévision) s’était attachée à dénoncer l’absence de tout programme éducatif et d’information des jeunes. Faisant pression sur le Congrès, la loi votée en 1990 oblige les chaînes à consacrer des heures d’antenne à ces émissions spécialement destinées pour les jeunes et à en justifier auprès du FCC (Federal Communication Commission) comme une condition nécessaire du renouvellement automatique de leur licence. Mais en l’absence d’un quota minimum, les diffuseurs ont considéré l’obligation légale en la limitant à trente minutes par semaine et en diffusant leurs émissions à des heures de faible audience. A la suite des différents rapports d’évaluation, et sous l’impulsion du Président Clinton, les associations, les industriels et le FCC renforcèrent en 1996, les règles édictées dans le CTA, notamment : un minimum de trois heures d’antenne par semaine ; un horaire adapté (entre 7 heures et 22 heures) ; une signalisation aisée pour désigner ces émissions et une publicité suffisante faite sur les chaînes ; un rapport trimestriel ; une personne désignée par chaque chaîne comme étant l’interlocuteur (children’s liaison) avec le public.

Par ailleurs le FCC communique régulièrement sur le thème ‘la télévision interactive’, demandant au public, par ses plaintes et suggestions, de participer au processus d’action et de renouvellement des licences. Cependant les consommateurs les plus conservateurs et les associations pour l’enfance soulignent aujourd’hui le risque accru d’internet en matière de violence et de pornographie.
 
 

En Angleterre, le contenu des émissions diffusées à la télévision et la radio est contrôlé par le Broadcasting Standard Commission (BSC). Le rôle de cette institution instituée en 1996 est d’établir des cadres de bonne conduite pour les diffuseurs ; de recevoir les plaintes du public ; de contrôler et d’établir des rapports.

L’Independent Television Commission (ITC) réglemente et accorde les licences aux chaînes privées. Elle établit notamment un rapport annuel sur le respect des conditions de licence par les chaînes et procède à une enquête auprès du public afin de savoir s’il a été offensé ainsi qu’un tableau statistique des plaintes par catégories.

Adult restriction :

UK Channel

Selon la Section 7 du Broadcasting Act de 1990, l’ITC doit établir et revoir régulièrement un code de bonne conduite concernant la diffusion des films violents dans les programmes diffusés par des chaînes gratuites, surtout lorsqu’ils sont susceptibles d’être regardés par un grand nombre d’enfants et d’adolescents. Le code ITC subordonne l’action et le renouvellement de licence aux chaînes terrestres par câble et satellite, au respect de certaines conditions ( plus ou moins strictes selon l’audience et la nature des chaînes) : aucun programme qui ne peut convenir (unsuitable) aux enfants ne peut être vu durant ce qu’ils appellent le " Familly viewing time " ; les horaires de diffusions sont déterminés en fonction de la classification faite par la BFC (Board of Film Classification). Le premier seuil est fixé à 21 heures pour les films " rated 15 by the British Board of Film Classification (BBFC) " et de 22 heures pour les films " rated 18 ". Par dérogation, les chaînes payantes peuvent diffuser ces films à des heures moins tardives et, pour ce qui est du " pay per view ", il n’y a pas de contraintes d’horaires de diffusion si les chaînes proposent un code ; aucun film qui n’aurait pas été classé par la Commission de cinéma et diffusé en salles ou sous forme de cassette vidéo ne peut être diffusé sur une chaîne U.K., ni aucun film classé " R18 ", correspondant aux cassettes pornographiques dans les sex-shops. Il existe enfin une flexibilité pour les chaînes payantes cryptées. Des licences sont, pour finir, accordées à des chaînes pour adultesdiffusées par câble et satellite, sous condition qu’elles s’engagent à respecter les règles du code ITC. La règle est que si ces conditions ne sont pas respectées, ITC peut imposer des pénalités financières et retirer la licence. En pratique, depuis 1992, plusieurs chaînes dont le nom ne laisse guère de doute sur leur contenu ont obtenu leur licence.
 
 

Children’Television

Selon la section 16-2 du Broadcasting Act de 1990, les grandes chaînes privées U.K. doivent accorder " a sufficient amount of time " aux programmes pour enfants, cela étant considéré comme une condition essentielle de leur licence. Le temps consacré aux émissions pour les enfants des différents âges varie selon les chaîne. En 2000, Channel 3 y consacrait 10 heures ; Channel 4, 14 heures ; Channel 5, 16 heures 40 minutes ; et Channel 9, 4 heures 18 minutes minimum par semaine. Ce temps, pour les grandes chaînes terrestre, doit comprendre des divertissements, des comédies dramatiques et de l’information.

En outre, le code ITC pose des règles particulières pour le contenu des émissions pour enfants ( la nudité n’est justifiable que si elle est nécessaire à l’histoire et sans connotation sexuelle, pas d’utilisation de couteau, pas de scènes représentant des personnes qui fument ou qui boivent) ainsi que pour les annonces publicitaires ( recommandations pour l’utilisation des jouets, respect des règles de la route…).
 
 

Pour finir, le dernier rapport d’ITC (2000) établit qu’il y a eu une augmentation de plaintes contre la violence, toutes dues à un seul et même programme, et qu’en revanche l’opinion publique est devenue plus permissive concernant la représentation du sexe, désormais admise lorsqu’elle est en rapport avec l’histoire " relevant to the story line ". Le public considère également que les films " sexually explicit " devraient pouvoir être diffusés sur les chaînes payantes. Enfin, l’offense qui vient en titre des sondages est le " bad language " suivi par la violence puis le sexe.

De l’examen rapide des réglementations prises par ces deux pays il résulte : qu’ils optent principalement pour une politique de contractualisation entre les autorités chargées d’accorder les licences d’exploitation et les diffuseurs. Cette contractualisation est fondée sur des disposition réglementaires édictant des restrictions généralement limitées dans le temps sauf le cas des films " hardcore ", le recours à des mesures pratiques de filtrage, de cryptage, mais également la promotion de programmes spécialement conçus pour la jeunesse avec des émissions pour chaque tranche d’âge, recoupant les différents genres (information, drames, divertissements) accompagnés de publicités également adaptées à cet âge, diffusées aux heures normales d’une audience pour ces âges (avant 21 heures). Si le contrat n’est pas respecté, les chaînes savent que la licence peut leur être retirée. Elles sont ainsi obligées d’intégrer un esprit " service public " concernant l’éducation des enfants et des adolescents pour une part de leurs programmes.

Il résulte par ailleurs que les systèmes mis en place donnent lieu et incitent à une participation massive des citoyens/ téléspectateurs (plaintes, sondages) appelés à porter un jugement sur des programmes précis et, en conséquence, à la détermination des conditions d’action, de renouvellement ou de refus des licences. A cet égard, on relève que le rôle des associations d’enfants a été important aux États-Unis au départ pour obliger à créer ces règles, mais elles n’interviennent pas plus que les citoyens au quotidien pour faire valoir leurs critiques et plaintes. Il résulte encore que les règles sont revues régulièrement sur la base de rapports annuels établis en fonction des plaintes du public, donnant un caractère évolutif, souple, adapté à cette réglementation, ce qui paraît tout à fait approprié pour une gestion aussi changeante que l’est l’état des mœurs ; que les exigences sont plus fortes concernant les grandes chaînes hertziennes que pour les chaînes payantes qui supposent une démarche volontaire de celui qui paie un service donné ; que les contraintes quant au contenu des programmes sont plus fortes avant 21 heures, considérant qu’après cette date, la télévision ne peut se substituer aux parents ; qu’enfin la place réservé aux juridictions et particulièrement au juge répressif est très circonscrite et réservée, en U.K., aux cas d’offense ,c’est à dire aux cas où des chaînes étrangères enfreignent délibérément un " prescription order " leur interdisant d’émettre.

Ces comparaisons sont précieuses car en se fondant sur des restrictions de la liberté d’expression strictement limitées à des mesures adéquates et proportionnées à l’effet recherché, elles s’inscrivent dans le droit fil de ce que recommandent et prescrivent les institutions européennes - le Conseil de l’Europe, la Commission Européenne, le Parlement Européen, la Cour de Strasbourg – qui aujourd’hui fixent le cadre dans lequel doivent s’inscrire nos lois, nos réformes pour faire avancer la société.
 
 
 
 

Le cadre européen
 
 

Le cadre européen est déterminé par un certain nombre de directives : directive " Télévision sans frontières " du 3 octobre 1989 ; dispositions protectrices en faveur des mineurs (elles ont été renforcées en 1996, la mesure visait à harmoniser et coordonner les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres à l’égard de la radiodiffusion et de la télévision) ; convention européenne sur la télévision transfrontalière ( entrée en vigueur le 1er mai 1993, elle créé le cadre juridique pour la mise en circulation des programmes de télévision transfrontalière en Europe au moyen des règles minimales communes dont " la pornographie, la violence, l’incitation à la haine raciale et la protection des jeunes ") ; décision du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 1999 adoptant un plan communautaire pluriannuel visant à promouvoir une utilisation d’Internet plus sûre pour la lutte contre les messages à contenu illicite et préjudiciables diffusés sur les réseaux mondiaux ; enfin, recommandation sur la protection des mineurs et dignité humaine du 24 septembre 1998 pour la promotion des cadre nationaux visant à assurer un niveau comparable et efficace de protection des mineurs et de la dignité humaine.
 
 

Télévision sans frontière : cette directive datant de 1989 a vu ses dispositions protectrices à l’égard des mineurs renforcées en 1996, à la suite des avis et recommandations de la Commission et du Conseil de l’Europe : obligation de doter les récepteurs TV d’un dispositif technique de filtrage des programmes ; éviter l’insertion d’annonces publicitaires susceptibles de porter gravement atteinte à l’ intégrité psychologique des mineurs ; encouragement en faveur d’une politique de télévision familiale ; interdiction des programmes susceptibles de nuire gravement à l’épanouissement des mineurs ; avertissement acoustique préalable ou identification, tout au long de l’émission pour les programmes susceptibles de nuire aux mineurs ; système de vidéo-clip (puce anti-violence) recommandé ; création d’un comité de contact ayant pour tâche de faciliter la mise en œuvre de la directive, ainsi que l’évolution du secteur et afin de permettre les échanges de vues. La recommandation sur la protection des mineurs et la dignité humaine 98/560 a demandé que des mesures nationales de régulation en vue de protéger les mineurs soient prises par des accords nationaux d’autorégulation couvrant la radiodiffusion, la télévision et l’Internet. Sur ce fondement, toutes les instituions européennes ont œuvré à définir des règles communes ayant vocation à s’appliquer dans l’ensemble de la Communauté : ainsi, le Conseil a fait les observations suivantes : il convient de poursuivre les mesures d’application de la recommandation en encourageant la participation des utilisateurs. Il convient d’adopter les dispositions pour chaque mode de diffusion de l’audiovisuel, par exemple pour la télévision sur l’Internet et la radiodiffusion interactive ; la protection des mineurs est un objectif prioritaire à suivre pendant les cinq années à venir ; il convient de réunir les industriels et autres parties concernées afin de réfléchir à plus de clarté dans l’indexation et l’évaluation.
 
 

Mais le rapport du Parlement européen du 20 février 2002 sur les réglementations et mesures pratiques prises par les États membres pour appliquer la recommandation aux différents modes de diffusion a constaté la difficulté d’une réglementation uniforme compte tenu de l’augmentation considérable du nombre de canaux télévisés, dont l’accès a été accru par la diffusion par câble et satellite, à côté " la poignée de canaux de diffusion à base terrestre et à audience de masse diffusés dans chaque pays d’Europe ". Le Parlement européen s’est dit préoccupé des décisions récentes visant à bloquer certains sites web. On assiste à une fragmentation de l’accès à Internet qui aboutit à refuser d’accéder au contenu légal des sites bloqués : il s’agit d’une solution inefficace. Le rapport a aussi relevé l’existence de moyens de censure d’internet (Irak, Arabie Saoudite, Chine, Singapour, Corée du Sud) mais une censure ne réglerait pas le problème de l’Union Européenne en raison du nombre important de sites internet extérieurs à l’UE. La Commission devrait recevoir et promouvoir les mesures prises par chacun des États membres pour protéger les mineurs des sites et messages illicites sur internet.

Le Parlement européen félicite deux pays, la Hollande et le Royaume-Uni, pour leur système d’autorégulation. Le NICAM (Institut Néerlandais) pour la classification des supports audiovisuels. Il rassemble des ministres, des radio diffuseurs du service public, des radios commerciales ,producteurs de films et de vidéo, des magazines vidéo, des détaillants, des distributeurs de jeux informatiques. Les mesures prises par cet institut aboutissent à un système uniforme de classification pour tous supports audiovisuels et à la mise en place d’un comité de contact. De son côté, le livre blanc du Royaume Uni " A new futur for communication " a abouti à la création d’un " office of communication " (OFCOM) chargé d’élaborer des codes pour les médias électroniques, inspirés des dispositions légales pour les services de radiodiffusion les plus répandus.

Les conclusions du Parlement européen sont : adopter une approche commune fondée sur des valeurs culturelles ; établir des normes communes de classification européennes partagées pour tous supports, dans tous États membres ; mettre en place une coopération globale ( création de comité de contact par pays, création des observations électroniques donc mise en place d’un système d’évaluation européen, moteur de recherche destinés aux enfants, espaces protégés, blocage de certaines informations) ; encourager les fournisseurs d’accès et de contenus à adresser à EurolSPA (code de bonne conduite) ; adopter des systèmes de filtrage simples et abordables ; adopter des restrictions pour la publicité pour enfants ( importance du marché : 670 millions à 1 milliard d’Euros de recettes des VE). Enfin, le Parlement estime que la coopération et le partenariat avec les industriels, groupements et autorités nationales, est le moyen le plus efficace pour s’attaquer au contenu préjudiciable et illégal sur le réseau et autre mode de diffusion.

De l’examen rapide du contrôle, il ressort : une volonté constante de concertation entre toutes les partis concernées, une évaluation annuelle, un suivi régulier par des comités de contact, et une participation souhaitée des utilisateurs/ consommateurs ; la promotion d’une approche commune aux États membres (législation, mesures de filtrage, codes de bonne conduite) et d’une coopération globale ; la possibilité d’effectuer une seule classification pour tous les supports avec le souhait de classification homogène de tous les États membres ; la mise en parallèle des différents modes de diffusion à domicile (TV, radio, vidéo, internet).
 
 

Le droit positif en France se caractérise par :
 
 

-la transposition des dispositions européennes dans la législation française

-une efficacité relative des dispositions de la loi du 30 septembre 1986

-un important dispositif pénal
 
 

-la transposition des dispositions européennes a donné lieu à un débat entre la Commission européenne et le CSA
 
 

La position de la commissaire européenne en charge de l’audiovisuel rendue publique le 15 octobre dernier était clair, pour elle la France a correctement transposé l’article 22 de la Directive Télévision sans frontière aux termes de laquelle : aucun programme susceptible de nuire gravement aux mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite ne sera autorisé à être diffusé ; les programmes qui sont susceptibles de nuire aux mineurs doivent être précédés par un avertissement acoustique ou bien identifié tout au long de leur donnée par un symbole visuel ; les émissions ne doivent pas contenir d’incitation à la haine pour des raisons de race, sexe, religion ou nationalité.

La position de la commissaire européenne est fondée sur l’existence de nombreuses dispositions en droit positif français permettant de restreindre l’accès des messages pornographiques en les réservant aux seuls adultes. Selon la Commission, la protection des mineurs énoncée aux articles 22 à 22 ter de la Directive TSF ne peut être laissée à l’entière discrétion de l’État de réception sans tenir compte de l’existence de valeurs communes à l’ensemble de la Communauté européenne.

De même, la Commission a également décidé que la protection de l’article 22 ne conférait pas aux Etats membres le pouvoir discrétionnaire de bloquer les diffusions émanant d’autres pays communautaires .Pour la Commission, il ne saurait y avoir de blocage dans la réception d’une émission que " dans des situations d’une gravité certaine ".

- L’efficacité relative des dispositions de la loi du 30 septembre 1986
 
 

En dépit des pouvoirs non négligeables que la loi lui confère , le contrôle du CSA s’avère d’une efficacité relative.

La loi du 30 septembre 1986 instaure un régime de liberté, assorti de certaines restrictions, en son article 1r : " la communication audiovisuelle est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limitée que dans la mesure requise par la dignité de la personne humaine… ". Son article quinze précise pour sa part : "  le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille à la protection de l’enfance et de l’adolescence et au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle… ".

Les pouvoirs de sanction du CSA sont encadrés par l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 qui précise : "  si un éditeur ou distributeur de service de radiodiffusion ne se conforme pas aux mises en demeure qui lui ont été adressées, le CSA peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, l’une des sanctions suivantes : la suppression de l’autorisation ou d’une partie du programme pour un mois ou plus ; la réduction de la durée de l’autorisation dans la limite d’une année ; une sanction pécuniaire assortie éventuellement d’une suspension de l’autorisation ou d’une partie du programme, si le manquement n’est pas constitutif d’une infraction pénale. "

Il est clair que les sanctions instituées par ce texte sont trop radicales pour être applicables. En outre, le fait que le CSA ne puisse prendre aucune sanction pécuniaire si le manquement est constitutif d’une infraction pénale revient à le priver de tout moyen d’agir, compte tenu du caractère large des incriminations pénales en la matière.

En revanche, le CSA tient des articles 42-4 et 42-11 notamment le pouvoirs d’ordonner l’insertion d’un communiqué dont il fixe les termes et les conditions de diffusion ainsi que le pouvoir de saisir le Parquet.

Il semble que le CSA n’ait fait aucun usage de ces pouvoirs.
 
 

- Un important dispositif pénal

Par comparaison avec nos pays voisins , la France dispose d’un arsenal législatif pénal impressionnant relatif à " la mise en péril des mineurs "
 
 
 
 

Nous empruntons sa description aux Présidents Martine Ract-Madoux et Jean-Yves Monfort. Au titre des restrictions justifiées par le respect de la dignité de la personne humaine, et par la sauvegarde de l’ordre public, le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, comporte un article 227-24, ainsi libellé  — Le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 500 000 F. d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. "

" Lorsque les infractions prévues au présent article sont commises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. "

Ce texte, de portée générale, envisage expressément l’hypothèse de la commission de l’infraction par un moyen de communication audiovisuelle. Il se substitue, avec des modifications notables, à l’incrimination d’outrage aux bonnes mœurs, prévue aux articles 283 et suivants de l’ancien code pénal, qui apparaissait quelque peu désuète (1810). Tout d’abord parce qu’elle correspondait à l’état d’une certaine morale sociale qu’on pouvait estimer dépassée : ainsi, la loi du 17 mai 1819 incriminait non seulement l’outrage aux bonnes mœurs, mais aussi " l’outrage à la morale publique et religieuse ", et ce jusqu’en 1881 ; si la loi du 29 juillet 1881 en avait libéralisé le régime, faisant du délit d’outrage aux bonnes mœurs commis par le livre un délit de presse, le décret-loi du 29 juillet 1939, dit " code de la famille ", avait élargi le domaine du délit et renforcé les pénalités. Par ailleurs, il était courant de souligner la variabilité de la notion de " bonnes mœurs " et de stigmatiser les poursuites exercées en leur temps contre Madame Bovary ou Les fleurs du mal, ou d’autres chefs-d’œuvre, passés à la postérité. Enfin, la jurisprudence manifestait une grande incertitude, alors qu’il revenait, en définitive au juge, de définir la notion de " bonnes mœurs " ; en dernier lieu, la plupart des décisions tendaient à choisir une voie moyenne, illustrée par exemple par cet attendu d’un jugement du tribunal de Paris (12 janvier 1972) : " L’état des mœurs contemporain, sans doute plus libéral, impose le respect de certaines limites que le tribunal a précisément pour mission de ne pas laisser dépasser et qui répondent à un sentiment collectif, réclamant une certaine liberté mais rejetant la licence. "

En pratique, se trouvaient condamnées les représentations de violences et de perversions sexuelles dégradantes pour la personne humaine, de rapports de domination dans des scènes sexuelles, de comportements fétichistes, par exemple, mais non la seule représentation de la nudité ou de relations sexuelles. Le projet initial du code pénal de 1992 tendait à supprimer complètement le délit d’outrage aux bonnes mœurs, se bornant à conserver l’ancienne contravention d’apposition d’image contraires à la décence ; c’est au cours des débats en deuxième lecture à l’Assemblée nationale qu’un amendement a institué l’article 227-24, qui se révèle à la fois plus large, sur certains points, et plus restrictifs sur d’autres, que l’ancien texte. L’incrimination apparaît élargie à plusieurs égards. Tout d’abord le mot de " message " couvre un champ très large : c’est non seulement, au sens premier, l’information, la parole que transmet un messager, c’est aussi, au second degré, le contenu, le sens, de ce qui est transmis (l’œuvre de fiction qui fait passer un message). Ensuite, le support est indifférent : la loi vise la diffusion " par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support " : tous les écrits, les supports de la parole (disques, émissions de radio), de l’image (film, vidéocassettes, vidéodisques) sont concernés. Surtout, la caractérisation des messages incriminés apparaît particulièrement ouverte : si le droit pénal connaît la notion de violence morale, celle-ci se rattache au domaine des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne (le geste menaçant qui provoque un choc nerveux sur la victime, par exemple), mais se trouve étrangère au domaine du droit de l’information. Si la notion de pornographie est plus étroite que celle d’" atteinte aux bonnes mœurs " d’autrefois , elle se révèle tout aussi difficile à préciser et tout aussi évolutive au gré des époques. Enfin le critère de l’atteinte à la dignité humaine, s’il n’est pas inconnu du droit pénal (le code incrimine par exemple les discriminations, le proxénétisme, le bizutage comme des " atteintes à la dignité de la personne "), de la jurisprudence (en matière de droit à l’image, par exemple), ou de la loi en général (cf. par exemple l’article premier de la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, ci-dessus rappelé), reste à définir au cas par cas, et n’offre pas toujours un repère suffisamment visible et fixe aux yeux de tous.

La difficulté d’interprétation de l’article 227-24 du code pénal tiendrait, pour une part, à l’emploi par le législateur d’une série de critères alternatifs (" un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine… "), qui aboutit à une incrimination à l’évidence excessivement ouverte. Les commentateurs ont en général estimé que la jurisprudence serait conduite à interpréter ces notions moins en fonction du contenu intrinsèque du message que de la présentation qui en est faite (par exemple, le recours délibéré à la violence gratuite).

A ce point de vue, que la signalétique accompagnant certains films de télévision ne réponde pas aux exigences de la loi, le message étant toujours " susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ". Il resterait à éprouver la fiabilité à cet égard des dispositifs techniques tels que le brouillage, le verrouillage, etc.

L’infraction est punie d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 500 5000 d’amende, ce qui n’apparaît pas particulièrement adapté pour restreindre la liberté d’expression..

Contrairement aux craintes exprimées par les créateurs, artistes et gens de presse lors de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, l’article 227-24 n’a pas connu une application fréquente .Il convient cependant de faire état des critiques faites au caractère arbitraire et nécessairement subjectif des applications jurisprudentielles qui en ont été faites ,sanctionnant des reportages d’actualité traitant avec plus ou moins de retenue des sujets douloureux car touchant à l’exploitation et la prostitution des enfants.

.. Plusieurs facteurs semblent avoir concouru à cette rareté des poursuites. L’article 227-24 est apparu aux yeux de certains comme un lointain héritage d’un " ordre moral " qui n’avait plus cours ; l’obstacle est " culturel ". Par son caractère même d’" infraction — ouverte ", par les incertitudes mêmes de sa définition, cette incrimination s’est paradoxalement révélée d’un usage difficile, tant elle est susceptible de s’appliquer à des situations extrêmement nombreuses et variées : comme si sa facilité d’emploi désarmait, en quelque sorte, la répression. Surtout, les parquets, maîtres de la poursuite dans ce domaine, sont très peu informés des situations susceptibles de justifier des actions véritablement utiles sur ce fondement ; les associations (sauf les associations familiales), ou le CSA, ne disposent d’aucun droit d’agir directement devant les tribunaux ; la jurisprudence l’a rappelé récemment pour France Télécom : " Le droit d’exercer l’action civile devant les juridictions répressives n’appartient qu’à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l’infraction. La diffusion de messages à caractère pornographique susceptibles d’être perçu par un mineur, par une société exploitant un service audiovisuel dans des conditions non conformes au contrat passé avec France Télécom, n’est pas de nature à entraîner un préjudice personnel et direct pour cette dernière ". (Cass. Crim. 12 septembre 2000 : Bull. crim. N° 265).
 
 
 
 

Enfin, il existe d’autres dispositions pénales permettant de sanctionner des messages violents et pornographiques (article 227-23 du Code Pénal et R 624-2 et la loi n°98-458 du 17 juin 1998 relative à la prévention et la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs).
 
 
 
 

Les institutions publiques de régulation.
 
 

Les institutions principales de régulation de la télévision sont le CSA, la Commission de classification des films et la Commission de contrôle des DVD et vidéocassettes. Elles appartiennent à des organismes différents. La Commission de classification des films relève du Ministère de la Culture et de la Communication , la Commission de contrôle des vidéos du Ministère de l’Intérieur, le CSA est une administration indépendante.
 
 
 
 

- Le CSA
 
 

M. Dominique Baudis, Président du CSA, a rappelé l’action de la haute institution et les réflexions qui l’inspiraient lors de son audition devant la Commission. Il souligne que la télévision est, avec l’école et la famille, un acteur principal dans l’éducation des enfants sachant que 95% des foyers sont équipés d’un téléviseur devant lequel chacun passe en moyenne trois heures trente, et les enfants plus encore. Il faut alors s’efforcer de comprendre et d’éclaircir les rapports dialectiques entre télévision et société, savoir qui de la société ou de la télévision façonne l’autre. Si la mission est d’importance, elle est également très difficile en ce qui concerne les prises de décision qui doivent être assorties des moyens de leur mise en application. Il s’agit de trouver un chemin étroit entre le principe de liberté et celui de responsabilité, principes au fondement de nos démocraties. La loi de 1986 déclare dans son article premier la liberté de la communication audiovisuelle mais l’assortit immédiatement de conditions, elle doit s’exercer dans le respect de la dignité de la personne humaine et la protection des enfants et des adolescents. De plus, il est illusoire de prendre des décisions hexagonales, les images satellites des pays voisins auront tôt fait de nous submerger. La Directive européenne Télévision sans Frontières a donné un cadre à l’intérieur duquel doivent s’inscrire les politiques audiovisuelles, cependant, la France n’a toujours pas transcrit cette directive et notamment le fait que les organismes de télévision ne diffusent pas d’images pornographiques ou de violence gratuite. Sur la violence, le CSA est convaincu que sa transcription dans la loi est indispensable. Il se présente bien sûr quelques difficultés dans la mise en pratique d’un tel principe. On n’empêchera jamais le monde de tourner mal et la violence ainsi d’habiter l’information. Mais, d’une façon générale, les journalistes accomplissent leur mission dans le respect de leur public. Dans la cinématographie, le problème est plus complexe. Le cinéma, contrairement aux productions télévisuelles, touche un public plus restreint et spécifique, celui là même qui va voir les films à leur sortie en salle. Or, les films trouvent une deuxième vie au travers de la télévision. Il ne s’agit pas de remettre en question la liberté des cinéastes et réalisateurs mais de trouver une adéquation entre un public et un type de programmation. La France a une approche très libérale en la matière, nettement différente par exemple de celle de la Grande-Bretagne ; pour exemple, en France, 80% des films ne sont assortis d’aucune restriction, seuls 20% le sont, en Grande-Bretagne, les proportions sont inversées.

Cependant, la violence n’est pas absente des plateaux de télévision et des émissions. C’est pourquoi la signalétique va prochainement être étendue et réformée en devenant plus lisible avec l’inscription du nombre correspondant à l’âge en dessous duquel le film ou l’émission est déconseillée. Quant à la pornographie, elle ne pose pas de problèmes d’interprétation mais se heurte bien plutôt à des intérêts financiers importants. Les enjeux sont pourtant majeurs comme en témoigne le constat alarmant, dévoilé par le Collectif Inter Associatif Enfance et Médias : une centaine de films pornographiques diffusés par mois à la télévision et la moitié des enfants de moins de douze ans auraient vu un film pornographique. Ceci témoigne de l’urgence de la question et de la nécessité d’inscrire la Directive européenne dans le droit français. Car pour bon nombre d’enfants, et notamment pour les plus vulnérables, la première représentation de la sexualité est celle aperçue dans les films pornographiques, représentation qui ne s’accompagne d’aucune explication de la part de l’adulte, le film étant bien souvent visionné à l’insu des parents.

Pour conclure, M. Dominique Baudis rappelle à la Commission qu’il ne suffit pas de poser les règles et principes mais qu’il faut également se donner les moyens de les faire respecter. Aujourd’hui, le CSA n’a que deux possibilités d’intervenir face au non respect de la loi : celle des sanctions portant sur les services ou celle des sanctions financières. Les premières sont difficilement applicables en ce qu’elles privent le public et qu’elles peuvent être assimilées à de la censure, les secondes, par contre, ne gênent aucunement les spectateurs mais font revenir l’opérateur à la raison. Or, les sanctions financières ne sont presque jamais appliquées car, pour que deux amendes ne se superposent l’une à l’autre, on n’inflige pas d’amendes aux cas qui pourraient faire l’objet de poursuites pénales. M. Dominique Baudis rappelle en ce sens que la Commission des Opérations de Bourse a trouvé un moyen d’agir efficace : si la COB inflige une amende à un opérateur qui n’a pas respecté les règles et qu’ensuite, celui-ci est poursuivi pénalement, il ne paye pas les deux amendes, mais on défalque ce qui a déjà été payé. M. Dominique Baudis insiste tout particulièrement auprès des membres de la Commission pour œuvrer à ce que le CSA aient les moyens d’agir face aux opérateurs, sujet qu’il a évoqué auprès du Premier Ministre en lui remettant le rapport annuel du CSA. Les règles et principes qui découleront de la réflexion de cette mission doivent être assortis de leur mise en application effective.
 
 
 
 
 
 

Mme Hélène Fatou, membre du CSA, rappelle que le CSA mesure bien que la visualisation de certains programmes par les mineurs peut avoir sur eux des conséquences négatives et dangereuses et qu’il lui appartient de les protéger. Le CSA à d’ailleurs su mettre en œuvre, depuis qu’il existe, un certain nombre d’outils novateurs, s’appuyant sur un arsenal législatif progressivement renforcé. Dès 1989, la " directive jeunesse " imposait aux chaînes de concevoir une programmation familiale.

Puis le Conseil a entamé un dialogue avec les diffuseurs afin que ceux-ci s’engagent plus formellement, plus précisément en faveur de la protection des mineurs. Ces discussions ont abouti en 1996 à l’adoption dans les cahiers des charges des chaînes publiques et dans les conventions des chaînes privées, d’une série de mesures relatives à la protection de l’enfance et de l’adolescence.

Les acquis obtenus par le CSA en matière de protection des mineurs à la télévision sont manifestes. La notion de " période de protection " est aujourd’hui communément admise dans les pratiques des chaînes : entre 6 h. et 22 h. 30, les programmes ne doivent pas être de nature à nuire au jeune public.

Dans l’esprit du CSA, la signalétique est avant tout un instrument de responsabilisation :

— responsabilisation des diffuseurs ;

— responsabilisation des parents et des éducateurs

— responsabilisation du régulateur afin qu’il veille à l’adéquation des programmes à la catégorie attribuée par le diffuseur ainsi qu’à la pertinence des critères retenus.

Selon une étude récente menée par Médiamétrie pour le CSA, si près de 80% des personnes interrogées la jugent utile, elle est aujourd’hui encore mal interprétée par les téléspectateurs. Le CSA a alors jugé utile de modifier plusieurs éléments de la signalétique et de son mode d’application sur les écrans pour plus de lisibilité et de cohérence.

Un autre sujet de préoccupation est celui de la pornographie à la télévision : un phénomène de société alarmant qui exige des solutions urgentes. En France, cette diffusion est autorisée sur les chaînes cryptées entre minuit et cinq heures du matin, depuis 1985. A cette date, Canal+ a créé un précédent, toléré par le Gouvernement, en introduisant dans sa programmation la diffusion mensuelle d’un film pornographique. Le CSA a adopté, lors de son Assemblée plénière du 2 juillet dernier, une recommandation demandant aux chaînes de télévision de renoncer à la diffusion d’images pornographiques.

Les deux institutions chargées de la classification des films et des vidéos sont la Commission de classification des films et la Commission de contrôle des DVD. La grille de classification adoptée est la suivante :

la classification des programmes selon cinq degrés d’appréciation de l’acceptabilité de ces programmes au regard de la protection de l’enfance et de l’adolescence : catégorie I, les programmes pour tout public ; catégorie II, les programmes comportant certaines scènes susceptibles de heurter le jeune public ; catégorie III, les œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de moins de 12 ans ainsi que les programmes pouvant troubler le jeune public notamment lorsque le scénario recourt de façon systématique et répétée à la violence physique ou psychologique ; les œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de 16 ans ainsi que les programmes à caractère érotique ou de grande violence susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de 16 ans ; catégorie V , les œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de 18 ans ainsi que les programmes réservés à un public adulte averti et qui, en particulier par leur caractère obscène, sont susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de 18 ans. S’agissant plus particulièrement des œuvres cinématographiques, la classification qui leur est attribuée pour leur projection en salles peut servir d’indications pour leur classification en vue de leur passage à la télévision. "
 
 

La Commission de classification des films
 
 

M. Francis Delon, Président de la Commission de classification des films rappelle que cette administration, placée auprès du Ministre de la Culture, donne des avis à caractère consultatif au Ministre sur les visas qui sont donnés aux films pour qu’ils puissent passer en salles. Un film ne peut être diffusé dans une salle de cinéma que s’il est muni d’un visa délivré par le Ministère de la Culture, donc c’est la loi qui le précise. Cette commission est établie par un décret de 1990, qui précise son fonctionnement, les mesures de classification recommandées mais qui ne dit rien des critères qu’elle doit appliquer. Elle est composée de 25 personnes, nommées par le Ministre de la Culture sur proposition de différents intervenants. : 10 membres représentent les Pouvoirs publics (Justice, Education Nationale, Les affaires Sociales, Ministère de l’Intérieur), 8 membres représentent les professionnels du cinéma, le reste de la commission ce sont : un représentant des familles (UNAF), 4 représentants des jeunes (de 18 à 25 ans), un représentant du CSA, un représentant des maires de France.

Cette commission visionne les films qui posent des problèmes, préalablement les films sont visionnés par une sous-commission qui a un rôle de filtre et qui tire la sonnette d’alarme. Notre commission se réunit 2 fois par semaine, donc voit 4 films par semaine. Chaque année cela fait 800 films donc 800 visas sont délivrés. Elle peut proposer au Ministre d’accorder un visa pour tout public, de restreindre la diffusion des films aux + 12, + de 16 ou de + 18 ans, sachant que dans les + de 18 ans, elle peut proposer que la mesure soit assortie d’un X qui réserve ce film à un circuit spécialisé propre aux films pornographiques ou d’extrême violence. Les films d’extrême violence n’ont pas de circuit de distribution donc si nous décidions qu’un film d’extrême violence assorti d’un X voudrait dire qu’il y aurait une interdiction totale. Il n’y en a jamais eu jusqu’à présent.

Quant au cinéma pornographique il n’est pas vu par la Commission car il n’y a plus de salles de cinéma pornographiques. On peut décider de l’interdiction totale d’un film, en revanche on ne peut pas imposer de coupe à un distributeur ou un producteur. Les mesures de classification sont prises à la suite d’un débat puis d’un vote, il se fait à la majorité simple mais aussi l’interdiction aux – de 18 ans se fait suivant un codicille à la majorité des 2/3 ; dans la pratique il n’a été proposé que deux fois. On s’aperçoit que sur les longs métrages, chaque année 85 % de ces films font l’objet d’une autorisation de diffusion pour tout public, le reste fait l’objet d’un restriction. La France est l’ un des rares pays, (avec la Belgique) à ne s’occuper que des films qui sortent en salles et qui laissent de côté les DVD et les jeux. Sur les mesures prises, la France se situe parmi les pays qui prennent les mesures les moins sévères. En Grande-Bretagne 85 % font l’objet de restriction, en France, seulement 15% des films font l’objet d’une classification qui en limite la diffusion. La mission est une mission de protection de la jeunesse et les uniques critères que nous appliquons sont liés à cette mission. La violence y est traitée si elle paraît perturbatrice et incitative pour certaines tranches d’âge, tout ce qui tourne autour de la consommation de la drogue, le suicide des jeunes, et le sexe est traité sur le même plan que la violence. Cette mission se fait par des critères flous non fixés par des  Textes. La commission rassemble des gens qui ont des points de vue souvent différents et qui représentent des intérêts différents.
 
 
 
 
 
 
 
 

La Commission de contrôle des DVD et vidéocassettes.
 
 

M. Jean-François Mary, Président de la Commission de contrôle des DVD et cassettes vidéo. Elle existe depuis la loi du 17 juillet 1998 et elle a renforcé un certain nombre de sanctions pénales pour les infractions sexuelles. Une trame commune unit tous les textes qu’il s’agisse de la réglementation du CSA de certaines lois, ou articles sur le classement des films, des programmes destinés à la jeunesse

Dans la situation de ces marchés, il faut distinguer l’aspect film vidéo plutôt pornographique et les jeux électroniques Les chiffres donnés concernent des films pornographiques. La situation, avant la loi de finances 1975 qui a établi la classification des films X : 140 salles de cinéma étaient spécialisées en France, plus de la moitié des films produits étaient pornographiques ; dix de ces films dépassaient les 10 000 entrées. La loi de 1975 a eu comme conséquence un effet dissuasif mais il y a une dérivation vers le marché de la location vidéo. Ce marché est évalué 2 000 titres différents dont les ¾ sont d’origine étrangère. La production nationale a cinq sociétés qui feraient 100 Millions de F. de chiffre d’affaires sur un total de 3,5 milliards de F pour les éditeurs de vidéo en 1995 ; la location du film pornographique elle concerne 10 % d’une masse de transactions annuelles évaluées à environ 70 millions de locations, cette diffusion est fournie par de petits détaillants souvent par le biais de distributeurs automatiques (avec carte d’abonnement).

Du côté des jeux vidéo (jeux de combats, jeux de guerre), le chiffre d’affaires est de 5 milliards de F, 700 à 800 titres sont en circulation par an. Avant l’instauration de ma commission il n’y avait pas de régime d’interdiction et il y a une pratique du syndicat professionnel qui appose des recommandations d’utilisation (- de 16 ans – de 14 ans selon le degré de violence que ces jeux peuvent comporter), 15 % des jeux faisaient l’objet d’une recommandation adulte. Pour les jeux vidéo, la Commission a les mêmes critères de classification de ce qui est pornographique et violent que nos collègues de la commission de classification. C’est le juge qui a la faveur de ces décisions en lui donnant un certain nombre de critères. La France nous apparaît du point de vue de sa réglementation globale sur ces questions comme un pays libéral, où les instances de contrôle examinent avant de prendre une mesure d’interdiction le contenu du message lui-même, mais aussi le degré d’exposition aux mineurs, c’est à dire la probabilité que ce message soit vu ou lu par les jeunes. La loi de 1998 a remis le secteur jeu vidéo au même niveau que les autres produits. Tout film cinématographique a un visa d’exploitation donné à priori. La Commission DVD n’a qu’ un contrôle à posteriori. Ce choix entraîne à des difficultés qui sont le degré de latence entre la mise en circulation et puis la mesure d’interdiction … et il peut se passer deux ou trois mois avant qu’une décision ne soit prise. A la différence du cinéma, la Commission de contrôle ne dispose que de l’interdiction aux moins de 18 ans. Il existe des risques d’échappatoires pour certaines productions qui empruntent des voies parallèles et une défaillance dans les circuits de l’administration qui a beaucoup de mal à repérer ce qui peut être nuisible. Aucune loi n’ayant jamais défini ce qui est violent, ce qui est pornographique, la réflexion, conclut Jean-François Marie, doit sans doute se développer par une remise à plat du système.
 
 
 
 

5 - Les positions respectives des parties prenantes du débat.
 
 
 
 

Le débat qui s’est déroulé dans les médias écrits et audiovisuels n’a pas été différent devant la Commission qui a successivement auditionné et enregistré les prises de position des associations familiales, des réalisateurs, des présidents de chaîne et diffuseurs, des responsables d’institution publique de régulation (CSA, Commission de classification des films, Commission de classification des DVD et vidéocassettes) dont vous trouverez la liste complète en annexe. Ces auditions ont fait apparaître plusieurs blocs de partenaires dont les points de vue étaient au départ très différents.
 
 

Les réalisateurs (l’ART, la SACD) nous sont apparus particulièrement soucieux, et cela était compréhensible, de protéger la liberté des créateurs même s’ils avaient tout à fait conscience, comme l’a souligné Mme Coline Serreau que les uns et les autres sont aussi et souvent des parents.

Les associations familiales, regroupées dans l’UNAF, le CIEM, le GREEM, l’APP et d’autres comme la Défenseure des enfants étaient très inquiets du manque de régulation de l’environnement médiatique, selon la formule utilisée par Jean-Pierre Quignaux et le CIEM soulignait l’insuffisante représentation au sein de cet environnement d’associations constituées. Leurs principales exigences, rassemblées dans le rapport du CIEM, commandé par Ségolène Royal lorsqu’elle était Ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, concluait à la nécessité d’un large volet culturel et éducatif, produit et diffusé pour les moins de 18 ans à la télévision, à la nécessité de renégocier la signalétique. Le CIEM demandait également l’instauration de comités de visionnage dans les chaînes publiques et privées, l’installation d’un médiateur dans la secteur publique et la réforme des deux commissions cinéma et vidéos. Enfin, il aspirait à la création d’un forum Médias et Enfance chargé d’organiser un point de contact entre la recherche, les chaînes, les associations familiales, dans un organigramme hautement élaboré.
 
 
 
 

Les chaînes publiques quant à elles, qui avaient mis en place à la suite de ce rapport des médiateurs, ont commencé d’organiser, en particulier sur France 5 et avec l’appui du CNDP et du CLEMI , un programme éducatif. Elles nous ont donné le sentiment, avec la position prise par Marc Tessier, Rémi Pfilmlin, Jean-Pierre Cottet, de ne pas être les plus concernées par la mise en accusation de l’opinion contre le déferlement de la violence à la télévision, si néanmoins elles étaient soucieuses de maintenir leurs responsabilités et prêtes à s’engager plus avant dans le développement d’un programme culturel et éducatif.

Quant aux chaînes privées, leur position de défense de la liberté de diffusion et leur insistance à rappeler le caractère industriel et artistique de la télévision dont une partie des revenus financent le remarquable dynamisme de la réalisation cinématographique française, ne les a pas conduit à oublier leurs responsabilités devant la protection du jeune public. Elles ont dû faire preuve après la demande d’interdiction de la pornographie énoncée par Dominique Baudis d’un souci de trouver les moyens techniques pour mettre hors de portée des enfants les spectacles violents ou pornographiques. Cette évolution, marquée en particulier par les courageuses positions prises par Emmanuel Florent et Guillaume de Posch, par Xavier Couture, Nicolas de Tavernost, Jean Drucker, Etienne Mougeotte, Claude Berda, a permis incontestablement de faire évoluer la discussion.

Quant aux responsables des institutions publiques, Emmanuel Hoog à l’INA, Carole Desbarats à la FEMIS et Francis Delon à la Commission de Classification des Films et Jean-François Mary à la Commission Vidéos, David Kessler à la Direction de Centre National de la Cinématographie, nous ont tous parus, lors de leurs auditions respectives conscients de la nécessité d’ajuster les points de vue différents de la liberté et de la responsabilité et de progresser dans l’amélioration de la régulation afin de mettre hors de portée des plus jeunes les spectacles les plus violents.
 
 

Les responsables des chaînes publiques nous ont fait des propositions positives en matière d’amélioration de la régulation que l’on peut résumer ainsi. La télévision publique semble être particulièrement soucieuse comme en témoigne l’audition de Marc Tessier, Président-Directeur Général de France Télévisions qui souligne qu il faut un système de réflexion interne et des débats avec les téléspectateurs. France Télévisions a d’ailleurs développé des systèmes spécifiques : le premier, c’est l’élaboration de la charte de l’antenne du groupe France Télévision et l’illustration de cette responsabilité qui nous incombe. Cette charte rassemble, dans un seul document disponible pour tous les salariés via l’intranet des chaînes, les règles et les principes à respecter, à la fois dans les programmes et dans le traitement de l’information. Elle insiste notamment sur les précautions à prendre. En matière de violence, elle constitue un engagement du téléspectateur, qui connaît nos règles du jeu ( elle est disponible sur le site internet des trois chaînes) et qui peut, s’il estime que nous nous en écartons, saisir les médiateur.
 
 

Le deuxième point concerne la médiation ; il existe à France Télévision, un médiateur au sein de chaque rédaction et une médiatrice qui est en charge de la partie des programmes hors information. La médiation n’existe sur aucune autre chaîne d’information en France et dépend du Président. Et ces médiateurs répondent directement aux téléspectateurs et ont accès à l’antenne. Nous aurons sur France 2 des émissions dans lesquelles le médiateur appelle des responsables de l’antenne qui répondent aux téléspectateurs et dialoguent avec eux (émission du samedi qui rencontre un succès croissant).

Le troisième élément que nous avons mis au point est un baromètre qui est une façon d’interroger les téléspectateurs sur l’image de nos chaînes et sur la conception qui est celle de notre ligne éditoriale, en leur posant des questions et ils répondent en nous disant si nous avons progressé ou pas au cours de l’année ou des années précédentes. Les questions ont été conçues de manière à souligner quelle est la ligne éditoriale et l’image que nous voulons donner auprès de ces téléspectateurs. Est-ce que les émissions de télévision et le contenu de l’information aboutissent à une banalisation de certains actes ou de certains comportements ? La télévision publique doit jouer un rôle pour éviter cette banalisation. Peut-on donner un modèle de référence dans une série d’émissions notamment pour les jeunes ? C’est à dire les modèles d’identification. Il faut veiller dans nos programmes et dans nos fictions qu’il y ait des modèles de comportement positifs. Quelques série passant après minuit, dites violentes, sont des restes d’une politique antérieure, nous n’avons d’ailleurs pas l’intention de les renouveler. Si nous observons par rapport aux années précédentes les statistiques de classification 2, 3 et 4, vous constaterez que nos chaînes sont à un niveau extrêmement bas. Le point majeur c’est l’organisation des débats y compris des événements et de la violence, accepter d’aller loin dans les débats.
 
 

M. Jean Pierre Cottet, Directeur Général de France 5, rappelle qu’en partenariat avec l’Education nationale, la chaîne a mis en place des émissions dont une émission hebdomadaire, " cas d’école ", dont un des objets est d’instaurer un dialogue entre les enseignants et les parents et de faire entendre les enfants. Un colloque le 2 décembre sera organisé sur le thème " la montée de la violence en milieu scolaire et péri scolaire et le rôle des images et de la télévision pour lutter contre cette tendance ". Une des premières opérations a été l’envoi d’une équipe aux États-Unis pour suivre l’expérimentation de l’Université de Colombia.
 
 

Pour M. Rémi Pflimlin, Directeur Général de France 3, une des spécificités de la chaîne s’inscrit dans le travail d’une mission déontologique qui comporte 24 personnes. Cette mission permanente des responsables dans leur champ d’intervention essaye de dialoguer ; elle se réunit pour faire évoluer un certains nombre de règles. Nous avons une commission signalétique qui visualise les films, les documentaires diffusés par la chaîne et travaille sur des fiches ce qui permet d’avoir des analyses précises. Nous rencontrons des difficultés. Une fiction a été déprogrammée en raison de nombreuses scènes difficiles. Enfin, à France 3 nous avons un certain nombre de débats régionaux mensuels qui portent sur des débats de société. Les deux thèmes qui ont eu le plus de succès sont " la violence à l’école " et " l’insécurité routière " ; ce sont des sujets qui intéressent les téléspectateurs et les plus jeunes.

Enfin, au cours de ces auditions, l’évolution peut-être la plus sensible est venue des chaînes privées qui, à mesure du développement de nos entretiens, nous ont fait des propositions de plus en plus concrètes pour mettre en place les solutions techniques permettant un double cryptage (M. Berda) ou d’autres systèmes sur l’analogique (M. Couture, Mme Barluet), permettant effectivement de mettre les spectacles de catégorie 5 (violents ou pornographiques) hors de portée des enfants.
 
 














































II

ANALYSE


























































Il nous restait donc à nous mettre d’accord sur des principes capables d’opérer la discrimination ou l’union entre les différents points de vue et propres à dégager des propositions valables susceptibles d’être validées. Plusieurs questions nous ont occupé. Certaines ont été rapidement résolues, d’autres ont donné lieu à des discussions plus approfondies et à des examens plus poussés.

La première a porté sur le fait de savoir s’il fallait et s’il y avait lieu de distinguer l’information de la fiction. En matière d’images violentes, nul ne peut récuser en effet que le journal télévisé n’en diffuse un grand nombre et que celui-ci soit peut-être ne augmentation. Ici, cependant, l’audition d’Emmanuel Hoog, PDG de l’INA et la cassette qu’il nous a présentée des 24 Heures du Mans survenue il y a plusieurs décennies prouve que le phénomène n’est pas si nouveau. D’une manière générale, la Commission a estimé devoir s’en remettre en matière de décision régulatrice à la déontologie des journalistes et à la régulation à posteriori du CSA et a considéré que l’information télévisuelle était plus correctement régulée que la fiction. Les brillantes lucarnes ouvertes sur le monde montrent des guerres, des violences, des crimes, des régimes de dictature et d’humiliation, qu’on ne peut, sauf à pratiquer la politique de l’autruche, cacher au jeune public. Elle a remarqué avec Ariel Goldmann que ces images du JT étaient toujours accompagnées d’une parole, la parole du présentateur ou du commentateur, et lorsqu’elles sont regardées en famille, de la parole des parents. En ce sens le journal télévisé est déjà une éducation de et à l’image, même si, hélas, la propension à s’attarder sur la violence, l’atteinte à l’intégrité corporelle et à la dignité humaine se fait quelquefois trop pesante, notamment dans les diffusions " en boucle ". La Commission a de ce fait concentré son attention sur la fiction et sur les émissions de plateaux.

Plusieurs questions sont alors apparues qui ont touché à la définition du conflit entre les principes de liberté et de responsabilité ; ou pour être plus précis entre le principe de liberté de création et de communication des œuvres et celui du droit à la protection des enfants de l’autre. La Commission s’est ensuite interrogée sur la définition de la violence qui pouvait constituer un critère solide d’appréciation. Elle s’est demandé les raisons culturelles qui expliquent notre adhésion naïve à l’image et a réfléchi sur la catharsis.

Elle s’est efforcée de dégager un principe de résolution du conflit fondée sur la concertation et la contractualisation. Mais auparavant, la Commission a mené une réflexion générale sur la contradiction qui opposait la montée de la violence à la notion de pacte républicain.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Violence et République démocratique.

Leçons de société, leçons de psyché, leçons d’esthétique, leçons de droit, l’évaluation de la violence à la télévision nous a conduit à réfléchir à l’effet politique sur une société républicaine démocratique. Car la grandeur de la société de liberté et de délibération dans laquelle nous vivons est d’obliger tous ces

acteurs, l’Etat, les animateurs des médias, les familles, chacun d’entre nous à se sentir responsable. Le code d’une société démocratique n’est nullement l’avachissement des normes mais le consentement aux normes. C’est pourquoi les normes doivent faire l’objet d’une délibération et d’une concertation avant leur publication. La loi doit être consentie, la loi doit devenir droit. Tel est tout le mécanisme du pacte républicain tel qu’il a été imaginé à l’époque moderne par plusieurs générations de philosophes, Hobbes, Spinoza, Rousseau. Même si on conteste la vérité historique du pacte, on ne peut récuser sa valeur symbolique. Les sociétés républicaines font comme si elles fonctionnaient avec cet idéal qui les distingue d’une société despotique. République ou despotisme, Etat de droit ou Empire, démocratie ou totalitarisme, l’opposition établie classiquement par Aristote dans La Politique entre les sociétés républicaines qui ont en vue l’intérêt général et l’autorité établie par la loi sur des individus libres et égaux, et des sociétés despotiques où on a en vue l’intérêt privé et où l’autorité est établie par la force sur des sujets assujettis, est toujours valable. Elle signifie que dans les Républiques qui s’opposent aux dictatures, le régime de liberté ne refuse pas l’interdit ou la sanction - là où il y a des normes, il existe des limites et la transgression relève d’une sanction- mais seulement qu’on doit préalablement et collectivement consentir aux normes. Tel est le mécanisme du pacte républicain que chacun garde en mémoire.

Il n’est pas inutile de rappeler dans quels termes il a été imaginé par la philosophie républicaine, car ceux-ci font apparaître que la montée de la violence est mortelle pour la république démocratique.
 
 
 
 

Le pacte républicain et la montée de la violence.

Si la théorie du pacte a une origine lointaine dans les procédures d’élection médiévale, elle est devenue une théorie populaire au XVIème, et elle a été élaborée au XVII-XVIIIèmes siècles pour définir le fonctionnement de la République et la constitution du peuple républicain. Hobbes oppose la multitude anarchique qui ne s’est pas encore associée et qui est comme une " hydre à cent têtes " demeurant à l’état de nature, c’est-à-dire dans " la guerre de tous contre tous ", à ce qu’il nomme " un peuple qui se gouverne régulièrement par l’ autorité que compose une personne civile qui représente tout le corps du public, la ville ou l’Etat, et qui a une volonté " (Du Citoyen).Alors que la multitude agit par factions et par coups de force, que ses relations ne se règlent que par la violence, un peuple dans une République agit par la loi, la loi qu’il a voulue, la loi qu’il a reconnue. Jean-Jacques Rousseau ne dit pas autre chose : " avant même que d’examiner l’acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d’examiner l’acte par lequel un peuple est un peuple, car cet acte étant nécessairement antérieur à l’autre, est le vrai fondement de la société. " C’est pour Rousseau le Contrat Social. Or ce contrat n’est jamais intransitif, il doit avoir un objet, il n’est pas un engagement vide mais un engagement " pour faire ou ne pas faire, pour donner ou ne pas donner ". Qu’il emprunte au modèle de l’alliance religieuse ou du contrat privé, qu’il soit un pacte de soumission (Hobbes) ou un pacte d’association (Rousseau), le pacte républicain réinstitue toujours le même mécanisme d’aliénation de la volonté de puissance individuelle, de la violence potentielle de chacun au profit d’une force publique qui lui retourne son droit naturel en paix civile et en sûreté personnelle.
 
 
 
 

Autrement dit, le pacte républicain est ce qui met fin à la violence par l’instauration du droit à la sûreté qui est au fondement de toutes les possibilités pour les individus de se livrer à leurs occupations et épanouir leurs différentes libertés…
 
 

Dans le pacte républicain, tel qu’il nous a été exposé par les philosophes du Contrat social au cours de trois siècles, est en vérité concentré le processus multiséculaire de la Civilisation des Mœurs, décrite par le sociologue Norbert Elias. Ce processus a conduit les sociétés européennes à demander à chacun d’entre nous de mettre fin au rapport de violence qu’il entretenait avec ses voisins, d’en finir avec une certaine conception de la justice fondée sur l’idée de la vengeance (bellum est justitia) au profit de l’idée moderne d’arbitrage des litiges établie sur la loi par l’Etat (pax est justitia). Autrement dit, le pacte républicain met la violence à la porte, il l’externalise comme on dit aujourd’hui, il institue avec l’Etat de droit, l’état de loi, le règlement des conflits par la norme. C’est pourquoi tous les penseurs républicains ont mis la violence à la porte de la Cité et imaginé au XVIIIème siècle que l’instauration de la République des Etats de droit sur toute la Terre pourrait instaurer une paix perpétuelle (Rousseau, abbé de Saint-Pierre, Kant).

On objectera que tous ces philosophes se sont trompés en mesurant leur attente à l’aune des grandes guerres mondiales qui ont ravagé le vingtième siècle. Mais précisément, comme l’avait prévu Kant, en l’absence de République universelle et d’instauration d’un Etat de droit à l’échelle de toute l’humanité, le droit de l’Etat demeure nécessairement un droit des gens fondé sur l’obligation d’utiliser, au moins pour se défendre, la force et cette situation d’instabilité entraîne le risque d’une résurgence de la violence et le glissement de la République vers le despotisme.

Au moins ne faut-il pas se méprendre sur le symptôme : la montée de la violence, d’où qu’elle vienne et quelle qu’elle soit, détruit le pacte républicain en déligitimant l’aliénation par chacun de sa puissance au profit de la force publique. Le droit à la sûreté, à la vie, au corps propre est toujours le fondement du pacte. Lorsque la puissance publique n’est plus en mesure de l’assumer et de l’assurer, c’est le pacte même qui est atteint car en dehors de lui subsiste toujours comme l’avait souligné Hobbes, le droit de chacun à résister lorsqu’on en veut à sa vie ou à son intégrité. Nous sommes alors reconduits aux questions qui ont hanté le XIXème et qui continuent au XXème siècle : celle de la réponse adéquate à cette montée de la violence… Cette réponse, en particulier au XXème siècle, a été cherchée dans le traitement par les partenaires sociaux des causes économiques et sociales des conflits, convaincus que nous étions de leur surdétermination en toute occasion. Tout s’est passé comme si nous avions tous consenti collectivement sans réagir au caractère inéluctable de la montée de la violence comme un effet d’une mauvaise organisation sociale. Si l’on retient en effet les études de Sébastian Roché, la remarque selon laquelle comme la marée qui monte, la délinquance au début, n’était que peu de chose, composée de quelques flaques imperceptibles, faute d’avoir prêté attention et de les étancher, s’installe bientôt sur toute la grève la marée haute. On doit alors se demander qu’est-ce qui a bien pu obscurcir notre regard et détourner notre attention ? Peut-être une double idée de la surdétermination sociale de la délinquance d’un côté, par laquelle l’individu apparaît comme totalement déterminé, et de sa totale liberté, par laquelle l’individu peut faire tout, sans limites, de l’autre. Une différence qui est peut-être une dérive a marqué notre perception collective de la violence si on la compare à celle qu’avait élaborée nos prédécesseurs au XIXème siècle et singulièrement pour ne citer que l’un d’entre eux, Victor Hugo. Nous avons oublié le sens véritable de la formule : ouvrir une école, c’est fermer une prison.

Quelle est en effet la leçon de Victor Hugo telle qu’il l’a exposé dans son œuvre immortelle Les Misérables ? De reconnaître que s’il y certes une étiologie sociale de la violence et de la délinquance - c’est toute l’histoire de Fantine, le social n’est pas tout, les classes laborieuses ne sont pas nécessairement des classes dangereuses. La protestation morale de Victor Hugo éclate ici. Entre Jean Valjean et Thénardier, la suite de leur histoire individuelle sépare la rédemption du galérien vers la condition d’un entrepreneur respecté de celle du soldat de Waterloo qui sombre dans la canaillerie. Dans la famille Thénardier elle-même, tout distingue les parents des enfants, et l’un d’entre eux, Gavroche, est le sublime héros du pavé de Paris. Victor Hugo nous souffle ici que la violence délinquante n’est pas sociologique, nous devrions ajouter aujourd’hui qu’elle n’est pas non plus ethnique, elle procède d’une dimension personnelle, individuelle qui doit être prise en compte.

PEn l’oubliant, la pensée du XXème siècle a régressé en deçà de celle du XIXème siècle, elle a limité les instruments de la riposte et affaibli les moyens de correction de cette violence. D’une certaine façon, elle comporte même quelque chose d’éthiquement scandaleux dans sa généralisation de l’équation , pauvre = violent ou délinquant. Si en effet, il n’y a qu’un traitement social et économique de la violence, alors aucun règlement public, aucune sanction judiciaire, aucune représentation éducative ne pourront y apporter remède. L’envers de la non prise en compte de la responsabilité individuelle et de la dimension éthique des comportements violents évite de mettre chacun devant ses responsabilités et oublie les individus. Paradoxalement, cette attitude a été confortée par une autre conception non moins dominante dans notre pensée selon laquelle chacun, démiurge de sa vie, sujet de ses décisions, toujours vigoureux et puissant ne doit voir se rappeler aucun devoir ni attribuer aucune responsabilité. C’est toujours dès lors la faute à autrui, la responsabilité de l’Etat, le choix des familles, la faute des chaînes de télévision, l’étendue de la liberté des réalisateurs sans que chacun veuille bien considérer qu’il puisse détenir une parcelle de décision et un morceau de responsabilité.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

L’effet politique induit par la réflexion que nous avons engagée nous a alors conduit à une position inverse : à la nécessité de redéfinir des évidences, la violence, l’image, à l’obligation du consentement, à la nécessité dans le conflit d’intérêts qui se dessinait entre le principe de liberté et le principe fondamental dans notre société démocratique de protection du droit des enfants, principe de responsabilité, à tenter de trouver des moyens consentis et contractuels d’ajustement, il nous fallait alors approfondir davantage nos instruments d’analyse.
 
 

Le principe de liberté.
 
  La liberté est sans doute l’un des fondements les plus importants de notre société. Inscrite dans le premier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, elle a été la raison du combat et le moyen de l’émancipation de la culture des sociétés démocratiques.

Le principe de liberté réaffirmé dans les textes européens et nationaux a trouvé son argumentation philosophique dans le passé philosophique de l’Europe moderne à travers une série de traités qui, de Milton (1644) à Voltaire (1763) en passant par Locke (1663) ont martelé que celui-ci ne pouvait se réaliser sans un principe de tolérance (Lettre sur la Tolérance, Traité de Tolérance). Tolérance de l’excès, tolérance de l’erreur. La liberté est nécessaire, expliquait Milton, parce qu’il n’y pas de vérité première, il n’y a que des erreurs premières. La vérité est dispersée, on ne la trouve que dans une quête semblable à celle d’Isis pour retrouver le corps morcelé d’Osiris. Sa découverte, passant par la traversée de l’erreur, émane du négatif. " Est-il quelque chose qui ressemble d’abord plus à l’erreur qu’une vérité qui lutte contre le préjugé que le temps a consacré ? ", disait encore Milton. En d’autres termes, la liberté de création est indispensable parce que, inscrits dans la finitude, les pauvres humains que nous sommes, n’arrivent à la vérité approchée , de la solution juste, à la représentation exacte que par l’erreur rectifiée. Dans le passé, pour justifier cette liberté, liberté de l’excès, on a parlé du " droit de la conscience errante " (Bayle). Elle est au principe de la conviction que nous avons du caractère relatif à l’époque, à la sensibilité, à l’histoire des jugements, que nous portons sur la correction des mœurs et qui justifie pour certains l’idée d’une relativité absolue du sentiment et de la condamnation de la violence. Sans préjuger de ce dernier point sur lequel nous reviendrons, il n’en demeure pas moins que la liberté a nourri légitimement le sentiment de suspicion que nous avons vis-à-vis des attitudes liberticides de naguère, lesquelles ont conduit à des condamnation d’écrivains comme Baudelaire ou Flaubert ou à l’incompréhension de la grandeur d’œuvres comme celles des impressionnistes. Les sociétés démocratiques ont appris à se montrer très précautionneuses à l’égard de la restriction de la liberté des opinions, d’expression et de communication que réclament à corps et à cris les sociétés despotiques. Elles ont bien raison. Notamment pour tout ce qui touche la vie et les mœurs privés des adultes qui, en démocratie, est placée sous leur seule responsabilité. Par ailleurs, les artistes qui sont toujours des visionnaires et représentent la beauté et la laideur, le grotesque et le sublime, du monde à venir mais déjà pressenti dans leurs œuvres par l’imaginaire de la création, demandent justement que celles-ci soient respectées dans leur liberté. Les peintres du Quattrocento représentaient sur leurs toiles l’espace infini de la science moderne avant que Galilée et Newton n’aient mis au point leurs équations. Jacques Louis David peignait en 1784 la civilité révolutionnaire du serment des Horace avant le serment du jeu de Paume de 1789. Et Kafka, Musil , Klimt ou Egon Sciele ont pressenti dans un art que les nazis jugeaient dégénéré ce qu’ils allaient faire de la civilisation. Agatha Christie a écrit Dix petits nègres, un roman policier dont tous les protagonistes sont devenus des meurtriers en 1939 avant le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. Et même, dans une certaine mesure, dans son spectacle représenté au Théâtre National de Chaillot, le chorégraphe William Forsythe a anticipé nos réflexions sur la violence à la télévision. Autres temps, autres plateaux, Forsythe signale la différence insondable qui sépare le plateau du cinéma des années 60 avec des stars comme Catherine Deneuve, déjà narcissique et solipsiste mais encore figée dans un rêve de magazine glacé de " high life society " de la télévision des années 90-2000. La multiplication des écrans potentialise les sons et les couleurs, transforme l’accouplement en orgie, invagine la quête de soi en perversion et produit par simple multiplication des émissions, le bruit à la place de la musique, la fureur à la place de la lueur, l’obscurité à la place de la lumière. La société des écrans, la multiplication des miroirs, l’amplification des messages, abolissent la représentation, abîment les reflets, explosent les sémantiques. Trop d’écran tue l’écran.

Aussi bien dans nos discussions, comme dans les exemples qui l’ont inspiré, la Commission a hautement réaffirmé son respect de liberté de la création.

Mais aussi bien, la vie humaine est longue, qui comporte ses handicaps et ses fragilités, et pour commencer la finitude et la suite des générations… Si nos textes de loi nous reconnaissent le droit à la poursuite du bonheur, ils ne nous consacrent pas comme des dieux et nous obligent, par une série de recommandations et de dispositions à nous mettre en regard des protections que nous devons aux enfants et aux mineurs. Conflit donc entre notre liberté d’adulte et notre responsabilité de parent, entre nos droits et nos devoirs. Dans ce conflit, la législation de bon nombre de nos voisins a pris, on l’a vu, des mesures résolutoires, plus complètes et plus dynamiques que les nôtres. La discussion que nous avons conduite et qui s’inscrit dans le large débat médiatique qui a eu lieu cet été a débouché sur la reconnaissance d’un principe : en cas de heurt perpendiculaire entre la liberté d’un adulte et la protection d’un enfant mineur, c’est la protection de l’enfant qui doit l’emporter. Ce principe, actuellement à l’œuvre dans la jurisprudence européenne constante, est conforme à la hiérarchie des normes réfléchie depuis longtemps et qui fait la spécificité des sociétés démocratiques. Dans le film Revolution, Hugh Hudson, le grand réalisateur anglais montre que dans ce choix gît le point de non-retour entre l’Angleterre et l’Amérique, entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Ce n’est pas la religion, car le héros du film, le trappeur qui s’engage dans la guerre d’indépendance pour défendre son fils enrôlé par les armées anglaises et maltraité, est comme le sous-officier qui meurt ne récitant " l’Eternel est mon berger ", un protestant comme lui. Ce n’est pas la civilisation, car Hudson laisse entendre que les Indiens qui recueillent le père et le fils dans un décor à la Fenimore Cooper sont, à tout prendre, plus civilisés que les anglais. Ce n’est pas la politique dont notre trappeur n’a cure. C’est seulement l’amour des enfants, le dévouement à la génération future qui doit vivre et vivre mieux s’il est possible. Le raisonnement de nos historiens au XIXème siècle, Renan et Fustel de Coulanges objectant leur principe de nationalité au nationalisme romantique avec l’argument que c’est à chaque génération neuve de décider librement de son autodétermination et de son choix patriotique n’était pas différent.

Autrement dit, aucune mesure liberticide ne doit être prise contre la liberté de création et de communication entre adultes et c’est pourquoi la Commission n’a pas souhaité interdire les spectacles violents ou pornographiques. C’est pourquoi elle a souhaité en revanche imaginer tous les moyens qui pouvaient mettre hors de portée des enfants, par un système d’actions élargies et fiables, ces spectacles violents.
 
 
 
 
 
 

Une définition de la violence.

Il nous fallait tout d’abord disposer d’une définition stable, précise et opératoire de la violence. Nous reprenons ici l’exposé de Jacques Billard, Professeur de philosophie à Paris 1, devant les membres de la Commission. Si nous ne parvenions pas à la trouver, c'est-à-dire si nous ne parvenions pas à désigner sans ambiguïté la violence dont nous voulons préserver les enfants, aucune mesure proposée ne sera efficace : elle atteindra ce qu’elle ne visait pas et laissera intact ce qui était visé.

On identifie souvent la violence avec le simple usage de la force ; on trouve qu’il y a violence là où il y a contrainte et là où la contrainte entraîne une souffrance. Quant on ne suppose pas que toute contrainte entraîne une souffrance. Il s’agit là d’une définition spontanée, laquelle, comme toutes les définitions spontanées, s’en tient aux signes. Si on oblige, on fait violence ; si on inflige une souffrance, on fait violence, etc. C’est pourquoi on dit souvent que la violence est à la fois facile à reconnaître, et difficile à définir… Facile à reconnaître parce que toute souffrance s’impose avec évidence. Mais difficile à définir parce qu’on voit bien que l’usage de la force et la souffrance ne suffisent pas à identifier la violence. Il existe en effet, un usage non violent de la force et la contrainte n’est pas toujours violente : le dentiste, le médecin peuvent faire mal, ils ne sont pas pour autant violents. Et s’il peut y avoir une violence de la médecine, c’est en un autre sens. Il en va de même de la contrainte éducative, de la punition... Il faut donc aller plus loin. Nous devons proposer une définition de la violence susceptible de résister aux objections habituellement élevées : la violence est essentiellement subjective, relative à l’histoire, aux mœurs, aux préjugés des civilisations, des peuples, des individus. Ce qui semblait violent hier est anodin aujourd’hui. Il est incontestable que les mœurs ont évolué et que cette définition ne peut être indexée sur eux. Pour définir la violence, nous avons donc accompli un double parcours, d’abord de retour aux Anciens, ensuite de retour aux Modernes qui nous ont permis de compléter la définition des Anciens.

Pour les Anciens, la violence est deux choses :

1°) la violence, c’est la force sans la règle qui la contrôle et qui lui donne son sens.

2°) la violence est ce qui contredit l’humanité de l’homme, c'est-à-dire la nature humaine.

La violence est, en elle-même, ce que les Grecs désignaient du nom de démesure (ubris) et qu’ils mettaient en scène dans des tragédies. Démesure signifie que la force ne contient pas en elle-même les dispositifs de sa propre limitation. Elle ne peut donc être régulée que de l’extérieur.

— Cette idée invite à considérer que la violence n’est pas dans l’usage de la force mais dans l’absence ou l’oubli de ce qui la règle. La violence est ainsi dans le déchaînement de la force, non dans son usage.

— Elle est donc un phénomène de folie, non pas au sens psychiatrique mais au sens philosophique : perte de la raison (en tant que celle-ci est une capacité à orienter son action selon des fins raisonnables) et, partant, incapacité à déterminer et à proportionner les moyens à mettre en œuvre.

— Autre conséquence. La nature connaît des forces immenses, incommensurables pour nous. On ne devrait pas dire d’un orage qu’il est violent, ou d’une éruption volcanique, ou de tout autre phénomène de ce genre… Ce sont, certes, des phénomènes effrayants, mais pas à proprement parler violents. Ce sont des phénomènes naturels qui ont leur propre norme même si elles peuvent être catastrophiques pour nous. Elle obéit à des lois. Pour qu’il y ait violence, il faut qu’il y ait une intention de détruire, et de détruire radicalement. Ce qui nous conduit au second élément de notre définition.

De ce point de vue, ce qui caractérise la violence, c’est la négation de l’humain en l’homme en tant que cette négation est sa visée propre. Ce qui revient à dire que la violence a une visée propre : détruire ce qui en l’homme fait qu’il est homme, pour le réduire à une animalité ou à un simple objet. Cette caractérisation renforce la caractérisation précédente : la violence n’est pas dans l’usage de la force, mais dans la visée qui tend à déshumaniser. On comprend alors que le médecin, qui rétablit la nature dans ce qu’elle doit être n’est pas violent ; de même l’instituteur qui institue l’humanité dans ce qu’elle doit être, et autres exemples du même genre, bien que les moyens utilisés relèvent souvent de la contrainte. Cette idée d’une nature humaine qui comprend des droits inviolables et donc inaliénables appartient en propre aux Modernes qui ont élaboré les Droits de l’Homme. Ils ont souligné que la sûreté, l’égale dignité de la personne et l’égalité des individus devant la loi, la liberté de conscience, la propriété, étaient des " droits naturels et sacrés " comme dit la Déclaration de 1789 et évidents par eux-mêmes dans la nature de l’homme parce que la nature de l’homme qui est cet être de culture contient des normes de la relation à autrui. Lorsque ces normes sont violées, lorsque leur transgression est généralisée, ce qui, en vertu de la liberté propre à chaque individu qui peut choisir de les respecter ou de les bafouer, est possible, alors une vie proprement humaine devient impossible.

On comprend en quoi la violence dite morale ou psychologique est bien une violence, elle qui, par des gestes et des paroles méprisants et humiliants, s’efforce sournoisement de rendre impossible la juste et nécessaire estime de soi-même. Les rapports de travail sont à cet égard intéressants : seule la loi peut empêcher qu’ils ne deviennent un rapport d’exploitation, c'est-à-dire un rapport dans lequel l’employé est vu comme une machine.

Ainsi, en se rapportant à ces deux caractères, la démesure et la négation de l’humain, on peut espérer distinguer les phénomènes violents de ceux qui ne le sont pas, encore que, sans doute, ils soient terrifiants… Mais ne nous y trompons pas, la violence n’est pas un événement faible : elle est proprement insupportable. Ce qui signifie qu’il n’est pas possible non seulement de vivre avec, mais même de continuer à vivre comme si on ne l’avait pas subie. On ne peut même pas vivre avec le souvenir de la violence — qui est encore violence — pas plus qu’avec la crainte d’une violence à venir — qui est déjà violence. La violence est l’exact opposé de la vie. De la vie humaine, s’entend. Nous proposons donc la définition suivante de la violence : la force déréglée qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique, pour mettre en cause, dans un but de domination ou de destruction, l’humanité de l’individu. Cette définition est au-delà des mœurs, par delà les situations politiques ou historiques circonstanciées. Elle peut constituer un critère d’évaluation des spectacles qui ne peuvent être imposés aux enfants.
 
 

Par ailleurs, la Commission a considéré que la pornographie constituait un cas particulier de la violence.

Qu’est-ce que la pornographie ? Monique Canto-Sperber qui rejoint les analyses du Docteur Anne de Kervasdoué, montre que plusieurs définitions sont en concurrence. Les unes insistent sur les caractéristiques objectives des films pornographiques (tant d’actes sexuels, pratiqués dans telles conditions…). D’autres définissent la pornographie par l’effet qu’elle produit, à savoir l’excitation sexuelle. D’autres encore insistent sur l’image dégradante donnée des femmes. Il paraît moins problématique d’adopter une définition synthétique, qui a au moins le mérite de distinguer pornographie et érotisme, à savoir la présentation d’actes sexuels répétés, destinée à produire un effet d’excitation. Il s’agit du spectacle d’une sexualité cumulative où l’intrigue et les sentiments jouent un très faible rôle.

Les jeunes sont plus vulnérables que les adultes, les dommages exercés à leur égard sont donc plus grands. Il est nécessaire de distinguer d’emblée différents dommages : dommages psychologiques, dommages à une certaine conception de la sexualité, dommages futurs pour autrui. En matière de spectacles pornographiques, les dommages n’ont pu être établis scientifiquement car il est interdit de mener des expériences psychologiques sur les enfants avec ce genre de films. Mais de fortes présomptions et de sérieux soupçons suffisent pour justifier des mesures de protection. En effet, le spectacle pornographique encombre l’esprit des enfants d’images qu’ils n’ont aucun moyen de traiter, n’a pas d’autre finalité qu’induire un effet physique, l’excitation sexuelle, qui ne leur est pas accessible. Il immerge les enfants dans une conception de la sexualité détachée de l’amour . Or, les enfants n’ont aucun moyen de savoir que ce n’est pas la seule conception possible de la sexualité et sont incapables de faire la différence avec d’autres formes de sexualité. En ce sens, le spectacle pornographique vu de façon répétée par le jeune enfant hypothèque le libre choix qu’il pourra faire, une fois adolescent, en matière de sexualité. Il peut prédéterminer de manière anticipée l’usage que le jeune fera plus tard de sa liberté sexuelle. Loin d’être une atteinte à leur liberté, le fait d’empêcher les enfants de regarder des spectacles pornographiques, préserve plutôt leur accès ultérieur plus libre à la sexualité.

La question de l’image .

Il faut d’abord rappeler que pour l’enfant, l’image ne se distingue pas tout à fait de la réalité. En tout cas, elle ne s’en distingue ni immédiatement ni facilement. Et d’abord pour cette raison que le réel, chez l’enfant, n’est pas bien établi. Sans entrer dans des détails un peu longs, il faut se souvenir que ce qui permet à l’enfant de distinguer le réel de sa représentation, c’est l’action propre (cf. Piaget) et non la considération de ce réel. Et ceci se comprend si on veut bien voir que le plus souvent, le réel n’est connu que par les voies de la perception, qui ne fournissent rien d’autre qu’une image. Sur le plan de la représentation, c’est le travail scientifique qui, transformant l’image en concept, donne au réel un tout autre statut. Une telle évolution est tardive… quand elle se produit.

Ensuite, il faut souligner que la particularité propre de l’image est d’abolir la distance qui sépare le spectateur du spectacle. Et l’image est d’autant plus réussie que cette distance est plus radicalement abolie. Elle est manquée lorsque l’image est perçue comme image. Les professionnels de l’image savent gérer l’annulation de cette distance. Par exemple, au début de la séance de cinéma, on voit l’écran, l’encadrement de l’écran, les rideaux, les premiers rangs, le plafond… Mais si le film est bon, au bout de quelques instants, on ne voit plus que l’image, et on est dedans. Observez les enfants au spectacle de Guignol, ou regardant la publicité … Et il en est évidemment de même pour les adultes. Ce n’est qu’une fois sorti du spectacle qu’on rentre à nouveau dans le réel et qu’on parvient à reprendre de la distance. Et souvent, il faut attendre un petit moment pour que la magie du spectacle s’estompe et qu’on reviennent sur terre.
 
 

L’utilisation de l’image n’est donc pas sans danger et c’est pourquoi les narrations par l’image comportent, surtout pour les enfants, des dispositifs rhétoriques, comme des chutes, des épilogues, etc. qui déchargent le potentiel affectif accumulé afin de préparer en douceur le retour à la vie réelle : il y a une responsabilité à assumer dans la fabrication puis dans la présentation des images. Selon le mode de représentation, l’image peut atténuer ou potentialiser la violence qu’elle représente.

L’image, copie, reflet, icône, idole, fantasme, n’a cessé d’être interrogée par notre tradition culturelle. Sévèrement critiquée par les Anciens comme un degré inférieur et trompeur de la connaissance, elle a peu à peu été réévaluée dans la tradition de la philosophie contemporaine, soit que, comme Descartes, on ait rattaché la faculté de construire des images à la puissance de l’intellect, soit qu’on ait souligné comme Kant, le pouvoir producteur du schématisme dans sa capacité à lier des données sensibles à des représentations intellectuelles, soit encore avec Lacan, qu’on ait exposé que l’histoire du sujet se développe en une série plus ou moins typique d’identifications idéales qui commence par des images fondatrices.

L’adhésion que nous donnons à l’image, loin des fureurs iconoclastes issues de l’Antiquité, vient de loin. Elle est en un sens la part la meilleure de notre civilisation, celle qui, en désacralisant les idoles, a autorisé la représentation du corps humain et a ouvert l’espace splendide des arts plastiques et de toutes les représentations qui est au cœur de la culture classique. C’est peut-être ici que nous avons un problème, car l’image, vouée à l’éloge des moments héroïques ou sacralisés de la vie humaine, est également devenue dans notre société contemporaine un vecteur privilégié de la représentation de la violence.

Une opposition sépare les sociétés protestantes du Nord de l’Europe des sociétés catholiques du Sud. Sans aller jusqu’aux furies iconoclastes qui ont marqué certains épisodes de la religion orthodoxe, les sociétés protestantes se sont défiées de l’image soupçonnée d’alimenter un narcissisme destructeur, " le moi est haïssable ". A l’opposé, les sociétés catholiques ont trouvé dans l’image pieuse un chemin pour désacraliser autant que pour exalter les splendeurs du corps humain. Cette adhésion à l’image et à la représentation de la chair nous a donné la partie la plus élevée et quelquefois la plus sublime de la culture classique avec les chefs d’œuvre de la peinture et de la sculpture que nous admirons tous. Elle explique notre emballement pour le cinéma et la passion populaire qui a porté et gardé le dynamisme d’un art et d’une industrie nationale de l’image auxquels d’autres pays ont renoncé. Autrement dit, nous avons de très bonnes raisons de ne pas nous méfier de l’image et de lui prodiguer nore adhésion et notre admiration.

Pourtant, l’instauration de la société des écrans nous oblige à changer notre fusil d’épaule, à modifier notre point de vue, à prendre du recul. Toutes les images sont-elles bonnes à voir, toutes les représentations ont-elles un effet " cathartique " ? La première réponse à la philosophie du soupçon à l’égard des images a été emprunté au modèle de la catharsis.

L’effet cathartique

Peut-on cependant envisager que ces images aient un effet cathartique ? peut-on espérer que la pornographie, par exemple, limite le nombre des agressions sexuelles ? Que la violence scénarisée, comme au cinéma ou encore, pensons-y également, dans les jeux vidéos, éloigne le risque du passage à l’acte ? C’est ce qu’on entend souvent dire, et quelquefois au point qu’on se demande s’il ne faudrait pas administrer de la violence et de la pornographie à titre de … vaccination.

On peut douter de la réalité de ce qu’on appelle en ce cas, un effet cathartique. Et d’ailleurs, faut-il croire à ce fameux effet ? D’autant que la signification de ce mot n’est pas claire, sauf chez les deux grands auteurs qui en ont parlé : Aristote et Freud, lesquels, probablement, n’emploieraient pas ce mot en ces occurrences.

Aristote prend le mot dans son sens de purgation (et non d’exutoire) : à l’occasion du spectacle, on libère en les extériorisant, des tensions psychologiques, comme la haine ou la sympathie… Et à la fin on va mieux ! Mais il ne faut pas oublier que chez Aristote l’effet cathartique vient de la mise en ordre des passions et non de leur seule expression. Or cette mise en ordre n’est possible que parce qu’à la fin, la manifestation de la justice se produit. C’est peut-être Bettelheim qui a sur ce point, le mieux compris Aristote dans l’analyse de l’efficace des contes de fées. Quant à Freud, (ou plutôt Breuer), la méthode cathartique ne consiste pour lui, qu’à revivre, pour mieux la maîtriser une scène déjà vécue et non n’importe quelle scène… et Freud a fini par préférer à cette méthode, celle des associations libres.

Alors : principe de précaution. Il vaut mieux ne pas compter sur l’effet cathartique.

Autrement dit, il serait fou de refuser les images et de rejeter les fureurs iconoclastes qui ont saisi les Byzantins mais nous devons apprendre à les contrôler et à les réguler. Notre dernière réflexion a porté alors sur les conditions de contrôle et il nous est apparu qu’elles ne pouvaient être que celles d’un pacte de régulation.
 
 

Le pacte de responsabilité et de régulation.

Dans la recherche de la solution au conflit déjà envisagé, des lignes de force ont été dégagées. L’attachement manifeste par les membres de la Commission aux principes de liberté de création et de communication les éloigne de toute proposition liberticide : tout garder à la liberté dans une société d’individus libres. Mais le souci de la protection des plus fragiles, les enfants, nous conduit alors à tout confier à la responsabilité. Une responsabilité partagée qui devrait concerner l’Etat, et en premier chef les institutions du Ministère de la Culture, dont le Ministre en instituant cette mission a montré le prix qu’il attache à cette responsabilité, une responsabilité qui incombent aux auteurs, lesquels doivent faire valoir, en même temps que leur liberté de création, le souci qu’ils ont du monde qui est le nôtre ; une responsabilité des diffuseurs dont la programmation, la signalétique des émissions d’information, de fictions ou de plateaux est fondamentale et doit respecter les règles publiques ; responsabilité des parents et des familles qui doivent contrôler l’accès de leurs enfants aux spectacles qui leur sont destinés ou qui sont le plus appropriés à leur éducation. Cet étagement des responsabilités mis en regard des institutions des pays démocratiques nous a convaincu qu’il fallait moins proposer un code que recommander un système de régulation.

Le temps de la "  gouvernance démocratique " selon la recommandation européenne n’est plus celui des seules décisions des administrations qui, dans la perspective du bien public et de l’intérêt général, arborent à priori en ne tenant compte que des partenaires sociaux et des grandes forces collectives. Chacun l’a bien compris : la télévision est d’abord et avant tout une industrie et un art qui concerne des unités singulières, particulières, la famille, le téléspectateur. Dès lors, les instruments de son contrôle et de sa maîtrise doivent aussi instituer cette particularité et singularité. Ils doivent être souples, évolutifs, transitifs. En un mot, ils ne peuvent être que ceux d’une régulation permettant une contractualisation et des négociations entre les différents partenaires. C’est pourquoi la Commission a eu la claire conscience qu’elle proposait des mesures adaptées à ce moment précis, utiles dans l’urgence de son actualité. Davantage, les recommandations qu’elle allait envisager ne seraient alors que des propositions portant sur des principes et non sur des administrations de personne.
 
 

De même, comme l’a souligné Monique Canto-Sperber, la Commission veut élaborer des instruments de réflexion pour une politique non coercitive mais visant à une prise de conscience collective et à une responsabilisation des différents acteurs sur la violence et l’obscénité à la télévision. Elle considère la désapprobation publique et un espace ouvert pour l’autocensure plus efficaces que l’interdiction, souvent assortie, dans une culture administrative comme la nôtre, de non-poursuites et de passe droits. En effet, la désapprobation publique peut induire des phénomènes de quasi autocensure : par exemple, disqualifier comme une facilité un usage de la violence qui, au lieu d’être un moyen devient une fin en elle-même, ou encore discréditer un usage gadgétisé de la violence.

Elle estime que la loi et le règlement ne sont pas les seuls modes de régulation de l’espace télévisuel : la concertation, la dissuasion, l’intériorisation de normes collectives ont des effets plus stables. Elle cherche à désamorcer la surenchère de sensationnalisme entre les chaînes. Elle en appelle à la responsabilité des créateurs de fictions, des programmateurs de chaîne, des diffuseurs. Elle veut entrecroiser les libertés des créateurs et du public avec les responsabilités des émetteurs, des téléspectateurs et des parents. Elle veut rendre l’opinion publique consciente du problème.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

III
 
 
 
 

PROPOSITIONS
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

On l’aura compris, nous souhaitons mettre en place un système de régulation contractuelle où puissent trouver leur place toutes les parties prenantes, institutions publiques, auteurs, dirigeants de chaîne, producteurs et programmateurs, famille et éducateurs. Un système adapté à la société des écrans en formation et susceptible d’évoluer.
 
 

La Commission ne recommande donc pas l’interdiction de la pornographie quand elle s’adresse aux seuls adultes et est soumise à des règles strictes mais un programme élargi de leur mise hors de portée des enfants.

Cette orientation explique l’ampleur des propositions suggérées qui portent sur l’ensemble des institutions déterminant la question :

- les institutions publiques de régulation (CSA, Commission de classification des films et Commission de contrôle des DVD et vidéos)

- les chaînes, les familles et leurs représentants
 
 
 
 

La première proposition de ce système de régulation concerne la réorganisation des deux Commission de classification. Les deux Commissions devront fusionner pour instituer une Commission de classification unique conforme aux nécessités de la société des écrans.

Le but de cette réorganisation est de faire s’approcher les normes de classification en usage en France de celles mises en œuvre par nos voisins. Il s’agit don d’étendre le contrôle. Pour l’instant, il ne porte que sur la classification de 15 à 20 % des films alors que nos voisins classifient 80% de leur production.

Nous proposons donc que la Commission de classification soit transformée :

- dans sa saisine qui doit s’étendre progressivement à tous les écrans, vidéocassettes, DVD, jeux vidéos, et ultérieurement Internet. Il faut envisager que cette classification puisse s’étendre plus tard à d’autres productions afin d’obtenir une signalétique uniformisée conformément aux recommandations européennes.

- dans sa composition qui doit admettre des représentants du droit des enfants (médecins, psychologues et éducateurs), mais aussi des diffuseurs, aujourd’hui absents.

- dans ses modalités de fonctionnement par un vote à la majorité simple.

- dans son droit de censure qui doit être aboli.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nous avons considéré que la pornographie ne devait être envisagée ici que comme un " cas particulier " de la violence et qu’elle devait être réservée exclusivement aux adultes.

Comme le rappelle Monique Canto-Sperber, dans une société de libertés, il faut user à bon escient des interdictions, sauf quand celles-ci ont un rôle éducatif, or, nul ne peut prétendre, par l’interdiction de la pornographie, éduquer la sexualité des adultes.

Une société de libertés est une société de libertés assumées, conscientes de leurs limites, impliquées dans un réseau de responsabilités et dont les restrictions doivent être justifiées. Une société est plus mûr, plus réflexive, plus consciente d’elle-même quand elle s’organise selon des normes collectives. N’oublions pas que la liberté est une valeur, surtout quand elle s’applique à des choses qu’on n’aime pas.

C’est aussi par ses conséquences ambiguës que l’interdiction de la pornographie ne paraît pas souhaitable. Comme toutes les interdictions, elle aurait un effet de déresponsabilisation. Elle empêcherait l’appel à la responsabilité des créateurs de fictions, des programmateurs de chaîne, des diffuseurs. Elle bloquerait la prise de conscience du problème, laquelle oblige à un effort continu de la part des parents. De plus, une interdiction pure et simple de la pornographie à la télévision où elle est normée aurait un effet difficile à apprécier sur la circulation des DVD et cassettes qui, en l’état actuel des choses, ne sont pas contrôlés. Elle bloquerait la réflexion sur les normes à appliquer aux cassettes, vidéos, DVD, voire Internet.

Elle éviterait de responsabiliser les consommateurs de télévision afin qu’ils puissent se constituer en groupes de pression pour une télévision de meilleure qualité. N’oublions pas qu’on ne se débarrasse pas de l’obscénité en interdisant les films pornographiques.
 
 

La pornographie doit être mise hors de portée des enfants :

- par la mise en place d’un système de double cryptage ou de paiement à la séance et toutes solutions techniques envisagées

- par un détachement des abonnements aux spectacles ou aux chaînes pornographiques des autres bouquets proposés.

- Les bande-annonces, représentant des images violentes ou pornographiques, ou titres pornographiques, doivent être prohibés pendant les heures protégées.

- Les programmes violents ou pornographiques ne doivent en aucun cas être diffusés dans des tranches horaires susceptibles d’être regardées par les enfants de 7 heures à vingt-deux heures trente. Les exceptions de transgression admises qui subsistent doivent être peu à peu résorbées sous peine de sanctions pécuniaires.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


 
 

La Commission recommande que le CSA voit ses missions renforcées.
 
 

Il convient de permettre au CSA d’exercer pleinement la mission qui lui est expressément confiée par la loi de 1986, en particulier veiller à ce que des programmes susceptibles de nuire à l’épanouissement physique ou moral des mineurs ne soient pas mis à la disposition du public lorsqu’ils sont susceptibles de les voir ou de les entendre. Pour ce faire, la Commission propose que

- le CSA puisse, de manière effective prononcer des sanctions pécuniaires contre les contrevenants même si le manquement est constitutif d’une infraction pénale. Ceci suppose la transformation de la législation en vigueur et l’acceptation d’une procédure contradictoire avec la possibilité de recours devant le juge judiciaire. Nous proposons donc une nouvelle rédaction de l’article 42-1 de la loi de 1986 permettant au CSA (qui dispose des moyens nécessaires) de porter des sanctions pécuniaires. En effet, il y a nécessité de fixer avec précision le montant maximum de l’amende (le système actuel, prévu pour les sanctions en matière de publicité clandestine n’est pas adapté), de définir une procédure contradictoire. Il faut supprimer la condition de la non-existence d’une infraction pénale, mais prévoir qu’en cas de poursuites pénales, la sanction pécuniaire, prononcée par le CSA, pourra s’imputer sur l’amende prononcée par le juge pénal, système déjà en vigueur pour la Commission des opérations de Bourse.
 
 

- Une commission d’évaluation de la dérive violente sur les chaînes télévisées et du respect des règles doit être mise en place. Le CSA ne devrait pas hésiter, le cas échéant, à saisir le Procureur de la République des plus graves infractions constatées, conformément à l’article 40 du Code de procédure pénale. Cette commission annuelle dont le rapport devra être rendu public doit comprendre des représentants des auteurs, des diffuseurs, des associations, des téléspectateurs, des représentants du ministère de la Culture et de la Famille. Elle devra veiller particulièrement à la disparition de toute transgression des règles admises.

Elle implique la mise en place d’études financées par les chaînes et le renforcement de la cellule d’étude ouverte à des chercheurs au sein du CSA. La Commission a été très sensible aux travaux de recherches engagées il y a quelques années par Sophie Jehel. Elle souhaite que la cellule d’études du CSA puisse être renforcée par la présence de chercheurs, de sociologues et que les chaînes puissent aider à la mise en place de grands programmes d’études comme les études américaines citées dans la première partie.
 
 

De même, la Commission demande aux chaînes de prendre un certain nombre de mesures :

- Les chaînes publiques ou privées doivent faire connaître publiquement leur charte de déontologie , c’est-à-dire les règles que doivent respecter les producteurs de tous les programmes (fictions ou émissions de plateaux) et les critères etobjectifs généraux qu’elles poursuivent. Elles peuvent utiliser à cette fin leur propre publication aux abonnés.

Monique Canto-Sperber dénonce ainsi la télé-réalité qui veut tout montrer et tout dire, sans aucune limite de la personne, de sa vie familiale ou amoureuse, qui viole l’intimité et le respect de la vie privée qui sont au fondement de toute démocratie libérale, qui donne comme norme des rapports humains le déballage intégral et le règlement de compte au lieu de représenter l’exigence de respect de l’autre et la nécessité dans tout rapport humain de modérer et de " civiliser " ses pulsions. Enfin, elle met en scène des scènes d’exclusion qui sont de véritables incitations à la violence.

En ce sens, Muriel Beyer et Christine Clerc nous ont proposé des réflexions pour la mise en place d’ une véritable déontologie des chaînes. Il est apparu que la violence et la pornographie étaient très largement présentes sur le petit écran et de façon parfois très perverse. Certaines des personnalités que nous avons auditionnées — directeurs de chaîne, producteurs, etc., ont attiré notre attention sur la violence des journaux télévisés, la jugeant pire que celle de leurs fictions. Ce n’est pas notre avis. Certes le JT est le reflet inévitable de la violence du monde. Mais les images et les commentaires sont soigneusement pesés après discussion en conférence de rédaction. Le choix est effectué en raison de l’importance nationale ou internationale de l’événement et non dans le but de susciter chez les téléspectateurs jeunes ou moins jeunes des sensations et des pulsions pouvant conduire à la violence — ce qui est fréquemment le cas des magazines dits " de société ", souvent confondus par les téléspectateurs avec les magazines d’information. Christine Clerc et Muriel Beyer notent dans leur contribution écrite que ces magazines sont réalisés par des sociétés de production (qui peuvent produire des émissions totalement différentes, de variétés, par exemple) soumises à des objectifs de rentabilité. Leur souci n’est pas " d’informer " ou " d’éclairer " le téléspectateur, mais plutôt de monter un spectacle qui attire un maximum d’audience. D’où la recherche de témoignages " exceptionnels ", de " séquences chocs ".

Dans la plupart des cas, ces émissions ne sont soumises à aucun contrôle ou visionnage préalable. Sinon, comme imaginer que des responsables de chaînes puissent laisser passer des séquences qu’elles refuseraient dans d’autres émissions : reportages sur la pornographie ou la prostitution avec des images qui laissent peu de place à l’imagination, confidences des témoins particuliers. Exemple : on peut trouver côte à côte un pédophile masqué et une victime de pédophile. A quand le vrai face à face organisé en direct entre le bourreau et sa victime ? Succès garanti.

Puisque la télévision, c’est un fait, est aujourd’hui un instrument de reconnaissance sociale, puisqu’elle donne une légitimité donc une respectabilité à toute personne invitée sur un plateau (la mère maquerelle, la star du porno, est plus souvent présente que le président d’une association méritante) ne faudrait-il pas demander aux responsables de toutes les chaînes de télévision de prendre un certain nombre d’engagements, de fixer un cadre, un code de bonne conduite pour ces émissions de société ?

Un code de déontologie pourrait recommander :

- d’éviter certaines thématiques que l’on peut juger perverses. Exemple, l’élimination ou l’exclusion ;

-  de remettre en cause le racolage assuré grâce à un titre comme " l’amour au cinquième âge " ;

-  de demander aux producteurs de choisir avec plus de prudence leurs invités : peut-on faire systématiquement des stars du porno des vedettes alors que par ailleurs, on s’interroge sur les dangers de la pornographie sur les enfants ?

- il conviendrait aussi de s’abstenir de recevoir avec complaisance des délinquants ou d’anciens délinquants (pédophiles ou criminels) venus faire la promotion de leur livre et de contribuer ainsi à banaliser leur action passée, condamnée par la justice. Beaucoup ont été choqué par l’émission consacrée à Patrick Henry, et cela en dépit des protestations d’associations de victimes. De même faudrait-il sans doute renoncer à recevoir des justiciables, tant que la Justice ne s’est pas définitivement prononcée sur leur cas. Pourquoi ne pas imposer aux responsables des chaînes de refuser, dans ces émissions, la diffusion d’images qu’elles n’accepterait pas de voir passer dans des émissions d’information ?

Certaines règles simples devraient être respectées dans l’ensemble des programmes.
 
 

- Les chaînes doivent vérifier que leurs fictions télévisuelles entrent dans le cadre de la Commission de classification des films.

- Des comités de contact consultatifs doivent être mis en place dans toutes les chaînes pour établir une communication des diffuseurs avec les représentants des familles, des associations, des auteurs et permettre un dialogue entre toutes les parties .
 
 

A cet égard, nous proposons en plus de la nouvelle signalétique du CSA qui constitue un progrès, une signalétique positive qui pourrait être appliquée à des programmes pour la jeunesse, ce qui se fait déjà dans d’autres pays européens.

Les arguments donnés pour une signalétique positive, idée nouvelle, ont été développés par Jean-Baptiste de Foucault. Il est essentiel d’effectuer un rééquilibrage vers la qualité. En effet, la télévision est une institution sociale de masse à fort pouvoir normatif du fait de sa pénétration dans le domaine privé du chez soi et du caractère assez passif dans lequel elle place le téléspectateur : celui-ci ne peut maîtriser le flux qui s’adresse à lui (contrairement au livre, à la vidéo, à Internet) ; il n’a pratiquement pas de démarche à faire, grâce à la télécommande (contrairement à la salle de cinéma, ou même à la cassette). Même si on est déjà dans " la civilisation de l’écran ", plus interactif, la télévision reste, de par ses conditions particulières de fonctionnement, un média dont la qualité doit faire l’objet d’un coin attentif, du fait notamment de son influence englobante auprès des publics de niveau culturel modeste.

La classification est de ce point de vue importante, car autant il n’est ni possible ni souhaitable d’interdire la médiocrité, ou d’obliger à la qualité, autant il faut inciter à la qualité, là où une vision trop courte, trop simple, trop niveleuse de l’audience prédomine. Face à l’excès de violence, de porno-soft, de TV trash sur nos écrans, il est plus facile de rééquilibrer que d’interdire, plus aisé de compenser la médiocrité par la qualité que de l’éradiquer en tant que telle. Nos régimes démocratiques qui se sont institués contre les censures ne peuvent pas revenir en arrière sur ce point. En revanche, la théorie démocratique a toujours insisté sur l’exigence de qualité. C’est être conforme à ses fondements que de s’en préoccuper : l’absence de vertu, de souci du bien, de détachement devant l’intérêt général sape les bases mêmes de ce régime politique ambitieux mais fragile qu’est la démocratie. C’est dans cette perspective de rééquilibrage destiné à éviter le piège de la censure qu’il faut examiner l’intérêt d’une classification positive des émissions de télévision destinées aux jeunes.
 
 

Un large volet éducatif comprenant des émissions de promotion à une culture de respect d’autrui et de dépassement la violence doivent être diffusées sous la responsabilité des chaînes et doivent faire partie de leur cahier des charges.

- Des émissions éducatives de ce type doivent diffusées en priorité dans les tranches horaires des programmes pour la jeunesse, en particulier par les chaînes publiques

- Un programme éducatif à l’apprentissage de la lecture critique de l’image doit être élaboré conjointement par des éducateurs et des réalisateurs.

- La Commission recommande que la production télévisuelle et les auteurs relèvent le défi de proposer des émissions de fiction ou d’information qui les entraîne à la citoyenneté et à la vie démocratique.

- L’Education Nationale doit généraliser l’éducation à l’image déjà engagée par des institutions telles que le CLEMI ou le CNDP.

- Une information des parents concernant les risques de la télévision pour les enfants doit être menée par l’école et par les institutions de santé publique. engagée essentiellement par l’école et par les institutions de santé publique doit être mise en place.

En effet, comme le souligne Jacques Billard, toute tentative de protéger les enfants sans faire appel aux parents est nécessairement vouée à l’échec et nombreuses ont été les interventions devant notre commission évoquant le rôle des parents, se demandant comment les enfants en viennent à être devant la télévision après minuit, comment il se fait qu’ils disposent de cassettes vidéo qui ne leur sont nullement destinées et qui devraient être mises hors de leur portée…C’est sans doute là qu’il faudrait mettre en place ce que Jacques Billard appelle " une action en vue des parents ". Une action en direction des parents devraient d’abord se donner pour but de les amener à surveiller et encadrer la consommation audiovisuelle de leurs enfants. Elle devrait aussi les convaincre de procéder avec tact, faute de quoi leur action créerait plus de conflit qu’elle n’en résoudrait.

Les instituteurs et professeurs des écoles ainsi que les professeurs principaux des collèges et lycées, peuvent tout à fait se voir charger d’une telle mission.

Les médecins de famille sont l’autre voie d’autorité (scientifique elle aussi) écoutée par les parents. Lors d’une consultation, le médecin peut tout à fait s’enquérir de la consommation télévisuelle des enfants et offrir des conseils appropriés. Et des affichettes apposées dans les salles d’attente pourraient avertir de la nécessité de réfléchir aux risques que présentent les images violentes ou pornographiques pour les enfants

- L’école doit également généraliser le programme éducatif consacré au lien civil et aux règles communes qui garantissent les libertés et sont le meilleur antidote à la violence.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Un volet législatif comprenant la réécriture de l’article 227-24 du Code pénal avec une incrimination visant les medias audiovisuels plus réduite et donc plus efficace est proposée, par un recentrage de l’incrimination sur la notion d’atteinte à la dignité de la personne humaine nécessaire pour qu’un message violent ou pornographique susceptible d’être vu par un mineur puisse être pénalement répréhensible.
 
 
 
 
 
 

La Commission estime que si toutes ces solutions qui ont été largement approuvées dans le cadre des débats qu’elle a organisées n’étaient pas appliquées dans une durée probatoire d’un an, elle demande que des mesures plus drastiques soient alors prises.