Support de cours (Yves Lecerf, 1993)
Une des idées fondatrices de la constitution et des enseignements de notre DESS est que l’ethnométhodologie y est considérée, sur le double plan de l’épistémologie et de l’éthique, comme une décisive théorie de la liberté. La formalisation axiomatique qui en est faite – et qui constitue une des dimensions les plus importantes de notre singularité par rapport aux autres courants de l’ethnométhodologie – est constitutive d’un enjeu pédagogique capital : faciliter la tâche du sociologue profane dans l’acquisition et le maniement d’outils et de concepts lui permettant de mieux défendre sa liberté et celle de la minorité à laquelle il appartient éventuellement. Une telle attitude rend en effet indissociable cette théorie de la liberté de la constitution d’une praxis ethnométhodologique.
L’impérialisme scientiste, idéologique ou religieux, exerce notamment son emprise sur les personnes et les institutions par le biais d’idées et de théories qui prétendent raisonner et imposer leur loi en termes de significations universelles. L’ethnométhodologie radicale de ce DESS, tout comme la tradition ethnologique localiste de l’UF d’ethnologie de Paris 7 (appelée aussi parfois école pariseptiste ), conteste l’existence des universaux, posés implicitement ou explicitement par la quasi totalité des courants théoriques en sciences sociales, et donc en ethnologie aussi. Cette contestation des universaux fonde le primat absolu conféré aux significations particulières des universaux locaux,et poscrit corollairement tout raisonnement inductif qui prétendrait s’appuyer sur celle-ci pour " généraliser à des contextes plus larges la connaissance acquise dans un contexte local " (Garfinkel et Sachs, in les structures formelles des actions pratiques).
D’un point de vue ethnométhodologique, les definitions données par les ethnologues pour déliminer le contenu et le champs de l’ethnologie, même quand ils prétendent à une objectivité scientifique démontrable, doivent être considérés comme des points de vue purement locaux, lesquels sont bien sûr très souvent différents et même contradictoires.
Les définitions données ci-après en sont une illustration et peuvent fournir matière à débat.
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" Qu’est-ce que l’anthropologie ? Une tradition philosophique remontant à l’Antiquité, une discipline institué au siècle dernier, une méthode élaborée en ce siècle ".
Dan SPERBER, Le savoir des anthropologues, éd. Hermann, 1982, p 1.
" Anthropologie culturelle, anthropologie sociale et ethnologie ont des sens très voisins et de toutes façons trop flous pour être utilement distingués. Ils désignent tous les trois l’étude des faits socioculturels, qu’elle soit générale, comparative ou particulière. Tout au plus peut-on noter la préférence des anthropologues britanniques, d’orientation plus sociologique, pour l’épithète sociale, et celle des américains, d’orientation plus psychologique, pour l’épithète culturelle. Ethnographie a un sens plus restreint et désigne exclusivement l’étude des faits socioculturels à l’interieur d’un groupe humain particulier ".
Dan SPERBER, ibid. p 11.
" Nous héritons d’une histoire et de plusieurs siècles de sédimentations savantes inscrites dans les termes d’ethnologie, qui désigne celle des traits sociaux et culturels de l’humanité dans son ensemble. Ces définitions sont données ici en première approximation. "
Philippe LABURTHE-TOLRA & Jean-Pierre WARNIER, Anthropologie,
ethnologie, PUF, janvier 1993, p 3.
" L’anthropologie sociale analyse les institutions qui régissent le comportement humain : famille, parenté, système de cultures, régime politique, culte religieux. "
L’anthropologie, Encyclopédie du monde actuel, Livre de
poche, 1977, p 48.
" Le terme d’ethnologie apparaît pour la première fois en 1787, dans un essai publié par le suisse Alexandre César de Chavannes. Cette discipline se caractérise par son objet plus que par sa méthode : il s’agit d’étudier les sociétés sans écriture. Les ethnologues répugnent à parler de " primitifs ". L’ethnologue se distingue de la sociologie qui s’attache à décrire les sociétés industrielles développées. Elle ne se confond pas non plus avec l’anthropologie, qui tend à la limite à donner une description scientifique et complète de l’homme, dans son origine, son histoire et ses activités. L’ethnologue s’intéresse aux cultures elle-mêmes et cherche à en dresser une typologie. On peut assimiler sa disciline à une anthropologie culturelle. "
L’anthropologie, ibid, p 96.
" Ethnologie : (mot introduit par le suisse Chavannes en 1787 dans Essai sur l’education intellectuelle avec le projet d’une science nouvelle). Synonyme (début du 19 ème siècle) de " science de la classification des races " (branche de l’actuelle anthropologie physique), ce terme a désigné pendant toute le première moitié du XX ème – et désigne parfois encore – l’ensemble des sciences sociales qui étudient les sociétés dites " primitives " et l’homme fossile ; mais il tend aujour’hui à être remplacé dans ce sens par le mot anthropologie, science dont l’ethnologie constituerait une partie ou une étape. En effet, dans son sens restreint actuel, l’ethnologie inclurait uniquement les études synthétiques et les conclusions théoriques, élaborées à partir des documents ethnographiques et orientées plus particulièrement vers les problèmes de diffusion, de contacts, d’origine, de reconstitution du passé. C’est ce sens que les anglais attribuent depuis longtemps au mot ethnology. L’etude des problèmes plus généraux constituerait le champs de l’anthropologie sociale et de l’anthropologie culturelle. Mais ces disctinctions héritées des pays anglo-saxons sont loin d’être unaniment admises en France. "
Francois GRESLE, Michel PANOFF, Michel PERRIN, Pierre TRIPIER, Dictionnaire
des sciences humaines, édit. Nathan, 1990, p 112.
" Anthropologie : appellation d’origine britannique maintenant courante en France pour désigner la discipline qui, à partir des données de l’ethnographie, vise à établir les lois générales de la vie en société, aussi bien chez nous que dans les populations archaïques et traditionnelles. C’est Lévi-Strauss qui, prêchant l’exemple, à fait le plus pour introduire le mot et la chose dans la tradition intellectuelle francaise ".
Dictionnaires des siences humaines, ibid , p21.
" Ethnographie : observations sur le terrain, description et analyse des groupes humains (suffisamment petits pour être totalement appréhendés par un nombre restreint de chercheurs et selon des méthodes généralement non statistiques) visant à la reconstitution aussi fidèle que possible (exposée sous la forme d’une " monographi e " des divers aspects de la vie de chacun d’eux (aspects écologique, technologique, économique, politique, juridique, religieux, familial, etc.) Pour des raisons pratiques et théoriques, son champs d’étude a été longtemps limité aux sociétés dites primitives, mais il peut s’étendre aux groupes humains appartenant à nos sociétés (V. par ex. : ethnologie rurale ; folk-society ; pauvreté (culture de)). Nota : au début du XIX ème siècle, ce terme désignait la sience des classements des peuples en fonction de leurs images ".
Dictionnaires des sciences humaines, ibid, p 111.
" Nous rappelons que la définition de l’ethnologie a pronfondément évolué. Il semble qu’aujourd’hui, reconnue comme science des communautes (des groupements centrés sur des motivations traditionalistes), elle mesure mieux ses rapports avec la sociologie, discipline sœur, science des collectivités ( des groupements centrés sur des motivations rationalistes).
Jean POIRIER, Histoire de l’ethnologie, PUF, coll Que sais-je ?, 1984,
p 6.
" L’ethnologie est, au sens le plus complet du terme ; l’art de découvrir la clef cachée de toutes les conduites humaines, les plus manifeste comme les moins avouées (…) Son premier objet est l’étude de la culture d’un peuple, d’une société, d’un groupe ".
Jean SERVIER, Méthode de l’ethnologie, PUF, coll Que sais-je
? , 1986, p 3.
" Le mot anthropologie est aujourd’hui mis à toutes les sauces. La profession des anthropologues peut s’en réjouir, considérant que, quelles que puissent être les erreurs de perpectives et les distortions de pensée, quelque chose de l’anthropologie a passé dans les autres disciplines. Elle peut aussi s’inquiéter de voir le noyau dur de son propos (combinaison d’une triple exigence : le choix d’un terrain, l’application d’une méthode et la construction d’un objet) se diluer ici où là dans des allusions un peu molles à la nécessité d’une " perspective " ou d’une " orientation " anthropologiste, voire d’un " dialogue " avec l’anthropologie ".
Marc AUGE, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Aubier, 1984, p 9.