I - AXES DE RECHERCHE DE RECHERCHE DU "LABORATOIRE D'ETUDE DES SECTES ET MYTHES DU FUTUR EN OCCIDENT AU 20 ème SIECLE"

Le "laboratoire d'étude des sectes et mythes du futur en occident au XXème siècle" de l'Université Paris VII (UER d'Anthropologie, ethnologie, sciences des religions), créé en 1978, conduit simultanément des travaux sur les axes de recherche suivants :


- "Etudes de terrain" auprès de sectes et groupements religieux (Enfants de Dieu ; secte Krishna ; Mennonites ; groupes bouddhistes du grand et du petit véhicule installés en France ; diverses sectes fondamentaliste aux U.S.A etc...). Ces études s'étendent aussi à des groupes moins connus en cours de formation.

- Construction d'automates générateur de mythes, soit sur la base d'informations rassemblées dans des sectes, soit sur la base d'autres collationnements de mythes.

- Applications de ces automates générateurs de mythes dans les domaines de la publicité et de la prévision du futur.

Ces activités, en apparence très dissemblables, sont conduites dans une épistémologie unique, principalement centrée autour de la querelle des universaux en ethnologie.

A) Dans les études de terrain, on s'efforce de focaliser l'investigation autour des phénomènes de "basculement de sens", ou même de "disparition totale du sens". Les adeptes de sectes disent souvent volontiers que lors de leur conversion, la totalité des significations du monde à pour eux "basculé" ; autrement dit, l'entrée dans un univers sectaire provoquerait des bouleversements au niveau même du langage, dont les fonctions sémantiques seraient modifiées. Par ailleurs, ces bouleversements pourraient aller jusqu'à la disparition totale du "sens ordinaire" des phrases, comme la chose s'observerait dans certaines sectes avec le phénomènes de glossolalie ;

Or la réflexion que l'on peut ouvrir sur des phénomènes de ''basculement du sens" ou "disparition du sens" conduit très directement à mettre en cause le notion même de signification dans l'absolu ; c'est à dire rejoindre Robert Jaulin dans un grand débat épistémologique :

- sur la mise en cause de l'emploi de notions universelles en ethnologie : renouvelant dans un mode moderne le très ancien débat de la querelle des universaux, R. Jaulin estime que la signification du langage peut seulement relativisée à des appartenances de groupe et à des ensembles de réalités évènementielles quotidiennes, sans qu'il soit possible de ramener ces diverses modalités de signification à une base universelle commune.

- sur la vocation même de l'ethnologie, dont un champ privilégié devrait être précisément alors l'étude de ces basculements de signification (à la différence par exemple de le démarche sociologique ou historique, qui privilégie arbitrairement l'univers des significations de l'observateur).
 

B) Les travaux de construction d'automates générateurs de mythes semblent à première vue conduire à des préoccupations extrêmement différentes de celles des études de terrain. Ces recherches (menées en collaboration avec l'UER d'informatique linguistique de l'Université Paris VIII) tendent notamment à construire sur ordinateur des modèles de simulation de comportements sectaires, c'est-à-dire des "apôtres automatiques conversationnels". Un élément essentiel de la construction de tels apôtres consiste dans l'élaboration de grammaires formelles qui soient des grammaires génératives de mythes.

Ces mêmes grammaires génératives (de mythes font par ailleurs l'objet d'études directes dans le cadre notamment de travaux de collationnement de mythes du futur.

En linguistique générale, on désigne sous le nom de "grammaires génératives" des systèmes formels ayant pour fonction d'engendrer des ensembles infinis de phrases, en faisant abstraction de le signification de celles-ci. On voit donc que le recours à de tels instruments , qui ignorent délibérément le sens des phrases, peut rejoindre directement la problématique de contestation des universaux introduite par R. Jaulin au niveau des études de terrain. Que faire de données rassemblées sur le terrain alors que l'on ne veut pas considérer leur sens ? Les grammaires génératives fournissent un instrument pour la manipulation de telles données,

Par ailleurs les positions épistémologiques adoptées par R. Jaulin en ethnologie, positions qui nient l'existence de significations universelles, conduisent à remplacer ces significations par des procédures. L'univers par exemple des significations subjectives de l'indien ne peut pas être explicitement référé dans le cadre appauvri d'une "sémantique de blancs" ;  mais R. Jaulin suggère par contre pour atteindre les significations des indiens, un ensemble de procédures : celles consistant à se rendre sur place, à vivre la vie des indiens, à partager leur nourriture, à participer avec eux si possible aux danses du soleil, etc... En proposant ainsi de remplacer des significations par des procédures, cet ethnologue rejoint directement la problématique des banques de données informatiques. On sait que de telle banques de données posent précisément, entre autres problèmes épistémologiques, celui de ne pas pouvoir référer des significations, mais seulement des procédures.

C) Des applications sont développées au niveau de l'emploi de "grammaires génératives de mythes"

- en publicité, pour engendrer des slogans
- en prévision, pour manipuler de très grandes masses de prévision ; fonction qui s'avère extrêmement utile lorsqu'il s'agit d'inventorier des milliers de futurs simultanément ouverts dans des univers très incertains.

Les travaux de développement d'applications en publicité sont seulement en gestation. Par contre, ceux concernant la prévision ont donné lieu à des collaborations avec le secteur privé ; et plusieurs firmes françaises parmi les plus importantes ont manifesté par écrit leur approbation et leur soutien à l'égard de la méthodologie des grammaires génératives de mythes développée dans le cadre du laboratoire.

Ces applications sont-elles à considérer comme des arguments ? Sans doute pourrait-on estimer qu'une réflexion épistémologique bien construite se suffit à elle-même. Mais on peut craindre aussi l'extrême solitude d'une approche mettant en cause la notion même de signification, et supprimant somme toute les barrières entre raison et folie.

Certes, sur un plan strictement intellectuel, la seule question vraiment fondamentale est celle du bien fondé des options de Robert Jaulin, lorsqu'il propose, pour la science ethnologique, un nouvel objet. et une nouvelle attitude épistémologique (dont les axes de recherche du laboratoire ne sont ensuite qu'un reflet).

Dans la préface de "la mort sara", cet auteur attire l'attention sur le caractère "anthropophagique" de la science occidentale en général. Cette science, fait-il observer, et tout particulièrement l'ethnologie, "se nourrit de cadavres" en ce sens que sa démarche consiste à aller vers l'Autre (d'autres hommes, d'autres civilisations ...) à construire de l'Autre une représentation morte, figée, cet Autre étant traité non comme un sujet mois comme un objet ; et à s'approprier cette représentation morte de l'Autre, puis à la digérer pour en tirer une substance nourricière que notre propre civilisation récupère, et met eu service de ses finalités par exemple de consommation ou de puissance.

En proposant de nouveaux objectifs à l'ethnologie occidentale, R. Jaulin a-t-il ou non fondé une nouvelle "science de blancs" ? L'affirmative seule justifierait sa démarche. Mais pour établir la chose, si l'on en croit cet auteur lui-même un test décisif consiste précisément à démontrer que la nouvelle ethnologie fondée par lui est capable elle aussi d'être "récupératrice et anthropophage" ; capable elle aussi de digérer l'Autre pour en tirer des données utilisables à des fins de consommation et de puissance. Il était donc nécessaire à notre avis de démontrer que les nouvelles démarches ethnologiques ouvertes à partir de la critique anti-universaliste formulée par R. Jaulin, pouvaient conduire à des applications.

Cette pratique même engendrera toutefois une nouvelle interrogation. L'ethnologie inclurait-elle pas de plein droit (et non à simple titre de récupération) la pratique du devin, celle de l'apôtre, celle du sorcier ? Littéralement, ces pratiques (et non pas seulement les théories que l'on peut construire à leur sujet) dans le cadre d'une démarche cognitive où l'ethnologue s'impliquerait lui-même au maximum.