CHAPITRE III
PRESENTATION DE LA SECTE MOON A TRAVERS
SON LANGAGE NATUREL
LEXIQUE DE TERMES-CLEF
INTRODUCTION
Après avoir en premier lieu examiné les outils
conceptuels de l'ethnométhodologie, puis, en
deuxième partie, l'application de ces outils à la
détermination du contexte d'une étude
ethnométhodologique, nous abordons, dans ce
troisième chapitre, l'étude du terrain lui-même -
la secte Moon - à travers son langage naturel.
La présentation de ce langage se fera sous forme de
lexique. Un lexique qui fonctionne comme un
dictionnaire, les entrées choisies étant classées
par ordre alphabétique.
Le processus lexical nécessite cependant quelques
explications complémentaires.
Tout d'abord, il est une résultante précisément des
concepts sus-mentionnés. En effet, comment étudier
un groupe social donné, si l'on considère les
myriades de facettes qui en constituent la réalité
interne? Comment, qui plus est, étudier un groupe
appelé "secte", qui, dans la plupart des cas, est
fermé à tout regard extérieur, qui possède et
utilise un langage dont le degré d'indexicalité est
particulièrement élevé par rapport à celui d'autres
groupes sociaux, dont les structures
organisationnelles sont souvent secrètes - en
résumé, dont il est difficile de découvrir quelque
chose si ce n'est en y adhérant en tant que membre
à part entière?
De plus, en l'état actuel des études sociologiques
sur le problème des sectes en général, on
s'aperçoit que l'approche traditionnelle ou
"professionnelle", au sens garfinkelien du terme,
n'est pas considérée comme universellement
éclairante sur la réalité que représentent les
sectes au sein de la société. Il suffit pour s'en
convaincre, de constater la dichotomie entre les
études, par exemple, des sociologues du groupe
"Inform" (groupe de sociologues qui se placent sur
un terrain résolument "pro-sectaire", d'un point de
vue des libertés sociales et politiques) et celles,
par exemple, qui ont été réalisées par différents
organes institutionnels des régimes démocratiques
(Parlement Européen, Assemblée Nationale, Chambre
des Représentants américaine...) dans un but
pratique de gestion des sociétés. Dans ce domaine
très conflictuel - un phénomène social riche de
potentiel pour les sciences sociales - toutes
sortes de voies d'exploration sont encore ouvertes.
L'ethnométhodologie, par sa référence au contexte
du réel, pourrait jouer à cet égard un rôle des
plus utiles. La présente étude, loin de prétendre à
une quelconque complétude ou autorité, se veut une
tentative de regard ethnométhodologique sur un
aspect d'une secte. C'est dire ses limites.
Et pourtant, n'est-on-pas plus proche, en abordant
ainsi un groupe par son langage naturel, de ses
motivations, ses structures, ses pratiques? C'est
ici que les notions ethnométhodologiques, notamment
l'indexicalité, la réflexivité et
l'"accountability" sont particulièrement utiles. En
effet, si le langage naturel d'un groupe en est un
élément constitutif ; si de plus, comme c'est le
cas dans un groupe fermé, ce langage naturel pose
la base de sa praxis tout en étant l'émanation de
celle-ci, présenter ce langage naturel est une
manière de présenter ce groupe.
Comment peut-on présenter un langage naturel? Et
surtout, comment présenter le langage naturel d'un
groupe fermé et dont il est difficile d'obtenir les
documents, les éléments d'information, tout ce qui,
en bref, en permet l'étude?
Le chapitre précédent a montré comment ces
informations ont été obtenues, et surtout comment
elles ont pu être assimilées de manière à donner
une perception légitime du contexte intérieur de la
secte.
Ainsi, j'ai pu obtenir des documents internes
moonistes strictement inconnus du grand public
avant qu'il n'y ait suffisamment d'ex-moonistes
pour les diffuser.
La clef du langage naturel mooniste sont les textes
dénommés "Master Speaks" (Le Maître Parle) : ce
sont les discours du Maître, du Messie, de Sun
Myung Moon en personne. Ces textes - et ce fait ne
doit jamais être oublié lorsqu'on étudie un groupe
comme celui-ci - ont littéralement valeur de Parole
d'Evangile. Dieu lui-même parle à travers ces
textes. Ils sont appris, réappris, médités,
ressassés par les moonistes. Les notions en sont
profondément intégrées par ces derniers. Le langage
de communication à l'intérieur du groupe est
entièrement déterminé par le contenu de ces textes.
Le deuxième corpus de textes utilisé dans la
présente étude est appelé le "Training de 120
jours" - textes qui reproduisent directement les
cours de formation dispensés aux moonistes, dans le
cadre d'une session d'une durée de 120 jours (des
parties de ces cours sont données lors de sessions
de 7 jours, de 21 jours ou de 40 jours). Ils sont
dispensés par différentes personnes, mais
principalement par Ken Sudo, un mooniste déjà
ancien et bien rompu aux concepts et à la vie du
groupe.
Ce deuxième corpus de textes intéresse
l'exploration du langage naturel mooniste en ce
sens qu'ils replace les notions contenues dans les
Master Speaks dans le cadre d'un contexte très
quotidien. Des exemples sont présentés, des
questions posées, des réponses données, il y a une
interaction qui fait vivre les mots.
Le choix des entrées peut, bien entendu, être
critiqué. Qu'on garde simplement en mémoire que la
démarche lexicale est une forme d'"account" : le
choix des entrées est nécessairement indexical, à
savoir contextualisé par l'auteur, son vécu du
terrain et sa perception de ce qui est, dans ledit
terrain, accountable. Or précisément, ce qui m'a
paru le plus "racontable" dans ce terrain pour en
transmettre la réalité que j'ai perçue, ce sont
précisément les mots du Maître, pour ce qu'ils
représentent une référence absolue dans le groupe,
et le contexte langagier de ces mots, pour en
dégager la signification interne, propre au groupe.
Un puriste pourrait objecter qu'à partir du moment
où une présentation du langage naturel existe,
alors les parties rédigées par l'auteur du lexique
sont superflues. Effectivement, dans l'absolu, il
aurait suffi de présenter le corpus entier et de
dire : voilà le discours moniste sur sa propre
réalité.
Cependant, outre que ce corpus représente un bon
mètre linéaire de documents, une telle présentation
"pure" ne fournirait au non-mooniste aucune
information indexicalisée à son propre contexte sur
le langage du groupe.
Il est, de plus, évident que ni le choix des
entrées, ni la rédaction qui les élabore,
n'auraient pu être réalisés sans un long contact
quotidien avec l'ensemble du monde péri-mooniste,
sans les heures de conversation avec des parents et
amis de moonistes, des ex-moonistes et des membres
moonistes, sans la lecture de lettres personnelles,
sans les petits événements qui révèlent les
relations, sans les mille et un éléments qui
constituent précisément le terrain.
Le choix des entrées est donc basé sur cette
familiarité acquise au fil des ans. Ce choix
serait-il différent de celui d'un mooniste, ou d'un
parent, ou d'un journaliste ou d'un autre chercheur
en sciences sociales? Il serait intéressant de le
découvrir. Cependant, il n'existe pas encore
d'étude lexicale ethnométhodologique sur le
moonisme faite par un parent, un mooniste, un
journaliste. Et quand bien même elle existerait,
elle n'invaliderait pas mon propre choix, qui est
celui qui émane de ma propre expérience et de la
vision qui en découle.
Un dernier point doit être clarifié avant d'aborder
le lexique proprement dit : il s'agit du problème
de la traduction. Nous avons déjà parlé des
processus particuliers aux traducteurs - ces
explications pourront servir notre propos.
En effet, j'ai fait intervenir ma membritude
traductionnelle dans ce travail lexical, l'immense
majorité des documents étant en langue anglaise et
certains en allemand. Il faut également savoir que
les discours du Maître sont donnés oralement en
coréen, traduits oralement en anglais par un membre
haut placé de la secte (habituellement Bo Hi Pak,
numéro deux de la secte). Puis ils sont transcrits
en anglais. Le résultat est une langue très
différente de l'anglais que je connais en tant que
membre du village des anglophones de naissance.
Prenons pour exemple l'une des entrées du lexique :
monde spirituel. Si je traduis l'original anglais
"spiritual world will have to assist you" par "le
monde spirituel devra vous aider", je ne rends pas
cette coloration particulière qui provient, dans la
langue source, de l'absence d'article. En français,
l'omission de l'article est étrange, gauche. En
anglais, l'effet final, bien que ce ne soit pas
d'usage courant, est de donner à l'expression
"monde spirituel" une qualité d'entité vivante,
douée d'une personnalité collective. J'ai voulu
garder cet effet, cette coloration particulière de
la langue anglaise des textes originaux. C'est de
là que proviennent certains écarts grammaticaux ou
syntaxiques. Je ne puis dire, ne connaissant pas le
coréen, si ce langage particulier est imputable à
la traduction du coréen vers l'anglais ; je le
présume, tout comme je présume que ce français très
particulier rend certainement mieux l'original que
ne l'aurait fait un français "pur".
Il faut par contre également noter que, ayant
fréquenté le milieu PM et surtout PM-AS au niveau
international, j'ai acquis quelques connaissances
sur le langage naturel mooniste utilisé dans
différents pays, exprimé en différentes langues.
Mes choix de traduction ne sont donc pas uniquement
personnels ou arbitraires.
Ces points une fois clarifiés, le lexique qui suit
pourra être lu comme un guide indicatif des
concepts moonistes.
Le lexique proprement dit est précédé d'une liste
des abréviations utilisées.