Métaphysique de l'altérité. Contact, immersion et entropie


CONTACT. De la description d'un état de l'être aux phénomènes incommensurables.

La carte n'est pas le territoire, la chose diffère du nom de la chose, la description d'un état de l'être est réductible a ses contextes alors que l'état de l'être est une catégorie ontologique que l'on ne peut pas formaliser. Ces particularités de la phénoménologie de la perception sont bien connues et pourtant leur expérimentation sont plus délicates et paradoxales. L'observateur en présence d'un phénomène inconnu, s'il dépasse sa peur de l'inconnu, poussé par la curiosité et enhardi par de nouvelles sensations, se découvre dans une position inédite.

Cette plongée vers cet ailleurs où de nouveaux percepts s'ajoutent aux représentations et descriptions afférentes à de nouveaux affects donne un encrage à de nouveaux états de l'être. L'observateur pourra expérimenter pleinement l'immersion de sa conscience dans des dimensions qui étendent le champ des perceptions : réalités augmentées, virtuelles, simulées, non ordinaires, altérées, métaphysiques.

La conscience immergée dans ces lieux inconnus, explore, décrypte et assimile ces nouveaux terrains. Elle parcourt ces nouvelles réalités qui se superposent les unes aux autres et qui influencent alternativement et inévitablement les jugements, stimulant des affects selon les objectifs et les desseins d'un environnement qui s'il n'est pas maîtrisé, expose à une plus grande manipulation des émotions et des croyances.

Le défi est d'être à la fois dans cet ailleurs mais également dans une prise de conscience de ces transformations qui altèrent le jugement afin d'éviter les pièges d'une soumission à des représentations qui seraient néfastes. Un recours salutaire à la prudence, une mise en retrait pour éviter ces influences négatives qui limitent le jugement et entravent la liberté d'action et de création. Dans un cadre plus large, c'est éviter tout ce qui empêche la conscience de s'accomplir et de réaliser une puissance de vie.

L'altérité est cette manière de penser cette relation avec un autre que soi mais c'est aussi la possibilité de dépasser cette différenciation pour s'acheminer vers la reconnaissance qu'une alliance est possible entre différentes conscience de soi. C'est là que se forme le contact, dans cette frontière du connu et de l'inconnu, dans une limite jamais atteinte de résolution des illusions de la perception. Ce mouvement perpétuel qui sort de l'ignorance pour la reconstruction d'une nouvelle compréhension de l'Univers perceptible et qui tisse ce lien indicible avec une totalité qui se pense elle-même.


IMMERSION. Observer prudemment l'univers intérieur et extérieur

S'immerger dans l'environnement d'un autre que soi, appréhender un contact avec une autre réalité, partager et échanger à différents niveaux de conscience des catégories d'affects et de concepts difficiles à communiquer. Ces interactions constituent un immense champ des possibles qu'il vaut mieux vivre et examiner selon des approches variées afin de retenir un cheminement pour le moins contrôlé même s'il est parsemé d'embûches. Idéalement un parcours réversible dans l'espace et dans le temps pour se repositionner dans des référentiels familiers et distinguer les étapes successives de la transformation du champ perceptif.

A l'observateur perplexe qui découvre cet espace de partage, prend garde à la désorientation dans le chemin abrupte de la connaissance et de l'accès à d'autres univers. Tes convictions seront mises à rude épreuve, tes représentations des connaissances subiront de profondes altérations, et même l'édifice de croyances que tu as si patiemment construit pourra brutalement s'effondrer . Je te conseille de reculer, de ne pas aller plus avant. Quitte cet espace immédiatement car ce qui vient sera l'expression d'une rudesse et d'une sauvagerie qui anime la conscience des hommes.

A l'observateur curieux ou en attente du miracle, méfie toi de ce que tu désires profondément, de cette vérité que tu essayes de capturer, car ton souhait risque de se manifester, et face à cet inconnaissable, ta conscience pourra être submergée par des émotions si fortes et si extrêmes qu'elles dépasseront ce que tu es capables de supporter. Ce n'est pas avec l'intellect que l'on affronte l'inconnu mais par imprégnation progressive de nouvelles émotions et sensations. Souhaites-tu vraiment poursuivre dans cette voie, quitte à ce que ta quête se transformer en cauchemar ? Si tu n'as pas la force de tout reconstruire, si tu n'as pas des principes et des méthodes rigoureuses qui te permettront d'évoluer, si tu ne te connais pas toi-même, le risque est grand de voir ta raison vaciller.

A l'observateur passif en mal de sensations, tu n'es pas qu'un simple consommateur. Que feras-tu de ta vie et de ton héritage? Es-tu un acteur en peine de motivation, un spectateur curieux, un chercheur de vérités perdues ? Quelques-uns exploiteront ce qui vient sans danger.  Et d'autres encore passeront à coté de tout cela, et non sans raison, ils rejetteront cette alliance des modes de représentation et des interfaces, pour fuir l'altération des états de conscience. Il est vrai que pour la majorité, il y a déjà tant à faire pour contrôler les zones de viabilité de sa propre survie dans un monde tourmenté.


ENTROPIE. Au delà du désordre et de l'altérité, retrouver la vie et le concret

Le réel tel qu'il nous apparaît n'est peut être qu'une projection que nos sens décryptent, en provenance de ces dimensions  de l'information  atomisée par nos préoccupations matérielles, et interprété par nos élucubrations pour donner un sens aux observations dans d'incomplètes descriptions physiques et mathématiques. De nombreuses théories naissent et s'effondrent sous le poids des incohérences et de l'incapacité à comprendre ce que l'on ne peut pas nommer. Inévitablement la nécessite d'une unité de forme et d'action se fera par l'émergence d'une science des états modifiés de la conscience et d'une logique qui lui est propre. Ce champ d'étude renouvelé en permanence fera le lien entre philosophie de la conscience, science de l'observation et physique de l'information.

Le réel c'est également l'improbable qui survient, lorsque le tragique, le surnaturel, l'extraordinaire nous touche. Que faire de ce sort innommable qui peut avachir l'esprit ou élever l'âme, selon les circonstances ou les douleurs de l'existence ? Confronté à la certitude de sa propre finitude, le corps humain ne fait que subir tandis que la conscience de soi, composante irréductible et transcendante, peut nous amener vers d'autres horizons. Mais tant que nous ne sommes pas désincarné, nous devons faire face aux vicissitudes et conserver cet ancrage temporel et biophysique plus que tout autre chose. Nous ne pouvons maintenir ces contacts avec ces différents mondes et dimensions en oubliant notre corporéité. Nous feignons de l'ignorer mais nous ne faisons qu'objectiver de notre vivant un parcours dans le spectre  des projections de la conscience dans l'univers des possibilités.

Dans le réel qui devient multiple, il importe d'apprendre de ses erreurs, de rebrousser chemin lorsque l'on est perdu dans le labyrinthe des turpitudes humaines, de se relever lorsque l'on trébuche, de se transformer pour sortir des conceptions archaïques et des convictions caduques. C'est la progression vers plus de complexité, en tant qu'être biologique au devenir negentropique accomplissant une puissance de vie, mais également en tant qu'être métabiotique dépendant des mutualismes symbiotiques de la biosphère et de la noosphère.

La prise de conscience de soi n'est pas issue de la description d'un état de l'être mais de ce mouvement incarné que l'on appelle la vie. D'où l'importance d'orienter intentionnellement chacune de nos réalisations dans ce réel intriqué avec nos particularités et nos défauts. Cette boucle de rétroaction qui relie action et perception, soumet la conscience à un choix, celui de faire émerger par l'éthique et son application concrète d'autres structures cognitives supérieures. Les possibilités de changement s'articulent par  nos énactions, mettant en œuvre le sens commun et la créativité pour organiser dans une autre boucle cognitive, la pensée, l'émotion, l'imagination et la croyance.

La vie nous pose paradoxalement un ensemble de problèmes existentiels et métaphysiques, et parvenir à les résoudre revient à construire des stratégies adaptées à la compréhension des différents contextes de l'incarnation de la vie qu'elle soit d'ici ou d'ailleurs. Comprendre la vie, c'est aussi vivre l'ensemble des processus dirigeant l'orientation et l'évolution de l'intelligence, c'est observer la possibilité de l'émergence d'autre conscience de soi et la manifestation de toutes les formes d'altérités avec d'autres êtres vivants.

Difficile épreuve que cette lutte permanente pour maîtriser le chaos, pour maintenir la multiplicité de l'être au monde, de la richesse de la vie aux pluralités de l'existence, avec pour objectif de tendre collectivement vers l'enrichissement spirituel. La finalité serait de poursuivre cette transformation vers un ordre supérieur de manière rigoureuse et éthique puisque ce sont les conditions initiales de la survie dans un environnement entropique qui nous l'impose.

Le comportement déraisonnable serait de faire n'importe quoi, comme de se limiter à la satisfaction d'intérêts ethnocentriques, de se complaire dans la fabrication de l'entropie sociale, d'accepter de vivre avec de fausses solutions, des mensonges et des illusions. Il est grand temps de regarder cette vérité en face : comprendre comment nous sommes en tant qu'être vivant au devenir incertain pour ressentir qui nous sommes dans une prise de conscience sans cesse renouvelée.