De la vérité : guerre perpétuelle et horloge de fin du monde
Mel Vadeker, 2022-2023.
- Quelle heure est-il ? Je suis perdu dans les couloirs du temps.
- Il est exactement 90 s avant minuit.
- Pourquoi cette précision extrême ?
- Parce que l'heure c'est l'heure !
- Pour l'heure je comprends, mais pour simplifier, pourquoi ne pas dire bientôt minuit ?
- Parce qu'après l'heure c'est trop tard !
Dans un monde idéal, la recherche de la vérité devrait être un but magnifié pour le bénéfice du plus grand nombre, avec l'espérance que cette recherche d'absolu finissent par briller, comme une lumière dans les ténèbres. Mais l'idéal n'est pas de ce monde, et si l'enfer est pavé de bonne intention, nous retrouvons alors les manifestations du pire lorsque le désir de liberté, la soif de connaissances et la peur de l'inconnu, deviennent des pulsions qui sont détournées pour satisfaire des projets de contrôle, de domination et de destruction.
La recherche de vérité que bien des gens vénèrent comme un summum à atteindre est souvent dégradée, maltraitée, corrompue, déformée, ignorée, cachée pour finir la plupart du temps ensevelie sous un tas d'inepties. Même si on peut considérer la vérité comme un point inatteignable qui doit faire reculer l'ignorance, elle définit également ce qu'on appellerait le seuil de l'incompétence individuelle et les limites du savoir collectif.
Que deviennent les gens de bonne volonté qui recherchent si intensément la vérité pour la révéler au grand jour ? Sont-ils considérés comme des bienfaiteurs, défrichant un terrain inconnu pour mettre en lumière un savoir, avec l'espérance d'élever les esprits ? La réalité est plus terne, grave et lourde, simplement parce que dans ce monde, on ne recherche pas la vérité comme un absolu. On peut difficilement déroger aux règles implicites du fonctionnement des sociétés humaines.
Il faut avant tout se conformer avant de faire des révélations, celles-ci seront mises dans un filtre de perception pour s'adapter aux normes et aux conventions, et ne pas trop bouleverser les structures sociales. Ce n'est pas de la conspiration, ce n'est pas de la théorie mais une fine observation des comportements et des errances humaines.
Lorsque l'on cherche l'objectification des faits sociaux, lorsque l'on tente de mettre au jour des défaillances pour en tirer des leçons, pour améliorer le sort collectif, on arrive vite à cerner les limites de la rationalité. On parvient à comprendre l'effet délétère des biais cognitifs, de toutes sortes de dogmes qui essayent de maintenir un état d'équilibre dans un monde en déséquilibre permanent. On s'aperçoit que les faiblesses humaines sont souvent exploitées lors des conflits sociaux, des guerres, des catastrophes naturelles et des cataclysmes provoqués.
C'est alors que l'on voit l'être humain comme un animal intellectuellement entravé qui ne se rend pas compte qu'il n'est pas réellement libre, sous influence des croyances de son époque, des conventions et de son éducation. Il lui est alors très difficile de retrouver son indépendance d'esprit pour voir de lui-même la réalité en face. On observe les limites de la raison humaine dans la dynamique des populations et de leurs interactions dans la gestion d'une civilisation globalisée. On s'aperçoit que des signaux alarmants, considérés comme signaux faibles, ont été émis depuis des décennies, ainsi que des propositions correctives et des anticipations rationnelles pour mettre en œuvre des solutions pérennes.
Le problème fondamental est de savoir si l'humanité cherche à gagner du temps dans sa fuite en avant, ou à réfléchir sérieusement sur l'état d'un système de gestion planétaire qui s'effondre. L'enjeu qui vient est simple, pourquoi l'animal humain n'écoute t-il pas ? Pourquoi n'observe t-il pas les véritables problèmes ? Pourquoi n'assume t-il pas son incompétence ? Pourquoi fait-il la preuve d'un tel déni de réalité ?
Si l'espèce humaine était portée par le désir collectif de la recherche de la vérité, elle aurait pris à bras le corps de nombreux problèmes et non des moindres, comme celui de la course à l'armement. La guerre est devenue un modèle de gouvernance qui domine la sphère politique depuis des siècles et que la techno science n'a fait qu'accélérer.
Les stratèges aiment si bien définir les différents états de la guerre et ses phases opérationnelles que l'on peut les prendre au mot et résumer la situation : la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens et la paix est la continuation d'autres formes de guerre par tous les moyens. Le sort est ainsi jeté, même s'il faut pour cela consacrer des investissements considérables pour parachever une machine de guerre perpétuelle, dans un monde de rivalités régionales, où des prétendants à l'hégémonie globale ne veulent rien partager.
Quel est le poids de la vérité devant tant de conformisme, devant tant de rivalités pour atteindre des objectifs sur les différentes dimensions de la confrontation ? Quel est le poids de la vérité face à l'intensification des réactions face aux horreurs et aux destructions ? Il devient bien insignifiant tant les forces en oeuvre sont démesurées. Différentes croyances se percutent, se ravivent et se perpétuent en créant les conditions d'une ontogenèse : la guerre pour survivre coûte que coûte même si elle mène à l'auto extermination.
On peut évoquer tout ce qui favorise cette tragédie, de la dégradation des systèmes éducatifs, à la pensée critique malmenée, à l'indépendance d'esprit bafouée, pour laisser la place à la démagogie, aux extrémismes politiques, aux fanatismes, à la pseudo vérité, et à la pseudo science. Il reste de tout cela un cheminement intellectuel malsain, cette pensée insensée qui évolue et se renforce : la solution à de nombreux problèmes ne peut être que le fruit de la violence. Cette pensée devient dans une perspective mondiale et historique, le résultat absurde d'une réflexion égocentrique et nocive.
L'horizon est bouché par tant de stupidités, pris dans un cul de sac qui fait vaciller les cerveaux, voilà maintenant que le spectre de la fin du monde revient hanter les esprits. Après la fin de la raison, après l'aveuglement et la folie, l'humanité espère et entrevoit un déluge de feu. Que croyiez qu'il va advenir dans les prochaines décennies, quand les bombes nucléaires seront accessibles pour n'importe quel pays du fait de l'avancée scientifique et d'innovations mixtes, à la fois civiles et militaires ? Il y aura inévitablement plus de savoirs disponibles, plus de facilités pour créer des dispositifs exterminateurs, plus de doctrines de dissuasion avec son corollaire, plus de procédés de neutralisation.
Nous verrons cette course sans fin qui mène à un monde gouverné par des systèmes globaux de vigilance. Une société paranoïaque qui construit une surveillance généralisée car n'étant pas capable de gérer son incompétence collective. Le paradoxe est apparent, plus l'Homme se croit intelligent et moins il utilise son sens commun pour résoudre les problèmes systémiques. Moins il utilise son esprit critique et sa sagesse, plus il devient stupide. L'idiotie refaçonne alors le fonctionnement de son cerveau pour redéfinir de nouvelles façons de penser cette fatalité qu'est l'état de guerre permanent.
La plus grande déception, après plusieurs siècles d'observation de cette planète, c'est de voir les différentes révolutions technologiques et intellectuelles engendrer des monstres, des édifices intellectuels insensés, des idéologies mortifères et obscènes qui parachèvent le but ultime de la science de la guerre. Voilà une preuve de stupidité, la motivation principale pour une société qui s'entre-déchire serait la peur de perdre son influence et de disparaître. C'est ainsi que l'Homme a provoqué toutes sortes de calamités partout dans le monde, jusqu'à ce qu'une catastrophe majeure rebatte les cartes d'un GRAND JEU.
L'humanité si on l'observe de très loin dans l'espace, peut être vue comme une entité qui s'auto extermine à petit feu. Une humanité à la dérive et qui fuit ses responsabilités au lieu d'affronter avec courage la réalité en face. Elle ne prend pas la pleine mesure des finalités d'une espèce vivante, découvrir les solutions durables aux problèmes fondamentaux. S'il lui reste de l'espoir dans le contrôle de sa propre destinée, elle peine à investir son temps dans autre chose qu'une solution temporaire gouvernée par le feu et le sang.
L'être humain est-il capable de gérer son monde ? Et s'il n'y parvient pas, arrivera t-il à s'en rendre compte à temps ? C'est ainsi que l'on peut avoir honte pour le genre humain. Il apporte continuellement la preuve de la mise en péril de sa propre existence, comme si "Homo Sapiens Sapiens" était un épiphénomène voué à l'extinction, comparativement à l'évolution de la vie et à l'histoire planétaire.
Au lieu d'une prise de conscience irrévocable, nous constatons un stade d'irrésolution qui constitue à lieu seul le symptôme d'un désastre. Ne rien faire pour améliorer le sort collectif, c'est faire le choix de se conformer à cette fatalité, celle de ne pas voir les autres possibilités pour s'extraire d'un sort tragique.
L’horloge de la fin du monde ou horloge de l'Apocalypse (Doomsday Clock en anglais) est une horloge conceptuelle créée en 1947, peu de temps après le début de la guerre froide, et mise à jour régulièrement depuis par les directeurs du Bulletin of the Atomic Scientists de l'université de Chicago, sur laquelle « minuit » représente la fin du monde, l'apocalypse. (source wikipédia).