Sur les plus hautes montagnes

« Celui qui déplace la montagne, c'est celui qui commence à enlever les petites pierres. » Confucius


Par delà le bien et le mal. de Friedrich Nietzsche

Épilogue : Sur les plus hautes montagnes (Traduction par Henri Albert)

Ô midi de la vie ! Ô temps solennel !
Ô jardin d’été !
Bonheur inquiet, debout et aux écoutes ;
J’attends les amis, prêt nuit et jour,
Que tardez-vous, amis ? Venez, car il est temps !

N’était-ce pas pour vous que le gris des glaciers
Aujourd’hui s’est orné de roses ?
C’est vous que cherche la rivière ; et, plus haut,
Le vent et les nuages se pressent dans la nue,
Ardents à découvrir de loin votre venue.

Dans les hauteurs la table est dressée pour vous : —
Qui demeure si près
Des étoiles, si près des sombres profondeurs ?
Quel royaume serait plus vaste que le mien ?
Et de mon miel — qui donc en a goûté ?…


— Vous voici, amis ! — Hélas ! ce n’est pas vers moi
Que vous voulez venir.
Vous hésitez surpris — ah, que ne vous fâchez-vous !
Ce n’est plus — moi ? Plus mon visage et ma démarche ?
Et ce que je suis, amis — ne le serais-je pas pour vous ?


Serais-je un autre ? Étranger à moi-même ?
De moi-même enfui ?
Lutteur qui trop souvent a dû se surmonter ?
Trop souvent s’est raidi contre sa propre force,
Blessé et arrêté par sa propre victoire ?


J’ai cherché où la brise était la plus aiguë.
J’ai su demeurer
Où personne ne demeure, dans les zones arides,
Oubliant l’homme, Dieu, le blasphème et la prière,
Moi le fantôme errant sur les glaciers.


— Mes vieux amis ! Voyez, vous pâlissez,
D’un frisson d’amour !
Non, sans rancune ! Allez. Pour vous point de séjour :
Ici, dans ce royaume des glaces et des roches
Il faut être chasseur et pareil au chamois.


Je fus méchant chasseur ! — Voyez comme mon arc
Est tendu raide !
Car c’est le plus fort qui a décoché ce trait — — :
Mais malheur à vous ! Cette flèche est dangereuse
Comme nulle flèche, — ah ! fuyez pour votre bien !…


Vous tournez les talons ? — Ô cœur, c’en est assez,
Ton espoir demeure fort :
Pour des amis nouveaux garde ouverte tes portes !
Et laisse les anciens ! Laisse les souvenirs !
Si tu fus jeune, te voilà — jeune bien mieux !


Ce qui jamais nous unit, le lien d’un seul espoir, —
Qui lit les signes
Pâlis que jadis l’amour y inscrivit ?
C’est comme le parchemin que la main
Craint de prendre, — bruni, brûlé comme lui.


Ce ne sont plus des amis, ce sont — que dis-je ? —
Des fantômes d’amis !
Quelquefois dans la nuit ils heurtent à mon cœur.
Ils me regardent et disent : « C’était pourtant nous ? » —
— Ô paroles fanées, vous aviez des odeurs de roses.


Ô langueur de jeunesse qui ne s’est point comprise !
Ceux que je cherchais,
Ceux que je croyais parents à moi et transformés,
Ils vieillissaient pourtant, c’est ce qui les bannit :
Celui qui se transforme seul me reste parent.


Ô midi de la vie, ô deuxième jeunesse
Ô jardin d’été !
Bonheur inquiet, debout et aux écoutes !
J’attends les amis, prêt nuit et jour,
Les amis nouveaux ! Venez, car il est temps !

*


Ce chant est fini — le doux cri du désir
Est mort dans ma bouche :
C’était un enchanteur, l’ami du bon moment,
L’ami du midi — non, ne demandez pas qui —
Il était midi, quand un est devenu deux……


Nous célébrons unis, certains de la victoire,
La fête des fêtes :
Zarathoustra vint, l’ami, l’hôte des hôtes !
Le monde rit, le noir rideau s’est déchiré,
La lumière à l’obscurité s’est unie……


À qui se lève matin, Dieu aide et prête la main

« Une heure d’ascension dans les montagnes fait d’un gredin et d’un saint deux créatures à peu près semblables. La fatigue est le chemin le plus court vers l’égalité et la fraternité — et durant le sommeil la liberté finit par s’y ajouter. » Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain


CORAZÓN NEGRO. Vicente Aleixandre

Enigma o sangre de otras vidas pasadas,
suprema interrogación que ante los ojos me habla,
signo que no comprendo a la luz de la luna.
Sangre negra, corazón dolorido que desde lejos la envías
a latidos inciertos, bocanadas calientes,
vaho pesado de estío, río en que no me hundo,
que sin luz pasa como silencio, sin perfume ni amor.
Triste historia de un cuerpo que existe como existe un planeta,
como existe la luna, la abandonada luna,
hueso que todavía tiene un claror de carne.
Aquí, aquí en la tierra echado entre unos juncos,
entre lo verde presente, entre lo siempre fresco,
veo esa pena o sombra, esa linfa o espectro,
esa sola sospecha de sangre que no pasa.
¡Corazón negro, origen del dolor o la luna,
corazón que algún día latiste entre unas manos.
beso que navegaste por unas venas rojas,
cuerpo que te ceñiste a una tapia vibrante!