UN JEU DANS LE WONDERLAND


Le cerveau ne voit que dans le reflet de quelque chose au fond de la rétine de l'oeil de l'esprit. Et ce reflet est comme un écho de l'extérieur qui vient vibrer à l'intérieur. Ce qui fait de nous à la fois la source lumineuse et le miroir qui la reflète. C'est ainsi que naissent les couleurs que l'on manipule avec les sentiments, et que l'on peut ensuite répandre  en soi. Mais généralement il n'y pas de véritable réflexion quand il le faudrait. L'esprit ne sachant plus quoi penser et ne faisant que refléter ce qui lui arrive sans l'assimiler, ni le comprendre.


Beetlejuice : Regardez ces humains qui gesticulent dans tous les sens. Ils perdent le sens des priorités et tournent en rond avec une telle ferveur que cela en devient grotesque. Voilà qu'ils se battent entre eux et entretiennent un autre mécanisme de déchéance de la raison. On ne peut plus dialoguer avec eux, leur cerveau refuse de percevoir l'immensité.

Joker : Le sens de leur vie, voilà ce qu'il leur faut apprendre. Je me doute que cela provoquera quelques frayeurs, certains même deviendront incontrôlables, perdus dans les chimères et les vaines gesticulations.

Pennywise : Ce ne sont que des marionnettes qui ont peur d'avoir une âme. Ils ne se rendent pas compte de leur pouvoir créateur et de leur véritable liberté. Il est toujours possible de les faire bouger en tirant sur les fils auxquels ils se raccrochent si désespérément.

Beetlejuice : On peut toujours intervenir pour les aider à franchir un seuil de perception.

Joker : Nous allons encore avoir des pertes si vous continuez dans ce sens. Nous ne sommes pas là pour mettre à l'épreuve leurs déficiences. Que peut-on faire avec une rationalité si fragile ? Nous savons très bien qu'ils ne sont pas prêts à supporter une transformation brutale de leur raison et assumer une telle révolution jusqu'au for intérieur. Ils ont besoin d'une progression étape par étape.

Pennywise : Vous pensez vraiment qu'ils peuvent encore supporter de nouvelles manifestations ? Je peux tenter de les réconcilier avec une autre réalité pour leur redonner le goût de vivre. On peut continuer de les faire jouer en rythme.

Joker : Tant que tu ne dépasses pas les limites du tolérable, il faut veiller à ne pas trop les brusquer. Ils sont si fragiles et avec une espérance de vie si courte. La génération actuelle est déjà complètement dépassée par les événements.

Pennywise : On verra ceux qui peuvent résoudre les problèmes et ceux qui peuvent percevoir notre présence. Quant aux autres, ils doivent apprendre à coopérer pour supporter ce qui vient.


« Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle ». Auguste Rodin


 

 

Le coup de couteau du soleil dans le dos des villes surprises
par Aimé Césaire

Et je vis un premier animal
il avait un corps de crocodile des pattes d'équidé une tête de chien mais lorsque je regardai de plus près à la place des bubons c'étaient des cicatrices laissées en des temps différents par les orages sur un corps longtemps soumis à d'obscures épreuves sa tête je l'ai dit était des chiens pelés que l'on voit rôder autour des volcans dans les villes que les hommes n'ont pas osé rebâtir et que hantent éternellement les âmes des trépassés

et je vis un second animal il était couché sous un bois de dragonnier des deux côtés de son museau de chevrotain comme des moustaches se
détachaient deux rostres enflammés aux pulpes

Je vis un troisième animal qui était un ver de terre mais un vouloir étrange animait la bête d'une longue étroitesse et il s'étirait sur le sol perdant et repoussant sans cesse des anneaux qu'on ne lui aurait jamais cru la force de porter et qui se poussaient entre eux la vie très vite comme un mot de passe très obscène

Alors ma parole se déploya dans une clairière de paupières sommaires, velours sur lequel les étoiles les plus filantes allaitent leurs ânesses le bariolage sauta livré par les veines d'une géante nocturne

ô la maison bâtie sur roc la femme glaçon du lit la catastrophe perdue comme une aiguille dans une botte de foin une pluie d'onyx tomba et de sceaux brisés sur un monticule dont aucun prêtre d'aucune religion n'a jamais cité le nom et dont l'effet ne peut se comparer qu'aux coups de fouet d'une étoile sur la croupe d'une planète sur la gauche délaissant les étoiles disposer le vever de leurs nombres les nuages ancrer dans nulle mer leurs récifs le cœur noir blotti dans le cœur de l'orage nous fondîmes sur demain avec dans nos poches le coup de couteau très violent du soleil dans le dos des villes surprises


À la mélancolie
de Freidriech Nietzche

Ne sois point courroucée, mélancolie
Que pour te vanter j’aiguise ma plume
Et que, la tête vers les genoux penchée,
Sur un tronc d’arbre je me tienne solitaire.
Ainsi me vis-tu souvent, hier encore,
Sous le rayon matinal du chaud soleil.
Avide criait le vautour dans le val,
Sur un piquet mort rêvant de chair morte.

A son aspect de momie sur une souche
Tu te trompais, oiseau inculte,
Tu oubliais mon regard voluptueux,
Quêtant çà et là, dans la fierté et l’orgueil,
Et même s’il n’allait point à tes hauteurs,
Fermé qu’il était à tes lointaines nuées,
Il plongeait d’autant plus bas en lui-même,
Pour illuminer d’un éclair les abîmes de l’être.

Ainsi me tenais-je souvent au désert profond,
Vilainement tordu, comme un barbare au sacrifice,
Et plein de ta pensé, ô mélancolie,
Un vrai pénitent, comme en mes premières années.
Ainsi je me réjouissais du vol du vautour,
Du tonnerre des croulantes avalanches.
Et tu me parles, toi qui ne sais pas tromper,
Véridique, sous ton air terriblement sévère.

Âpre divinité de la roche sauvage,
Amie, tu aimes à te montrer près de moi,
Puis tu m’apportes la trace hostile du vautour
Et la joie de l’avalanche à me contredire.
Alentour respire une grinçante envie de meurtre,
Désir tourmenté de provoquer la vie !
Séduisante là-bas sur la roche en pente,
La fleur a le désir extrême du papillon.

Tout cela je le suis. Avec effroi je le sens,
Papillon fasciné, fleur solitaire,
Vautour et rapide torrent glacé,
Gémissement de la tempête – tout pour ta gloire,
Rageuse divinité que profondément je révère,
La tête aux genoux, en criant ta louange,
C’est pour ta gloire que je brûle de désir,
Immuablement vers la vie, la vie, la vie.

Ne sois point fâchée, divinité méchante,
Qu’avec grâce mes rimes te soient guirlandes.
Il tremble, celui que tu hantes, visage affreux,
Il tressaille, celui à qui tu tends main mauvaise,
Et tremblant, je balbutie chant par-dessus chant,
Et tressaille en des sursauts rythmiques :
L’encre coule, et crache la plume pointue :
Ah, divinité, divinité, laisse-moi donc, laisse-moi disposer !

Gimmelwald, (Été I871)
(traduction G. Ribemont-Dessaignes, in Poésies complètes, ed. PLASMA,1982).


 

Ces  messages des profondeurs, sont aussi des commencements d'une délicatesse extrême.

Sur chaque seuil, une porte, la franchir est une autre possibilité de s'accomplir.

Le jeu ne s'arrête jamais, pour en sortir il faut résoudre un puzzle.

On ne peut pas y échapper une fois que la partie est commencée.

Une seule chose compte alors, nourrissez votre tête si vous ne voulez pas la perdre.