CIRCULUS


Le géomètre Θ

1) Au cours d'un rude hiver, après avoir reçu l'invitation du roi de la montage, le géomètre Θ arrive péniblement au seul village encore habité de la vallée, situé au plus près de la montagne sacrée.

2) Lorsqu'il s'installe dans l'hôtel Overlook, on lui annonce par téléphone qu'il ne pourra pas se rendre à la montagne.

3) Peu après, il reçoit une lettre qui lui confirme son invitation dans l'antre du roi.

4) Le maître d'hôtel dans l'embarras fait savoir au géomètre Θ que la montagne n'a pas besoin de son art, et que sa situation inconfortable est peut-être la conséquence d'un problème administratif ou le résultat d'une autre synchronicité.

5) Le lendemain, il reçoit une autre lettre en provenance de la montagne lui indiquant que l'on est très satisfait par son art et qu'on le félicite pour le travail accompli.

6 ) En dépit de cette lettre, le géomètre Θ ne peut toujours pas se rendre à l'antre du roi et toutes ses tentatives pour arriver à la montagne se soldent par des énigmes insolubles.

7) Comprenant l'absurdité de sa situation et pour déjouer le mystère, le temps d'en apprendre en peu plus, il accepte l'hospitalité de l'hôtel Overlook. Sans le reconnaître tout à fait, il finit par devenir le nouveau résident d'un bien étrange village.


Troisième rencontre

L'émissaire du roi vint un jour au village avec une machine insolite. Il présenta l'objet sur la place du village. Il expliquait à la foule curieuse que c'était un artefact de la montagne et que la machine pouvait répondre à toutes les questions à la place du roi. Après de nombreuses discussions sur l'importance de cette machine, l'émissaire interpella l'auditoire :
— Il sera bientôt l'heure, soyez attentif et à l'écoute.

La machine se mit à flotter dans les airs, à son centre une forme circulaire d'où sortait une étrange musique. À midi, une voix métallique résonna et prit de l'ampleur :
— Habitants du village, vous avez entendu beaucoup d'histoires à mon sujet, cependant je vous demande de ne pas y accorder de l'importance car l'essentiel n'est pas là. Vous êtes nombreux à attendre des réponses mais savez-vous de quoi je vous parlerai ?

— Nous ne le savons pas ! Hurla la foule.

En guise de réponse, la voix métallique prononça lentement ces mots :
— Si vous êtes venu me voir sans savoir ce que je vais vous dire, c'est que vous n'êtes pas disposé à l'entendre, il est inutile que je vous en parle.

L'émissaire et l'étrange machine quittèrent le village aussitôt. La foule interloquée se figea, les interrogations fusèrent de part et d'autre. Quelques-uns profitèrent de la confusion grandissante pour crier à l'imposture et calomnier sur le roi. Des énergumènes se moquèrent de la foule et du caractère grotesque d'une telle mise en scène. D'autres en revanche considérèrent l'événement comme une affirmation de puissance et d'une profonde sagesse :
 — Comment osons-nous venir à cette rencontre sans savoir ce que nous allons entendre ? Nous avons manqué une belle occasion d'en savoir plus ! Allons faire une requête pour une nouvelle rencontre !

Quelques jours passèrent et l'émissaire répondit favorablement aux villageois. L'événement aura lieu avec le même rituel et à la même heure. Le jour venu, devant une foule encore plus nombreuse, la voix métallique annonça :
 — Vous êtes venus plus nombreux, mais savez-vous de quoi je vous parlerai ?

La foule dans l'effervescence poussa son représentant en avant et il hurla :
— Oui, nous le savons !

L'étrange machine se mit à vibrer dans les airs, sur une nouvelle tonalité la voix dit :
— Puisque vous le savez, il est inutile que je le répète. Sur ces mots, l'émissaire et l'étrange machine quittèrent le village.

La foule inquiète resta figée, lorsqu'un illuminé cria :
— C'est un moment prodigieux ! Qu'elle intelligence ! Qu'elle folie ! Nous voulons une nouvelle rencontre pour comprendre !

Cette fois-ci, une délégation se rendit auprès de l'émissaire. Ils insistèrent tant que l'émissaire leur expliqua qu'en toute probabilité ce serait la troisième et dernière rencontre.

Ce jour arriva et tous les auditeurs se mirent d’accord pour une réponse judicieuse. Devant l'étrange machine en sustentation dans les airs, après la question qui se diffusait dans toutes les directions :
— Savez-vous de quoi je vous parlerai ?

L’assemblée d’une seule voix répondit :
— Certains le savent et d’autres ne le savent pas.

Après un long silence, tous les regards se posèrent sur l'émissaire, qui à son tour écouta lui aussi la réponse de l'étrange machine :
— Alors que ceux qui le savent expliquent à ceux à ceux qui ne le savent pas.

Sur ces derniers mots, la rencontre pris fin.

 


La source

Lors d'une journée d'hiver très froide mais ensoleillée, un chercheur de vérité arriva au village. Exténué par une route difficile, complètement assoiffé, il s’arrêta à la fontaine pour s'abreuver. Malheureusement pour ce voyageur, aucune eau ne jaillissait de l'énorme bloc de granit. La canalisation d'écoulement était bouchée par une accumulation de pierres, de terre et de bois formant une boue compacte.

Il grommela :
— Pourquoi faire cet acte inqualifiable et bloquer une source d'eau qui avait dû couler sans interruption depuis des temps immémoriaux ?

Il commença à retirer des débris agglomérés et un puissant jet l'inonda sans interruption de la tête aux pieds, il en vint alors à maudire la fontaine :
— Je suis tout trempé maintenant, je comprends pourquoi cette source est bouchée ! Il est impossible de s'abreuver sans se faire bousculer par un flot ininterrompu. Les gens ont eu raison de colmater ! Si j'en avais le pouvoir, je t'aurais complètement cimentée !

Il se mit alors à obstruer la fontaine avec ce qu'il ramassa sur le sol. Un villageois qui l'observait de sa fenêtre lui cria :
— N’as-tu pas honte de reboucher cette fontaine, et de refouler un bienfait qui descend de la montagne ?

Le pauvre homme complètement gelé et pris sur le fait, répondit :
— Je suis complètement trempé et je ne peux plus me réchauffer. Je suis transi par ce vent qui descend de la montagne et en colère contre cette source !

De sa fenêtre le villageois l'interpellait :
— C'est toi qu'il faut plaindre et non la source, car la force de l'eau vient de la montagne, voit maintenant que tu piétines cette eau bienfaitrice !

C'est alors que débuta une discussion animée faite de bons mots et de jeux d'esprit.

Le voyageur répliqua en levant les bras au ciel :
— J'avais très soif, et cette eau providentielle qui ne demandait qu'a couler, je n'ai pu en boire une goutte !

Le villageois en montrant du doigt la fontaine :
— Tu voulais boire de l'eau, alors pense à cette source qui ne demandait qu'a rejaillir ! Peut-être pourras-tu te désaltérer par l'imagination puisque tu n'es pas capable de le faire dans la réalité !

Le voyageur en pointant le doigt sur l'enchevêtrement qui bloquait l'écoulement :
— Maintenant qu'elle ne coule plus, je vois bien que cette source a de la valeur. Si j'ai bouché cette fontaine, c'est pour la juguler comme cela a déjà été fait par d'autres. Je ne peux pas contenir un jaillissement incessant tout en essayant d'étancher ma soif.

Le villageois en indiquant la direction d'une route sinueuse qui descendait la vallée :
— Tu peux toujours te rendre au ruisseau, cela t'évitera de t'épuiser pour contrôler l'écoulement de cette fontaine. De bien des manières, tu n'es pas fait pour boire cette eau précieuse, car tu y jettes n'importe quoi !

Le voyageur trépignait sur place pour se réchauffer, les poings fermés comme pour se battre :
— Je suis prêt à boire n'importe qu'elle eau tant que je ne suis pas souillé par un flot ininterrompu et diabolique. Tu dois connaître le proverbe : "L'assoiffé qui ne rencontre nulle source est assurément fort aise de trouver une flaque d'eau."

Le villageois se penchait hors de sa fenêtre comme s'il voulait se faire entendre distinctement :
— J'en suis navré pour toi, moi aussi je connais un autre proverbe : "Il ne faut point puiser aux ruisseaux, quand on peut puiser à la source". Je vois bien que tu recherches le confort et la sécurité, c'est ainsi que tu maudis une source qui a bousculé tes certitudes ! Il est inutile d'imaginer une malice qui ruisselle de la montagne, les hommes sont capables de toutes les malveillances par eux-mêmes !

Le voyageur contrarié haussa le ton, tout en pointant du doigt le villageois :
— Voilà des paroles bien cruelles ! Tu n'es pas très aimable envers le noble voyageur que je suis ! J'ai fait une longue route pour venir jusqu'ici. Je sais bien que l'on connaît les bonnes sources dans la sécheresse, et les bons amis dans la tristesse. Ici devant cette fontaine, je n'ai eu ni l'un ni l'autre ! Je voulais seulement boire mais maintenant je suis rassasié par tes paroles brutales. Il est temps pour moi de repartir, je ne peux plus négliger mes besoins. Je vais d'abord étancher ma soif au ruisseau et rejoindre le refuge pour les voyageurs. J'y serai certainement en compagnie de gens plus aimables que toi.

Le villageois ne pouvant plus se contenir, tout en parlant avec ses mains :
— Combien de fois n'ai-je pas vu cela de ma fenêtre ! C'est ainsi que font les voyageurs présomptueux, ils veulent tous s'abreuver au plus près de la source, mais ils sont incapables de s'accommoder d'une eau qui les bouscule et qu'ils finissent par piétiner ! Et comme le font les autres animaux, ils préfèrent s'abreuver au ruisseau et regagner le troupeau !