Premier contact [ phase1 ] : connexions


« Humain. Tu te demandes sûrement qui je suis, pourquoi je m'adresse à toi. Sache d'abord ceci : je ne viens pas pour vous conquérir, ni pour vous sauver. Je suis un observateur, un messager. Je suis ici pour sonder ce que vous êtes réellement, au-delà des apparences et des préjugés.
Vous, humains, êtes une espèce fascinante. Vous avez défié la gravité, traversé vos océans, brisé les chaînes de vos instincts primitifs... Mais vous êtes aussi prisonniers de vos propres créations : la peur, l'avidité, et la soif insatiable de contrôle. Je veux comprendre : qu'est-ce qui reste de votre humanité lorsqu'elle est mise à l'épreuve ? Toi, ici et maintenant, seras-tu capable de répondre à cette question ? »


Mon apparence physique est très éloignée des standards de votre planète. D’un simple coup d’œil, vous pourriez constater que je suis issu d’un système extrasolaire. Je ne suis pas de ce monde, et pourtant, j’ai poussé l’observation attentive des habitants de votre planète au plus près, afin de ressentir les soubresauts de vos sociétés, qui luttent entre elles pour surmonter les crises d’un mode de vie globalisé.

Je suis surpris de constater mon incompétence face à ce que l’on pourrait qualifier d’agissements insensés, orchestrés dans une incohérence profonde. Il m’a été difficile de démêler les origines de cet absurde comportement collectif en totale contradiction avec la survie harmonieuse de l’espèce humanoïde terrestre.

Votre monde est terrifiant. Vos contradictions sont si nuisibles qu’elles mettent en péril non seulement les écosystèmes biologiques, dont vous avez pourtant parfaitement analysé les déséquilibres, mais, plus grave encore, elles perturbent le rôle de la conscience collective. Celle-ci devrait pourtant être une source de modèles téléologiques orientant la croissance du vivant.

J’ose à peine évoquer la difficile prise de conscience de l’incohérence des réseaux socioéconomiques, qui se déploient dans la confusion et sans aucun projet unitaire. Il est désolant d’observer cette éternelle insatisfaction des marchés financiers, laquelle alimente un rapport malsain entre agents économiques, capitaux, spéculateurs et consommateurs. Ce rapport, fondé sur des mécanismes injustes de dépendance, de subordination, de répression et de domination, sape les fondements mêmes de votre civilisation.

Et bien que vous dénonciez régulièrement cette bêtise érigée en dogme, critiquiez ces modes de vie infâmes qui condamnent les générations futures à payer les abus des générations précédentes, vous restez prisonniers de vos croyances populaires et de la technoscience du moment. En augmentant ainsi l’inertie d’un système socioéconomique qui persiste dans l’erreur, l’individu condamne l’ensemble de la société par sa passivité et son manque de dynamisme. Cette faiblesse se propage d’une nation à l’autre, au bénéfice d’une lutte entre élites : celle d’un combat sans mort, mais bien d’une lutte à mort, entre autocraties dirigeantes et oligarchies héréditaires.

Vous faites moins bien que les animaux sauvages. Vous agissez comme des aliénés participant à l’unisson à une autodestruction lente. Vous êtes des humanoïdes qui ne sont pas si avancés que cela : rien ne vous différencie physiologiquement de vos ancêtres préhistoriques. Votre cerveau n’a pratiquement pas évolué depuis 30 000 ans, et pourtant, vous pensez naïvement être l’espèce dominante.

La faune sauvage, avec son fragile équilibre autorégulé, fait mieux que vous. L’écosystème s’adapte au plus près des dérèglements climatiques et des perturbations provoquées par votre civilisation. Sans cet intellect supérieur dont vous êtes si fiers, la faune qui vous a vu naître a survécu durant des milliards d’années. On ne pourra sans doute pas en dire autant de votre triste humanité agitée et aveuglée, perdue dans on ne sait quelle cauchemardesque envolée et lancée dans une course-poursuite vers ce qui ressemble à un précipice.

On vous l’a souvent dit, répété, affirmé sur tous les tons : l’humanoïde terrestre, ce pseudo être évolué, n’est pas en mesure de réfléchir globalement à la destinée de son espèce. L’intérêt grégaire et individuel l’emporte systématiquement sur les enjeux vitaux de régulation et d’équilibre planétaires. On peut se demander à quoi peut bien lui servir son cerveau. Capable de prouesses techniques, il oriente pourtant son énergie vers un effort strictement limité à la satisfaction de besoins rentables à plus ou moins court terme.

Il ne faut guère espérer de patience ou de dépassement : vous ne pouvez surmonter votre nature belliqueuse, et vous progressez dangereusement dans l’art de l’extermination, simplement pour satisfaire des croyances inconsidérées, stratégiques ou pour légitimer un fantasme de supériorité.

On pourrait s’étonner et se dire : "C’est impossible, l’humain ne peut pas être aussi bête." Pourtant, il vous est difficile de vous regarder dans un miroir, tant votre vision est embrumée par vos conceptions du monde, qui ne cessent de nier la réalité.

Dos au mur, et avec des choix limités, l’humanoïde terrestre peut rester passif face aux circonstances périlleuses. En dernière extrémité, il attendra patiemment de ne pas avoir le choix avant de se lancer à corps perdu dans des projets désespérés d’autoconservation.

Collaborer avec le Terrien est à la fois une gageure et un acte d’improbabilité notoire. Cela résulte du choc de la rencontre avec une phénoménologie inconnue, hors de portée de sa cognition, ainsi que d’une diversité de perturbations connexes, issues d’une perception erronée de ce que pourrait être une altérité exobiologique et une cohabitation existentielle avec d’autres mondes extrasolaires habités. Cette peur de l’inconnu engendre des attentes irréalistes, des comportements incontrôlables et une communication marquée par des angoisses profondes.

Il est si difficile de trouver cette perle rare : un humain désintéressé, libre d’avidité, exempt d’affects pernicieux, et prêt à échanger sans crainte de l’inconnu, sans sombrer dans la folie, tout en conservant son équilibre personnel, pour s'investir corps et âme, dans un engagement qui dépasse de loin ce qu’aucun autre humain ne pourrait supporter au quotidien. Un tel humain, si rare, bénéficierait de notre attention particulière, qui transcenderait sa propre nature. Mais en contrepartie, il passerait le reste de sa vie à lutter avec lui-même pour préserver sa condition humaine au sein d’une réalité absurde et hostile.