Quelques critiques d'eyes wide shut (à sa sortie)

Roger Ebert: Studio turns blind eye to Kubrick's film
Parue le 12 juillet 99 dans le Chicago Sun Times
Le film dans son ensemble est une oeuvre forte et majeure,
un chapitre final plsu que valable pour la carrière d'un
grand cinéaste. Dans la forme, si ce n'est dans le style et
le contenu, il ressemble à After Hours (de Martin
Scorsese), dans lequel le personnage s'égare dans la nuit,
à travers un monde marginal, sexuel.
(...) Le résultat de la censure américaine ne devrait
plaire à personne. Cette version "Austin Powers" (où on
nous cache la nudité par des artifices) va distraire le
public du travail de Kubrick. le public va chercher à
repérer les effets digitaux au moment où le réalisateur,
dans sa version originale, construit un sens de l' érotisme.
De toute façon il s'agissait d'un film inapproprié pour les
jeunes, avec ou sans adultes. Le film, avec cette pseudo-
censure, le rend au contraire "faussement" accessible à un
plus large public, tout en refusant aux adultes une version
originale qui donnait la puissance du cinéma de Kubrick

The scrubbing bubble
EWS est le meilleur des films que Kubrick ait jamais fait.
C'est un film de maturité qui fait état clairement de ses
sentiments à propos de la monogamie et du mariage. Il
s'agit d'un film très moral. Dans son coté le plus simple,
EWS est l'histoire d'un homme qui traverse la nuit, s'y
perd, spirituellement et moralement, et finalement retrouve
le chemin de la maison. Kubrick a laissé une oeuvre
monumentale. Ce n'est ni un puzzle, ni ambigüe, même si
beaucoup le diront. Sa réalisation est sans défaut. La
quantité d'infos qu'il nous donne uniquement à travers le
visuel est étonnante. Et jamais ennuyeuse ni lente. Et ceux
aui le diront doivent être trop habitués à l'école de
réalisation de Michael Bay. Comme nous le savons tous, les
films de Kubrick ont leurs propres règles et leurs propres
rythmes.

Philippe Garnier: Le dernier Kubrick à première vue
Parue le 12 juillet 99 dans Libération - une critique
destructrice où Kubrick aurait tout faux. Morceaux choisis
(et méchants).
Casting mal vu. Le fait d'engager un couple célèbre pouvait
aussi passer pour un coup fumant: scènes d'intimité
conjugale, chimie des corps. Sauf que. Avait-on oublié
Horizon lointain, Jours de tonnerre? On sait que, quelles
que soient leurs qualités propres séparément, Cruise et
Kidman ne jouent pas bien ensemble et font autant
d'étincelles que deux gommes à crayon. (...) < Bien sûr, si
nous offrir en pâture l'adorable derrière de l'adorable
Australienne devait rester le dernier acte de Kubrick, nous
lui en serions éternellement reconnaissants. Mais elle qui
jouait si bien l'hystérie méchante avec Gus Van Sant joue
ici très mal l'ébriété sous toutes ses formes et n'est
juste qu'en de rares moments, et jamais touchante. Cruise
joue un docteur new-yorkais, mais le joue comme il peut,
c'est-à-dire à la Cruise, c'est-à-dire comme un croupier.
Schnitzler mal lu. On ramènera Ophuls sur le tapis, pas
seulement pour les valses ni la provenance de l'histoire.
Mais Ophuls savait où il allait avec ses mouvements; il ne
tournait pas toujours en rond. Il ne faisait pas
systématiquement long, comme toutes les scènes ici (le film
dure 2h46). Et si Kubrick colle d'étonnamment près au texte
d'Arthur Schnitzler, il le lit mal ou choisit de s'en
écarter quand ça l'arrange, aux pires endroits possibles.
Edulcoré. Il y avait pourtant des choses chez Schnitzler
sacrément plus intéressantes, surtout pour un homme comme
Kubrick, qui avait énormément de mal à révéler des secrets.
Or les personnages de cette histoire ne font que ça,
l'histoire ne fait qu'en dépeindre les conséquences. Et ce
qui au temps de Schnitzler était réellement scandaleux (on
ne parlait pas de ces choses-là entre époux) devient un peu
incompréhensible, voire risible, dans le monde
d'aujourd'hui. C'est ce qui rend cet ultime film plus
largué que crépusculaire. On a parfois l'impression que
c'est l'œuvre d'un homme pour qui la pochette anglaise
d'Electric Ladyland de Hendrix a été le summum de
l'érotisme et de la perversion.

Todd McCarthy: A big ``aye'' for Kubrick's ``Eyes''
Parue le 11 juillet 99 dans le magazine professionnel
Variety
Moins acerbe et plus optimiste sur la condition humaine que
n'importe quel autre film de Kubrick, EWS est l'adaptation
intime et précise de la très belle nouvelle de Schnitzler,
Dream Story (1926); une adaptation remarquablement fidèle à
sa source tout en ne trahissant aucun des thèmes familiers
u cinéaste, comme la paranoïa, la déception, les masques
(au sens littéral comme au sens métaphorique du terme) que
les gens portent, ainsi que la difficulté qu'ont les êtres
humains - intelligents - de transcender les instincts et
pulsions auto-destructrices qui conduisent leur espèce. A
coté de cette succession de scènes délicieuses, ce film
exceptionnel se confond dans un état de rêve sous-entendu,
telle un style mélangeant de l'audace et de l'extravagance,
qui permet à la "réalité" et à l'imaginaire de fusionner
(...).
Esthétiquement, le film est saisissant, imposant et
majestueux, mixer à une intimité à couper le souffle. Le
style Kubrick, avec des plans steadicam et une utilisation
magistrale de la musique coexistent avec bonheur, et en
toute beauté, avec une photo qui rappelle parfois Festen de
Thomas Vinterberg.
(...) Les fins des Kubrick étaient tantôt absurde,
désespérée, apocalyptique, mystique, corrosive, meurtrière
ou nihiliste; peut-être que la conclusion de celui-ci - un
espoir prudent - suggère au moins que Kubrick croyait en
quelques sorte au progrès humain.

Alexander Walker: it's a sex odyssey
Première critique officielle parue sur le site du Evening
Standart.
Critique complète This is London
EWS n'est pas un film qui finit avec des réponses toutes
faîtes ou même des certitudes rassurantes. Le couple
survit, mais ne ressort pas indemme. Comme dans les autres
films de Kubrick avant, il laisse libre cours à
l'interprétation du spectateur et nous fait réaliser qu'une
seule projection ne suffit pas à révéler tous les signes et
symboles nécessaires pour suivre ce parcours dans les
transgressions de ses protagonistes (...). Même dans ses
moments les plus déconcertants, c'est une oeuvre
stupéfiante réalisée avec un contrôle magistral, auquel
s'ajoute une humanité que de nombreux détracteurs
rep^rochait au cinéaste de ne pas avoir. Cela pourrait être
le triomphe final de Kubrick : la satisfaction posthume de
voir deux performances qu'il a su tirer des des acteurs,
qui pour la première fois semblent jouer sans dépendre du
filet de sécurité de leur statut de star pour les protéger.
Cette production d'adieu est une victoire pour la quête
sans fin de son auteur où son objectif surpasse ses
connaissances.