Rambo et moi, par David Morrell


Le texte qui suit sert de préface à l'édition anglaise de Rambo First Blood. Il est reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

Rambo et moi, par David Morrell
(Copyright © 1988. Tous droits réservés)

C’était durant l'été 1968, j'avais 25 ans, et je venais de terminer mes études à l'Université de l'Etat de Pennsylvanie. Spécialisé dans la littérature américaine, je venais de finir ma thèse sur Ernest Hemingway et je commençais mes préparations de doctorat sur John Barth. Au fond de moi, je savais déjà que je voulais devenir écrivain.

Je me doutais bien que peu d'écrivains parvenaient à vivre de leur plume, alors j'ai décidé de devenir professeur de littérature, un boulot dans lequel je serais entouré de livres, et qui me laisserait assez de temps pour écrire. Un membre de la faculté, Philip Klass - dont le pseudonyme d'auteur de science-fiction était William Tenn-, m'a donné quelques conseils utiles sur les techniques d'écrivain de fictions. Cependant, comme me l'expliquait Klass : "je peux t'apprendre comment écrire, mais pas sur quoi écrire".

Alors sur quoi pouvais-je écrire ?

Par hasard, j'ai regardé un programme télévisé qui changea toute ma vie. Ce programme, c'était le CBS Evening News, et en cette étouffante soirée d'été, le journaliste Walter Cronkite juxtaposait deux sujets dont les images ont éclaté dans mon esprit comme des éclairs.

La première histoire montrait un combat au Vietnam. De jeunes soldats américains crapahutaient dans la jungle, tirant des coups de M-16 pour repousser l'attaque ennemie. Des balles soulevaient la saleté et déchiquetaient les feuilles. Les infirmiers grimpaient pour aider les blessés. Un officier aboyait des coordonnées dans un émetteur, exigeant un appui aérien. La fatigue, la détermination et la crainte sur les visages des soldats étaient évidentes.

La deuxième histoire montrait un panel de différentes batailles de rue. Cet été-là, les villes intérieures de l'Amérique avaient éclaté dans la violence. Dans ces images cauchemardesques, des gardes nationaux saisissaient des M-16 et traquaient le long des décombres de rues brûlantes, esquivant des pierres et détruisant les habitations, des tireurs isolés parmi des véhicules dévastés.

Chaque histoire, tragique en elle-même, le devenait doublement quand elle était rapprochée de l'autre. Il m'est ainsi venu à l'esprit que, si j’éteignais le son, et que je n’entendais pas le journaliste de chaque histoire commenter les images, j’aurais sûrement pensé que ces images représentaient les deux aspects d'une même horreur : des tirs à l'extérieur de Saigon, une émeute à l'intérieur. Une émeute dans une ville américaine, des tirs à l'extérieur. Le Vietnam et l'Amérique.

Cette juxtaposition m'a décidé à écrire un roman dans lequel la guerre du Vietnam se serait littéralement invitée au sein même de la société américaine. Il n'y avait pas eu de guerre sur le sol américain depuis la fin de la Guerre civile en 1865. L'Amérique étant de plus en plus divisée à cause du Vietnam, peut-être était-il temps d'écrire un roman qui s'inspireraient des divergences d'opinion de notre société, ces divergences qui ont amené la brutalité de la guerre jusque sous notre nez.

J'ai donc décidé que mon personnage catalytique serait un vétéran du Vietnam, un ex Béret Vert qui, après de nombreuses missions dangereuses, avait été capturé par l'ennemi, avant de s'échapper et de rentrer à la maison pour être décoré de la distinction militaire la plus haute, la Médaille d'honneur du Congrès. Mais il ramènerait d'Asie quelque chose avec lui, ce qu’il est courant d’appeler maintenant un désordre post-trauma. Hanté par des cauchemars et par les souvenirs de ce qu'il avait subi à la guerre, aigri par l'indifférence des civiles et même parfois par l'hostilité envers le sacrifice qu'il avait fait pour son pays, il abandonnerait la société pour errer sur les routes de cette nation qu'il a tant aimée. Il laisserait ses cheveux pousser, arrêterait de se raser, porterait son peu de biens dans un sac de couchage roulé sur son épaule et ressemblerait à ce que nous appelions alors un hippie. Dans ce que j'ai lâchement désigné comme une allégorie, il représenterait la mauvaise conscience.

Son nom serait ... on me pose beaucoup de questions sur son nom. J'étais diplômé en langue française et durant un après-midi d'automne, alors que je préparais un cours, je fus frappé par la différence entre l'apparence et la prononciation du nom de l'auteur que je lisais : Rimbaud. Une heure plus tard, ma femme revenait de l'épicerie. Elle m'expliqua qu'elle venait d'acheter quelques pommes d'un type dont elle n'avait jamais entendu parler auparavant : Rambo. Le nom d'un auteur français, et celui presque similaire d'une pomme, j'y ai vu là une sorte de signe.

Si Rambo représentait la mauvaise conscience et le mécontentement, il me fallait pour lui faire face un personnage contrastant avec lui et représentant l'establishment. Un autre bulletin d'informations, dans un journal cette fois, éveilla mon indignation. Dans une petite ville américaine du sud-ouest, un groupe de hippies faisant de l'auto-stop avait été pris par la police locale, déshabillé, tabassé, rasé et même tondu. Leurs vêtements leurs avaient été ensuite rendus, puis les hippies avaient été déposés sur une route déserte, à quarante kilomètres de la ville la plus proche. Ca m'a toute de suite rappelé le harcèlement que je subissais moi-même à cause de ma moustache et de mes longs cheveux. "Pourquoi vous ne vous coupez pas les cheveux ? Que diable êtes vous, un homme ou une femme ?" Je me suis alors demandé quelle serait la réaction d'un type comme Rambo si, après avoir risqué sa vie pour son pays, il avait été soumis à un traitement de ce genre.

Dans mon roman, le représentant de l'ordre est donc devenu un chef de police, Wilfred Teasle. Attentifs aux stéréotypes, je l'ai voulu aussi complexe que l'action le permettait. J'ai fait de Teasle quelqu'un d'assez vieux pour être le père de Rambo. Ceci afin de créer ainsi une opposition des générations, avec en plus le fait que Teasle regrette de ne pas avoir de fils. Ensuite, j'ai décidé que Teasle serait un héros de la guerre de Corée, décoré d'une croix militaire moins prestigieuse que la Médaille d'honneur du Congrès de Rambo. Teasle avait beaucoup d'autres facettes, et pour chacune d'entre elles, le but pour moi était d'en faire un personnage aussi motivé et sympathique que Rambo, car selon moi les idées qui divisaient l'Amérique provenaient de convictions profondes et sincères.

Pour souligner cette polarité, j'ai structuré le roman pour alterner les points de vue entre Rambo et Teasle. Cette tactique, selon moi, inciterait le lecteur à s’identifier à chaque personnage et à ressentir un peu mieux leur ambivalence. Qui était le héros, qui était le bandit ? Ou bien étaient-ils tous les deux des héros, ou tous les deux des bandits ? La confrontation finale entre Rambo et Teasle montrerait que dans une version microcosmique de la Guerre du Vietnam, entretenant en plus une attitude typiquement américaine, l’escalade de la violence conduit forcément au désastre. Il n’y a pas de vainqueur.

En raison de la difficulté de mon travail à l’école, je n'ai pas achevé First Blood avant d’avoir fini mes études à l’Université de Penn en 1970, et d’avoir enseigné à l'Université de l'Iowa pendant une année. Le livre est sorti en 1972, a été traduit dans 21 langues, et est par ailleurs à la base d’un film bien connu.

La suite, c’est tout simplement une décennie entière à suivre la préparation du film. J’ai vendu les droits en 1972 à la Columbia. Un an plus tard, la Columbia revendait les droits à la Warner. Qui les revendait… Et ainsi de suite. Pendant dix ans, le projet est passé par d’innombrables maisons de production, a connu 18 scénarios différents, et a failli être mis en scène par Richard Brooks, John Frankenheimer, Martin Scorsese, et Sydney Pollack. De la même façon, de nombreux acteurs, parmi lesquels Paul Newman, Al Pacino, Steve McQueen, Clint Eastwood, Robert De Niro, Nick Nolte, and Michael Douglas, ont été envisagés pour jouer le rôle principal. Le livre devint une légende à Hollywood. Comment était-il possible que tant d’argent et de talent ne parviennent à arracher l’histoire des pages du livre ?

La raison principale à la difficulté d’adapter le livre était l’état d’esprit de l’époque… La guerre du Vietnam s’était terminée tragiquement et les ressentiments à son propos étaient violents. Les rares films évoquant cette guerre (le film Coming Home, par exemple) reflétaient bien cet état d’esprit. Puis vinrent les années 80. Ronald Reagan arriva à la Maison Blanche, et il promit de ramener l’optimisme en Amérique. La débâcle du Vietnam semblait lointaine.

C’est à peu près à ce moment que deux distributeurs, Andrew Vajna et Mario Kassar, qui avaient fait fortune en Orient, décidèrent de devenir producteurs. Cherchant un premier projet, il tombèrent sur First Blood, et décidèrent qu’après quelques modifications, le scénario pourrait aboutir à un bon film, et à un succès aux Etats-Unis. Au-delà de ça, leur expérience de distributeurs étrangers les amena à penser que le film, en insistant bien sur l’action, pourrait rapporter beaucoup d’argent dans le monde.

Quelques modifications furent donc apportées au scénario. L’histoire fut déplacée du Kentucky au Nord Ouest de la côté pacifique (principalement pour cause d’intempéries – ironiquement, un brouillard intense paralysa le tournage pendant quelque temps). A Rambo fut donné un prénom : John ("When Johnny comes marching home"). Ainsi il avait l’air moins dur et plus humain que dans le roman. Egalement, aucune des scènes suivantes n’apparaît dans le livre : Rambo lançant une pierre sur un hélicoptère, provoquant la chute mortelle d’un tireur, Rambo jetant un camion volé contre une voiture de police remplie d’adjoints armés du shérif, ceux-ci entrant alors en collision avec une autre voiture sur le côté de la route. Une autre différence se situe au niveau du nombre de morts. Le chef de la police – devenu un rustre stéréotypé dans le film – est salement amoché, mais reste en vie. Dans le roman, les pertes humaines sont pratiquement incalculables. Mon intention était, je le rappelle, de transposer la guerre du Vietnam en Amérique. Le film avait au contraire pour vocation d’inciter le public à acclamer l’opprimé.

Le changement le plus flagrant entre mon livre et le film qui en a été tiré n’était pas prévu. J’étais décidé, au moment d’écrire le livre, à ne laisser aucun vainqueur : aussi bien le chef de police que Rambo devaient mourir. Dans le livre, Sam Trautman (je l’ai imaginé comme une prolongation de mon allégorie, une sorte de Oncle Sam ; l’officier spécial ayant entraîné Rambo, ayant fait de lui ce qu’il est devenu) tire dans la tête de son ancien élève. Une scène quasiment similaire, dans laquelle Rambo se suicidait, a été tournée. Mais les spectateurs, durant les séances tests, ont trouvé cette fin bien trop déprimante. L’équipe du film fut donc invitée à reprendre le tournage pour filmer une nouvelle fin, dans laquelle Rambo survivrait. Ainsi, presque involontairement, la voie était ouverte pour une suite… Voie encouragée bien entendu par le succès du film.

La première séquelle, Rambo 2 : La Mission fit un malheur au box-office international en 1985. En tant que film d’action, il fut vendu principalement comme divertissement. Mais en raison des idées politiques qu’il véhiculait (restait-il ou pas des prisonniers américains au Vietnam ?), il fut aussi extrêmement controversé (comme le fut en 1988 le troisième épisode, qui traitant de l’invasion soviétique en Afghanistan). Le président Reagan sembla se soucier assez peu de la controverse. Un soir, durant une conférence de presse télévisée, il déclara qu’il avait vu le film la nuit précédente et qu’il savait désormais quoi faire en cas de prise d’otage. Malheureusement, beaucoup de gens confondirent le film avec la politique militaire américaine, au point que lors d’un voyage en Angleterre, je suis tombé sur le titre du journal London Times : "Les Etats-Unis de Rambo bombardent la Libye".

Je n’étais impliqué dans aucune des deux suites. Néanmoins, j’ai accepté d’en écrire la novélisation afin d’approfondir la caractérisation des personnages, ce qu’ils avaient oublié de faire. Je pensais qu’il était important de rappeler aux lecteurs ce que le livre Rambo était à l’origine. Durant les années 70 et 80, le livre avait été étudié dans les lycées et les universités américaines. Durant des années, j’avais reçu des courriers de la part de professeurs m’expliquant à quel point les étudiants avaient été marqués par le livre. Mais au milieu des années 80, la controverse autour des films rendit les professeurs frileux, et le livre n’était plus inclus aux programmes scolaires. Le courrier stoppa également. Non pas que je le reproche aux films. Niveau action, ils ne contiennent pas plus de violence que tout ce qui se fait aujourd’hui. Mis à part le côté politique, ils ressemblent plutôt à de vieux westerns (quoique je reproche justement au troisième épisode cet aspect peut être un peu trop vieillot). Mais je trouve assez ironique que, d’un livre traitant des divergences opposant les courants de la société américaine (les pro et les anti guerre du Vietnam), ils tirèrent des films qui engendrèrent eux même des divergences (entre les pro et les anti Reagan), une décennie après son écriture.

Parfois, je compare les livres et les films de la saga Rambo à des trains identiques allant dans des directions opposées. Parfois, je compare aussi Rambo à un enfant qui a grandit et s’est échappé du giron de son père. Parfois, j’entends ou je vois le nom de Rambo dans un magazine, une émission, à la radio ou à la télévision – en référence à des athlètes, des politiciens, des financiers, etc. -. Ce nom est utilisé comme un adjectif ou un verbe, et j’ai presque du mal à me souvenir que sans le CBS Evening News, sans Rimbaud, sans ma femme et les pommes qu’elle avait achetées, sans Philip Klass et ma détermination à devenir un romancier, une édition récente du dictionnaire anglais d’Oxford n’aurait jamais crédité mon livre comme la source du mot "Rambo".

Rambo : Troublé, hanté, incompris. Si vous en avez entendu parler, mais sans jamais le rencontrer… Il risque fort de vous surprendre.

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