L'animal humain au plus bas de son évolution

"J’ai étudié les caractéristiques et les tempéraments des animaux soi-disant ''inférieurs'' et je les ai comparés aux caractéristiques et tempéraments humains. Je trouve le résultat humiliant pour moi. Parce que cela m’oblige à renoncer à mon allégeance à la théorie de Darwin sur l’ascension de l’homme à partir des animaux inférieurs; depuis qu’il me parait clair que la théorie devrait être éliminée au profit d’une nouvelle théorie plus véridique, celle-ci devrait s’appeler La Descente de l’Homme à partir des Animaux Supérieurs." Mark Twain

"I have been scientifically studying the traits and dispositions of the “lower animals” (so-called,) and contrasting them with the traits and dispositions of man. I find the result profoundly humiliating to me. For it obliges me to renounce my allegiance to the Darwinian theory of the Ascent of Man from the Lower Animals; since it now seems plain to me that that theory ought to be vacated in favor of a new and truer one, this new and truer one to be named the Descent of Man from the Higher Animals." Mark Twain

 

C''est ainsi que débute l'essai de Mark Twain intitulé "The Lowest Animal". L'auteur nous livre une satire de la nature humaine en décrivant les expériences qu'il aurait menées aux jardins zoologiques de Londres. Twain prend à contre pied la théorie de l'évolution des espèces de Charles Darwin où les humains ont évolués à partir d'ancêtres primitifs ou d'«animaux inférieurs».

Les œuvres de Mark Twain (1835-1910) sont remarquables à plus d'un titre, notamment par leur traits d'humour, la prise de distance permettant d'atteindre une observation particulière des problèmes humains.

Mark Twain est une figure centrale dans la littérature américaine. Les Aventures de Huckleberry Finn, son plus bel ouvrage, est l'histoire d'un voyage sur le Mississippi par deux figures mémorables, un garçon blanc et un esclave noir. Twain est né Samuel Lang-home Clemens en 1835 et a grandi à Hannibal, Missouri. Pendant ses premières années, il a travaillé en tant que pilote de bateau de rivière, journaliste, imprimeur, et chercheur d'or. Bien que son image populaire est d'être l'auteur d'œuvres comiques comme Les Aventures de Tom Sawyer, Vie sur le Mississippi, et Le Prince et le Pauvre, Twain avait un côté sombre qui aurait pu résulter des épreuves difficiles de sa vie: faillite personnelle, la mort de sa femme et de ses filles. Ses derniers écrits sont sauvages, satiriques, et pessimistes

Son essai The Lowest Animal diffusé également sous le titre plus critique Damned Human Race est l'un de ses derniers travaux que l'on peut retrouver dans le recueil Letters from the Earth et d'autre anthologie sur l'auteur.

ressources Internet :

 


Foutu Race Humaine (1905)

J’ai étudié les caractéristiques et les tempéraments des animaux soi-disant ''inférieurs'' et je les ai comparés aux caractéristiques et tempéraments humains. Je trouve le résultat humiliant pour moi. Parce que cela m’oblige à renoncer à mon allégeance à la théorie de Darwin sur l’ascension de l’homme à partir des animaux inférieurs; depuis qu’il me parait clair que la théorie devrait être éliminée au profit d’une nouvelle théorie plus véridique, celle-ci devrait s’appeler La Descente de l’Homme à partir des Animaux Supérieurs. En cheminant vers cette conclusion déplaisante je n’ai pas deviné ou spéculé ni fait de conjectures, mais j’ai utilisé ce qui est communément admis sous le nom de méthode scientifique. C'est-à-dire que j’ai soumis chaque postulat qui s’est présenté au test impitoyable de l’expérience elle-même, et je l’ai adopté ou rejeté en fonction du résultat. J’ai ainsi vérifié et établi au fur et à mesure chaque étape de mon parcours avant de passer à la suivante. Ces expériences ont été faites avec une grande rigueur dans les Jardins Zoologiques de Londres, et ont nécessité de nombreux mois d'un travail minutieux et fatigant.


Avant de détailler ces expériences, je souhaite indiquer une ou deux choses qui semblent devoir être signalées dès maintenant, plutôt qu’après. Ceci afin d’être clair. L'accumulation des expériences a permis d’établir, à ma grande satisfaction certaines généralisations, à savoir :
 

  1. Que la race humaine est une espèce distincte. Elle montre de légères variations – en couleur, stature, niveau intellectuel, et ainsi de suite – en lien avec le climat, l’environnement et ainsi de suite ; mais c’est une espèce en soi, qu'on ne peut confondre avec aucune autre.

  2. Que les quadrupèdes constituent aussi une famille distincte. Cette famille montre des variations – en couleur, taille, préférences alimentaires etc ; mais c'est une famille à elle seule.

  3. Que les autres familles – oiseaux, poissons, insectes, reptiles, etc – sont aussi plus ou moins distinctes. Elles font partie du cortège. Elles sont des relais de la chaîne qui part des Animaux Supérieurs et aboutit tout en bas à l'homme.

 

Certaines de mes expériences ont été plutôt curieuses. Au cours de mes lectures, j’ai découvert le cas, il y a bien des années, de chasseurs de nos Grandes Plaines qui avaient organisé une chasse aux bisons pour le divertissement d’un comte anglais – et aussi pour approvisionner son garde-manger en viande fraîche. Ils y a eu beaucoup de sport. Ils ont tué soixante douze de ces grands animaux ; et ils ont mangé une partie de l’un d’entre eux et laissé pourrir les soixante et onze autres. Afin de déterminer la différence entre un anaconda et un comte – s'il y en a une – j'ai fait mettre sept jeunes veaux dans la cage d’un anaconda.
 

Le reptile reconnaissant a immédiatement étouffé l’un d’eux et l’a avalé, puis il est retourné s'allonger, satisfait. Il n’a plus manifesté aucun intérêt pour les autres veaux, et aucune envie de leur faire du mal. J’ai reproduit l’expérience avec d’autres anacondas, toujours avec le même résultat. Il est prouvé que le comte est cruel et que l’anaconda ne l’est pas; et que le comte veut seulement détruire ce dont il n’a pas l’utilité, mais pas l’anaconda. Ceci semble suggérer que l’anaconda ne descend pas du comte. Cela semble suggérer aussi que le comte descend de l’anaconda et a perdu beaucoup au change.
 

J’avais conscience que beaucoup d’hommes qui avaient accumulés plus de millions qu’ils ne pourront jamais en utiliser ont montré une faim enragée pour en avoir plus, et n’ont eu aucun scrupule à gruger des ignorants et des personnes sans défense vis à vis de leurs maigres biens, pour apaiser en partie cet appétit. J’ai fourni à une centaine d’animaux sauvages et domestiques divers l’opportunité d’accumuler de grandes quantités de nourriture mais aucun d'eux n'a voulu le faire.
 

Les écureuils et les abeilles et certains oiseaux ont fait des stocks, mais se sont arrêtés après avoir fait du stock pour l’hiver, et on n'a pu les convaincre de l'augmenter, aussi bien par une technique honnête que par ruse. Afin de redorer sa mauvaise réputation , la fourmi a fait semblant de stocker de la nourriture, mais elle ne m’a pas trompé. Je connais la fourmi. Ces expériences m'ont convaincu qu’il y a une différence entre l’homme et les Animaux Supérieurs : l'homme est avare et pingre, pas eux.
 

Au cours de mes expériences, j’ai acquis la conviction que de tous les animaux, l’homme est le seul qui a recours aux insultes et méchancetés, les rumine, attend qu’une occasion se présente, et se venge. La passion pour la vengeance est inconnue chez les Animaux Supérieurs
 

Les coqs ont des harems, mais c'est avec le consentement de leurs concubines; aucun mal n'est donc fait. Les hommes ont des harems, mais par la force, privilège obtenu par d'atroces lois où le sexe opposé n’a pas son mot à dire. Dans ce cas, l’homme occupe une place bien inférieure à celle du coq. Les chats ont une morale assez floue, mais ce n'est pas délibéré. L’homme, en descendant du chat, a amené le flou du chat avec lui, mais a laissé le côté non délibéré derrière – la grâce salvatrice qui excuse le chat. Le chat est innocent, l’homme non.

 

L’indécence, la vulgarité, l’obscénité – sont strictement spécifiques à l’homme : il les a inventées. Chez les Animaux Supérieurs, il n’y en a pas trace. Ils ne cachent rien ; ils n’ont pas de honte. L’homme, avec son esprit souillé, se camoufle. Il n'entrera même pas dans un salon torse nu, aussi animé soit-il avec ses potes d'une indécente idée derrière la tête. L’homme est un ''Animal rieur''. Mais le singe aussi, comme l'a fait remarquer M. Darwin; et aussi l’oiseau Australien qui se nomme ''l’idiot rieur''. Non – l'homme
 

Au début de cet article, nous avons vu comment ''trois moines ont été brûlés vifs'' il y a quelques semaines, et un prieur mis à mort avec une atroce cruauté''. Vous voulez des détails ? Non, sinon nous découvririons que le prieur a subi des mutilations qui ne sont pas imprimables. L’homme – si c'est un indien d’Amérique du Nord – arrachera les yeux de ses prisonniers ; si c'est le roi Jean avec un neveu à calmer, il utilisera une barre de fer chauffée au rouge; si c'est un religieux zélé s’occupant d'hérétiques au Moyen-Âge, il les écorchera vivants et mettra du sel sur leur dos; à l’époque du premier Richard, il enfermera une multitude de familles juives dans une tour et y mettra le feu; à l’époque de Christophe Colomb il capturera une famille de juifs espagnols et ... mais ce n’est pas imprimable; de nos jours en Angleterre un homme aura une amende de dix shilling s’il bat presque sa mère à mort avec une chaise, et un autre aura une amende de 40 shillings pour avoir en sa possession 4 œufs de poule faisane sans explications satisfaisante sur leur provenance. De tous les animaux, l’homme est le seul à être cruel. Il est le seul qui inflige de la douleur par plaisir. C’est un trait qu’on ne retrouve pas chez les Animaux Supérieurs. Le chat joue avec la souris apeurée; mais il a l’excuse de ne pas savoir que la souris souffre. Le chat est modérément inhumain : il fait seulement peur à la souris, il ne lui fait pas de mal; il ne lui arrache pas les yeux, ne lui met pas d’échardes sous les ongles – à la manière des hommes; quand il a fini de jouer avec, il en fait tout de suite son repas ce qui met fin aux souffrances. L’homme est un animal cruel. Il est le seul à mériter cette distinction.
 

Les Animaux Supérieurs s’engagent dans des combats individuels, mais jamais en groupes organisés. L’homme est le seul à commettre cette atrocité parmi les atrocités, la guerre. Il est le seul à rassembler ses frères autour de lui et à avancer avec sang froid et le pouls calme pour exterminer son prochain. C'est le seul animal qui s'engagera pour une paie sordide, ou comme l'a fait le jeune prince Napoléon pendant la guerre des Zoulous, pour aider à massacrer des étrangers de sa propre espèce qui ne lui ont fait aucun mal et avec lesquels il n’y a pas de contentieux.
 

L’homme est le seul animal à voler son pays à un gars sans défense – à en prendre possession, l'en chasser ou le détruire. L’homme fait cela depuis l'aube des temps. Il n’y a pas un hectare de terre sur le globe qui appartienne à son légitime propriétaire, ou qui n’a pas était enlevé à ses propriétaires successifs, cycle après cycle, par force et effusion de sang.
 

L’homme est le seul à être esclave. Et il est le seul animal à asservir les autres. Il a toujours été esclave d’une manière ou d’une autre, et a toujours mis d’autres esclaves en état de servitude d’une manière ou d’une autre. De nos jours, il est toujours l'esclave d'un homme pour son salaire et il fait le travail de cet homme; et cet esclave a d'autres esclaves sous lui pour des salaires plus petits et ils font son travail. Les Animaux Supérieurs sont les seuls qui font exclusivement leur travail personnel pour se procurer de quoi subsister.
 

L’homme est le seul à être patriote. Il se met à part dans son propre pays, sous son propre drapeau, et se moque des autres nations, et garde sous la main une multitude d’assassins en uniforme au prix de lourdes dépenses pour chiper à d'autres des bouts de pays, et les empêcher de mettre la main sur des bouts du sien. Et entre deux campagnes, il nettoie ses mains et travaille du clapet pour ''la fraternité universelle de l’homme''.

L’homme est un animal religieux. Il est le seul animal religieux. Il est le seul animal qui a la vraie religion – il en a même plusieurs. Il est le seul animal qui aime son voisin comme lui-même, mais lui coupe la gorge si sa théologie n’est pas correcte. Il a transformé le globe en cimetière en essayant de son mieux d’aplanir le chemin de son frère vers le bonheur et le paradis. Il faisait cela à l’époque des Césars, il le faisait à l'époque de Mahomet, il le faisait à l'époque de l’inquisition, il l'a fait en France pendant deux siècles, il l’a fait en Angleterre à l'époque de la Reine Marie, il l’a fait depuis qu’il a vu la lumière, il le fait aujourd’hui en Crète, il le fera ailleurs demain. Les Animaux Supérieurs n’ont pas de religion. Et on nous dit qu’ils seront laissés pour compte dans l’après vie. Je me demande pourquoi ? C'est d'un goût très douteux.
 

L’homme est un animal qui raisonne. Telle est sa prétention. Je pense que c’est discutable. En vérité, mes expériences m’ont prouvé qu’il est un animal sans logique. Notez son histoire, comme décrite plus haut. Quel qu'il soit, il me parait clair que ce n’est pas un animal qui raisonne. Ce qu'il laisse, ce sont de fantastiques archives de fou. Je pense que le plus gros désavantage de son intelligence est le fait qu'avec un tel passé, il s'annonce avec mièvrerie comme l’animal au-dessus du lot : alors que d’après ses propres normes il est tout en bas.
 

En vérité, l’homme est incurablement stupide. Il est incapable d’apprendre des choses simples qu'apprennent sans effort d'autres animaux. Dans mes expériences il y a eu cela : en une heure j’ai appris à un chat à être ami avec un chien. Je les ai mis dans une cage. Une heure après je leur ai appris à être amis avec un lapin. En deux jours, j’ai pu ajouter un renard, une oie, un écureuil et des tourterelles. Et à la fin un singe. Ils vivaient ensemble en paix; même avec affection.
 

Ensuite dans une autre cage, j’ai enfermé un prêtre irlandais de Tipperary, et très rapidement quand il a semblé s'apprivoiser, j’ai ajouté un presbytérien écossais d’Aberdeen. Ensuite, un turc de Constantinople, un grec chrétien de Crète; un arménien, un méthodiste des terres sauvages de l’Arkansas; un bouddhiste de Chine; un brahmane de Bénarès. Et enfin un colonel de l'Armée du Salut de Wapping.

 

Je me suis tenu à l'écart pendant deux jours entiers. En revenant pour noter les résultats, tout allait bien dans la cage des Animaux Supérieurs, mais dans l'autre ce n'était qu'un bric-à-brac de turbans et de fezs, de tartan et d'os et de chair – plus un seul spécimen en vie. Ces animaux raisonnant n'étaient pas d'accord sur un détail de théologie et voulaient poursuivre l'affaire au tribunal.
 

On est obligé de concéder que pour une réelle noblesse de caractère, l'Homme ne peut prétendre approcher même le plus simple des Animaux Supérieurs. Il est évident qu'il est par sa constitution incapable d'approcher cette hauteur; qu'il est par constitution affligé d'un Défaut qui doit lui rendre une telle approche impossible à tout jamais, car il est manifeste que ce défaut est permanent chez lui, indestructible, indéracinable. Je pense que ce Défaut est le Sens Moral. C'est le seul animal à l'avoir. C'est le secret de sa dégradation. C'est la qualité qui le rend capable de mal faire. Ce Défaut n'a pas d'autre fonction. Il ne peut réaliser aucune autre fonction. Il n'aurait jamais pu être destiné à aucune autre. Sans lui, l'homme pouvait ne pas mal faire. Il se serait élevé tout de suite au niveau des Animaux Supérieurs.

 

Comme le Sens Moral n'a qu'une fonction, une seule capacité – rendre l'homme capable de mal faire – il est de toute évidence sans valeur pour lui. C'est autant dénué de valeur pour lui qu'une maladie. En fait, c'est manifestement une maladie. La rage est mauvaise, mais pas autant que cette maladie. La rage rend l'homme capable de faire le mal, mais pas autant que cette maladie. La rage rend l'homme capable de faire une chose qu'il ne pourrait pas faire quand il est en bonne santé : tuer son voisin par une morsure empoisonnée. Personne n'est meilleur que l'homme pour être enragé. Le Sens Moral rend un homme capable de faire le mal. Il le rend capable de faire le mal de mille manières. La rage est une innocente maladie à côté du Sens Moral. Personne peut n'être meilleur que l'homme pour avoir du Sens Moral. Quelle est maintenant la malédiction primitive ? À l'évidence ce qu'il y avait au commencement : un homme affligé de Sens Moral; la capacité de distinguer le bien du mal; et l'accompagnant forcément, la capacité de faire le mal; car il ne peut y avoir d'acte mauvais sans la présence chez son acteur de la conscience de ce mal.

 

Et donc je pense que nous avons chuté et dégénéré depuis nos lointains ancêtres – atome microscopique qui se baladait peut-être selon son bon plaisir au milieu des puissants horizons d'une goutte d'eau – insecte après insecte, animal après animal, reptile après reptile, le long de la longue route de l'innocence jusqu'à atteindre le fond du développement – j'ai nommé l'Être Humain. En dessous de nous – rien. Rien sauf le Français.

Il n'y a qu'un seul stade possible en dessous du Sens Moral; c'est le Sens Immoral. Le Français le possède. L'homme n'est qu'un peu plus bas que les anges. Cela le localise définitivement. Il se situe entre les anges et le Français.

L'homme semble être une sorte de pauvre chose bancale, qu'on le veuille ou non; un genre de British Museum d'infirmités et d'infériorités (musée qui exhibe entre autres des monstres en bocaux, NdT). Il passe son temps à subir des réparations. Une machine aussi peu fiable comme lui n'aurait eu aucun avenir commercial. Au sommet de ses points forts – le Sens Moral – s'empilent une multitude d'infirmités moins importantes; une telle multitude, vraiment, qu'on peut largement dire qu'elles sont infinies. Les Animaux Supérieurs font leurs dents sans douleur ou inconvénients. Pour l'homme, c'est par des mois et des mois d'une cruelle torture; et à une époque de sa vie où en plus il est toujours malade. Dès qu'elles sont sorties, il faut qu'elles repartent toutes car elles n'étaient pas valables la première fois. Le second jeu va donner satisfaction pendant un certain temps, occasionnellement renforcé par un mastic ou couronné d'or; mais il n'aura jamais un ensemble sur lequel il peut compter sauf si c'est un dentiste qui le fait. Cet ensemble sera appelé ''fausses'' dents – comme s'il en avait déjà porté d'un autre genre.

À l'état sauvage – état naturel – les Animaux Supérieurs ont quelques maladies; maladies sans grandes conséquences; la principale étant l'âge. Mais l'homme démarre dès l'enfance et poursuit jusqu'à la fin, comme en régime de croisière. Il a les oreillons, la rougeole, la coqueluche, le croup, la diphtérie, la scarlatine, presque comme quelque chose d'inévitable. Ensuite, plus tard, sa vie est menacée autrement : rhumes, toux, asthme, bronchite, urticaire, choléra, cancer, tuberculose, fièvre jaune, fièvre bilieuse, typhus, rhume des foins, engelures, inflammation des entrailles, indigestion, rage de dents, otite, surdité, cécité, grippe, varicelle, muguet, crise de foie, constipation, hémorragie, verrues, boutons, furoncles, anthrax, abcès, oignons, cor aux pieds, tumeurs, fistules, pneumonie, ramollissement du cerveau, mélancolie et une quinzaine d'autres sortes de démences; dysenterie, jaunisse, maladies de cœur, des os, de la peau, du cuir chevelu, de la rate, des reins, des nerfs, du cerveau, du sang; scrofules, paralysie, lèpre, névralgies, paralysie, attaque, migraine, treize sortes de rhumatismes, 46 de gouttes, et une quantité formidable de graves maladies de toutes sortes non imprimables.

Aussi, mais pourquoi continuer la liste ? Les noms des responsables appointés pour empêcher la réparation de cette machinerie boiteuse recouvriraient entièrement un homme si on les imprimait sur son corps, même en utilisant les plus petits caractères d'imprimerie possibles. Il n'est qu'un ramassis de corruption pestilentielle subvenant aux besoins de ravitaillement et de passe-temps d'une armée grouillantes de bactéries – armée accréditée pour le pourrir et le détruire, chaque armée faisant son travail spécifique. Le processus qui l'agresse, le persécute, le pourrit, le tue commence à son premier souffle et aucune clémence, pitié ou trêve ne se manifesteront jusqu'à son dernier soupir.

Regardez les malfaçons de certains détails. À quoi lui servent ses amygdales ? Elles n'accomplissent aucune fonction utile; elles ne servent à rien. Il ne s'y passe rien. Elles ne sont qu'un piège. Elles n'ont qu'une fonction, qu'un rôle : rapporter à son possesseur des angines et des amygdalites. Et à quoi sert l'appendice vermiculaire ? Il est inutile; il ne peut rendre aucun service. Il n'est qu'un ennemi en embuscade dont le seul intérêt dans la vie est de mentir en attendant que passent des pépins de raison vagabonds qui serviront à créer une hernie étranglée. Et à quoi servent les seins aux hommes ? Pour le travail, aucun intérêt, comme ornements, ce sont des erreurs. À quoi lui sert une barbe ? Elle ne remplit aucune fonction; c'est une nuisance et un désagrément; toutes les nations la haïssent; toutes les nations la persécutent avec un rasoir. Et parce que c'est une nuisance et un désagrément, la Nature n'autorise jamais son absence pour les hommes entre la puberté et la tombe. On ne voit jamais un homme chauve du menton. Mais ses cheveux ! C'est un ornement gracieux, un confort, c'est la meilleure de toutes les protections contre certains maux dangereux, l'homme les apprécie plus que des émeraudes et des rubis. Et à cause de cela, la Nature arrive par là-dessus et la moitié du temps il ne les conserve pas.

La vision, l'odorat, l'ouïe, le sens de l'orientation – comme ils sont inférieurs. Un condor voit un corps à 9 km; l'homme n'a aucun télescope qui le fasse. Un chien limier sent une odeur vieille de deux jours. Le rouge-gorge entend un ver de terre se frayer un chemin sous terre. Le chat, emmené dans un panier fermé retrouve le chemin de sa maison en traversant 30 km de territoires qu'il n'a jamais vus.

Certaines fonctions logées chez l'autre sexe fonctionnent d'une manière lamentablement inférieure comparée à celles des Animaux Supérieurs. Chez la femme, la menstruation, la gestation et l'accouchement sont des périodes considérées comme des horreurs. Chez les Animaux Supérieurs, ces choses ne sont même pas des gênes.

Pour le style, regardez le tigre du Bengale – cet idéal de grâce, de beauté, de perfection physique, de majesté. Et regardez ensuite l'Homme – cette pauvre chose. C'est un animal à perruque, au crâne trépané, à l'oreille en trompette, à l’œil de verre, au nez tout mollasson, aux dents en céramique, à la trachée argentée, à la jambe de bois – une créature rapiécée de haut en bas. S'il ne peut obtenir de renouvellement de son bric-à-brac dans le prochain monde, à quoi va-t-il ressembler ?

 

Il ne possède qu'une seule notable supériorité. Pour l'intellect, il est souverain. Les Animaux Supérieurs ne peuvent le battre sur ce plan-là. Il est curieux, il est remarquable qu'aucun paradis ne lui ait jamais été offert où sa seule supériorité aurait eu une chance de se réjouir. Même quand il a lui-même imaginé un paradis, il n'y a jamais fait de provisions pour des joies intellectuelles. C'est une omission flagrante. On dirait une confession tacite que le paradis est prévu uniquement pour les Animaux Supérieurs. Cela donne matière à réflexion, et à une sérieuse réflexion. Et c'est plein d'une lugubre suggestion : que nous ne sommes pas aussi importants, peut-être, que ce que nous avons toujours supposé.