Le poème de T.S. Eliot Les Hommes Creux, fait référence au personnage de Kurtz du roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Le réalisateur Francis Ford Coppola s'inspira de ce roman pour en faire une adaptation avec le film Apocalypse Now. Dans ce film, le personnage de Kurtz, interprété par Marlon Brando, énigmatique et habité par la noirceur, parcourant les pages d'un livre dans la pénombre, lit le poème Les Hommes Creux.
Nous retrouvons avec le personnage de Kurtz, ce passage d'un genre à l'autre, le bouclage d'une référence commune qui est superposée et imbriquée, en partant du poème au roman, de l'adaptation du roman au film, pour finir dans le film par la lecture du poème dans une autoréférence sur Kurtz.
Ressources sur les auteurs (en & fr) :
Discussions et problèmes pour la traduction du poème Hollow Men en français :
Analyse et commentaire :
Arrival in the heart of darkness - L'arrivée au cœur des ténèbres
To remember the battlefield of Peacekeeper Wars - Pour se rappeler du champ de bataille des Guerres Pacificatrices
Appearance in the shadow - Apparition dans l'ombre |
« Mistah Kurtz - he dead »
A penny for the Old Guy
I
We are the hollow men
We are the stuffed men
Leaning together
Headpiece filled with straw. Alas!
Our dried voices, when
We whisper together
Are quiet and meaningless
As wind in dry grass
Or rats' feet over broken glass
In our dry cellar
Shape without form, shade without colour,
Paralysed force, gesture without motion;
Those who have crossed
With direct eyes, to death's other Kingdom
Remember us-if at all-not as lost
Violent souls, but only
As the hollow men
The stuffed men.
II
Eyes I dare not meet in dreams
In death's dream kingdom
These do not appear:
There, the eyes are
Sunlight on a broken column
There, is a tree swinging
And voices are
In the wind's singing
More distant and more solemn
Than a fading star.
Let me be no nearer
In death's dream kingdom
Let me also wear
Such deliberate disguises
Rat's coat, crowskin, crossed staves
In a field
Behaving as the wind behaves
No nearer-
Not that final meeting
In the twilight kingdom
III
This is the dead land
This is cactus land
Here the stone images
Are raised, here they receive
The supplication of a dead man's hand
Under the twinkle of a fading star.
Is it like this
In death's other kingdom
Waking alone
At the hour when we are
Trembling with tenderness
Lips that would kiss
Form prayers to broken stone.
IV
The eyes are not here
There are no eyes here
In this valley of dying stars
In this hollow valley
This broken jaw of our lost kingdoms
In this last of meeting places
We grope together
And avoid speech
Gathered on this beach of the tumid river
Sightless, unless
The eyes reappear
As the perpetual star
Multifoliate rose
Of death's twilight kingdom
The hope only
Of empty men.
V
Here we go round the prickly pear
Prickly pear prickly pear
Here we go round the prickly pear
At five o'clock in the morning.
Between the idea
And the reality
Between the motion
And the act
Falls the Shadow
For Thine is the Kingdom
Between the conception
And the creation
Between the emotion
And the response
Falls the Shadow
Life is very long
Between the desire
And the spasm
Between the potency
And the existence
Between the essence
And the descent
Falls the Shadow
For Thine is the Kingdom
For Thine is
Life is
For Thine is the
This is the way the world ends
This is the way the world ends
This is the way the world ends
Not with a bang but a whimper.
******
1. Mistah Kurtz: a character in Joseph Conrad's "Heart of Darkness."
2. A...Old Guy: a cry of English children on the streets on Guy Fawkes Day, November 5, when they carry straw effigies of Guy Fawkes and beg for money for fireworks to celebrate the day. Fawkes was a traitor who attempted with conspirators to blow up both houses of Parliament in 1605; the "gunpowder plot" failed.
3. Those...Kingdom: Those who have represented something positive and direct are blessed in Paradise. The reference is to Dante's "Paradiso".
4. Eyes: eyes of those in eternity who had faith and confidence and were a force that acted and were not paralyzed.
5. crossed stave: refers to scarecrows
6. tumid river: swollen river. The River Acheron in Hell in Dante's "Inferno". The damned must cross this river to get to the land of the dead.
7. Multifoliate rose: in dante's "Divine Comedy" paradise is described as a rose of many leaves.
8. prickly pear: cactus
9. Between...act: a reference to "Julius Caesar" "Between the acting of a dreadful thing/And the first motion, all the interim is/Like a phantasma or a hideous dream."
10. For...Kingdom: the beginning of the closing words of the Lord's Prayer. © by owner. provided at no charge for educational purposes
LES HOMMES CREUX
(1925)
« Messa Kurtz - lui mort »
UN PENNY POUR LE VIEUX GUY
I
Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.
Silhouette sans forme, ombre décolorée,
Geste sans mouvement, force paralysée ;
Ceux qui s’en furent
Le regard droit, vers l’autre royaume de la mort
Gardent mémoire de nous – s’ils en gardent – non pas
Comme de violentes âmes perdues, mais seulement
Comme d’hommes creux
D’hommes empaillés.
II
Les yeux que je n’ose pas rencontrer dans les rêves
Au royaume de rêve de la mort
Eux, n’apparaissent pas:
Là, les yeux sont
Du soleil sur un fût de colonne brisé
Là, un arbre se balance
Et les voix sont
Dans le vent qui chante
Plus lointaines, plus solennelles
Qu’une étoile pâlissante.
Que je ne sois pas plus proche
Au royaume de rêve de la mort
Qu’encore je porte
Pareils francs déguisements: robe de rat,
Peau de corbeau, bâtons en croix
Dans un champ
Me comportant selon le vent
Pas plus proche –
Pas cette rencontre finale
Au royaume crépusculaire.
III
C’est ici la terre morte
Une terre à cactus
Ici les images de pierre
Sont dressées, ici elles reçoivent
La supplication d’une main de mort
Sous le clignotement d’une étoile pâlissante.
Est-ce ainsi
Dans l’autre royaume de la mort:
Veillant seuls
A l’heure où nous sommes
Tremblants de tendresse
Les lèvres qui voudraient baiser
Esquissent des prières à la pierre brisée.
IV
Les yeux ne sont pas ici
Il n’y a pas d’yeux ici
Dans cette vallée d’étoiles mourantes
Dans cette vallée creuse
Cette mâchoire brisée de nos royaumes perdus
En cet ultime lieu de rencontre
Nous tâtonnons ensemble
Evitant de parler
Rassemblés là sur cette plage du fleuve enflé
Sans regard, à moins que
Les yeux ne reparaissent
Telle l’étoile perpétuelle
La rose aux maints pétales
Du royaume crépusculaire de la mort
Le seul espoir
D’hommes vides.
V
Tournons autour du fi-guier
De Barbarie, de Barbarie
Tournons autour du fi-guier
Avant qu’le jour se soit levé.
Entre l’idée
Et la réalité
Entre le mouvement
Et l’acte
Tombe l’Ombre
Car Tien est le Royaume
Entre la conception
Et la création
Entre l’émotion
Et la réponse
Tombe l’Ombre
La vie est très longue
Entre le désir
Et le spasme
Entre la puissance
Et l’existence
Entre l’essence
Et la descente
Tombe l’Ombre
Car Tien est le Royaume
Car Tien est
La vie est
Car Tien est
C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
Pas sur un Boum, sur un murmure.
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Notes du traducteur pour Les Hommes Creux.
Le titre, The Holow Men, fait écho à Jules César, IV, 2,22, où Brutus emploie cette expression à propos de Cassius, qui commence à le décevoir.
L'épigraphe "Messa Kurtz - lui mort" est une phrase d'Au cœur des ténèbres de Conrad, qu'on aura avantage à relire en fonction de ce difficile poème.
"Un penny pour le vieux Guy" est la revendications traditionnelle des gamins anglais qui, le 5 novembre, anniversaire du Complot des Poudres de 1605, promènent des effigies en paille de Guy Fawkes avant de les bruler en place publique. On sait que Guy Fawkes fut arrêté dans les caves du Parlement, le jour de l'Ouverture, à l'instant où il allait mettre le feu à un baril de poudre. Cette épigraphe n'est d'ailleurs pas la seule allusion du poème (cf. "cave sèche", "âmes violentes", etc.) à un complot qui, mutatis mutandis, sonnait sans doute ainsi "creux" dans l'esprit de l'auteur que celui dont César fut victime.
Les vers 11-12 présentent le difficile "shape without form", littéralement "forme sans forme", ce qui ne se comprend guère si l'on n'ajoute que le premier "forme" (shape) a le sens concret de forme corporelle, et que le second (form) renvoie à la terminologie scolastique, selon laquelle l'âme est la forme du corps. D'où notre à peu près : "silhouette sans forme".
"Le royaume de rêve de la mort" (vers 20, 30), "l'autre royaume de rêve de la mort (vers 14,16) et "le royaume crépusculaire de la mort (vers 65) semblent correspondre respectivement, dans La Divine Comédie, à l'Enfer, au Paradis et au Purgatoire (cf. tout particulièrement la rencontre avec Béatrice).
En V, "Tournons autour du fi-guier" et "C'est ainsi que finit le monde" se chantent sur l'air de "Here we go round the mulberry bush." - A la quatrième strophe, "puissance" (potency) doit naturellement être pris au sens de "virtualité", - Enfin, "Car Tien est le royaume" est le début de la doxologie qui suit maintes prières, notamment le Pater, dans la liturgie anglicane : "For Thine is the Kingdom and the Power and the Glory, for ever and ever, amen."
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Thomas Stearns Eliot,
Poésie : Premiers poèmes, La terre vaine, Les hommes creux, Mercredi des Cendres, Poèmes d'Ariel, Quatre quatuors, Edition bilingue français-anglais
Éditions du Seuil, 1947, 1950, 1969
Traduction de Pierre Leyris.